Les reporters photographes professionnels du Sénégal. Une corporation sous-valorisée.( Télécharger le fichier original )par Amadou BA CESTI-Université Cheikh Anta Diop - Maîtrise Sciences et Techniques Information et Communication 2011 |
Chapitre 3 :EMERGENCES DES AMBULANTS ET DECLIN DES STUDIOS PHOTO L'émergence des photographes ambulants et la démocratisation de la photographie au Sénégal n'ont pu être possibles que grâce aux progrès techniques enregistrés dans le domaine de la photographie. Ces progrès techniques ont pour nom l'apparition des laboratoires et de la photographie couleur. Avec l'avènement de la couleur dans les années 1980, concomitamment à la multiplication des labos, la photographie au Sénégal a connu de profondes mutations. En plus de la décadence des studios et, par ricochet des photographes sédentaires, on a assisté à l'apparition de nouveaux praticiens appelés « photographes ambulants » ou « ambulatoires ». Si pour les photographes de studio, ces innovations techniques ont généré des effets pervers, pour les nouveaux arrivants, il s'agit plutôt d'une démocratisation de la pratique photographique. Une situation qui contraste avec celle des années 1960 correspondant à la période fastes des studios. Section 1 : L'apparition des laboratoires et de la photographie couleurAlors que dans d'autres pays d'Afrique comme la Côte-d'Ivoire les films en couleurs étaient encore traités en France, le Sénégal avait déjà étrenné son premier laboratoire couleur au début des années 1960. Dans la période comprise entre 1960 et 1966, Difco Foto est ouvert à Dakar par un coopérant français. En ce temps, la photographie couleur était à ses balbutiements. Elle était chère et seuls les occidentaux et une infime partie de la bourgeoisie sénégalaise avaient accès à cette nouvelle invention. Il faudra attendre les années 1970, avec notamment l'apparition des machines à développer pour que les labos se multiplient petit à petit.121(*) Rapidement, le Sénégal devint un centre de traitement des films couleurs pour les pays voisins. Hormis les photographes Maliens, « Gambiens et Mauritaniens envoyaient leurs films à Difco Foto pour le tirage en couleurs. »122(*) Dans les années 1980, un autre laboratoire ouvre ses portes, toujours à Dakar. A l'instar de Difco Foto, Tiger Photo traitait également les films en couleur pour des photographes de la sous-région. Propriété d'un Coréen installé à Dakar, ce laboratoire faisait partie des trois succursales installées successivement à Lagos (Nigéria) puis à Abidjan (Côte d'Ivoire)123(*), deux géants de la photographie en Afrique de l'ouest. Comme a pu le constater Jean-François Werner, les Asiatiques (en majorité des Sud-Coréens) se sont taillés la part du lion sur ce marché en pleine expansion, suivis par des hommes d'affaires africains et des commerçants libanais.124(*) Les noms Diongue à Saint-Louis et Dakar et Saffiédine dans plusieurs villes du pays sont ainsi devenus célèbres dans le monde de la photographie sénégalaise grâce à leurs machines de développement et de tirage de films en couleur. Avec l'apparition des labos, « les opérations les plus techniques (développement des films et tirage sur papier) sont à présents réalisées par des machines sophistiquées (minilabs) capables de produire plusieurs milliers de photos à l'heure tandis que seules restent à la charge du photographe les opérations liées à la prise de vues qui ne nécessitent pas de grandes compétences techniques. »125(*) Ainsi, l'apparition de la photographie en couleurs est « favorablement accueillie par les praticiens qui dans un premier temps voient leur activité augmenter du fait d'une demande très forte pour un produit nouveau dont l'efficacité mimétique est supérieure à celle du noir et blanc. En même temps, leurs revenus augmentaient (le prix était relativement plus élevé) et une partie des gains était investie dans l'acquisition de véhicules pour les reportages à l'extérieur, l'aménagement de studios (décoration, téléphone, climatisations, accessoires de mode) et l'achat de matériel de prise de vue plus adapté aux nouvelles normes techniques imposées par les laboratoires dont les machines ne traitent que les films de format 24x36 mm. En conséquence, note Werner, les appareils moyen-format sont mis au rencart. »126(*) Mais dans un second temps, la diffusion de la couleur allait avoir des conséquences d'une extrême gravité pour la profession puisque c'est l'existence des studios qui s'est trouvée menacée.127(*) Et petit à petit, les praticiens de studio ont été privés de la maîtrise du processus technique par les laboratoires. Même leur monopole sur la photo d'identité s'est érodé, car les innovations techniques permettent de réaliser des photos d'identité en noir et blanc avec des films couleur. Mais aussi, ils ont vu leur domination sur ce secteur particulier remise en question par les interventions de l'Etat dans ce domaine, qui cherche à éviter les falsifications de photographies d'identité.128(*) Ainsi, une nouvelle catégorie de photographes dits ambulants s`emparait d`une part importante du marché de la prise de vue. * 121 B. Diémé, La sociologie de la photographie : Etude du rôle et des professionnels de la photographie à Dakar, op. cit., p. 77 * 122 ID., ibidem. * 123 E. Nimis, Photographes de Bamako. De 1935 à nos jours, p. 91. * 124 J-F. Werner, « Le crépuscule des studios », op. cit., p. 94. * 125 ID. Loc. cit. * 126 ID. Loc. cit. * 127 ID. Loc. cit. * 128 ID., op. cit, p. 95. |
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