Le tableau de bord de gestion et la microfinance pour les femmes( Télécharger le fichier original )par Alaa Benhammida HEC Montréal - M. Sc. Contrôle de gestion 2013 |
Chapitre 5IntroductionSuite à la revue de littérature et au cadre conceptuel, nous pouvons maintenant rentrer dans le vif du sujet et évaluer l'utilisation du tableau de bord sur quelques situations réelles. Nous avons vu que plusieurs modèles de mesure de la performance proposaient des indicateurs pour évaluer les finances et la durabilité des IMF. Toutefois, il semblerait qu'aucun n'ait abordé le sujet à travers un tableau de bord, en y ajoutant une perspective sociale, et en s'intéressant aux IMF dont la stratégie est axée autour des femmes particulièrement. Dans le présent chapitre, nous allons tenter de faire un diagnostic de performance de deux institutions de microfinance, l'une en Inde, l'autre au Maroc, grâce au tableau de bord que nous avons présenté dans le cadre conceptuel. L'objectif est de savoir s'il est possible de formuler une évaluation juste de la performance d'une IMF à travers cet outil. Nous avons retenu ces deux IMF car nous pensons qu'elles peuvent nous aider à comprendre si le tableau de bord permet d'aboutir à un diagnostic fidèle de la réalité. En effet, selon les littératures professionnelles et scientifiques, l'une de ces institutions jouit d'une excellente performance financière et sociale contrairement à la seconde institution, et le tableau de bord que nous vous proposons devrait nous permettre d'aboutir à des conclusions similaires. Le présent chapitre ne traite pas d'une étude de cas à proprement dit, avec une étude terrain et une collecte de données auprès des institutions de microfinance. À partir d'informations financières et comptables collectées de sources secondaires, il s'agit d'évaluer la possibilité de réaliser un diagnostic fiable de la performance de ces institutions à partir de ces mêmes données. Ces dernières ont été principalement recueillies du site Chapitre 5 : Études de cas 65 web du Microfinance eXchange29, précédemment présenté dans la revue de littérature. Le site propose en effet une base de données contenant des indicateurs financiers pour plus de 2000 institutions à travers le monde. Une minorité d'indicateurs, à savoir les indicateurs sociaux de la Bandhan Financial Services30, a été collectée du site web de l'institution. Kaplan (2002) a noté l'importance de comprendre l'environnement sociopolitique et la culture d'entreprise d'une organisation avant de pouvoir en apprécier la performance. Par conséquent, pour chacune des institutions de microfinance, nous ferons une analyse de l'environnement politique et économique du secteur de la microfinance dans le pays ainsi que de l'historique et du fonctionnement de l'institution. Par la suite, nous présenterons le tableau de bord de chacune des institutions sur 3 ans pour voir si ces indicateurs de performance nous permettent d'arriver à des conclusions cohérentes avec la réalité. I. Bandhan Financial ServicesPour l'évaluation de notre outil, nous avons choisi une institution renommée, ayant a priori une bonne performance financière et opérationnelle, et reconnue par ses pairs. Notre choix s'est porté sur la Bandhan Financial Services (Bandhan), classée deuxième institution la plus performante par le magazine Forbes en 200731 et 13ème par l'organisation Microfinance eXchange en 200932. Nous pensons ainsi avoir un modèle d'institution de microfinance performante sur laquelle nous pourrions tester notre outil, et voir s'il permet d'aboutir à une image de la Bandhan similaire à celle que perçoit le marché. 29 Site web de l'organisation http://www.mixmarket.org/ visité le 8 avril 2013. 30 Site web de l'organisation http://www.bandhan.org/ visité le 8 avril 2013. 31 Site web de Forbes, page du classement affiché le 20 juillet 2007, visité le 3 février 2013 http://www.forbes.com/2007/12/20/microfinance-philanthropy-credit-biz-czms1220microfinancetable.html 32 Site web de Microfinance eXchange, page du classement affiché en janvier 2010, visité le 3 février 2013 http://www.themix.org/sites/default/files/2009%20MIX%20Global%20100%20Composite.pdf Chapitre 5 : Études de cas 66 Aussi, comme notre outil porte sur les IMF dont la stratégie est axée autour des femmes, il nous semble important de présenter la situation socioéconomique de la femme dans le pays de l'institution.
Selon le rapport annuel de la Reserve Bank of India (2012), la microfinance en Inde a été développée dans une perspective d'extension du système bancaire, avec l'ambition de 33 Témoignage recueilli dans le rapport de Khambatta et Inderfurth (2012). Chapitre 5 : Études de cas 67 pouvoir intégrer tout le peuple indien dans ce système traditionnel. Depuis lors, les institutions de microfinance ont évolué vers un modèle formel, avec une approche orientée vers le profit. L'industrie a vu se multiplier les IMF à but lucratif enregistrées en tant que non-banking financial company (NBFC). Les NBFC sont des institutions financières offrant des services bancaires, sans être enregistrées en tant que banque. Ces institutions sont traitées différemment puisqu'elles ne sont pas toutes autorisées à accepter des dépôts du public, mais restent régulées par la Reserve Bank of India (RBI)34. La RBI accorde néanmoins cette autorisation à certains IMF sous certaines conditions relativement strictes. En juillet 2010, l'industrie de la microfinance en Inde a connu le premier passage en bourse de la SKS, la plus grosse IMF jusqu'à présent avec un portefeuille de prêts de 1,2 milliards de dollars. Le magazine The Economist (2013) rapporte que l'évaluation de la banque était plus de 13 fois surestimée. Une crise de l'industrie s'en est suivie, et les méthodes de collecte et les taux d'emprunts ont été remis en cause, puisque certaines IMF profitaient principalement aux investisseurs privés (The Economist, 2013; M-CRIL, 2012; RBI, 2012). La situation a été rattrapée par la RBI qui émit une nouvelle règlementation de la microfinance fin 2011 et qui imposa, entre autres, un plafond aux taux de prêts (The Economist, 2013). Certaines IMF ont pu survivre et accroitre leurs activités pendant cette période de crise. Parmi ces IMF, Bandhan a pu continuer à offrir des taux d'intérêts compétitifs grâce à un contrôle serré des coûts opérationnels, en « créant des succursales à une salle contenant à peine plus que des chaises en plastique »35. 3. La microfinance indienne Le secteur de la microfinance en Inde connait deux modèles majeurs : les réplications de la méthodologie de la Grameen Bank, et le Bank-Self-Help Group (Karmakar, 2009). 34 Site de la Reserve Bank of India http://www.rbi.org.in/ visitée le 5 février 2013. 35 Témoignage du PDG de Bandhan, rapporté par The Economist, édition imprimée du 12 janvier 2013. Traduction personnelle. Chapitre 5 : Études de cas 68 Le premier tire son origine de l'autorité de la Grameen Bank comme étant l'une des institutions de microfinance les plus performantes (Seibel et Torres, 1999). Les expériences de réplications du modèle se fondent principalement sur la méthodologie de prêt de groupe dont la réussite doit être évaluée du point de vue « de l'empowerment » (autonomisation) de la clientèle plutôt que de celui du taux de pénétration du marché (Syed, 2009). Avec des structures de financement orientées vers les donations, certaines réplications n'ont pas été à la hauteur des espérances, les taux d'intérêts observés étaient inadéquats et les coûts administratifs exorbitants (Seibel et Torres, 1999). Le second modèle, le Bank-Self-Help Group (BSHG), est chapeauté par des institutions de microfinance et la discipline de la gestion d'un prêt est enseignée à un groupe d'emprunteurs à travers un modèle bien défini. Selon Harper (2002), un groupe d'une vingtaine de personnes provenant d'une classe sociale homogène est constitué. Ces personnes créent un fonds commun à partir des épargnes de chacun, fonds qui leur sera emprunté, tour à tour, moyennant des intérêts qui serviront à faire grossir ledit fond. Une fois que le groupe a assimilé la rigueur du crédit bancaire, des banques formelles sont alors encouragées à fournir des emprunts sans garantie à ce groupe qui s'est constitué un historique de crédit. Les membres décideront alors eux-mêmes des termes du prêt et de la manière dont celui doit être géré entre eux. 4. Bandhan Financial Services36 Bandhan a été créée en 1995, et a commencé ses opérations de microfinance sous sa forme actuelle en 2006 en tant que non banking financial company. À la fin de 2011, l'institution comptait 1 553 succursales, pour 9 309 employés et 3,5 millions de clients, répartis dans 18 états indiens. 36 Toutes les informations de la présente section sont publiques et disponibles sur le site du Microfinance eXchange et sur celui de l'institution, visités le 5 février 2013. L'évaluation de performance étant faite pour la période 2009 à 2011, à défaut d'indication contraire, les données font état de la situation de l'IMF à la fin de l'exercice fiscal terminant le 31 mars 2011.
Certaines activités de développement communautaire visent les jeunes de moins de 18 ans, d'autres activités à caractère éducatif se concentrent sur les enfants de 8 à 14 ans sans discrimination quant au sexe. En ce qui concerne le microcrédit, Bandhan s'est engagée à fournir des services de microfinance à un marché cible exclusivement féminin. Elle fournit des formations de leadership et de gestion financière à sa clientèle pour assurer une bonne utilisation des crédits. Les produits et services ne visent pas seulement la microentreprise, mais s'étendent également à l'entreprise de taille moyenne. Chapitre 5 : Études de cas 70 iv. Produits et services Bandhan semble diversifier son offre de produits et de services puisqu'elle propose notamment des services de transfert bancaire et de marge de crédit par exemple. Aussi, elle propose des prêts non seulement pour le financement d'entreprise, mais aussi pour les soins hospitaliers. En règle générale, le client doit démontrer le potentiel qu'il présente de générer des revenus supplémentaires grâce au prêt. En cas de défaut de paiement ou de prépaiement, aucune pénalité n'est appliquée et les emprunts se font sans hypothèque. Le tableau ci-dessous récapitule les principaux produits financiers offerts par l'IMF37 :
Produits financiers de la Bandhan Financial Services 37 Page web de l'institution http://www.bandhanmf.com/loan.aspx visité le 6 février 2013 Chapitre 5 : Études de cas 71 5. Analyse de performance Après avoir présenté le contexte dans lequel évolue l'IMF, la situation socioéconomique de la femme en Inde, ainsi que le fonctionnement général de l'institution, nous pouvons maintenant nous concentrer sur l'analyse de performance de cette institution à partir du tableau de bord que nous avons introduit dans le cadre conceptuel. La page suivante présente les indicateurs de performance pour Bandhan sur la période 2009 à 2011. Ceux-ci sont présentés par année et par perspective stratégique. Nous rappelons que l'objectif et d'étudier la possibilité d'établir un diagnostic de la performance de l'institution à partir du tableau de bord. Pour rester dans l'esprit de l'outil selon Kaplan et Norton, nous analyserons la performance de l'institution perspective par perspective, du bas vers le haut, en commençant par la perspective innovation et apprentissage, afin de mieux apprécier l'existence de relations de cause-à-effet. Chapitre 5 : Études de cas 72
Tableau de bord pour la Bandhan Financial Services entre 2009 et 2011
Au niveau des opérations, le nombre d'emprunteurs par succursale est demeuré relativement stable avec une moyenne sur la période d'environ 2 150. Les ratios du nombre d'emprunteurs par agent de crédit et du nombre d'agents de crédit par succursale sont eux aussi restés stables avec des moyennes respectives d'environ 525 et de 4 sur la période. Ce constat nous semble très positif étant donné la rapide augmentation du nombre de succursales qui a plus que doublé sur la période, passant de 675 en 2009 à 1 553 en 2011. Bandhan pourrait avoir profité de la croissance du secteur de la microfinance 38 Site de la Banque Mondiale http://data.worldbank.org/ visité le 6 février 2013. 39 La Grameen Bank et Spandana peuvent constituer de bons éléments de comparaison puisque les trois IMF (avec Bandhan) font partie des plus grosses IMF en Inde. Chapitre 5 : Études de cas 74 indienne pour aller toucher un plus grand nombre d'emprunteurs, dont le nombre est passé de 1 450 000 à 3 250 000 sur la même période. Qui plus est, l'institution semblerait investir les moyens nécessaires pour continuer à répondre adéquatement à la clientèle puisque le nombre d'agents de crédit a crû dans les mêmes proportions, en passant de 2700 à 6 200. Au niveau de la qualité du portefeuille, le portefeuille à risque de plus de 30 jours (PAR30) a conservé des valeurs très basses en restant inférieur à 1%. Cela signifie que plus de 99% des clients de Bandhan recouvrent leur emprunt dans les temps. Le coût par emprunt a quant à lui a connu une baisse de 15% de 2009 à 2010, en passant de 7,76$ par emprunt à 6,61$, avant d'augmenter de près de 50% en 2011 pour atteindre 9,73$. Malgré l'augmentation du coût par emprunt, les résultats semblent très encourageant lorsque l'on compare à la compétition. En effet, alors que Spandana est demeurée autour d'une moyenne de 9$ par emprunt sur la même période, les opérations de la Grameen Bank coûtaient 14$ par emprunt. En conclusion, au niveau des processus internes de Bandhan, l'institution semble investir les moyens nécessaires pour répondre à la forte demande en services de microfinance en Inde, puisqu'elle a su doubler le nombre de ses agents de crédits et de ses succursales pour continuer à évoluer au même rythme que le nombre de clients. Qui plus est, le contrôle des dépenses et les procédures de recouvrement ne semblent pas avoir souffert de cette augmentation, puisque Bandhan a su conserver une excellente qualité de portefeuille avec un PAR30 inférieur à 1% sur la période, et un coût par emprunt concurrentiel. Avec l'expansion des activités de la Bandhan, nous posons la question quant à la source du financement ayant permis une telle croissance, puisqu'il nous semble peu probable de pouvoir doubler l'effectif des agents de crédit ou le nombre de succursales sans un emprunt bancaire ou un investissement externe. Nous espérons pouvoir trouver des éléments de réponse dans la suite de notre analyse. Chapitre 5 : Études de cas 75 iii. Perspective client Comme nous l'avons vu dans la section précédente, l'augmentation des ressources opérationnelles (nombre de succursales et d'agents de crédit) semble avoir permis une augmentation significative de l'étendue du champ d'action de l'IMF. Le nombre d'emprunteurs actifs a en effet augmenté de 60% entre 2009 et 2010, et de 41% entre 2010 et 2011, portant le nombre total de 1 450 000 à 3 250 000. Cette augmentation s'aligne parfaitement avec la vision de Bandhan de servir 10 millions de clients à l'horizon 2020. Au niveau de l'emprunt moyen, celui-ci a plus que doublé sur la période, passant de 86$ à 144$ de 2009 à 2010, pour atteindre une moyenne de 173$ en 2011. À titre de comparaison, les emprunts moyens de la Grameen Bank et de Spadana sont passés respectivement de 127$ à 140$, et de 215$ à 155$. Qui plus est, la moyenne des emprunts du secteur de la microfinance en Inde se chiffrait à 144$ en 2010 (Kashyap et Kotoky, 2010). Ces observations apportent plusieurs réflexions au niveau de la stratégie de Bandhan. Tout d'abord, étant donné l'émancipation des activités de l'institution, il est possible que la profondeur du champ d'action (mesurée par l'emprunt moyen) ait été revue à la baisse afin de garantir l'efficience financière de l'institution. En effet, toute chose étant égale par ailleurs, nous pouvons supposer que plus l'emprunt est gros, plus il est rentable pour l'institution car il apporte plus d'intérêts pour les mêmes coûts opérationnels. Néanmoins, une telle constatation ne signifie pas un éloignement de la raison sociale de Bandhan en tant qu'institution de microfinance, puisqu'elle était en-dessous de la moyenne nationale de 144$ et de ses concurrents. Avec une croissance des activités, il fallait trouver un nouvel équilibre entre les coûts opérationnels et les revenus générés des activités, et cet équilibre semble passer par un rééchelonnement de l'emprunt moyen pour Bandhan. Pour passer au dernier indicateur de la perspective client, le rapport entre les dépôts et le portefeuille de prêts est resté relativement stable de 2009 à 2010, mais a chuté de plus de 90% l'année suivante, passant de 17,66% à 1,41% de 2010 à 2011. Cette chute s'explique en partie par l'augmentation rapide du nombre clients dont l'épargne n'a pas augmenté à la même vitesse. Avec un montant total des dépôts passant de 99,7 millions de dollars à 10,3 millions de dollars, il semble y avoir un changement dans l'approche de l'institution vis-à- Chapitre 5 : Études de cas 76 vis du client. Dans Ledgerwood et White (2006), les auteurs expliquent la difficulté pour une IMF de devenir et rester une institution de dépôts. Le statut de la Bandhan en tant que Non Banking Financial Company a certes l'avantage de pouvoir attirer de gros investissements locaux et étrangers, mais il requiert des approbations très strictes de la part de la Reserve Bank of India. Dans une entrevue de l'un des directeurs de la Bandhan40, nous pouvons apprendre la volonté de l'IMF d'obtenir une certification bancaire afin de pouvoir mobiliser les dépôts et épargnes de sa clientèle et ainsi emprunter à des taux plus intéressants. Ce recul dans les dépôts de la clientèle pourrait donc être vu comme provisoire, pour mieux préparer le passage de Bandhan du statut d'IMF à celui de banque certifiée. Pour conclure sur la perspective client, malgré la chute des dépôts de la clientèle en 2011, la direction semble accorder une grande importance à ce service étant donné sa volonté d'obtenir une certification en tant qu'institution financière formelle. Par ailleurs, l'augmentation des ressources opérationnelles a été suivie par une plus grande étendue du champ d'action (augmentation du nombre de clients) et par une diminution de la profondeur du champ d'action (augmentation de l'emprunt moyen). D'un point de vue conceptuel, nous pouvons voir ici les liens de cause-à-effet dont parlent Kaplan et Norton dans la présentation de leur modèle de tableau de bord; l'augmentation du nombre d'agents de crédit et de succursales (perspective Processus internes) ayant permis de toucher un plus grand nombre de clients (perspective Client). A priori, nous pensons que cette augmentation est liée aussi à la diminution de la profondeur du champ d'action pour des raisons de rentabilité, et il serait intéressant de voir si ce constat est confirmé par les indicateurs de rentabilité financière de la perspective Finances. iv. Perspective finances Au niveau des indicateurs de performance financiers, il semble que Bandhan ait pu conserver ses coûts à un niveau raisonnable comme le montre la baisse du ratio des coûts opérationnels sur le portefeuille de prêts de 8,78% à 6,12% pour la période étudiée. L'IMF 40 Article paru le 25 janvier 2013, interview de Chandra Sekhar Ghosh « Bank for the unbanked », site web visité le 8 février 2013 http://www.mydigitalfc.com/news/bank-unbanked-114 Chapitre 5 : Études de cas 77 aurait donc profité d'une certaine économie d'échelle suite à la croissance de ses activités. Les indicateurs de retour sur actifs et d'autosuffisance opérationnelle ont aussi connu une légère baisse mais restent à des niveaux très satisfaisants. En effet, sur les trois années, ceux-ci restent à des niveaux supérieurs à 3,5% et à 150% respectivement. Des ratios de retour sur actifs et d'autosuffisance opérationnelle respectivement supérieurs à 0% et à 100% démontrent la capacité de l'institution à couvrir ses charges d'exploitation par les revenus tirés de sa propre exploitation. Au niveau de la structure de financement, nous avons précédemment posé la question de l'origine du financement de la croissance des activités de Bandhan. Le ratio de la dette sur les fonds propres montre un profond bouleversement dans cette structure, puisque le ratio est passé de 15,4 en 2009 à 6,24 en 2011. Jusqu'en 2009, il semble que Bandhan se soit financée principalement par de la dette, qui représentait plus de 15 fois le montant des fonds propres. Seulement, la diminution observée du ratio de la structure de financement laisse sous entendre un investissement important de la part d'une partie externe (ou un remboursement anticipé de la dette). En retraçant les investissements en capitaux propres dans l'IMF, nous pouvons apprendre que la SIDBI, agence d'investissement gouvernementale indienne, a investi près de 10 millions de dollars en 2009, pour quelques 10,8% des parts; encore plus important, la International Finance Corporation, filiale de la Banque Mondiale, aurait investi à son tour plus de 25 millions de dollars en 2011 pour 11% des parts de l'IMF41. Pour conclure, les résultats financiers de l'IMF nous semblent excellents étant donné la forte croissance des activités de 2009 à 2011. Cette croissance n'aurait pas été possible sans les investissements représentant près de 35 millions de dollars (combinés) de deux agences externes. Au niveau de l'analyse de performance, grâce au tableau de bord, nous avons pu faire le lien entre deux problématiques soulevées plus haut. Nous avons d'abord pu expliquer la source de financement expliquant la croissance des investissements, et soulevée dans la perspective Processus Internes. Ensuite, nous pensons que le maintien de 41 Article web sur The Economic Times, publié le 5 septembre 2011, « IFC picks up close to 11% in MFI Bandhan Financial Services for Rs 135 crore », site du journal http://articles.economictimes.indiatimes.com/ visité le 8 février 2013. Chapitre 5 : Études de cas 78 la rentabilité et de l'efficience opérationnelle de l'institution n'aurait pas pu être aussi intéressant sans l'augmentation de l'emprunt moyen constaté dans la perspective Clients. v. Perspective sociale Comme nous l'avons vu dans la revue de littérature, les IMF peuvent avoir des missions sociales très spécifiques. Nous avons proposé d'évaluer le pourcentage de femmes parmi la clientèle pour la perspective sociale de notre tableau de bord. Toutefois, cet indicateur peut s'avérer très peu informatif comme dans le cas de Bandhan. En effet, l'institution sert une clientèle exclusivement féminine, et il n'est donc pas étonnant de constater des ratios de 100% sur toute la durée de la période étudiée. Par conséquent, nous avons ajouté deux indicateurs de performance sociale parmi les indicateurs de l'institution, qui s'adaptent davantage au contexte de cette IMF : ? Le nombre d'élèves du Bandhan Education Program : Ce programme vise les enfants de 8 à 14 ans vivant dans des régions rurales. L'institution espère pouvoir améliorer l'accès à l'éducation de cette clientèle en finançant la construction et les opérations d'écoles primaires. Sur la période étudiée, Bandhan a pu augmenter son champ d'action de 1 980 à 5 002 au niveau du nombre d'élèves, et de 60 à 167 au niveau du nombre d'écoles. Ce programme a d'ailleurs été récompensé du Skoch Financial Inclusion Award42 en 2012. ? Le nombre de familles du Bandhan Health Program : Lancé en 2007 avec l'association californienne Freedom from Hunger 43 , le programme vise principalement les enfants, les adolescentes et les jeunes femmes. Celui-ci se veut être un moyen d'améliorer les habitudes d'hygiène, d'assurer un accès facile aux services de santé d'organismes gouvernementaux et non gouvernementaux et de réduire les dépenses de santé des familles défavorisées. Depuis son instauration, 42 Selon le site de la HDFC Bank, http://www.hdfcbank.com/ visité le 8 février 2013, le « Skoch Financial Inclusion Awards recognises best practices and achievement in the banking and financial services sector for promoting inclusive growth and poverty alleviation from across urban and rural India. » 43 Site de l'association http://www.freedomfromhunger.org/ visité le 9 février 2013. Chapitre 5 : Études de cas 79 44 Document public disponible sur le site du Microfinance eXchange à l'adresse http://www.mixmarket.org/sites/default/files/gradingreportnovember11.pdf visité le 8 février 2013. Bandhan a pu offrir ses services à 37,500 familles en 2009, et a étendu son champ d'action pour toucher 186,330 familles en 2011. En conclusion, l'IMF s'est donnée deux objectifs sociaux pour améliorer l'accès à l'éducation primaire aux enfants et pour améliorer les conditions sanitaires des enfants et jeunes femmes en milieu rural. Avec un nombre d'enfants et de familles touchés par ces programmes plus de deux fois plus élevé en 2011 qu'en 2009, l'importance qu'accorde Bandhan à ses objectifs sociaux ne semble pas être des moindres. Nous pourrions donc conclure que l'IMF a profité de l'augmentation des opérations et de la stabilité de ses résultats financiers observés plus haut pour étendre encore plus l'étendue sociale de son champ d'action. Néanmoins, nous avons eu accès à peu d'informations financières et statistiques descriptives des activités sociales de la Bandhan. Les indicateurs de la perspective sociale sont tirés directement du site web de l'institution, et nous aimerions souligner une certaine réserve quant l'image très positive que ceux-ci reflètent. vi. Synthèse À travers les cinq perspectives du tableau de bord, nous avons pu établir un diagnostic très positif de la performance financière et sociale de Bandhan Financial Services. Nous avons pu constater une augmentation des opérations de l'institution, augmentation qui a permis de doubler le nombre de ses emprunteurs tout en conservant de très bon résultats financiers. Au niveau social, l'institution semble toucher un plus grand marché grâce à ses programmes d'éducation et de santé. Nous avons néanmoins noté des conditions salariales inférieures à la concurrence et une nette diminution des dépôts de la clientèle. Pour confirmer la fiabilité du diagnostic établi grâce à ces indicateurs de performance, nous avons pu avoir accès au rapport de notation 2011 de l'IMF, établi par l'agence de notation CARE Ratings44. L'agence apporte une note de 2+, égale à la notation de 2010, et qui se réfère à une échelle de 1 à 5, une note de 1 étant la plus élevée, et une note de 5 la plus basse. Outre la note très positive établie par l'agence, nous avons pu constater de Chapitre 5 : Études de cas 80 nombreux points communs entre notre évaluation et le rapport de notation. Ci-dessous quelques commentaires tirés du rapport de notation :
Chapitre 5 : Études de cas 81 o Par l'augmentation de l'emprunt moyen, l'institution a pu soutenir l'efficience opérationnelle et le retour sur l'actif (conformément aux résultats de l'étude de Gonzales et Rosenberg (2006)). ? Au niveau de la perspective financière, les bons résultats financiers de l'institution ont permis de donner plus d'essor aux programmes sociaux de l'institution. Le tableau à la page suivante illustre ces liens présumés de cause-à-effet. Évidemment, ceux-ci dépendent étroitement du choix des indicateurs, mais ils semblent aussi dépendre d'autres facteurs comme le contexte dans lequel évoluent l'institution et la stratégie de la direction. Par exemple, nous avons constaté une augmentation du coût moyen par emprunt et de la moyenne des emprunts. Par conséquent, nous avons suggéré une décision de la direction d'accorder des emprunts plus grands afin d'améliorer la rentabilité de l'institution. Toutefois, l'institution aurait pu décider autrement en augmentant les taux d'intérêts. Par conséquent, avant de pouvoir affirmer l'existence d'un lien de cause-à-effet, nous pensons qu'une étude plus poussée (étude statistique et/ou de terrain) de plusieurs institutions apporterait plus de crédibilité. La pertinence même des indicateurs de performance pourrait dépendre de facteurs comme l'âge de l'institution ou le pays dans lequel elle évolue. Dans la prochaine section nous étudierons l'application de notre tableau de bord sur une IMF marocaine, et nous pourrions peut-être apporter plus d'éclaircissements à ces questions. 82
Liens de cause-à-effet présumés suite à l'étude de cas de la Bandhan Financial Services Chapitre 5 : Études de cas 83 |
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