2. Un personnage, des lieux : Université et
chapitre de Notre-Dame du XIIe au XVe siècle.
2.1. L'Université de Paris45.
Au milieu du Moyen Âge, Paris s'illustre par la
qualité des enseignements dispensés à l'Université.
Le chapitre de Notre Dame a très tôt pris le contrôle de la
transmission du savoir et lui seul était habilité à
délivrer l'autorisation d'enseigner.
Le début du XIIe siècle est
marqué par le développement des écoles parisiennes,
même si elles restent encore dans l'ombre des théologiens de Laon
et de Chartres. L'école du cloître Notre Dame, qui acquit une
bonne réputation, est cependant concurrencée par les
établissements de la rive gauche. Ainsi, l'abbaye
Sainte-Geneviève qui, au sommet de sa colline, jouit d'une exemption
pontificale qui la libère de l'autorité épiscopale et
favorise les enseignements de certains maîtres comme Abélard. Un
de ses disciples, Gautier de Mortagne fonda en 1113 l'abbaye de Saint-Victor,
un établissement qui obtient une bonne réputation, mais il ne se
contente pas d'enseigner la théologie et la philosophie, il
s'intéresse aussi aux sciences et aux arts. Saint-Victor contribue
à la réforme de Sainte-Geneviève en 1148, en lui
conférant une grande renommée. Ainsi, les maîtres et les
écoliers y affluent en nombre afin de bénéficier du bon
niveau intellectuel qui construit la renommée de Paris. Mais les
étudiants sont réputés pour leurs excès à
tel point qu'un affrontement sanglant contraint Philippe Auguste à
définir leur statut juridique en 1200 par lequel l'Université
relevait de la justice de l'Eglise épiscopale et non de la justice
royale.
Donc, à partir de 1150, les étudiants deviennent
peu à peu une classe à part, privilégiée. En 1200,
grâce à Philippe Auguste, l'Université naît
officiellement et les étudiants relèvent désormais de la
justice ecclésiastique et non plus de la prévôté.
Ils sont considérés comme des clercs bénéficiant,
selon les décisions du Pape Célestin III quant au statut
particulier de Paris, des privilèges du for ecclésiastique.
L'Université est une corporation dotée d'une guilde de
maîtres, de statuts écrits, d'officiers permanents et d'un sceau
commun.
L'université de Paris est donc une corporation des
maîtres et des écoliers parisiens. Le terme latin «
universitas » signifie un ensemble, une association, un corps,
une compagnie,
45 Pour cette partie nous nous sommes
essentiellement appuyé, outre les sources, sur les travaux de BERNSTEIN,
A. E., « Magisterium and Licence : corporate autonomy against papal
authority in the medieval University of Paris », Viator, 9 (1978), [4], p.
291-307 ; VERGER, J., « À propos de la naissance de
l'université de Paris », [41], vol. 7, p. 1-36
26
une communauté, une corporation. Il n'est pas
spécifique aux gens des écoles et s'applique à toute
communauté, à tout groupe d'individus déterminé
à partir du moment où il exprime l'existence d'une vie collective
réelle et la conscience de ses membres de former une unité. Les
universités d'études ne sont qu'une manifestation parmi d'autres
du mouvement associatif qui se développe dans les principales villes.
Le terme « universitas » apparaît
dans une lettre du pape Innocent III de 1208-1209 où figure à
deux reprises l'expression « universitas magistrorum ». Une
décrétale de 1210-1216 emploie « universitas vestras
». La formule « universitas magistrorum et scolarium
» est employée dans les statuts de Robert de Courçon de
121546. La corporation s'affirme elle-même sous cette
appellation dans un acte de 1221 : « Nos, Universitas magistrorum et
scolarium Parisiensium ».
À cette époque, le terme « universitas
» n'a aucune connotation spéciale d'enseignement. Le vocable
utilisé pour désigner un centre d'études ou un
établissement d'enseignement supérieur est celui de «
studium ». L'expression de « studium generale
» est encore employée pour indiquer un « studium
» universitaire et le différencier d'un « studium
» non universitaire.
A l'origine, les premiers textes citent à plusieurs
reprises « l'université des écoliers » («
universitas scolarium »). Le terme « scholaris
» ne doit pas être pris au sens premier du terme
d'école. Il désigne en fait les gens des écoles, à
la fois les maîtres et les écoliers47.
L'université parisienne est d'abord une guilde des
maîtres d'écoles. Les étudiants n'ont eu qu'un rôle
secondaire, et les principales dispositions les concernant dans les statuts de
1215 et dans la bulle Parens scientiarum de Grégoire IX en 1231
visent à les soumettre à l'autorité personnelle des
maîtres et à les encadrer. Ce sont les professeurs, au
départ des maîtres artiens qui ont été les
principaux initiateurs de l'université. Les théologiens, d'abord
en retrait ou pour quelques-uns d'entre eux hostiles au mouvement, l'ont
néanmoins récupéré à partir des
années 1220. Il apparaît clairement que les disciplines sont
subordonnées à la théologie dont l'utilité sociale
est largement affirmée par les papes mais aussi, et peut-être
principalement, parce que la plupart des maîtres et des étudiants
ont le statut de clercs.
46 CUP, [IV], I, ep. 20, p. 78 et s. ; VERGER, J.,
Culture, enseignement et société en Occident aux
XIIe et XIIIe siècles, [46], p. 120-122
47 Nous préférons employer le terme
étudiant à celui d'écolier pour éviter toute
confusion.
27
Au cours des trois premières décennies du
XIIIe siècle, l'université ne dispose donc pas encore
d'une véritable structure institutionnelle. Son gouvernement,
collégial, est encore largement informel, et ses quelques
représentants sont mentionnés à l'occasion
d'événements particuliers et ponctuels48.
Il faut attendre la seconde moitié du XIIIe
siècle pour voir apparaître ses trois composantes essentielles :
le recteur, les facultés et les nations, lesquelles sont placées
sous l'autorité institutionnelle du responsable des écoles de
l'évêché de Paris, le chancelier du chapitre Notre-Dame.
Les quatre facultés, « facultates » citées en
1213 pour l'organisation de la licence traduisent davantage la notion de
discipline, « facultas ». Néanmoins,
l'université est une réalité, elle est
considérée comme une personne morale dont les finalités
sont clairement exprimées.
La corporation a tout d'abord une finalité
confraternelle et charitable. Elle assure son assistance aux malades et aux
défunts. Les obligations funéraires des universitaires
vis-à-vis des maîtres et des étudiants
décédés sont précisées dans les statuts de
1215 et de 1231, ainsi que dans une sentence pontificale de 1208-1209. C'est
aussi une organisation de défense mutuelle. En tant que telle, elle
offre à ses membres des garanties judiciaires leur donnant une
protection efficace contre la malveillance de la population urbaine et les
autorités locales, laïque et ecclésiastique. Depuis la
charte de Philippe Auguste de 120049, les « scolares
Parisienses » sont à la fois sous la protection
spéciale de la justice royale et bénéficient du «
privilegium fori ».
L'université a largement démantelé les
droits de juridiction du chancelier et de l'évêque sur les
universitaires. Le premier perd son droit de lever des amendes puis celui
d'avoir sa propre prison ; le second ne peut emprisonner des étudiants
qu'en cas de délit grave, doit les libérer sous caution, et ne
peut prononcer contre eux d'excommunication, individuelle et collective, sans
l'assentiment de la papauté, sous laquelle la corporation est
placée sous la
48 En 1208-1209, une commission de huit
maîtres révise les statuts ; en 1213, trois maîtres
négocient un accord avec le chancelier Jean de la Chandeleur ; en 1219,
il est fait référence à des procureurs ; en 1229, à
vingt et un proviseurs.
49 CUP, [IV], I, ep. 1, p. 60 et s. ; VERGER, J.,
Culture, enseignement et société en Occident aux
XIIe et XIIIe siècles, [46], p. 118-120.
28
protection immédiate et auprès de laquelle elle
peut directement faire appel à l'initiative du pape Honoré III en
121950.
Dans le même temps, l'université a
développé sa juridiction interne : les maîtres sur leurs
propres élèves, et l'université sur l'ensemble de ses
membres. Cette juridiction, officiellement reconnue dans les statuts de 1215,
se limite en pratique à la discipline intérieure des
écoles et à l'observation des statuts ; ce droit fut
provisoirement suspendu par le même Honoré III en 1222.
En tant que corporation spécialisée,
l'université a recherché à être seul maître du
recrutement de ses maîtres. Cette autonomie, l'université l'a
acquise à la suite de conflits avec le chancelier de Notre-Dame. Seul
maître de la collation de la licentia docendi sa totale
liberté de choix menaçait la cohésion institutionnelle et
intellectuelle de l'université. C'est pourquoi cette dernière a
cherché à réduire l'autorité du chancelier. Par
ailleurs, toujours pour préserver son autonomie, l'université a
développé l'inceptio ». Il s'agit d'une
procédure qui se trouve à l'origine du doctorat comme grade. Du
ressort exclusif de l'université, l' « inceptio »
double la « licentia docendi ». Pour enseigner, il faut
non seulement obtenir la licence, mais être aussi autorisé par les
maîtres à « incipere »51.
L' « inceptio » désigne donc la
cérémonie solennelle d'entrée en fonction du nouveau
maître au cours de laquelle il donne son cours d'investiture, et
sanctionne la reconnaissance et l'acceptation dudit maître dans le corps
professoral. Le verbe « incipere » est utilisé dans
son sens technique dans les statuts de 12154. La procédure
est clairement mentionnée dans la bulle Parens scientiarum de
123152. L'université est enfin une association dont les
membres jouissent de la « libertas scolarium ». Cette
expression, exprimée dans la bulle de 1231, traduit la
possibilité pour les scolares, à la fois les
maîtres et les écoliers de jouir d'un certain nombre de «
libertates », c'est-à-dire de franchises, de
privilèges et de droits.
Si les premiers statuts réglementant l'organisation de
l'enseignement sont attestés à partir de 1208, le plus ancien
statut conservé est donc celui de Robert de Courçon de
121553,
50 Cf. infra partie III sur les
définitions des fonctions du chancelier.
51 Littéralement, donner sa leçon
d'inauguration pour un maître : « Nullus incipiat
licentiatus a cancellario vel ab alio data ei pecunia vel fide
prestita, vel alia conventione habita. », CUP, [IV], I, ep. 20, p.
79.
52 « Magistri vero theologie ac decretorum, quando
incipient legere, prestabunt publice juramentum [...] », CUP, [IV],
I, ep. ; VERGER, J., Culture, enseignement et société en
Occident aux XIIe et XIIIe siècles, [46], p.
124 et s.
53 CUP, [IV], I, ep. 20, p. 78 et s.
29
qui, pour l'essentiel, entérine des dispositions
conçues par les maîtres eux-mêmes ; sans que ces
dispositions aient été mises par écrit. D'autres statuts
ont été élaborés les années suivantes,
puisqu'une des disposition du statut du cardinal autorise explicitement les
maîtres à se doter de statuts. Dans les années 1208-1209,
il est fait allusion à la constitution de statuts par les maîtres
eux-mêmes. Ce droit est explicitement octroyé en même temps
qu'il est délimité dans les statuts de 1215 et de 1231. En 1219
et en 1221, divers textes font allusion à l'existence de
règlements. Ces derniers n'ayant pas été conservés,
leur contenu nous est partiellement connu par la bulle Parens scientiarum
de 1231 qui en reprend l'essentiel. L'intervention pontificale est donc
particulièrement nette pour l'Université de Paris, qui
reçoit ses statuts du Pape parce qu'elle s'avère dès le
départ représenter le phare de la
théologie54.
Les statuts de 1215 et de 1231 sont les seuls à nous
informer sur l'organisation de l'enseignement. Malgré le
caractère incomplet de ces statuts, et bien qu'il soit difficile de
distinguer clairement ce qui relève de l'innovation et d'une pratique
déjà plus ou moins ancienne, quelques principes sont
déjà fixés, dont la durée des études le
calendrier universitaire et les méthodes d'enseignement.
Dès le statut de 1215, les durées obligatoires
des études en arts et en théologie sont établies : elles
durent au moins six ans en arts, et huit ans en théologie. Durant cette
période, les écoliers sont principalement auditeurs, «
audientes ». Seuls quelques-uns d'entre eux, les bacheliers
participent à l'activité enseignante. Le mot
baccalarius55 n'apparaît qu'en 1231. Leur
présence est néanmoins attestée dès 1215, d'une
part, à l'occasion des disputationes auxquelles les uns
participent comme respondens et les autres en qualité
d'opponens, d'autre part, lorsque les étudiants en
théologie sont distingués en étudiants audientes
et legentes. À cette époque, le baccalauréat
n'est pas considéré comme un grade. Un Age minimum d'accès
à la licence est aussi prescrit, 20 ans en arts et 35 ans en
théologie.
Concernant le calendrier universitaire, la durée des
vacances d'été est fixée à un mois maximum.
54 On comprend ainsi encore mieux
l'intérêt des chanceliers du chapitre à vouloir conserver
leurs prérogatives.
55 Dans le sens d'étudiant avancé qui
donne des leçons sous la direction de son maître mais sans
être personnellement licencié, « Ne aliquis bachellarius
in theologica facultate promoveatur ad cathedram, nisi prius seipsum
examinaverit, » i. e. « nominaverit »,
CUP, [IV], I, ep. 200, p. 226 ; « Ceterum quia ubi non est ordo,
facile repit horror, constitutiones, seu ordinationes providas faciendi de modo
et hora legendi et disputandi, de habitu ordinato, de mortuorum exequiis necnon
de bachellariis, qui et qua hora et quid legere debeant, ac hospitiorum
taxatione seu etiam interdicto » CUP, [IV], I, ep. 79, p. 137.
30
Concernant l'enseignement, deux techniques sont
évoquées dans les statuts : la lectio et la
disputatio. Comme au XIIe siècle, la lectio est
à la base de l'enseignement universitaire. Il y a deux types de lecture.
La lecture ordinaire, « lectio ordinaria », et la lecture
cursive, « lectio cursoria ». Elles sont toutes deux
mentionnées et distinguées dans les statuts de 1215 et de
123156.
La disputatio semble issue de la question, «
quaestio », lorsque celle-ci s'est détachée de la
lectio. Distincte de la questio qui fait partie de la
lecture, c'est une technique d'enseignement autonome faisant l'objet d'une
séance à part. Elle consiste en une discussion organisée,
selon la méthode dialectique, pour résoudre une ou plusieurs
questiones. Le maître, qui préside la séance,
propose un thème à débattre aux étudiants qui
interviennent en qualité de respondens et d'opponens.
Les uns, « respondentes », avancent les arguments pour une
thèse ; les autres, « opponentes », les arguments
contre. La solution du problème posé, « determinatio
», est ensuite donnée par le maître en répondant
aux objections. Les « disputationes57 » ont lieu
en dehors des cours ordinaires, c'est-à-dire des « lectiones
».
C'est au sein de cette faculté des arts que les
chanceliers ont généralement rencontré le plus de
résistance à la manifestation de leur
autorité58. Les artiens étaient en recherche constante
d'autonomie afin de décider le plus librement possible des
enseignements. Cependant, le contenu de l'enseignement à la
faculté des arts est bien défini.
Ce sont les statuts de 1215 qui nous permettent de
connaître les livres étudiés. Concernant les arts du
trivium, l'étude de la grammaire se fait à partir des
Institutionnes grammaticæ de Priscien, le Priscianus major
et le Priscianus minor qui traitent respectivement de la
morphologie et de la syntaxe, ainsi que le Barbarismus qui est le
56 La lecture ordinaire consiste à expliquer
et à commenter un texte de la façon suivante : il s'agit tout
d'abord d'exposer la « littera » ou lettre, exposition
littérale des mots, des phrases et des constructions ; ensuite d'en
déduire le « sensus » ou sens, sens immédiat
du texte rendu souvent par des paraphrases ; enfin d'en tirer la «
sententia » ou sentence, signification profonde du texte,
l'intention de l'auteur. Ce type de lecture correspond à
l'activité magistrale proprement dite. Elle représente
l'enseignement du maître-régent à propos des textes
officiels inscrits au programme, pendant les heures ordinaires, officiellement
fixées, et selon la méthode ordinaire.
La lecture cursive consiste en une lecture rapide du texte, et
se limite à en donner la « littera ». Cette lecture,
faite par le maître, est généralement le fait des
bacheliers, l'après-midi.
57 On distingue deux types de disputes. La dispute
privée ou « disputatio in scolis », définie
dans le texte de 1231, se déroule dans l'école du maître
avec ses propres élèves, les jours disputables,
c'est-à-dire les jours où les disputes sont autorisées. La
dispute solennelle, encore appelée « disputatio sollemnis
» ou « disputatio magistrorum » rassemble
l'ensemble des maîtres et des étudiants de la faculté ;
elle a lieu une fois par semaine et se déroule tout au long de
l'année ; lors des disputes solennelles, les autres cours sont
suspendus.
58 Voir infra dans le chapitre III sur les
définitions de la fonction de chancelier.
31
troisième livre de l'Ars major de Donat qui
traite des figures d'élocution. La rhétorique est
enseignée sur la base du traité de Cicéron, le De
inventione et la Rhetorica ad Herennium qui expliquent les bases
de la rhétorique classique. Vient ensuite le quatrième livre du
De differentiis topicis de Boèce qui traite des rapports entre
la rhétorique et la logique. La dialectique est étudiée
à partir de l'Organon d'Aristote, c'est-à-dire l'oeuvre
logique du Péripatéticien comprenant la logica vetus et
la logica nova. Les arts du quadrivium sont, pour leur part,
étudiés à partir des Quadravilia. Dans les
statuts de 1215, ces ouvrages sont distingués en fonction de
l'enseignement : il y a les livres « ordinaires »,
c'est-à-dire ceux devant être lus de façon ordinaire,
l'Organon, le Priscianus major et minor ; les autres sont
qualifiés de livres extraordinaires et sont lus les jours de
fêtes, « in festivis »59.
Les statuts de 1215, reprenant des dispositions du concile de
la province de Sens réuni à Paris en 1210, prohibent la lecture
de plusieurs ouvrages : les livres d'Aristote sur la métaphysique et la
philosophie naturelle, c'est-à-dire la Métaphysique et les «
libri naturales », physique, traités de la
génération, du ciel, des météores, ainsi que leurs
commentaires parisiens, et les livres contenant les doctrines de David de
Dinant, d'Amaury de Bène l'hérétique et de Mauricius
Hispanus60. Cette interdiction est renouvelée dans la bulle
de 1231, mais de façon provisoire61, « aussi
longtemps que ces livres n'auront pas été examinés et
purgés de toute erreur ». Enfin, il faut rappeler que
l'enseignement du droit civil, le « corpus juris civilis »,
est interdit à Paris depuis la bulle « Super Speculam
» d'Honoré III de 121962.
Mais l'Université de Paris, c'est aussi des hommes et
des lieux dont les fonctions sont assez bien définies. A Paris,
l'importance quantitative des maîtres artiens les conduit à
imposer leur organisation à l'ensemble de l'Université. Ainsi,
les quatre nations, entre lesquelles ils se répartissent, France,
Normandie, Picardie, Angleterre, élisent chacune un procureur, et les
quatre procureurs élisent un recteur qui dirige dans un premier temps
la
59 « Non legant in festivis diebus
nisi philosophos et rhetoricas, et quadravialia, et barbarismum, et ethicam, si
placet, et quartum topichorum. », CUP, [IV], I, ep. 20, p. 78.
60 « Non legantur libri Aristotelis de methafisica et
de naturali philosophia, nec summe de eisdem, aut de doctrina magistri David de
Dinant, aut Amalrici heretici, aut Mauricii hyspani », Ibid,
p. 78-79.
61 « et libris illis naturalibus, qui in Concilio
provinviali ex certa causa prohibiti fuere, quousque exeminati fuerint
et ab omni errorum suspitione purgati », CUP, [IV], I, ep.
79, p.
62 CUP, [IV], I, ep. 32, p. 91-93; VERGER, J.,
Culture, enseignement et société en Occident aux
XIIe et XIIIe siècles, [46], p. 122-124.
32
faculté des arts. Celui-ci finit par être investi
de pouvoirs juridictionnels sur l'ensemble de l'Université de Paris et
par être reconnu comme son représentant dans ses rapports avec le
monde extérieur. Il est généralement élu pour une
durée reconductible de quatre à six semaines et il a le droit de
conférer les bénéfices vacants affectés à
l'Université. Le modèle artiens s'est imposé à tous
les maîtres des disciplines supérieures de l'Université qui
s'organisent eux aussi en facultés, regroupant toutes les écoles
concurrentes enseignant une même discipline. Chaque faculté est
elle même dirigée par un doyen élu par les régents
des écoles ; mais c'est le recteur élu par les artiens qui a
toute autorité. Au XIIIe siècle, les
universités ne possèdent pas de bâtiments en propre et les
cours ont lieu dans des salles louées par les maîtres, tandis que
les cérémonies se déroulent dans les églises et les
couvents avoisinants. La tache du recteur se réduit donc à
l'organisation de l'enseignement et à la défense des
privilèges universitaires. Il s'agit de principalement de
privilèges locaux, comme l'exemption de toute forme de service militaire
et des avantages économiques63, mais surtout de
privilèges de juridiction, qui mettent les universitaires à
l'abri des juridictions laïques64 et, dans une certaine mesure,
des juridictions ecclésiastiques.
Le développement de l'université traduit un
désir d'autonomie des maîtres, une volonté de se soustraire
de la tutelle des autorités ecclésiastiques, puis laïques.
Il traduit aussi un effort de reprise en main du milieu scolaire.
L'Université n'est pas née du néant : les maîtres,
mais aussi les papes et les rois ont été à l'origine de
l'université, car l'assentiment des deux dernières
autorités a été indispensable. Malgré ses efforts
pour s'en détacher, elle reste placée sous la tutelle du
chancelier de Notre-Dame, dont il convient maintenant de présenter le
corps d'origine, le chapitre.
63 Il ne faut pas oublier que les membres de
l'Université de Paris sont des clercs et, à ce titre,
bénéficient des mêmes droits d'exemption.
64 Cf. infra, dans chapitre sur le
chancelier, les rappels sur les pouvoirs judiciaires du chancelier sur les
universitaires face au prévôt de Paris.
33
2.2. Le chapitre cathédral de Notre-Dame de Paris.
C'est au milieu du Xe siècle que le terme
chapitre, « capitulum »65, a été
utilisé pour la première fois par Gauthier, archevêque de
Sens, pour désigner le collège de clercs qui l'entoure, l'assiste
dans l'accomplissement du service religieux de l'église
cathédrale et collabore au gouvernement du diocèse.
Le chapitre cathédral est un donc corps
ecclésiastique. La règle de l'évêque de Metz,
Chodegrand, réformée au début du IXe
siècle par le diacre Amalaire et imposée à tous les
chanoines de l'Empire par le concile d'Aix-la-Chapelle de 817 exige, en
théorie, la vie commune. Mais celle-ci est abandonnée par la
suite et, dès le XIe, on distinguait les chanoines
séculiers des chanoines réguliers qui seuls menaient une vie
monastique soumise à une règle stricte. Les chanoines du chapitre
de Notre-Dame sont généralement séculiers, ils ont
renoncé à une suivre une règle rigoureuse et ne pratiquent
plus la vie commune, mais ils sont néanmoins soumis à des
astreintes, lesquelles, elles aussi, ne sont pas scrupuleusement
respectées.
Le corps capitulaire de l'église cathédrale est
constitué par l'ensemble des chanoines. Il faut distinguer les chanoines
résidents, dont les dignitaires, qui jouissent de toutes les
prérogatives attachées à leur qualité canoniale
comme la voix au chapitre, une place déterminée dans le choeur de
la cathédrale, une prébende et des distributions, et les
chanoines non-résidents qui ne participent pas à toute la vie
capitulaire.
A l'exception de deux chanoines qui sont attachés au
service de la chapelle Saint-Aignan66, voisine de Notre-Dame et dont
la nomination appartient en propre au chapitre67, tous les chanoines
sont de droit et en principe nommés par
l'évêque68. Mais cette règle s'efface souvent
devant les interventions du pape ou du roi en faveur de candidats de leur
choix. Si, dès la fin du XIIIe siècle, le choix de
chanoines se portent souvent sur des nobles, celui de Notre-Dame semble peu
touché par ce phénomène.
65 GANE, R., Le chapitre de Notre-Dame de Paris
au XIVe, Etude sociale d'un groupe canonial, Paris, 1985, [15],
Introduction.
66 Cf. Annexe 1 : Notre-Dame de Paris et cloître
de Notre-Dame.
67 A.N., LL 78, p. 369-370.
68 GUERARD, B., Cartulaire, [X], t. I, p. 36
et 456.
34
Le chanoine doit être prêtre. S'il ne l'est pas au
moment de sa nomination, il doit se faire ordonner après son
accès au canonicat, mais cette règle n'a pas toujours
été suivie. Lors de sa réception, le nouveau chanoine
prête un serment dans lequel il déclare être de naissance
libre et légitime, garantit ne pas avoir acquis sa prébende par
simonie69, s'engage à observer les statuts capitulaires,
à respecter le secret des délibérations, à
conserver sa prébende intacte, à défendre les droits et
privilèges des chanoines70. En réalité, le
chapitre de Notre-Dame compte toujours parmi ses membres des chanoines qui ne
reçoivent jamais les ordres majeurs et restent clercs mineurs, ce sont
les acolytes, les lecteurs, les portiers, les exorcistes, ou simples clercs qui
sont seulement tonsurés.
Lorsqu'un chanoine est nommé évêque, il
doit résigner son canonicat, comme Pierre d'Ailly nommé
évêque du Puy. La résignation intervient parfois avec du
retard lorsque le nouvel évêque cherche à conserver pendant
un certains temps les revenus de sa prébende canoniale. Par contre, la
résignation n'est pas requise quand le chanoine est élevé
au cardinalat. Le nouveau cardinal a le droit de conserver sa vie durant son
canonicat et il peut même en obtenir d'autres. On trouve ainsi, tout au
long des chapitres du XIVe siècle, des cardinaux chanoines de
Notre-Dame.
Si le chapitre de Notre-Dame est un chapitre de chanoines
séculiers, quelques clercs appartenant à des ordres
réguliers y détiennent un canonicat. Certains chanoines sont
aussi curés de paroisses parisiennes. D'autres chanoines restent
nominalement curés de paroisses hors de Paris, comme Grimaud Boniface,
curé de Saint-Jean-de-Grève. Enfin, l'accession au canonicat est
soumise à des conditions d'âge. Clément V fixe à
dix-huit ans l'âge requis pour recevoir le sous-diaconat, vingt ans pour
le diaconat et vingt-cinq pour la prêtrise et exige des postulants au
canonicat d'être au moins sous-diacre. Nul ne peut donc devenir chanoine
s'il n'a pas dix-huit ans, sauf s'il bénéficie d'une dispense
particulière. Et fréquentes sont de telles dispenses, de sorte
que le chapitre compte souvent de très jeunes membres71.
Dans l'église Saint-Etienne, avant la construction de
Notre-Dame, sur le même site, à partir de 1163, le concile de
Paris de 829 décide, qu'au lieu de recevoir leurs ressources de
69 Certains chanoine qui sont nommés par le
pape éprouvent des difficultés à faire reconnaître
par le chapitre leur droit sur la prébende qui leur est attribuée
; cependant, ce n'est pas le cas pour les huit dignitaires du chapitre qui
doivent être reconnus par le chapitre.
70 GUERARD, B., Cartulaires, [X], t. III, p.
405.
71 Ce qui a comme conséquence, à terme,
des inaptitudes notoires au poste de chanoine pour certains candidats.
35
l'évêque, les chanoines dispose d'un ensemble de
biens qu'ils doivent administrer par eux-mêmes et dont ils
perçoivent directement les revenus, les prébendes.
Le partage des biens de l'église et l'application de la
règle d'Aix-la-Chapelle, reconnaissant aux chanoines le droit d'habiter
une maison particulière, entraînent la disparition progressive des
liens communautaires72. La division des biens de l'Eglise de Paris,
qui répondait à un simple soucis de meilleure gestion
économique de ses ressources, engage le chapitre dans la voie de
l'autonomie qui s'étend bientôt au du temporel au spirituel.
Très rapidement, le chapitre de Notre-Dame a donc une existence propre
et obéit à des règles spécifiques bien
précises.
Dès le XIIe siècle, le chapitre de
Notre-Dame comprend cinquante et un canonicats. Sur ce nombre, qui ne varie pas
jusqu'à la Révolution, quarante-trois sont des canonicats
simples, huit constituent des dignités. Certains chanoines ont un titre
honorifique sans juridiction propre, un personnat. D'autres ont un
office, c'est-à-dire une fonction sans juridiction73.
D'autres, enfin, une dignité, c'est-à-dire une fonction
entraînant juridiction.
Si, en droit, les chanoines sont, normalement, nommés
par l'évêque, celui-ci ne dirige pas le chapitre. C'est, en effet,
le premier des dignitaires, le doyen, qui préside à ses
activités sous la haute autorité de la Papauté. Ce
rattachement direct au Saint-Siège résulte de l'exemption
épiscopale dont le chapitre bénéficie depuis longtemps. Il
constitue une particularité remarquable qui explique pour une bonne part
le renom du chapitre cathédral de Notre-Dame. Aussi bien, au
XIVe siècle, quatre anciens chanoines de Notre-Dame occupent
le siège pontifical : Boniface VIII, Innocent IV, Grégoire IX et
Clément VII.
Les huit dignitaires du chapitre de Notre-Dame sont, par ordre
d'importance : le doyen, le chantre, les trois archidiacres ; le sous-chantre,
le chancelier et le pénitencier. Les dignitaires existent
déjà dès la seconde moitié du XIIe
siècle, à l'exception du pénitencier qui n'apparaît
qu'au XIIIe siècle, après le quatrième concile
de Latran de 1215, concile qui décide, d'une part, que les
dignités capitulaires ne sont conférées qu'à des
majeurs de vingt-cinq ans qui doivent, dans l'an suivant, recevoir les ordres
requis s'ils ne les ont déjà, d'autre
72 En 909, Charles III le Simple a confirmé
un diplôme de son aïeul, Charles le Chauve, accordant aux chanoines
de Paris le privilège de vivre dans les maisons claustrales, sans
être inquiétés, ni payer de cens ; LEMARIGNIER, J. -F.,
GAUDEMET, J., MOLLAT, G., Les institutions ecclésiastiques, t.
III, de Histoire des institutions françaises au Moyen-Âge,
ssd. LOT, F., FAWTIER, [29], Paris, 1962, PUF, p. 188.
73 C'est le cas de Claude Sarasin qui était
archiviste.
36
part, qu'il ne peut y avoir cumul de dignités au profit
du même chanoine. Cependant, des exemples de cumul sont très
nombreux.
Le doyen, « decanus », est choisi par le
chapitre mais il est installé par l'évêque. Il est le chef
du chapitre et exerce sur les chanoines sa juridiction. Il reçoit leur
promesse d'obéissance. Il a la police du cloître,
représente le chapitre, reçoit les hommages dus à celui-ci
et garde le sceau capitulaire pendant la vacance du chancelier. Il prête
hommage à l'évêque, mais sous réserve de
fidélité au chapitre. Les visites des églises
dépendant du chapitre sont un devoir pour le doyen, maintes fois
rappelé par le Saint-Siège, notamment par une bulle de
Clément III du 5 juillet 1188 qui traite aussi de l'obligation
corrélative, pour le visité, de payer une
procuration74, c'est-à-dire une participation aux frais
entraînés par la visite.
Le doyen a la charge des âmes de tous les membres du
chapitre ainsi que de tous les clercs du choeur. Il peut dispenser du maigre et
c'est lui, lorsqu'il est présent, qui administre les derniers sacrements
aux chanoines, aux chapelains, aux clercs et aux bénéficiers de
l'église. Il préside également au choeur où un
siège est réservé à l'évêque de Paris
ainsi qu'à l'archevêque de Sens dont dépend le
diocèse de Paris. il doit assister au synode diocésain annuel qui
est convoqué par l'évêque. Lorsque que le chapitre prend
des décisions, les notifications qui en découlent sont faites, au
nom des « doyen et chapitre de l'Eglise de Paris ».
Le chantre, « cantor », est le second
dignitaire du chapitre en charge de la direction des exercices du choeur, de la
maîtrise et de l'enseignement de la musique sacrée. Il
supplée le doyen lorsque celui-ci est absent. Nommé par
l'évêque, il occupe la deuxième stalle à gauche du
choeur75. Pendant longtemps le doyen et le chantre se sont
disputés la première place au chapitre et leurs rapports ont
été fréquemment tendus jusqu'à ce que la
suprématie du doyen finisse par prévaloir76. Il est
astreint à résidence par une bulle de Boniface VIII de 1296. Il
reçoit au moment de sa nomination la clef de la chantrerie et la marque
de sa dignité est le baculus cantoris77. Au
début, les offices étaient chantés par les seuls chanoines
et par les enfants de choeur mais, peu à peu, en raison des nombreuses
absences des chanoines retenus à
74 Procuratio, aliments, provisions.
75 LEMARIGNIER, J. -F., GAUDEMET, J., MOLLAT, G.,
Les institutions ecclésiastiques, [29], Op. Cit., p.
188-189.
76 LL. 253, [XII], p. 35.
77 C'est-à-dire la « baguette de chant
».
37
l'extérieur par leurs multiples occupations,
l'installation d'une maîtrise s'est avérée
nécessaire pour le maintien du cérémonial.
Après le doyen et le chantre, viennent dans l'ordre des
dignitaires, les trois archidiacres, l'archidiacre de Paris, «
archidiaconus Parisiensisi » ou « archidiaconus major
Parisiensis », l'archidiacre de Josas, « archidiaconus Josae
», et l'archidiacre de Brie, « archidiaconus Briae
». Tous les trois sont hiérarchiquement égaux. Ils
portent parfois le même titre d'archidiacre de l'Eglise de Paris, «
archidiaconus ecclesiae Parisiensis »78. Nommés
en principe par l'évêque, ils ont des fonctions très
importantes qui dépassent le cadre de la cathédrale puisqu'elles
se rapportent à l'administration même du diocèse de
Paris79.
Celui-ci, très étendu, fait partie de la
Quatrième Lyonnaise de l'exarchat des Gaules et appartient à la
province ecclésiastique de Sens. L'évêque de Paris est
suffragant de l'archevêque de Sens. Le diocèse est limité
au nord par les diocèses de Beauvais et de Senlis, à l'est par
celui de Meaux, au sud-est et au sud par celui de Sens, à l'ouest par
ceux de Chartres et de Rouen80. En outre, au-delà de ces
limites et enclavé dans le diocèse de Sens, se trouve la
doyenné de Champeaux qui comprend six paroisses. Le diocèse a une
forme à peu près régulière, sauf à l'ouest
où cinq paroisses, dépendant du diocèse de Chartes,
forment une saillie à l'intérieur du territoire diocésain.
Les trois archidiaconés sont séparés les uns des autres
par la Seine et la Marne. L'archidiaconé de Paris s'étend entre
les deux cours d'eau, au nord de ceux-ci. Il comprend la partie de la ville
située sur la rive droite, ainsi que l'île de la Cité.
L'archidiaconé de Josas est situé à l'ouest et au sud de
la Seine et englobe la rive gauche de Paris. C'est le plus étendu.
L'archidiaconé de Brie, le moins grand, se situe à l'est de la
Seine et au sud de la Marne. Chaque archidiaconé est subdivisé en
deux doyennés ruraux : pour l'archidiaconé de Paris, les
doyennés de Montmorency et de Chelles, pour celui de Josas, les
doyennés de Châteaufort et de Montlhéry, pour celui de
Brie, les doyennés de Vieux-Corbeil et de Lagny.
L'archidiacre examine et entend les clercs qui se destine
à la prêtrise et doivent être ordonnés par
l'évêque81. Il concourt avec celui-ci à la
nomination des curés de paroisses. Il
78 Ce qui peut prêter à confusion avec le
titre d'archidiacre de Paris.
79 LL. 78, p. 368, 369 ; L. 517.
80 Cf. Annexe 2 : Le diocèse de Paris, ses
archidiaconat, ses prébendes et ses menses capitulaires.
81 L'ordination est administrée par
l'évêque quatre fois par an : un samedi de Carême, un samedi
du temps de Pentecôte, le troisième samedi du mois de septembre et
le troisième samedi de l'Avent.
38
possède le droit de dépouille et peut donc
prélever par priorité, au décès d'un curé,
les objets entrant dans la succession, ainsi que les vêtements
sacerdotaux du défunt. Comme l'évêque, il réunit un
synode deux fois par an, le mercredi qui suit le deuxième dimanche
après Pâques et le dix-huit octobre, jour de la fête de
saint Luc ; y assistent les curés des doyennés qui lui versent,
à cette occasion, des redevances en argent dénommées
droits synodaux, « jura synodalia ». L'archidiacre
préside le synode, entouré de l'official et du porte-sceau,
« sigillifer ». En cas d'absence, il est remplacé par
un vicaire désigné par le chapitre. Il s'agit alors du doyen, du
chantre ou du sous-chantre. Le synode archidiaconal a pour objet de faire
connaître au clergé rural les statuts synodaux du diocèse.
Il est à la fois un moyen de diffusion, un organe de contrôle et
un instrument d'instruction et d'éducation des clercs.
Enfin, l'archidiacre doit visiter les églises de son
archidiaconé dans lesquelles il doit apprendre, s'enquérir,
réformer et corriger, rendre compte au supérieur. L'archidiacre
doit, en outre, visiter les établissements de charité ainsi que
les paroissiens excommuniés, vérifier si les malades et les
indigents sont bien secourus et si la paroisse possède une sage-femme
régulièrement choisie et, dans ce cas, confirmer celle-ci de ses
fonctions. Les archidiacres possèdent enfin un pouvoir juridictionnel
étendu.
Le sixième dignitaire du chapitre est le sous-chantre,
« succentor ». Collaborateur immédiat du chantre, il
est astreint comme lui à résidence et le supplée en cas
d'absence.
Le septième dignitaire du chapitre est le
chancelier82.
Le dernier dignitaire du chapitre est le pénitencier,
« poenitentiarus ». Antérieurement
dénommé chapelain de l'évêque, il rend hommage
à celui-ci et le remplace en cas d'absence pour la
célébration de certaines fêtes. Le concile de Latran de
1215 lui confie la confession des pénitents et le ministère de la
prédication.
Parmi les cinquante et un membres du chapitre, certains
exercent hors de la cathédrale des activités qui les
empêchent de participer aux offices. Il faut cependant assurer dans le
choeur une représentation importante digne de la place éminente
que la cathédrale occupe dans le royaume. Notre-Dame est aux yeux de
tous, une des premières églises de France, bien qu'à la
tête du diocèse de Paris il n'y ait qu'un simple
évêque.
82 Cf. 3. Le chancelier du chapitre de Notre-Dame de
Paris : propositions de définitions.
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Les chanoines sont astreints à une obligation
essentielle l'assistance aux cérémonies et aux assemblées
capitulaires. Ils doivent, d'autre part, tenir annuellement un synode
capitulaire. Enfin, ainsi qu'à tous les membres de l'Eglise, il leur est
fait un devoir de pratiquer l'exercice de la charité à
l'égard des pauvres et des malades. Les cérémonies
à Notre-Dame sont très nombreuses et une particulière
attention est attachée à l'observation des rites. Aux diverses
manifestations liturgiques s'ajoutent les cérémonies
quotidiennes, beaucoup plus simples mais nombreuses elles aussi, auxquelles
doivent participer tous les chanoines présents à Notre-Dame. Les
assemblées capitulaires où sont traitées les affaires
importantes de l'église portent le nom de chapitres ordinaires et
chapitres généraux. Elles se tiennent dans la salle capitulaire.
Les activités qu'exerce, hors du chapitre, un nombre non
négligeable de chanoines expliquent l'importance des absences que l'on
relève, tant aux cérémonies qu'aux réunions
capitulaires.
Chapitres ordinaires et chapitres généraux ne
sont pas les seules assemblées où la présence des
chanoines est obligatoire. Tous les ans, en effet, ces derniers doivent se
réunir en synode, sur convocation du doyen et sous sa présidence,
le mardi de la deuxième semaine de carême. Le chapitre
échappe à la juridiction épiscopale puisqu'il
relève directement du Saint-Siège. Par contre, il a eu, dans le
cadre de la réforme grégorienne, le pouvoir d'élire
l'évêque conjointement avec les clercs et le peuple mais au
XIVe siècle, il est dessaisit du droit d'élire
l'évêque83. Celui-ci doit cependant jurer
solennellement de maintenir et sauvegarder les libertés, coutumes et
privilèges du chapitre. En outre, si son état de santé
l'empêche d'exercer normalement son ministère,
l'évêque ne peut prendre un coadjuteur qu'avec le consentement du
chapitre. Pendant la vacance du siège épiscopal, le chapitre a le
droit de disposer du temporel du diocèse, mais l'exercice d'un tel droit
se heurte souvent à l'opposition des archiprêtres de Paris et des
officiaux de l'évêque défunt84.
Seigneur féodal, le chapitre reçoit l'hommage de
ses tenanciers et perçoit les redevances personnelles et réelles,
les tailles et les cens. Exonéré, en outre, du service
d'ost85,
83 Clément IV déclare qu'il
réserve au siège apostolique la collation de tous
bénéfices et de toutes dignités.
84 LL. 215, p. 287-289.
85 Ce qui n'empêche pas certains chanoines
d'être attirés par les armes. Jean de Marigny, chanoine en 1308,
puis évêque de Beauvais et archevêque de Rouen, n'abandonne
pas une carrière militaire qui lui vaut d'être lieutenant du roi
en Languedoc, sous Philippe VI. Renaud Chauveau, chanoine en 1349, puis
successivement évêque de Chalon-sur-Saône et
Châlons-sur-Marne, meurt, les armes à la main, en 1356, à
la bataille de Poitiers où il commande la cavalerie du roi Jean et
où Guillaume de Melun, chanoine en 1336, puis archevêque de Sens,
est fait prisonnier avec sa bannière. Ancien chanoine de Notre-Dame,
Gilles de Lorris se bat également à Poitiers et
40
il reste le maître absolu de ses domaines et de leur
administration et l'évêque ne peut s'y immiscer86. Il
est exempt des droits d'amortissement, d'assurer la nourriture au roi lorsque
celui-ci se déplace avec sa suite, sur les terres
capitulaires87, de tous droits pour le transport et la vente de
denrées provenant de ses domaines. Les domestiques des chanoines et les
clercs de Notre-Dame bénéficient de la même exemption et ne
paient aucun droit de tonlieu et de péage88. Le chapitre
dispose de la collation de plusieurs bénéfices et, à ce
titre, il confère les prébendes des églises de
Saint-Jean-le-Rond et de Saint-Denis-du-Pas, ainsi que de la chapelle
Saint-Aignan ; il nomme les curés des paroisses de Bagneux, Epone,
Rozay-en-Brie, Vernou et Larchant89. Il partage avec
l'évêque le luminaire, les offrandes, la décoration
funéraire et les objets apportés à Notre-Dame, à
l'occasion d'obsèques et ce partage ne s'opère pas toujours sans
contestation90. Enfin, depuis un bref de Boniface VIII daté
de 1295, le chapitre jouit de l'important privilège de ne pouvoir
être soumis à aucune sentence épiscopale d'interdit ou
d'excommunication91.
Conscient de constituer un groupe privilégié, le
chapitre de Notre-Dame est attaché aux marques extérieures qui
lui assurent sa place, son importance et son originalité et il entend
défendre les prérogatives dont il bénéficie. Elles
consistent d'abord, pour les chanoines, à affirmer dans leur
correspondance (lettres et suppliques) et dans leur testament, ainsi
qu'à faire inscrire dans les épitaphes ou dans les obituaires,
leur appartenance au chapitre, en précisant éventuellement les
dignités92 qui leur ont été
conférées. Lorsqu'ils font leur testament, les chanoines
n'omettent jamais, quelle qu'ait été l'importance de leur
carrière dans l'Eglise ou dans les services du roi, d'indiquer qu'ils
ont occupé une stalle canoniale à Notre-Dame et une telle
indication est toujours donnée dans l'obituaire de l'Eglise de Paris.
C'est, à l'évidence, avec un sentiment de
fierté que les chanoines affirment leur qualité de membres du
chapitre de Notre-Dame et il s'y ajoute un motif complémentaire de
y est fait prisonnier En ce qui concerne nos chanceliers,
aucun ne semble avoir été attiré par ces aventures
guerrières.
86 LL. 77, p. 212.
87 LL. 76, p. 595, Louis VII a, en effet, en 1157,
exempté de son droit de gîte les membres du chapitre.
88 LL. 77, p. 595.
89 LL. 78, p. 3 et s.
90 LL. 78, p. 8-17 ; LL. 79, p. 150 ; LL. 107, p.
155.
91 LL. 77, p. 3 et s.
92 Ibid.
41
satisfaction : la possession d'un sceau canonial. Il est le
symbole de la puissance, marque l'appartenance à un corps et sert
à clore et à authentifier les actes qui en émanent. Si le
chapitre possède son sceau, dont le chancelier a la garde, chaque
chanoine a le sien propre. Chaque sceau porte, à côté du
nom de son titulaire, la mention « can. par.93 ».
Le chapitre jouit d'une si grande renommée que le roi n'hésite
pas à lui recommander ses protégés et à solliciter
en leur faveur l'attribution d'un canonicat et d'une prébende. Enfin, le
chapitre surveille avec une particulière attention le respect par autrui
des règles de préséance qui ont été
forgées à son avantage par la coutume, pour les
cérémonies importantes. Sans doute le chapitre voit-il
également, lorsqu'il se rend en procession au Parlement pour en
bénir les registres, l'affirmation et une manière de
consécration de la prééminence capitulaire sur le pouvoir
civil94.
Bénéficiaire d'importantes prérogatives,
le chapitre entend donc en assurer le maintien et résister à
toute ingérence du pouvoir épiscopal et du pouvoir royal. Le
chapitre est donc maître en son cloître et n'y admet aucune
contestation95. Le cloître jouit ainsi d'une immunité
totale quant aux biens. En ce qui concerne les personnes elles-mêmes, le
groupe canonial lutte avec énergie pour maintenir son
indépendance vis-à-vis du pouvoir épiscopal et faire
connaître qu'il relève uniquement de l'autorité
pontificale. Il se dégage rapidement de la tutelle de l'archevêque
de Sens, puis progressivement de celle de l'évêque de Paris. Le
chapitre tient aussi à marquer son indépendance à
l'égard du pouvoir royal, en saisissant toutes les occasions propices
à la confirmation de ses privilèges.
Cette mise au point que nous venons de réaliser ne
prétend pas à l'exhaustivité sur la question. Seule une
étude plus précise sur chaque chancelier à travers
l'ensemble des écrits le concernant, directement ou
indirectement96, pourrait permettre de saisir toutes les nuances de
la fonction chancelière97, et à travers elle une
étude sociale plus fine de l'Université de Paris et du chapitre
Notre-Dame.
93 Chanoine de Paris.
94 AN, X1a6, p. 377-378 ;
X1a4784, p. 10.
95 Cf. infra, problème de
dignitate et de dignitas, et n. 123.
96 Parce qu'il en a été ou non l'auteur
ou le sujet.
97 Mais, ces nuances sont peut-être à
considérer sur une période plus large, c'est-à-dire
jusqu'à la disparition de la fonction chancelière à part
entière, avec sa fusion avec la charge de recteur de l'Université
à l'époque contemporaine.
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