3. Le chancelier du chapitre de Notre-Dame de Paris :
étude d'un personnage et propositions de définitions.
Dans cette partie, nous tenterons d'expliquer ce
qu'était la fonction de chancelier de Notre-Dame de Paris en nous
appuyant sur des définitions existantes que nous complèterons
d'observations réalisées à partir de notre corpus.
« Donc nos rois sont fondateurs et patrons de
l'Université, et comme tels nous les devons reconnaître premiers
chefs. Quand à monsieur l'évêque de Paris, il est bien
notre pasteur en ce qui concerne le spirituel, et le Pape qui est par dessus
lui est notre Saint Père, souverain de ce pasteur et de nous en ce qui
touche la spiritualité. Mais il n'est pas le chef des écoles et
le gouvernement de celles-ci ne dépend pas de lui, même au
temporel, ainsi elles sont en la protection du roi. Quand au chancelier de
l'Université de Paris, il n'est aussi le chef de celles-ci. La
dignité de chancelier est celle du scholastique, qui est chanoine de
l'Eglise cathédrale, sa charge est telle qu'en plusieurs autres villes,
celle d'un maître des écoles parmi les chanoines de l'Eglise
cathédrale ; comme Bérenger en celle d'Angers. Et celui qui est
le scholastique retient encore son premier nom et d'avantage à cet
honneur d'être Chancelier de l'Université. Quant au Chancelier qui
est en l'Eglise de Paris, il garde bien les sceaux de l'Université, mais
pourtant il n'en est pas le chef, ainsi est le Recteur qui est le premier et le
seul en qualité avec l'Université pour les causes qui touchent
les écoles ou les études. Il est vrai que le Recteur qui est
laïc, parce qu'il ne peut pas bénir. Après que les
écoliers sont passés maîtres et admis au sein de
l'Université, il les présente au Chancelier, qui est
ecclésiastique, à ce qui leur donne la bénédiction.
Mais pourtant le Chancelier n'a pas la direction et la conduite des
Collèges ni des écoliers qui font des études publiques.
Ainsi elle appartient à l'Office du Recteur, ad quem spectat
provisio magistrorum qui debent dici scholares, comme je l'ai vu par un
acte de l'an 1271, enregistré en leur Université. Similiter
Belforestius in Cosmog. Mais qu'est ce que dire que la majesté du
Recteur soit si grande en l'école, que les Actes publics de quelque
faculté que ce soit, il précède évêques et
cardinaux et fussent-ils pairs de France. Et ne souffriront que le Nonce du
Pape ni [aucun] Ambassadeur de Prince au monde eut cet avantage de le
précéder. Quem forte locum prae occulis habuit Hermannus
Coringius sic scribens dissert. 5. de Antiq. Acad. »98
98 DU BOULAY, [V], t. 1, Dissertatio IV. De episcopo
Parisiensi, p. 268.
43
Partant de la définition assez précise, mais
incomplète, qui nous en est donnée par Du Boulay, nous pouvons
constater que la notion de chancelier est polysémique. Mais ne retenons,
dans cette étude, que celles concernant l'Eglise et l'Université,
en écartant toutes celles liées au droit ; il s'agit d'un «
titre indiquant une dignité du chapitre dont l'un des chanoines est
revêtu », à partir du XIIe siècle, et
« chancelier d'université », à partir du
XIIIe siècle99. «
Nommé en principe par l'évêque, le chancelier
(cancellarius) a la garde du sceau du chapitre100. Astreint à
résidence, il est chargé de la rédaction des actes du
chapitre et des églises qui en dépendent, assisté dans sa
tâche par des clercs appelés notaires qui font office de scribes.
Il perçoit des droits de rédaction et de sceau, variables suivant
la nature des actes qu'il établit. Sont exempts de tous droits les
contrats souscrits par ou avec le chapitre et ses proches membres, les actes
intervenant avec les églises et les chanoines de Saint-Jean-le-Rond,
Saint-Denis-du-Pas, Saint-Benoît-le-Bétourné, Saint-Merri
et Saint-Christophe. Les contrats concernant l'hôpital de Notre-Dame sont
également dressés en franchise de droit. Pour les actes qui
concernent d'autres personnes, le chancelier reçoit quatre deniers, sauf
si la rédaction est demandée par le
chévecier101 de l'église, auquel cas les droits de
sceau sont calculés sur la valeur d'une obole de cire par lettre et d'un
denier de cire par charte102. A l'exception des livres de chant dont
la garde incombe au chantre, le chancelier assure la conservation et
l'entretien des livres de l'église. Installée d'abord dans une
dépendance du
99 (Mediae latinitatis lexicon minus,
composuit J. -F. Niermeyer, Leiden, E. -J. BRILL Ed., 1976, [G], p. 124125).
Cependant, il conviendra, dans un approfondissement, d'envisager la fonction
chancelière au croisement des institutions laïque,
ecclésiastique et universitaire. Notre définition du «
chancelier » s'appuie sur l'ouvrage de GANE, R, Le chapitre de
Notre-Dame de Paris, [15], p. 39-40 ; les cancellarii »
étaient à l'origine des serviteurs du tribunal, qui, dès
la deuxième moitié du IVe siècle, devaient en
tant qu'aides personnelles des magistrats du tribunal, surveiller les abords de
ceux-ci. C'est dans cette fonction qu'ils eurent une influence croissante, qui
s'exprima également par une revalorisation de leur rang. D'abord
recrutés à l'extérieur, ils furent au fil du temps choisis
parmi des fonctionnaires et parvinrent au rang de sénateur au
VIe siècle. Ils furent utilisés par le royaume de
Bourgogne et les Wisigoths (Lexikon des Mittelalters, Zweiterband /
Siebente lieferung - Caecilia Romana - Castro, Artemisverlag,
München und Zürich, février 1983, [F], p. 1428).
100 Symbole de la puissance, le sceau marque l'appartenance
à un corps et sert à clore et à authentifier les actes qui
en émanent. AN, LL 78, p. 369 ; « si le chapitre possède son
sceau - c'est le chancelier qui en a la garde - chaque chanoine a le sien
propre. (...) Chaque sceau porte, à côté du nom de son
titulaire, la mention « can. par. » (chanoine de Paris).
Signe de la puissance, le sceau peut être aussi une marque de
dévotion. » - R. Gane, Op. Cit., p. 183.
101 « Collaborateur à la fois du chapitre et
de l'évêque, le chévecier (capicerius) est plus
particulièrement chargé du trésor de la cathédrale
et de la garde des reliques et des offrandes des fidèles. Il veille
également à la conservation des ornements, des vases et des
linges sacrés et prépare, pour les cérémonies, les
livres et les objets liturgiques destinés au culte. Il doit
également pourvoir à l'entretien du sanctuaire en surveillant
l'exécution des travaux décidés par le chapitre et
justifier du bon emploi des sommes affectées aux dépenses
(entretien de la toiture, des cloches, du mobilier, ...). C'est «
l'économe de la communauté » » - R. Gane, Op.
Cit., p. 42.
102 GUERARD, B., Cartulaire, [X], t. I, p. CIV et
355.
44
cloître qui s'avère rapidement trop
exiguë, la bibliothèque doit être déplacée. La
chapitre projette de la transporter au-dessus de la chapelle Saint-Aignan, mais
y renonce pour l'installer, à la fin du XIVe siècle,
dans les combles de la cathédrale, au-dessous des voûtes (supra
testudines), où l'accès se fait par l'escalier de la tour
nord103. En sus du chancelier, le doyen, les archidiacres et le
chantre en détiennent la clef. Les membres du chapitre, les chapelains,
les clercs et les écoliers de Notre-Dame peuvent venir y consulter les
ouvrages104.
Le chancelier assume, d'autre part, un rôle
important dans le domaine de l'enseignement puisqu'il dirige les écoles
capitulaires dont il nomme les maîtres et qu'il délivre en outre
l'autorisation d'enseigner (licentia docendi)105. L'école
capitulaire de Notre-Dame excelle surtout dans l'enseignement de la
théologie mais ne néglige pas pour autant le droit106.
Enfin, il exerce également les fonctions de chancelier de
l'Université de Paris107. A ce titre, il confère la
licence aux étudiants et ne peut la refuser à celui qui est
jugé digne par la majorité des maîtres. Il partage ce droit
avec le chancelier de Sainte-Geneviève, en vertu d'une
décrétale de Grégoire IX, de 1227108. Il
préside d'autre part les réunions de la Faculté de
Théologie109. »
Cette nouvelle définition est cependant, elle aussi,
incomplète et nous souhaitons en préciser certains points. Ce
n'est qu'après le second quart du XIIe siècle, que le
chancelier assume les devoirs de l'écolâtre110. Il est
l'un des huit dignitaires du chapitre de l'église de
103 SAMARAN, CH., « Les archives et la
bibliothèque du chapitre de Notre-Dame de Paris », dans
Huitième Centenaire de Notre-Dame de Paris, Paris, 1964, [36],
p. 173.
104 A. Franklin, Les anciennes bibliothèques de
Paris, Paris, 1877, t. 1, p. 19, cité par R. Gane, [15].
105 F. Claeys, Dictionnaire de Droit Canonique, art.
«Chancelier», t. III, col. 457-458, cité par R. Gane, [15].
106 GABRIEL, A. -L., « Les écoles de Notre-Dame et
le commencement de l'Université de Paris », dans
Huitième Centenaire de Notre-Dame de Paris, Paris, 1967, [13],
p. 164, et cité par R. Gane, [15].
107 CUP, [IV], t. III, p. 324, ; J. -B. Jaillot,
Recherches critiques, historiques et topographiques sur la ville de
Paris, (15 vol. Paris, 1772-1775), t. I : « La cité », p.
143, cité par R.Gane, [15].
108 G. Bourbon, « La licence d'enseigner et le rôle
de l'écolâtre au Moyen Âge », dans Revue de
Questions Historiques, t. XIX, 1876, (p. 543 et s.), p. 537, cité
par R. Gane, [15].
109 P. Féret, La Faculté de Théologie
de Paris et ses docteurs les plus célèbres, (4 vol.) Paris,
1894-1897, p. 99 ; cité par R. Gane, [15].
110 « La direction des écoles au
XIe et au début du XIIe siècle fut
confiée aux écolâtres (scholastici) qui, pour la plupart,
excellaient par l'éclat de leur enseignement. A Paris, il furent choisis
parmi les membres du chapitre et jouissaient de la prébende ordinaire
d'un chanoine. Malheureusement, aucun document ne nous révèle un
personnage à Paris qui auraient porté le titre
d'écolâtre ou scolasticus » - GABRIEL, A. L., Ecoles
de Notre-Dame et commencement de l'Université, [13], p. 156.
45
Notre-Dame. Il est nommé par
l'évêque111. Parmi les premiers devoirs du chancelier,
on retrouve la charge de bibliothécaire et, peut-être, la
direction d'un petit scriptorium. Il devait donc corriger, relier,
garder et conserver tous les livres de l'Eglise de Paris112,
exception faite de ceux du chant113.
Cependant son devoir principal consistait en la surveillance
de l'enseignement et de la nomination du maître du cloître : «
instituere magistrum in claustro qui sufficus sid ad scolarum reginem
»114.
Le droit de conférer la licence d'enseigner, qui
permettait au nouveau maître de commencer son inceptio, fut
exercé assez tôt par le chancelier. Celui-ci devenait ainsi par ce
droit le représentant du pape auprès de l'évêque et
de l'Université de Paris. Alexandre III reconnut ce droit, mais en
1170-1171, dans sa bulle, Quanto Gallicana, il interdit de demander
une rétribution monétaire pour la licence accordée :
« pro prestanda licentia docendi alios ab aliquo quidquam amodo
exigere audeant »115. Pierre le Mangeur fut la seule
exception. Ce chancelier de l'Eglise de Paris, de 1168 à 1178, fut
autorisé par Alexandre III, compte tenu de sa réputation,
d'accepter certaines rémunérations pour la licence
accordée116.
La somme exigée des impétrants pour l'obtention
de la licence était assez élevée et beaucoup de
maîtres parisiens réagirent contre la vente de la licentia
docendi. Le Concile de Latran, en 1179, renforça de nouveau les
décrets antérieurs interdisant son commerce.
Mais, par la suite, il fut difficile d'interdire aux
chanceliers de ne pas exiger une compensation financière pour avoir
accorder la licence. En 1209, le successeur du chancelier
111 Comme le chantre et les trois archidiacres (Paris, Josas,
Brie), tandis que le doyen était élu par le chapitre.
Ibid.
112 CUP, [IV], I, n. p. 81 : « [...] Cancellarium
Parisiensem fuisse tunc solum scribam Universitatis chartarumque custodem :
Quis nescit, alia fuisse cancellarii in ecclesia, alia in Universitate munia ?
Itaque capituli commentaria confecerit, cartasque ejus et instrumenta
publica conscripserit, sigilli capitularis custodiam habuerit,
bibliothecam curaverit, magistrum idoneum scholae claustrali
praefecerit, qui sufficiens esset ad scholarum regimen et ad officium, quod
debebat facere in ecclesie, et ad litteras capituli si opus esset
faciendas, nil ad rem nostram. »
113 Lesquels relevaient de la compétence du chantre.
114 CUP, [IV], I, ep. 21, p. 81 : « Compositio facta
inter capitulum Parisiense et cancellarium super sigillo. 1215, mense Octobri,
[Parisiis] ».
115 CUP, [IV], I, Intro., p. 5, n. 4 : « que la
science qui doit être dispensée à tous gratuitement, ne
semble pas à l'avenir taxée à prix d'argent
».
116 CUP, [IV], I, ep. 8, p. 8 : Alexander III Petro
cardinali S. Chrysogoni, apostolicae sedis legato, mandat ut cum alii super
scholarum regimine Parisiensium provideat, ita quod personam magistri Petri
cancellarii Parisiensis non excedat, quod exinde
fecerit.
46
Prévôtin, Jean de la Chandeleur, vendait
ouvertement la licence et exigeait de l'argent des maîtres ; il est alors
réprimandé par Innocent III en 1212, par l'entremise de
l'évêque de Paris, Hervé117. Devant, le refus du
chancelier de se plier aux recommandations du pape, les maîtres ès
art, n'eurent d'autres solutions que de transférer leurs
activités sur la rive gauche de la Seine. Ils échappaient ainsi
à la juridiction du chancelier de Notre-Dame pour placer leurs
écoles sous celle de celui de Sainte-Geneviève. Ainsi, à
la fin du XIIe siècle, l'abbaye de Sainte-Geneviève
réputée pour la qualité des leçons publiques que
donnent des maîtres aussi prestigieux qu'Abélard, Jocelin, Robert
de Melun et Gautier de Mortagne118, réclame le droit
d'accorder la licence d'enseignement pour toutes les disciplines, dans
l'étendue de sa seigneurie. En 1222, le pape Honorius III prie le
chancelier de Notre-Dame de ne pas troubler la liberté des maîtres
qui enseignent à Sainte-Geneviève et le pape Grégoire IX
va plus loin en faisant droit à la demande de l'abbaye qu'il autorise,
par une bulle de 1227, à délivrer la licence
d'enseignement119. Le chapitre de Notre-Dame ne peut qu'enregistrer
cette restriction apportée aux prérogatives du chancelier.
L'importance de la licence, et son attribution, vient de l'association qui est
faite entre ce diplôme et la large de gamme de charges et d'offices
auxquels elle permet d'accéder. Les avocats du Parlement ou au
Châtelet, les conseillers du roi, les gens de sa chambre des comptes,
tous ces gens de justice ou d'administration intervenant dans les actes
fonciers, indiquent qu'ils sont licenciés, le plus souvent en
droit120.
Mais le XIIe siècle fut aussi celui des
chanceliers érudits et des évêques savants. Il est
difficile d'établir une liste complète des
chanceliers121, mais pour la seconde moitié du
XIIe
117 CUP, [IV], I, ep. 14, p. 73 : « (...) Miramur non
modicum et movemur quod, sicut ex dilectorum filiorum scolarium Parisiensium
querala didicimus, a volentibus scolas regere, quos etiam magistrorum assertio
idoneos asserit ad regendum, juramentum fidelitatis vel obedientie ac
interdum pecunie precium dilectus filius ... cancellarius Parisiensis
nititur extorquere, pro motu proprio incarcerans delinquentes, ubi etiam non
presumitur, quod pro enormitate delicti examen judicis debeant fuge presidio
declinare, ac exigens pecuniam ab eisdem (cum in personam, non
in facultates, vindicari requirat excessus), in usus proprios convertit eandem,
ut videatur vindictam cupiditatis ardore potius quam zelo justicie exercere
».
118 Comme le chapitre de Notre-Dame, l'abbaye de
Sainte-Geneviève relève directement de l'autorité du pape
et n'est pas soumise à l'autorité épiscopale, comme
précisé dans le chapitre sur l'Université ; Cf.
supra.
119 GABRIEL, A. L., Les écoles de la
cathédrale de Notre-Dame et le commencement de l'Université de
paris, [13], p. 157-160. La bulle de Grégoire IX est reproduite dans
CUP, [IV], I, ep. 55 et s., p. 111.
120 Le service du roi, au sens large et notamment dans sa
justice, offre davantage de possibilités que celui de l'Eglise. Le
niveau de doctorat concerne moins de monde car pour obtenir ce grade il fallait
achever un long parcours d'études ; cependant, il ouvrait la
possibilité de belles carrières, soit dans l'Université,
soit dans l'Eglise, comme l'office de chancelier et le tremplin qu'il a
constitué vers d'autres offices ecclésiastiques plus prestigieux
tend à le prouver, à travers des personnages comme Pierre d'Ailly
notamment.
121 Denifle -Chatelain, CUP, [IV], I, p. XIX - XX, op.
cit..
47
siècle et les siècles suivants la liste est plus
complète122. Les crises qui opposent alors et ensuite les
chanceliers à l'Université sont autant d'étapes qui
marquent une évolution dans la fonction de ce dignitaire du chapitre,
laquelle se poursuit au sein même du chapitre et dans la
société laïque. Cette évolution est constante ; ainsi
dès 1360, puis en 1370 et 1408, il est rappelé que la fonction de
chancelier est avant tout un office attaché au chapitre cathédral
et ne confère pas à celui qui l'exerce une quelconque
dignité123.
A l'origine de l'Université, durant sa période
de formation et de consolidation de la corporation des maîtres, dans les
années 1140 à 1178, les chanceliers recevaient un paiement pour
chaque attribution de licence. Les maîtres répugnaient
généralement à payer pour obtenir la licence, mais cela
n'était cependant pas un obstacle dans leur formation ; ce qui
était déjà le cas alors que Pierre le Mangeur (Petrus
Comestor) était chancelier. Aucune protestation ne fut faite
à son encontre dans cet office, au moins entre 1164 et 1168, quand il
fut explicitement autorisé par le pape à obtenir des honoraires
pour l'attribution des licences124.
Dans les premières écoles cathédrales,
nous l'avons déjà remarqué, l'officiant en charge de la
supervision des écoles et de l'attribution des licences pour enseigner
était appelé scholasticum ou magister
scholarum. A Paris, durant la seconde moitié du XIIe
siècle, les charges de scholasticus furent prises par les
chanceliers, choisi parmi les huit dignitaires du chapitre des chanoines de la
cathédrale Notre-Dame.
122 GABRIEL, Astrik L., The conflict between the chancellor
and the University of masters and students at Paris during the middle
ages, [14], 1976, p. 146-151; cf. supra dans l'introduction et
notes 11 et 13 ; dans le Manuscrit d'Ajaccio (MS Ajaccio, [III], BM I38, fol.
71 - 135) des noms de chanceliers ne faisant pas partis de la liste retenue par
Denifle et Chatelain et Gabriel sont cités ; cependant, il ne figure
dans aucune autre source consultée, ce qui nous oblige, pour le moment,
à ne pas les retenir dans notre étude.
123 LL 265, [XII], f. 260 : « Cancellaria est
simplese officium dumtaxat et non dignitas : hodie Decretum
ut Canellariam non esse dignitatem sed simplese officium et quod cum officiis
ecclesiae parisienses obtinentes illa etiam cum illis obtinebant Beneficia
curata », Reg. 2 p. 292 ; « Sevibantus litterae
testimoniales qualites Cancellaria Parisiensis reputata fuit ab antique et
adhuc reputatus officium in ecclesia et capitula parisienses. »,
1370, Reg. 3 p. 579 ; « De supplicatione domini cancellarii (Gerson)
quod habeat litteras testimoniales quod cancellaria non est dignitas sed
officium simplex cum litteris recomendatonis »", 1408, Reg. 6 p. 125.
» Il est peut être possible de voir dans cette distinction le
résultat de la lutte d'influence qui oppose le recteur de
l'Université au chancelier, notamment dans la préséance
entre ces deux personnages lors des remises des licentiae docendis, et
dont témoignent les nombreuses suppliques adressées au pape par
les différentes facultés pour arbitrer ce différent
récurrent. Cette distinction est aussi une marque des
prérogatives extérieures que le chapitre souhaite affirmer en
toute circonstances. Ainsi en est-il également des considérations
chancelières de sa supériorité dignitaire sur le recteur
de l'Université, même si, nous l'avons dit (cf. supra et
introduction, p. 3), la fonction de chancelier n'est pas une dignité. Il
ne faut donc pas confondre les termes « dignitaire »
(dignitate, littéralement celui qui est revêtu d'une
dignité, esse cum dignitate) et « dignité »
(dignitas, tatis, auquel il serait mieux de préférer le
terme honor), comme cela a pu être le cas de certains
érudits.
124 CUP, [IV], I, ep. 8, p. 8 ; Cf. supra n. 116.
48
Plus tard, dans d'autres universités, la dignité
de chancelier fut confiée à l'évêque de la
cité ou au prévôt des chanoines du chapitre de la
cathédrale, mais toujours à un dignitaire ecclésiastique.
La tradition de choisir le chancelier dans les rangs du clergé
était si forte que même les empereurs ou les princes locaux
choisissait uniquement des dignitaires ecclésiastiques pour servir dans
leurs universités.
Les charges de chancelier de l'Université
étaient donc similaires à celles de chancelier royal. Il
était le custos du cachet du chapitre de la cathédrale ;
il envoyait les lettres en plus de sa charge de la bibliothèque pour la
constitution des collections de livres et leur présentation. Mais sa
tâche principale était de superviser l'enseignement et d'appointer
les Maîtres du « cloître »125.
Sa charge la plus importante était donc la
délivrance des licences d'enseignement. Le pape Alexandre III dans la
bulle Quanto Gallicana, éditée en 1170-1171, interdit de
demander un paiement pour ce service, mis à part la dispense
attribuée seulement au chancelier Pierre le Mangeur126. La
Renaissance intellectuelle du XIIe siècle entraîne une
multiplication du nombre des maîtres et de la présence
d'étudiants étrangers aptes à enseigner ; l'enseignement
devient alors une entreprise très lucrative. Il semble naturel que le
chancelier, qui délivrait les licences, souhaite partager les profits
réalisés par les maîtres. Ainsi, sans être
réellement officiel, le « simonisme scolastique
»127 était né. C'est ce droit au profit qui
fut au centre d'un grand conflit qui opposa le chancelier aux maîtres de
l'Université de Paris de 1384-1386.
A travers ce conflit c'est l'autorité même du
chancelier qui était contestée par les maîtres et,
indirectement, par le recteur de l'Université. Or l'autorité du
chancelier trouvait son origine en partie dans le privilège royal
donné par Philippe Auguste en 1200 et en partie dans la confiance papale
autorisant le chancelier de délivrer la licence pour enseigner n'importe
où dans le monde chrétien. Le chancelier est également, un
représentant du pape, Commissarius Pape, comme Pierre d'Ailly
qui se présente comme tel en 1385128.
L'autorité du chancelier fut donc renforcée tout
d'abord par le privilège, donné par Philippe Auguste, mettant les
étudiants en dehors de la juridiction du prévôt de Paris,
et sous
125 « Et talem instituere magistrum in claustro, qui
sufficiens sit ad scolarum regimen », CUP, [IV], I, ep. 21, p.81.
126 Comme nous l'avons indiqué précédemment;
cf. supra notes 116 et 124.
127 GABRIEL, Astrik L., The conflict between the chancellor
and the University of masters and students at Paris during the middle
ages, [14], 1976.
128 Voir MS Ajaccio, [III] ; GUENEE, B., Entre l'Eglise et
l'Etat, quatre vies de prélats français à la fin du Moyen
Âge (XIIIe - XVe siècles), [21], Paris,
1987.
49
celle de l'évêque de Paris : « reddet
eum justicie ecclesiastice »129. L'office de chancelier
recouvre ainsi une fonction de juge en lieu et place de la justice royale,
puisqu'il a la charge de l'enseignement au sein du chapitre. Ainsi si un
universitaire, maître ou étudiant, arrêté, par le
prévôt, n'était pas relâché après
l'intervention de deux maîtres et, en recours ultime, du recteur
lui-même, alors ce dernier devait en appeler au chancelier puis à
l'évêque ou son représentant pour que l'individu soit
relâché130. Cette compétence juridictionnelle du
chancelier sur les étudiants fut confirmée par plusieurs
décrets au cours du XIIIe siècle, dont celui du 18
novembre 1234131. Le chancelier était donc
considéré dans ce cas comme supérieur au recteur en
autorité.
L'autorité du chancelier reposait principalement sur sa
compétence pour la délivrance
de la « licentia docendi », non en son nom
mais en celui du pape, non comme un représentant du Chapitre de la
cathédrale Notre-Dame mais comme représentant du souverain
pontife lui-même. Sa fonction a très bien été
définie par le chancelier Gauthier de Château Thierry (1246-1249),
qui fut ensuite évêque de Paris. Gauthier disait que si les clefs
de l'apprentissage étaient l'apanage des maîtres, le trésor
de la connaissance était, dès lors, entre les mains du pape ou,
sur son ordre, du chancelier132.
L'autorité du chancelier a été, par la
suite, renforcée, du milieu du XIIe siècle à la
fin du XVe siècle, de Pierre le Mangeur à Pierre
d'Ailly, et à Jean de Gerson, par le fait qu'il était reconnu
comme universitaire de premier plan. Déjà, dès le
XIIIe siècle, Jean de Garland reconnaît que le
chancelier de Notre-Dame dirige les études133. La «
Bataille des sept Ars »,
129 CUP, [IV], I, ep. 1, p. 60: « et tunc arrestabit
eum justicia nostra in eodem loco sine omni percussione, nisi se defenderit,et
reddet eum [l'étudiant] justicie
ecclesiastice, que eum custodire debet pro satisfaciendo
nobis et injuriam passo ».
130 « Et si prepositus eum [l'étudiant]
reddere noluerit rectori, tunc reccurret rector ad cancellarium et postremo
ad episcopum uel officialem ejusdem », CUP, [IV], I, ep. 197, p.
223.
131 « Ratione jurisdictionis ordinarie quam obtinetin
eisdem subjecti erant cancellario memorato », CUP, [IV], I, ep. 105,
p. 156.
132 CUP, [IV], I, p. XI : « Ante saec. XIII officium
Cancellarii Parisiensis sic explicabatur, magistris commissas esse
« claves scientiae a domino Papa, vel a Cancellario Parisiensi ex
ordinatione domini Pape, ad aperiendum thesaurum sapientie »
; CUP, [IV], I, p. XI, n. 2.
133 CUP, [IV], I, p. XIX : « Ab abbate S. Genovefae
ab anno 1222 licentiatos invenimus, sed, crescente Artium magistrorum numero
qui jurisdictionem Montis un vico Garlandiae petierunt, Cancellarius ibi
necessarius fuit ».
50
un poème du XIIIe siècle,
désigne le chancelier comme le premier clerc de France134.
Robert de Sorbon, dans son De consciencia, le décrit comme un
homme d'une telle connaissance que les étudiants étaient
terrifiés à l'idée de lui adresser la
parole135.
Mais la crainte évoquée par Robert de Sorbon
relève tout autant de la fonction même du chancelier qui est celui
qui attribue la licentia docendi. Les étudiants étaient
alors d'autant plus impressionnés par ce personnage que c'était
de lui que dépendait la suite de leur carrière universitaire.
Ainsi il faut voir dans les plaintes des maîtres contre le chancelier
à propos du paiement de la licence, non pas le soucis d'assurer à
leurs étudiants le moins de frais possibles dans l'octroi de celle-ci,
mais un moyen pour la formation et le développement de la corporation
des maîtres et des étudiants à la fin du XIIe
siècle : le conflit était alors institutionnel136. Les
oppositions suivantes entre le chancelier comme commissarius du pape
dans l'attribution des licences et l'Université permirent de mieux
affirmer et clarifier les droits et privilèges de celle-ci et les
prérogatives du chancelier.
Les conflits des XIIIe et XIVe
siècles furent centrés autour d'une série de controverses
dont le droit du chancelier d'accorder la licence d'enseignement, la
méthode d'examen des candidats et le rôle des facultés dans
cet examen, la rémunération financière du chancelier pour
l'attribution de la licence, la question de la direction du conseil de
l'Université entre le recteur ou le chancelier, le droit du chancelier
d'évaluer la qualité de l'enseignement des maîtres et de
leur préparation des candidats à la licence.
L'affrontement du premier quart du XIIIe
siècle, en 1212-1213 et 1219, déboucha sur le renforcement de la
solidarité des Universitas, c'est-à-dire des
facultés parisiennes, et clarifia les conditions d'attribution de la
licentia docendi, codifiée brièvement dans les
statuts
134 La Bataille des VII Ars of Henri d'Andeli and the
Morale Scolarium of John of Garland, in PAETOW, Louis John, Memoirs of
the University of California, vol. 4 No. 1 et 2, Berkeley, 1927, P. 44: Vv.
84-86:
Par le conseil au chancelier
Ou ele avoit molt grant fiance
Quar c'ert li mieldres clers de France
(La Bataille des VII ars).
cité in GABRIEL, Astrik L., The conflict
between the chancellor and the University of masters and students at Paris
during the middle ages, [14] p. 109.
135 « Multi autem bene respondent coram aliquibus
simplicibus [magistris], qui male responderent coram Cancellario, perterriti et
stupefacti propter magnitudinem sue sapiencie », CHAMBON, F.,
Robert de Sorbon. De consciencia et De tribus dietis, Paris, 1903, P. 18
chapt. ; cité in GABRIEL, Astrik L., Ibid..
136 VERGER J., Le chancelier et l'université
à Paris à la fin du XIIIe siècle, in
Les universités françaises au Moyen Age, 1995, [43],
Introduction.
51
de 1215 de Robert de Courçon, et plus largement dans la
bulle Parens Scientiarum de Grégoire IX en 1231.
Les maîtres de la faculté de théologie et
de droit canon furent assurés du droit de participer à
l'attribution de la licence s'il témoignait de la qualité du
candidat. Pour la licence de théologie, l'opinion de la majorité
des maîtres sur le candidat semble avoir été rendue
obligatoire par le chancelier. Néanmoins toute personne n'ayant pas
été licenciée par le chancelier pouvait l'être par
l'autorité papale. Cependant, le langage ambigu de la bulle pontificale
semble indiquer que le chancelier, d'aussi loin que les théologiens
étaient concernés, avait le droit d'octroyer la licence à
toute personne de son souhait. Le chancelier bénéficiait d'encore
plus de liberté dans l'attribution de la licence aux physiciens. Le
coût de l'examen pour les étudiants de la faculté des arts
était à la charge de la faculté et sur les six
maîtres retenus pour participer à l'examen, trois étaient
choisis par le chancelier.
De son côté et malgré quelques tentatives
de pression de la part d'un certain nombre de maîtres, le chancelier de
Sainte Geneviève, le Cancellarius Superior, ne fut jamais un
sérieux rival pour Notre-Dame, Cancellarius Inferior. Le
chancelier de Sainte Geneviève accueillait les artistes qui
émigraient de la Cité dans son territoire autour de 1219-1222. Le
pape Honoré III prévient le chancelier de Notre-Dame de ne pas
priver de leur liberté de mouvement ceux des théologiens et des
chanoines qui désiraient être promu par le chancelier de
Sainte-Geneviève au lieu de prendre la licence inter duos
pontes. Cependant, il apparaît que seuls les étudiants de la
faculté des arts semblent avoir sollicité la montagne
Sainte-Geneviève.
Dans le même ordre d'idée, quelques-unes des
attaques et des tirades des chanceliers contre l'Université, comme celle
de Philippe le Chancelier, de 1218 à 1236, peuvent être
expliquées à travers leur opposition avec la corporation des
maîtres et des étudiants. Il affirme dans un de ses sermons que
les principes mêmes de l'organisation corporatiste sont mauvais et
incompatibles avec une bonne marche des études. Philippe fut
sévèrement réprimandé par le pape pour avoir
emprisonné et excommunié des étudiants qui ne
reconnaissaient pas son autorité137. Cependant, habile
politicien, le même Philippe le Chancelier se rangea au côté
de
137 CUP, [IV], I, ep. 33, p. 93 : « Honorius III
Philippum cancellarium Parisiensem propter gravia quaedam accusatum et ad suam
praesentiam constitutum Parisios remittit, quia nullus accusator comparuit
» ; CUP, [IV], I, ep. 45, p. 102-104 : « Honorius III
archidiaconis Remensi ac Senonensi et mag. Petro de Collemedio ut exsecutoribus
scribit, quae pendente lite inter Guillelmum episcopum, Philippum cancellarium
et officialem Paris. ex una, et magistros et scholares ex alia parte, observari
debeant prohibetque ne episcopus nec aliquis alius ejus nomine in Universitatem
sententiam excommunicationis proferre possit. Interim etiam usus
sigilli
52
l'Université durant la crise de l'exode de 1229-1231,
faisant tout ce qui était en son pouvoir pour attirer les
étudiants d'Orléans et d'Angers à Paris. De même
dans le conflit qui opposa les Séculiers aux Mendiants, au milieu du
XIIIe siècle, le chancelier, alors que nombre
d'étudiants ou de maîtres étaient des clercs, prit une
attitude prudente de non intervention et se soumit à la bulle Quasi
Lignum Vitae d'Alexandre IV datant de 1255.
Sur l'ensemble des conflits entre le chancelier et
l'Université, un débat important porta sur la question de la
préséance entre le chancelier et le recteur. La question
était d'importance puisqu'elle posait le problème d'une
université bicéphale et de l'autonomie de celle-ci face à
l'évêché parisien. Le conflit éclata entre la
faculté des arts et le chancelier Philippe de Thory aux alentours de
1280-1284. La dispute autour de la même question de la
supériorité fut posée plus violemment de 1282 et 1286
entre Jean Blanchart et l'Université138.
A la fin du XIIIe siècle,
l'Université, non seulement comme collège, mais aussi au nom de
quatre facultés distinctes accomplit la consolidation de son autonomie
vis-à-vis du chancelier. En 1271-1272 la faculté de droit canon
réclama le droit d'utiliser son propre sceau, et la faculté de
médecine fit de même en 1274 pour valider les documents officiels
et attester de la légitimité des licences qu'elles
attribuaient.
Malgré une série de décrets et de mises
en gardes du pape, comme différents statuts interdisant l'acceptation
d'honoraires ou d'émoluments des impétrants à la licence
par le chancelier, la coutume d'offrir des cadeaux au chancelier ne pu pas
être éradiquée et fut même finalement
tolérée, et non pas autorisée comme dans le cas de Pierre
le Mangeur.
Durant le conflit de 1290 entre le recteur de
l'Université et le chancelier Berthault de Saint Denis, celui-ci fut
accusé de vendre toutes sortes de faveurs à des ignorants. Mais
durant les cent ans qui suivirent le début de cette dispute, on remarque
qu'il n'y eut que très peu d'accusation contre le chancelier à
propos de cadeaux qu'il aurait accepté pour la délivrance de
licences. En 1384 la pratique du don d'argent ou de cadeaux pour recevoir le
signetum ou pour obtenir la licence fut universellement
acceptée comme une coutume traditionnelle qui aurait toujours
existé. Entre 1350 et 1380 peu de plaintes furent enregistrées
contre le chancelier, car l'Université fut occupée par sa
résistance au prévôt de Paris, et dans ce cadre,
scholarium suspendatur, nec scholares secundum nationes
suas sibi quemquam ad ulciscendas injurias praeficiant. 1222, Maii 32,
Alatri. »
138 Sur cette affaire la meilleure étude est celle
proposée par BERNSTEIN, A. -E., Pierre d'Ailly and the Blanchard
Affair. University and Chancellor of Paris at the Beginning of the Great
Schism, Leyde, 1978, [3] que l'on peut completer par VERGER J., Le
chancelier et l'université à Paris à la fin du
XIIIe siècle, [43].
53
le chancelier pouvait se révéler être un
allié utile. Les prisons ne furent plus sous la responsabilité du
chancelier dès le début du XIIIe siècle, ce qui
marquait la fin d'une partie de son pouvoir séculaire face au
prévôt de Paris. Celui-ci fit construire deux prisons
spéciales pour les membres de l'Université.
Ainsi, durant le XIIIe siècle, les conflits
entre les chanceliers et l'Université permirent le développement
de l'autonomie de l'Université en clarifiant les droits et les
privilèges concernant les deux parties. L'Université conservait
un droit de regard sur les jugements du chancelier en matière
d'enseignement et pour la préparation des candidats.
Le conflit de 1330-1332 entre la Faculté de
médecine et le chancelier Guillaume Bernard de Narbonne fit
éclater au grand jour les abus dans les attributions des licences sur
recommandation de personnes influentes, comme les rois ou les princes, ne
tenant pas compte des formalités d'usage comme la consultation en
premier lieu de la faculté dont était issu l'impétrant. La
dispute autour de ce « simonisme scolastique » rappela quelques
droits oubliés comme celui d'avoir à consulter l'ensemble de la
faculté et pas uniquement quelques maîtres.
Aux alentours de la fin du XIVe siècle, les
conflits eurent plutôt tendance à refléter des ambitions
personnelles de certains chanceliers puisque la réforme des statuts de
l'Université de 1366 proposait, notamment, de régler, avec
Grimaud Boniface, le problème de la compétence dans la collation
de la licence d'enseignement139. Ainsi l'importance de l'opposition
de 1384-1386 se focalisait plus particulièrement sur la question de la
rémunération pour l'obtention de la licence. Mais même
cette contestation entre Jean Blanchart et l'Université,
alimentée par une intrigue et des problèmes plus personnels, ne
suffit à résoudre ce problème de la gratuité de
l'octroi de la licence, qui resta insoluble même après le
XVIe siècle140. Pierre d'Ailly, avec ses riches
bénéfices, combinées à son érudition
scolastique, montra une autorité incontestable dans son
office141. Il fut suivi par des chanceliers qui assurèrent
une direction forte à l'intérieur de l'Université durant
le XIVe siècle. L'office de chancelier fut remarquable du
temps de personnages tels que Jean Gerson, de 1395 à 1429, Jean
Chuffart, 1433 à 1451, Robert Ciboule, de 1451 à 1458, Jean de
Oliva, de 1459 à 1471, et Denis Citharedi, de 1471 à 1482.
139 Cf. supra dans l'étude de Grimaud Boniface et
CUP, [IV], III, ep. 1319, p. 143-148.
140 Ibid. Pour une étude plus approfondie de
ce problème central de l'octroi de la licence par le chancelier, il est
nécessaire d'ouvrir cette étude sur le temps long,
c'est-à-dire jusqu'à la fin du XVIIIe
siècle.
141 GUENEE, B., Entre l'Eglise et l'Etat, quatre vies de
prélats français à la fin du Moyen Âge
(XIIIe - XVe siècles), [21], Op.
cit..
142 La dénomination de l'Université de Paris
comme fille aînée du roi date des statuts de Jean de
Courçon en 1215.
54
Si les chanceliers du chapitre de Notre-Dame de Paris ont
laissé une empreinte profonde dans la vie intellectuelle de
l'Université de Paris au Moyen Age, la liste d'une quarantaine de
chanceliers du XIIe au XVe siècle comporte de
nombreux noms célèbres, tout à la fois à cause des
écrits et traités qu'ils laissèrent que par les fonctions
ecclésiastiques qu'ils tinrent ensuite. Ainsi, quatre chanceliers
devinrent évêques et quatre cardinaux. Par les textes qu'ils
produisirent, ils eurent un rôle important dans la constitution de la
pensée philosophique, théologique et juridique de
l'Université de Paris. Si les chanceliers montrèrent
généralement un manque d'érudition en ce qui concerne la
théologie et le droit canon, ils furent cependant dans une excellente
position pour défendre, vis-à-vis de la corporation des
maîtres et des étudiants leurs propres droits, autorité, et
pour provoquer la constitution d'une législation fructueuse concernant
l'autonomie et les privilèges de l'Université. A la fin du
XIVe siècle, la charge de chancelier était
revêtue d'un grand respect et d'un grand prestige à leur charge.
Ce n'est pas la fonction qui apportait le prestige au chancelier, mais le
chancelier qui donnait autorité à sa charge. Il put
réaliser cela en faisant disparaître, voir oublier, les nombreux
conflits qui l'opposèrent à l'Université, et en changeant
les difficultés en compromis bénéfiques.
Au début du XVe siècle,
jusqu'à la prise de Paris par les Bourguignons en 1418,
l'Université peut prétendre jouer un rôle de premier plan
aussi bien dans la vie de l'Eglise que dans celle du royaume, et par
conséquent il en va de même pour ceux qui en ont la charge, les
maîtres et le recteur, et celui qui en a la responsabilité, le
chancelier. Placée sous l'autorité directe des papes, reconnue et
protégée par les rois, établie dans la capitale du royaume
de France, l'Université de Paris a une vocation universelle,
c'est-à-dire à l'échelle du monde chrétien. Elle
approfondie et répand, par sa faculté de théologie, la
connaissance de Dieu et elle forme les hommes qui dans l'Eglise ou dans la
société médiévale soutiennent et aident tous les
autres à faire leur salut. C'est pourquoi, il ne faut pas
s'étonner que les maîtres parisiens estiment jouer un rôle
de premier plan. Et le chancelier Gerson l'a bien compris lui qui, en 1405,
dans le discours pour la réforme du royaume qu'il adresse à
Charles VI déclare à propos de la place de l'Université :
« Mais tournes s'il vous plaist ung peu les yeulx de vostre
consideracion envers la fille du roy [l'Université de
Paris]142 et les ostez de moi ; avisez bien son estat et sa
composicion, et vous verres tres convenablement luy apartient de fait et
de
55
parole ce noble cry : vive le roy. Pour quoy ? Regardes la
faculte de medecine : elle cure et gouverne la vie corporelle. Regardez
philosophie morale, ethiquez, yconomiquez, politiquez, de quoy traictent les
ars et le droict et loys, et vous trouverez que par cez deux facultez est
gouvernee la vie civile et politique. Theologie, c'est de certain gouverne la
vie espirituelle, divine et catholique. [...] L'office de la fille du
roy est traictier et enseigner verite et justice [...]. Pensez
doncques comme la fille du roy est dicte comme le bel oeil cler mis en ce
royaume pour veoir tout ce qu'est a faire, et est comme la guette mise au plus
hault de la tour pour regarder que mal ne viengne ; et le sonner
[...]143. » Le chancelier Gerson n'oublie
personne dans son discours et cite même les quatre facultés qui
forment l'Université : médecine, droit, arts et théologie.
Cependant, en plaçant en dernier la théologie, il marque
l'importance de celle-ci sur toutes les autres, car elle est au sommet de la
hiérarchie des sciences.
Gerson n'est plus comme Philippe le Chancelier ou Jean
Blanchart un chancelier qui se débat contre l'Université pour en
garder le contrôle. Il est un chancelier qui la défend, qui
l'accompagne dans ses revendications universaliste et d'interventionniste dans
tout ce qui concerne le monde. Et ainsi, il est juste que l'Université
dise ce que doit être l'autorité du roi et la bonne manière
de gouverner la cité. Ainsi il est normal qu'elle soit le guetteur qui
prévient le royaume des dangers qui pourraient le toucher. Ainsi le roi
est sage s'il ne néglige pas son conseil. Ainsi l'Université
gagne sa légitimité non seulement par son autonomie
vis-à-vis de l'Eglise, mais par son action de plus en plus grande dans
la politique royale.
Et le chancelier dans tout cela ? N'est-il pas le garant de la
qualité de ce qui est enseigné dans l'Université par sa
faculté de distribuer la licentia docendi ? N'a-t-il pas un
rôle plus éminent à jouer dans la société par
ce biais ? Et, justement, ce rôle plus concret est celui que vont tenter
de jouer les grands maîtres144 à travers leurs
propositions et leurs actions pour le règlement du Grand Schisme et la
seconde phase de la guerre de Cent Ans. Il ne leur suffit plus de conseiller,
il leur faut prendre parti mais cela se fait au détriment des
étudiants qui se trouvent ainsi abandonnés par des maîtres
accaparés par des charges qu'ils jugent plus importantes. Le chancelier,
se présente comme un repère pour l'Université dans cette
période de tourments qui s'ouvre ; Gerson tente d'entraîner
l'Université à prendre parti dans le conflit qui oppose Armagnacs
et Bourguignons, en faveur des premiers contre le tyrannicide des
143 Vivat Rex, in GERSON, Jean, OEuvres
complètes, [IX], éd. Glorieux, P., Vol. VII* : l'oeuvre
française - Sermons et discours, n° 398, p. 1144-1145, p. 1145
Paris-Tournai, 1968 ; sur ce discours, voir DACREMONT, Henri, Gerson,
[8], Paris, 1929, Ed. Jules Tallandier, p. 7 à 33.
144 A ce titre, Pierre d'Ailly et Jean Gerson sont à la
fois des grands maîtres et des chanceliers.
56
seconds ; mais le poids du chancelier est bien faible face
à la situation même de l'Université. Etant implantée
dans la capitale, l'Université devait ainsi en subir les mêmes
conséquences et soutenir, malgré elle, les Bourguignons et le
chancelier choisir pour un tant l'exil dans une province voisine ; mais tel
n'est pas le sujet principal de notre propos. Dans cette affaire, Gerson, en
tant que chancelier, s'occupait donc moins de la fonction sociale de
l'Université que du rôle de guide du pouvoir qu'elle revendiquait
et qu'il entendait jouer, lui le chancelier, de par sa fonction. Mais nous
pouvons considérer que ce fut un échec dans la mesure où
l'inertie de l'Université, liée à sa situation
géographique fut plus forte que la volonté de son chancelier.
Après la guerre de Cent Ans, ni l'Université de Paris, ni le
chancelier n'ont semble-t-il plus le même prestige qu'ils avaient atteint
en cette première moitié du XVe siècle.
Cette évolution de la charge de chancelier de
Notre-Dame, que nous avons sommairement rapporté ici, principalement
vis-à-vis de l'Université, mériterait d'être
analysée dans le détail pour chaque chancelier qui s'est
succédé à ce poste. Cette évolution doit
également prendre en compte les changements de la fonction
chancelière vis-à-vis de l'Eglise145 mais aussi de la
société médiévale dans son ensemble. Cependant,
compte tenu de l'importance du corpus, c'est un travail de thèse qui
permettra de réaliser cette étude.
145 Une étude croisée peut, notamment,
être envisagée dans une partie entre le chancelier de Notre-Dame
de Paris et celui de la montagne Sainte-Geneviève.
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