Les reporters photographes professionnels du Sénégal. Une corporation sous-valorisée.( Télécharger le fichier original )par Amadou BA CESTI-Université Cheikh Anta Diop - Maîtrise Sciences et Techniques Information et Communication 2011 |
Section 2 : L'arrivée des ambulants ou la démocratisation de la photographie.Dans les années 1990, caractérisées par la situation économique difficile du pays et la crise du système scolaire, beaucoup de jeunes se tournèrent vers la pratique de la photographie comme source de revenus. Ces nouveaux praticiens qui sillonnent les artères des villes, leur appareil en bandoulière, sont connus sous l'appellation de photographes ambulants par opposition aux photographes sédentaires des studios. Ce rush, qui a bouleversé l'ordre établi, n'a pu être possible qu'avec l'apparition dans les années 1980 de la photographie couleur et des laboratoires. Les photographes ambulants - qui ne sont pas toujours des professionnels - ont ainsi envahi le marché et déstabilisé l'ordre érigé au début du XXe siècle.129(*) Ironie du sort, ce sont pourtant les photographes sédentaires qui ont commencé « à sortir de leurs studios pour réaliser des reportages lors de cérémonies privées (mariages, baptêmes, funérailles) ou de manifestations publiques (visites d'officiels, d'autorités, compétitions sportives) ou encore répondre aux sollicitations des services de police (accidents, homicides), etc. » Les photographes de studios ont ainsi dans un premier temps commencé à sortir de leurs ateliers avec « l'arrivée des appareils 24x36, beaucoup plus maniables (souples) et équipés de flash qui permettent de travailler de jour comme de nuit en s'affranchissant des encombrants projecteurs du studio. »130(*) Mais quelques années plus tard, ils ont eu à faire face à de sérieux concurrents : des photographes de rue, qui appliquent des prix modestes et proposent des « photos-minute ». Ces nouveaux praticiens, pour la grande majorité d'entre eux, cherchent avant tout un emploi facile d'accès, où l'investissement est relativement peu coûteux.131(*) Des fois, ils n'ont même pas besoin d'investir aucun centime. Un parent ou un voisin, photographe ambulant ou ancien praticien de studio, ayant mis la clé sous le paillasson, leur sert de rampe de lancement. Ces ambulants courent les cérémonies familiales et les fêtes de toute sorte sans pour autant être invités, s'ils ne trouvent pas directement leurs clients chez eux. Ce qui fait que ces derniers n'ont plus besoin d'aller dans un studio. Ce que résume Werner en ces termes : « (...) Si autrefois la photo de famille était le résultat d'un acte volontaire et programmé, elle est de plus en plus tributaire du hasard, des rencontres imprévues et, en règle générale de tout ce qu'une grande ville peut produire comme occasions de se faire photographier depuis l'apparition de ces photographes ambulants qui la sillonnent de jour comme de nuit. »132(*) Le mode opératoire des ambulants, efficace, est basé sur la rapidité avec laquelle ils s'exécutent. Une fois la photo prise, ils se précipitent vers le laboratoire le plus proche afin de rendre la photo avant la fin de la cérémonie pour pouvoir rentrer dans leurs fonds. Dans leur jargon, ils portent le nom de « Dreadmen » ou « Dread ». Ce sont des photographes qui s'invitent dans des manifestations et prennent en photos les invités parfois sans leur aval. Et ces clichés doivent impérativement être rendus avant la fin de la cérémonie et la dispersion des clients pour rentrer dans leur frais.133(*) L'essentiel pour ces jeunes photographes ambulants sans expérience c'est juste de gagner leur vie. N'ayant besoin d'aucun ou de peu d'investissement, contrairement aux photographes de studios, leur sens des relations de sociabilité avec leurs clients suffit à les ferrer davantage et gagner leur fidélité. Avec leur matériel léger (un appareil, bien sûr, et une sacoche pour les négatifs, les livraisons des clients et les films), ils arpentent les places animées de la ville, du quartier ou du village (marchés, boîtes de nuit, lieux de culte, écoles et universités etc.) Dynamiques et agressifs commercialement parlant, ils proposent des tarifs qui défient toute concurrence. Ils n'ont pas non plus de charge liée au paiement d'une facture d'électricité, de location, etc. Ces photographes de rue font même du porte-à-porte et, contrairement aux photographes sédentaires, peuvent travailler de jour comme de nuit, jusqu'à des heures tardives. Pour eux, la photographie domestique constitue une activité particulièrement rémunératrice. Pour toute cérémonie ou manifestation familiale, on fait appel à eux. De fil en aiguille, des amis de la famille entrent aussi dans la clientèle, grâce au bouche-à-oreille. « Si les premiers (photographes de studios) peuvent être de plein droit qualifiés de professionnels, de par leurs connaissances très grandes, les seconds (ambulants) n'ont pas suivi les traces de leurs prédécesseurs. A qui la faute ? A ces appareils de plus en plus sophistiqués où il n'est besoin que de presser sur un bouton pour réaliser un cliché. A ces laboratoires couleur qui assurent le développement et le tirage, d'où cette ignorance de plus en plus fréquente sur les techniques proprement photographiques. »134(*) Beaucoup d'ambulants n'ont pas acquis de connaissances techniques comme le travail de laboratoire. Leur savoir-faire se limite à la prise de vue. Le reste du travail est laissé aux laboratoires.135(*) Ce qui fait dire à Jean-François Werner qu'en définitive, les propriétaires de laboratoires apparaissent comme les véritables maîtres du jeu. Ce faisant, ils agissent selon une logique marchande commerciale axée sur la recherche du profit le plus élevé dans un minimum de temps. Avec comme conséquence, une tendance à privilégier la rapidité au détriment de la qualité.136(*) Conséquence : les photos se conservent moins longtemps, surtout dans nos pays où les conditions climatiques (chaleur et humidité) ne s'y prêtent pas souvent. Ce sont ces ambulants qui se sont convertis en reporters photographes pour le compte des média dans le contexte de l'explosion de la presse au milieu des années 1990. Ils ont ainsi contribué à fragiliser le statut de cette corporation. * 129 E. Nimis, « Photograph(i)es d'Afrique (Introduction) », Africultures n° 39, juin 2001, p. 5. * 130 J-F. Werner, « Le crépuscule des studios », p. 94. * 131 E. Nimis, Photographes de Bamako. De 1935 à nos jours, p. 95. * 132 J-F WERNER,
« De la photo de famille comme outil ethnographique. Une étude
* 133 J-F. Werner, « Le crépuscule des studios », p. 96. * 134 E. Nimis, Photographes de Bamako. Paris : Editions Revue Noire, 1998, p. 116 * 135 ID., op. cit, p. 92. * 136 J-F. Werner, « Le crépuscule des studios », p. 96. |
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