Les reporters photographes professionnels du Sénégal. Une corporation sous-valorisée.( Télécharger le fichier original )par Amadou BA CESTI-Université Cheikh Anta Diop - Maîtrise Sciences et Techniques Information et Communication 2011 |
B/ L'âge d'or des studiosAyant été à bonne école, celle des colons qui ont amené dans leurs bagages l'outil photographique, les précurseurs sénégalais ont connu leurs heures de gloire de la période qui a précédé de peu l'indépendance jusque vers la fin des années 1980. Cette époque faste est caractérisée par la maîtrise des opérations techniques en laboratoire et leur sens artistique reconnu par les populations qui posaient devant leur objectif. Dans leurs studios qui accueillaient de nombreux clients sans distinction sociale, le dispositif scénique constituait un élément important. « Le studio de Meïssa Gaye était en fait un salon très sobre dans sa maison. Quelques fauteuils, une chaise, un appareil sur pied. Je vois encore le photographe qui me fait asseoir et me donne un bouquet de fleurs à tenir. J'entends Dioundiou : « Souris, souris ! » et le photographe qui me demande de regarder dans le trou noir de l'appareil. Je perçois un déclic : « Tac ! » C'est fini, » écrit avec une certaine nostalgie l'écrivaine sénégalaise, Aminata Sow Fall.89(*) Les praticiens se frottaient les mains. Adama Sylla se souvient qu'il lui fallait des sacs pour emporter le fruit de ses longues journées de studio.90(*) Salla Casset a « pellé » de l'argent, renchérit son ancien assistant, Samba Diop, en mimant le geste. « Je ne dis pas gagner, mais peller », insiste-t-il. Nous sommes dans les années 1950 et « des files interminables se formaient devant le studio deux heures durant, de 21 heures à 23 heures. Il y en avait même qui ne parvenaient pas à se faire photographier. » A cette époque, écrit Erika Nimis, « à Dakar, le commerce de la photographie (s'était) développé beaucoup plus tôt et de façon plus significative. »91(*) La photographie était réservée à la classe aisée qui en avait les moyens. C'était également valable pour la pratique photographique, puisque les praticiens faisaient partie de la classe aisée. « Toute la partie de la production photographique de Mama Casset était consacrée à la fabrication et à la vente d'images qui, encadrées, devenaient l'ornement des maisons, comme aujourd'hui les posters. » C'est qu'en effet, « la mémoire des familles passait par ces photographies. (Et) chacun y reconnaissait ses parents, sa famille.»92(*) Ce qui faisait que, « enracinés dans leurs quartiers, jouant un rôle important et reconnu par la communauté en tant que chroniqueurs visuels des petits évènements de la vie familiale et des temps forts de la collectivité, les photographes des années 1980, l'âge d'or des photographes de studios », étaient respectés et admirés.93(*) « Ce n'est pas comme maintenant, constate Samba Diop. En ce temps, la photo n'était pas dévalorisée. ». Cette admiration et ce respect étaient dus à la maîtrise des opérations techniques, de la prise de vue au développement des films. A en croire l'ethnologue, Jean François Werner, « la maîtrise des opérations techniques mises en oeuvre dans la chambre noire s'acquérait au cours d'apprentissages relativement longs (deux à trois ans, souvent plus) et qu'elle était la pierre angulaire de l'identité professionnelle des photographes et le fondement de leur légitimité sociale. »94(*) Doudou Diop ne dit pas autre chose lorsqu'il évoque son statut de photographe comme un privilège, une position artistique qui lui a été donnée dans le quartier de Sor. « Le soir de 19 heures (et parfois jusqu'à une heure du matin les soirs de fête) on se pressait au « Studio Diop ». Il pouvait y avoir jusqu'à 50 personnes faisant la queue. »95(*) Pour Samba Diop, le constat est sans équivoque : « Les premiers photographes sont meilleurs que ceux de la nouvelle génération.» Car, ils devaient régler la distance, le sujet, l'éclairage, la pose. Les accessoires, le décor, l'habilement du photographié, rien n'était laissé au hasard. En studio, la pose se prépare. On l'habillait selon sa volonté, à l'occidentale ou en boubou traditionnel. Après la prise de vue, il y avait la retouche, ce qui n'existe pas actuellement. »96(*) Le portrait était le genre par excellence et les photographes de studio faisaient preuve d'une maîtrise technique incontestable pour rendre une image en noir et blanc qui satisfaisait le client. Aujourd'hui, les anciens photographes de studio se désolent de la disparition progressive de la photographie noir et blanc avec tout le savoir-faire inhérent au métier (comme le travail en chambre noire).97(*) « Demandez aujourd'hui à un photographe de suivre la fabrication d'une photographie, de la prise de vue au tirage, beaucoup n'y parviendront pas », disait encore Mama Casset à Bouna Médoune Sèye quelque temps avant sa mort.98(*) * 89 A. S. Fall, « Souvenir d'une photographie confisquée », article déjà cité, p. 65. * 90 F. Chapuis, « Les précurseurs de Saint-Louis », p. 60. * 91 E. Nimis, Photographes de Bamako. De 1935 à nos jours, p. 15. * 92 Mama Casset et les précurseurs de la photographie en Afrique, 1950, p. 8. * 93 J.-F. Werner, « Le crépuscule des studios », in : Anthologie de la photographie africaine et de la diaspora de 1840 à nos jours, op. cit., p. 94. * 94 J-F. Werner, « Le studio photographique comme laboratoire d'expérimentation sociale », ibidem, p. 39. * 95 F. Chapuis, « Les précurseurs de Saint-Louis », p. 58. * 96 Entretien avec lui à Dakar le 26 mars 2010. * 97 E. Nimis, « Photograph(ies) d'Afrique (Introduction) », Africultures n° 39, juin 2001, p. 5. * 98 Mama Casset et les précurseurs de la photographie en Afrique, 1950, p. 9. |
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