Les reporters photographes professionnels du Sénégal. Une corporation sous-valorisée.( Télécharger le fichier original )par Amadou BA CESTI-Université Cheikh Anta Diop - Maîtrise Sciences et Techniques Information et Communication 2011 |
Section 3 : Le déclin des studiosPrivilégiés dans les années 1960 avec l'âge d'or de la photographie sédentaire, les photographes de studios, ces grands portraitistes, ont vu leur carrière freinée par les avancées techniques de la photographie deux décennies plus tard. La pratique sédentaire de la photographie a décliné au profit de la photographie ambulatoire. Dans son article, Côte d'Ivoire. Le crépuscule des studios, paru dans l'Anthologie de la photographie africaine et de l'océan indien137(*), Jean-François Werner se demande si les photographes de studios se relèveront de la crise que connaît leur corporation. Toujours selon Werner, « la profession photographique a subi depuis le début des années 1980 un bouleversement en profondeur qui met en question jusqu'à l'existence même de ces photographes de studio qui, à l'instar de Mama Casset, (...) ont réalisé des images qui relèvent d'un savoir-faire comme d'un sens artistique certain. »138(*) Cette situation nouvelle ressemble à celle des sociétés industrielles, au lendemain de la seconde guerre mondiale quand la démocratisation de la photographie amateur a entraîné la disparition des ateliers photographiques de rue. Pour le regretté Mama Casset, ce n'est ni plus ni moins que la mort de la photographie. « Je ne peux que regretter, disait-il, la mort de la photographie dont l'acte de décès a été signé par l'avènement de la couleur et des laboratoires automatiques. »139(*) Selon Samba Diop, « ces avancées techniques ont dénaturé la photographie. Il n y a aucun réglage à faire. Tout est automatique et il suffit juste d'appuyer sur le bouton et le tour est joué. »140(*) Alors que, « la vraie photographie, le noir et blanc, c'est une autre paire de manches. Il faut s'y connaître », poursuit-il. D'ailleurs, Samba Diop rechigne à donner aux ambulants le titre de photographes. Pour lui, ils ne sont que des « presse-boutons ».141(*) Cette situation actuelle « est caractérisée par la marginalisation professionnelle des praticiens de studio et la désaffection du public pour le rituel photographique, un phénomène qui reflète l'émergence de constructions identitaires plus individuelles que collectives », écrit Werner.142(*) La preuve en est aujourd'hui la floraison des appareils qui permettent aux non initiés d'immortaliser un évènement ou un lieu. Mis en péril par les avancées techniques en matière de photographie et par les ambulants, « les photographes de studio sont en définitive les grands perdants de cette guerre à la fois économique, technique et symbolique, dans la mesure où l'un des enjeux principaux reste le pouvoir de définir qui est photographe et qui ne l'est pas », constate Werner.143(*) Pour lui, « les photographes de studios ont été doublement marginalisés. D'une part, les compétences techniques autour desquelles s'était construite leur identité professionnelle, sont devenues subitement obsolètes, d'autre part, ils ont vu leurs studios désertés par des clients dont les goûts ont changé. »144(*) L'histoire de la photographie au Sénégal peut être scindée en deux grandes phases : son apparition à la faveur de la colonisation et son appropriation par les populations locales. Formés au contact des Blancs, les premiers photographes sénégalais connaitront leurs heures de gloire avec l'ouverture de studios à Saint-Louis et à Dakar. Mais l'avènement des laboratoires et de la photographie couleur sonneront le glas d'une génération talentueuse de praticiens et contribueront au déclin des studios. Cette période va coïncider avec l'émergence d'une catégorie de photographes appelés « ambulants ». Non contents d'avoir porté l'estocade aux photographes sédentaires, les photographes ambulants ont investi en masse une presse sénégalaise en pleine effervescence. Ils y ont transposé leur manière de travail informel à tel point que le photojournalisme au Sénégal est devenu une corporation en quête de reconnaissance. DEUXIEME PARTIE : LE PHOTOJOURNALISME AU SENEGAL : ZOOM SUR UNE CORPORATION SOUS-VALORISEE Pour permettre une bonne connaissance de la profession de reporter photographe et ainsi étayer notre hypothèse de départ, nous allons présenter plus en détail la méthodologie utilisée. Les données recueillies, présentées sous forme de graphiques circulaires, ont trait à l'expérience et au statut professionnel, au niveau d'études et de formation, au type de média pour lequel le reporter photographe travaille etc. La conversion des réponses en chiffres offre non seulement une meilleure lisibilité, mais aussi elle permet de construire une grille de lecture la plus objective possible de l'état des lieux de cette profession. * 137 Voir J-F. Werner, « Le crépuscule des studios », op. cit. * 138 ID., op. cit, p. 93 * 139 Mama Casset et les précurseurs de la photographie en Afrique, 1950, p. 11 * 140 Entretien avec lui à Dakar le 26 mars 2010. * 141 Cf. même entretien. * 142 J-F Werner, « Produire des images en Afrique. Le cas des photographes de studio », Cahier d'études africaines, vol. 36, n° 141, 1996, p. 142. * 143 J-F. Werner, « Le crépuscule des studios », p. 97. * 144 ID., op. cit, p. 97. |
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