Le tableau de bord de gestion et la microfinance pour les femmes( Télécharger le fichier original )par Alaa Benhammida HEC Montréal - M. Sc. Contrôle de gestion 2013 |
5. Analyse de performanceAprès avoir présenté le contexte dans lequel évolue l'IMF, la situation socioéconomique de la femme au Maroc, ainsi que le fonctionnement général de l'institution, nous pouvons maintenant nous concentrer sur l'analyse de performance de cette institution à partir du tableau de bord que nous avons introduit dans le cadre conceptuel. La page suivante présente les indicateurs de performance pour la Fondep sur la période 2009 à 2011. Ceux-ci sont présentés par année et par perspective stratégique. Nous rappelons que l'objectif Chapitre 5 : Études de cas 89 est d'étudier la possibilité d'établir un diagnostic de la performance de l'institution à partir du tableau de bord. Pour rester dans l'esprit de l'outil selon Kaplan et Norton, nous analyserons la performance de l'institution perspective par perspective, du bas vers le haut, en commençant par la perspective innovation et apprentissage, afin de mieux apprécier l'existence de relations de cause-à-effet entre les perspectives. Chapitre 5 : Études de cas 90
Tableau de bord pour la Fondep entre 2009 et 2011
Au niveau des indicateurs de productivité, le nombre d'emprunteurs par succursale a augmenté sur la période étudiée, en passant de 613 à 776. Cette augmentation s'explique par une augmentation de 20% du nombre d'emprunteurs actifs, mais aussi par une diminution du nombre de succursales, passé de 180 en 2009 (186 en 2008) à 170 en 2011. Par ailleurs, l'augmentation de la clientèle a entrainé une augmentation du nombre d'emprunteurs par agent de crédit dont l'effectif a lui aussi connu une diminution sur ladite période. Le nombre d'agents de crédit est en effet passé de 570 à 517 à 547 sur les trois années. 50 Site de la Banque Mondiale http://data.worldbank.org/ visité le 9 février 2013. 51 Zakoura et Al Amana peuvent constituer de bons éléments de comparaison puisque les trois IMF (avec la Fondep) font partie des 4 plus grosses IMF du Maroc. Chapitre 5 : Études de cas 92 Au niveau de la qualité du portefeuille, le portefeuille à risque de plus de 30 jours (PAR30) a connu une nette augmentation en 2009. Celui-ci est en effet passé de 2,46% en 2008 à 8% en 2009, pour revenir à un niveau aux alentours de 2% par la suite. Le coût par emprunt, quant à lui, a continué à croitre graduellement sur la période étudiée, pour passer de 84$ à 121$ par emprunt de 2009 à 2011. La crise de la microfinance au Maroc (Chen, Rasmussen et Reille, 2010a) semble avoir grandement affecté les opérations de la Fondep. Le nombre d'agents de crédit et de succursales a en effet été revu à la baisse, tout en conservant un ratio stable du nombre d'agents par succursale. Le PAR30 a atteint un niveau maximal de 8% en 2009, et cette augmentation semble avoir affecté le coût par emprunt, qui a augmenté de 17% et de 23% respectivement en 2010 et 2011. Le PAR30 a par la suite diminué de plus de 70% pour atteindre un niveau raisonnable se situant autour de 2% en 2010 et 2011. Pour parfaire notre analyse, il serait intéressant de consulter un indicateur non inclus dans notre tableau de bord : le taux de radiation des comptes client (write-off ratio, voir annexe 1). Celui-ci a atteint près de 10% en 2009, 6,6% en 2010, puis 3,9% en 2011. Les valeurs élevées du taux de radiation expliquent la diminution rapide du PAR30 sur la période étudiée et confirment l'explication de Chen, Rasmussen et Reille (2010a) sur les mauvaises pratiques de recouvrement des emprunts des IMF marocaines ayant contribué à la crise de l'industrie de la microfinance du pays. Au niveau de l'étude du tableau de bord comme outil diagnostic, nous avons pu constater des liens présumés de cause-à-effet existant entre les indicateurs de performance de la perspective processus internes. Dans l'étude de performance de Bandhan, nous avons constaté une augmentation de l'emprunt moyen pour améliorer la performance financière de l'institution. Nous pensons donc constater des liens de cause-à-effet similaires sur l'emprunt moyen ainsi que sur les indicateurs de performance financière plus haut dans le tableau de bord.
Au niveau des indicateurs financiers du tableau de bord, la structure de financement semble avoir connu de légers changements avec un ratio de la dette sur les fonds propres entre 3,5 et 4,9 sur la période. Le ratio des coûts opérationnels sur le portefeuille de prêts a connu une légère augmentation, passant de 16,5% à 19% de 2009 à 2011. Un ratio pouvant 52 Disponible sur le lien suivant visité le 9 février 2013 http://www.lamicrofinance.org/files/15729 loi microfinance maroc.pdf 53 Site du magazine web http://www.econostrum.info/, article du 12 octobre 2012 « Au Maroc, la microfinance vise 3 millions de bénéficiaires ». 54 Article 2 de la loi 18-97. Chapitre 5 : Études de cas 94 être interprété comme satisfaisant si on le compare aux résultats des autres grandes IMF du Maroc, Al Amana et Zakoura ayant observé des ratios de 7% et de 20% en 2009. Malgré cela, la rentabilité financière témoigne d'une période de crise en 2009, avec un ratio d'autosuffisance opérationnelle et retour sur actif de 82% et -4,7% respectivement. Par conséquent, l'IMF n'a pas pu financer ses activités avec les revenus tirés de ses opérations pendant l'exercice 2009. Elle a tout de même pu remonter la pente pour rétablir ses ratios d'autosuffisance opérationnelle et de retour sur actif à des niveaux satisfaisants, à raison de 135% et 6,52% respectivement dès 2010.
En présumant les liens de cause-à-effet du tableau de bord, nous pouvons faire le lien entre différents éléments d'analyse énoncés dans les différentes perspectives, et tenter une interprétation des faits. Comme le suggèrent Chen, Rasmussen et Reille (2010a), la crise de la microfinance au Maroc est due, entre autres, à une mauvaise discipline dans les procédés de recouvrement des emprunts et à des emprunts croisés de la clientèle (microcrédit auprès de plusieurs agences par un même client). Nous pouvons en effet constater un niveau très élevé du PAR30 en 2009, suggérant une incapacité de la clientèle à rembourser les crédits. Cette situation implique une détérioration des liquidités et une inefficience opérationnelle de l'institution (ratio d'autosuffisance opérationnelle inférieur à 100% et retour sur actif négatif en 2009). En réponse à son besoin de liquidité, l'institution a pu avoir accès à des 55 Site web indisponible pendant la durée de notre étude http://www.fondep.com/ , dernière visite le 27 février 2013. Chapitre 5 : Études de cas 95 fonds externes en capitaux propres, comme le témoigne la diminution du ratio de la dette sur les fonds propres de 4,9 à 3,6, ou encore la croissance de plus de 300% des fonds propres assimilés56 dans les états financiers de l'exercice terminé le 31 décembre 200957. En 2010, le PAR30 a pu être rétabli à un niveau convenable de 2,4%, non sans un taux de radiation des comptes très élevés, à hauteur de 10% en 2009, et 6,6% en 2010. C'est ainsi qu'au niveau des processus internes, l'IMF semble avoir suivi une stratégie d'allègement de la structure de coûts, diminuant les frais fixes par la fermeture de succursales et la mise à pied d'une partie du personnel, notamment des agents de crédit. Au niveau du client, la Fondep a pu augmenter l'étendue de son champ d'action en touchant un plus grand nombre de clients, mais sa profondeur a dû être revue à la baisse comme en témoigne la croissance de l'emprunt moyen. De nouvelles directives semblent donc avoir été données pour améliorer la rentabilité de l'institution, qui a pu retrouver une performance financière satisfaisante comme le témoigne le ratio d'autosuffisance opérationnelle et le retour sur actif, respectivement de 135% et 6,5% en 2010, et 119% et 4,6% en 2011. Comme pour la Bandhan, nous avons pu supposer quelques liens de cause-à-effet : ? Au niveau de la perspective des processus internes :
Nous constatons donc des liens de cause-à-effet plus ou moins similaires avec la Bandhan, bien qu'ils ne soient pas tous évidents. En effet, si nous revenons à l'augmentation du nombre d'emprunteurs par agent de crédit au niveau de la perspective des processus internes, avec l'augmentation du champ d'action au niveau de la perspective client, la conclusion en faveur d'un lien de cause-à-effet n'est pas évidente. Pour la Bandhan, nous avons constaté une augmentation du nombre d'agents de crédit pour un ratio constant d'emprunteurs par agent de crédit. Dans les deux études de cas, l'étendue du champ d'action augmente significativement, mais dans le cas de la Fondep, le nombre d'agents de crédit diminue et le personnel encore en place doit donc gérer une charge de travail plus grande avec moins de ressources. Le point que nous voulons souligner ici est qu'il est parfois difficile de rester dans un cadre de pensée centré autour des liens de cause-à-effet entre les différentes perspectives du tableau de bord. En effet, pour mieux comprendre l'augmentation de la charge de travail par agent de crédit, il faut d'abord constater la très faible performance financière en 2009 au niveau du retour par actif (perspective finances), ainsi que le taux PAR30 très élevé sur la période (perspective processus internes), pour en déduire la nécessité pour la direction d'alléger sa structure de coûts. Qui plus est, l'augmentation du champ d'action est aussi un élément essentiel à prendre en compte. Il existerait donc bien des liens de cause-à-effet entre les perspectives, mais ils ne semblent pas forcément toujours aller dans le même sens, à savoir du bas vers le haut. De plus, comme le suggèrent Haas et Kleingeld (1999), l'explication de ces interrelations ne peut être fournie «qu'après coup » : Chapitre 5 : Études de cas 97 Kaplan and Norton talk about causal links between so called lagging and leading performance indicators. However, the notion of causality is merely assumed by organisational actors who participate in the strategic dialogue. Its validity can at best be demonstrated « after the fact », when (non-) achievement of related result indicator targets has been established. Haas et Kleingeld (1999, pg. 244) Le modèle de Kaplan et Norton offrirait donc un cadre trop rigide pour apprécier les interrelations entre les indicateurs de performance. Norreklit (2000) suggère plutôt de chercher à établir une cohérence entre les indicateurs plutôt que des relations de cause-à-effet58. Ainsi, dans le but d'atteindre un certain objectif, la cohérence implique de se poser la question de la pertinence de certains phénomènes, et s'ils sont compatibles et se complémentent : For example, an action is coherent if the actions used and the means are appropriate with respect to the intended end. Thus one condition for obtaining an end is that of having access to input factors with a potential to realize the end and, in the case of managers or employees, it's a condition that they have access to methods which allow them to control the input factors and, in turn, to obtain the end intended. (Norreklit, 2000, pg. 83) Ces deux dernières observations soulèvent un point intéressant pour notre étude. Elles suggèrent que le modèle de Kaplan et Norton, avec les relations de cause-à-effet qu'il implique, aurait un potentiel de prévision de la performance future relativement faible, puisqu'il ne prend pas en compte le contexte organisationnel de l'institution. Il permettrait plutôt d'expliquer les causes de la performance « après coup », et c'est ce que nous avons fait lors de nos études de cas. En effet, nous n'avons pas cherché à évaluer la capacité du tableau de bord à prédire les résultats futurs. Nous sommes plutôt partis d'une liste d'indicateurs de performance présents dans la littérature pour essayer d'obtenir un 58 Pour soutenir cette idée, Norreklit (2000) cite les auteurs suivants : Edwards (1972), Norreklit et Schoenfeld (1996), Collis et Montgomery (1997), Haas et Kleingeld (1999). Chapitre 5 : Études de cas 98 ensemble équilibré de déterminants qui expliquent la performance passée des IMF choisies. Synthèse À travers les deux études de cas, nous avons pu dresser certaines conclusions ainsi que des liens de cause-à-effet probables entre les indicateurs de performance. Parmi ces éléments d'analyse, certains sont conformes aux résultats d'autres études, donnant plus de crédibilité au potentiel du tableau de bord en tant qu'outil diagnostic. Parmi les principales observations, conformément aux études de Ledgerwood (1999) et de Di Bella (2011), nous pensons que le PAR3059 est un bon indicateur de la qualité du portefeuille, et cette observation a été confirmée dans les deux analyses. En effet, le taux très bas pour la Bandhan, inférieur à 1%, était cohérent avec les bonnes performances opérationnelles de l'institution et le retour sur actif élevé constaté sur les 3 années. Pour la Fondep, ce taux a connu une diminution inversement proportionnelle à la croissance du retour sur actif. En effet, le PAR30 est passé de 8% à moins de 2%, de 2009 à 2011, et le retour sur actif est passé de 5% dans le négatif à 5% dans le positif sur la même période. En fait, comme l'expliquent Ayayi et Sene (2010), un PAR30 élevé impliquerait moins de fonds disponibles pour l'IMF, et aurait donc un impact négatif sur sa performance financière. Autre postulat, il semblerait aussi que les dépôts aient un effet positif sur la rentabilité d'une IMF; Mersland et Strøm (2009) expliquent cela par le fait que les dépôts de la clientèle constituent des sources de financement à bas prix. Ils ajoutent qu'une meilleure régulation de la microfinance permettrait aux IMF d'avoir un accès plus facile à de tels fonds, et les cas de la Bandhan et de la Fondep illustrent bien cette situation. Étant mieux régulée, la Bandhan profite de la régulation indienne qui lui permet de collecter les dépôts de la clientèle contrairement à la Fondep qui connait une performance financière plus faible. Le tableau de la page suivante récapitule certaines observations et postulats tirés des deux études de cas, et leur fiabilité est présumée puisqu'ils ne découlent que de notre propre 59 Montant du portefeuille de prêts dont le remboursement est en retard de plus de 30 jours, voir annexe 1. Chapitre 5 : Études de cas 99 interprétation du tableau de bord de chaque institution. Les croix du tableau suivant précisent de quelle étude de cas l'observation est issue. Chapitre 5 : Études de cas 100
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