Analyse sociopolitique de la crise de l'enseignement supérieur au Burkina Faso: Cas de l'université de Ouagadougou( Télécharger le fichier original )par SIDI BARRY Université de Ouagadougou (UO) - DEA Droit Public: Option: Science Politique 2011 |
PARAGRAPHE 2 : REPRÉSENTATION DES ACTEURS SUR LES FRANCHISES UNIVERSITAIRESOn note des divergences dans la lecture et l'appréciation des textes relatifs aux franchises universitaires entre le pouvoir et la communauté universitaire. Ces divergences ont entraîné des modifications et des toilettages des textes relatifs aux franchises universitaires sous le CMRPN en 1981, puis en 1987, en 1997 et enfin en 2000 après la « refondation » de l'université. Un ancien ministre80(*) pour sa part en fait l'analyse suivante : « Les franchises universitaires restent un principe fondamental car l'Université est un centre où se forment des hommes et des femmes à l'approche de la création du savoir et leur vulgarisation. C'est un domaine où la liberté est fondamentale. Mais il faut aussi reconnaitre que cet espace-là est un domaine public que l'Etat doit contrôler à travers des textes clairs de sorte à éviter le désordre. Donc, la question de la violation des franchises universitaires relève d'une divergence d'appréciation de part et d'autre. Pour moi, il ne doit y avoir à l'Université un activisme politique paralysant la maison. Donc, il ya un problème dans l'appréciation de la notion des franchises universitaires. Si quelqu'un veut faire autre chose que celle qui l'a amené sur le campus, cela pose problème. Par exemple, celui qui prend un caillou et brise une vitre et dit que la police n'a pas le droit d'intervenir, cela pose problème». Ce ministre fait surtout référence au chapitre 1 du titre VI de l'arrêté n°2006-009/MESSRS/SG/UO/P portant règlement intérieur de l'université de Ouagadougou qui stipule que « Les membres de la Communauté universitaire s'obligent au respect mutuel. Ils ne doivent en aucun cas porter atteinte aux droits et libertés d'autrui. Pour ce faire, ils veilleront : - à exercer leurs droits et libertés dans les limites qui leur sont imparties ; - à n'obliger personne à s'engager dans une action à laquelle elle ne souscrit pas ; - à bannir l'usage de toute forme de violence sur un ou des membres de la Communauté universitaire ». Cet arrêté qui vise à prémunir les acteurs de tout acte de violence qu'ils viendraient à commettre ou à subir apparait comme un texte légal garantissant la liberté de pensée et d'opinion des universitaires. Par ailleurs, le décret n°97-PRES/PM/MESSRS/DEP portant prévention des troubles à l'ordre public, à la sécurité et à la répression des infractions relatives aux troubles dans les locaux et enceintes universitaires suscite un mécontentement de la part des étudiants. En effet, ce décret stipule clairement que le président de l'Université de Ouagadougou peut faire appel aux forces de l'ordre en cas de trouble à l'Université. A propos de ce décret, l'UGEB lors de son XIXè congrès déclare : «L'intitulé du décret traduit la volonté du pouvoir de la IVè République d'abattre une répression barbare et légale sur les étudiants». Pour un étudiant81(*), « les franchises universitaires sont une bonne chose. Elles doivent être scrupuleusement respectées car elles garantissent la liberté d'opinion, de rassemblement et l'indépendance de l'Université. L'histoire a montré que leur violation par les autorités a toujours provoqué des troubles à l'Université ». Un autre déclare : «La descente régulière des forces de sécurité sur le campus, au lieu de ramener l'ordre et le calme, a toujours entrainé le désordre et la paralysie des activités académiques. Les étudiants ont le droit de manifester leur mécontentement en cas de problème. On ne doit pas les empêcher de le faire car nous sommes dans un Etat de droit. C'est quand les franchises universitaires sont violées que les étudiants entrent en colère et cherchent à tout casser car ils sont violentés et matraqués par les policiers ». En outre, un autre décret divise les autorités de l'Université et les syndicats d'étudiants. Il s'agit du décret n°2000-560 PRES/PM/MESSRS/SECU qui interdit les meetings sur le campus pendant les heures de cours. D'ailleurs, c'est ce texte qui est à la base de la création de la `'très controversée'' Police Spéciale des Universités (PSU). Cette police est autorisée à appréhender «... toute personne qui empêche ou contribue à empêcher le bon fonctionnement, la bonne administration, l'ordre dans les établissements universitaires ou la réalisation des activités académiques et pédagogiques ; ...toute personne qui interrompt ou tente d'interrompre, de quelque manière que ce soit, les activités universitaires ou nuit à la bonne marche de telles activités... ».82(*) Mais un enseignant83(*), visiblement contre cette police, s'interroge : « Comment un syndicat ou un mouvement associatif peut-il organiser une grève, une marche, un sit-in sans interrompre, d'une manière ou d'une autre, les activités académiques ? Il s'agit de marquer les étudiants de près. Quel peut être le rôle de cette police même si l'on parle de sécuriser les étudiants ? Il y a des vigiles sur le campus, mais chaque jour on agresse, on enlève les vélos et les motos des étudiants. Si on installe cette police, c'est pour réprimer les étudiants. On veut installer une bureaucratie répressive sur le campus. La création de cette police là est foncièrement contre l'esprit universitaire. On ne peut pas mettre une armée sur le campus et demander aux intellectuels de réfléchir, de produire. C'est une violation des franchises universitaires». En réalité, l'installation de cette PSU viserait vraisemblablement à contenir l'agitation estudiantine et à réprimer toute velléité de contestation sur le campus. La surveillance policière intensive, voire le désir des autorités de `'militariser'' le campus seraient autant d'indices de la position stratégique du campus et des organisations estudiantines dans les combinaisons sociopolitiques à même d'opérer un changement de régime. En effet, Selon Bianchini (1997): «La faiblesse de la légitimité des autorités politiques sur les campus et le caractère stratégique que revêt le contrôle de cet espace pour ces autorités les ont souvent conduit à développer une gestion policière et militaire de ce espace. De leur côté, les étudiants par leur activisme organisé (réunions, activités culturelles, sportives) tendent à occuper cet espace à leur manière».84(*) En définitive, de nombreux étudiants estiment que la liberté de manifestation et d'opinion est un acquis non négociable. Dans ces conditions, vouloir remettre en cause ces acquis à travers la création d'une police et l'intervention des forces de l'ordre pour empêcher les manifestations sur le campus, c'est de `'la pure provocation''. De l'autre côté, les autorités estiment que les syndicats estudiantins se servent des franchises universitaires pour troubler l'ordre public, perpétrer des actes de vandalisme et contraindre la majorité des étudiants à suivre les mots d'ordres de grèves. De nombreuses crises universitaires naissent suite à la colère des étudiants dispersés au cours d'un meeting ou d'une assemblée générale. Et pour manifester leur mécontentement, ils descendent dans la rue et s'en prennent aux feux tricolores et aux automobilistes. Par exemple, les évènements ayant conduit à l'arrestation et à la condamnation à un mois de prison ferme du président de l'ANEB et cinq de ses camarades en décembre 2002 avaient pour origine l'interdiction de la tenue d'une assemblée générale dans une des salles de cours de l'université au nom du respect des franchises universitaires. Quelques années plus tard, c'est-à-dire en 2008, la relaxe après un procès de plusieurs étudiants proches de l'ANEB avait aussi pour origine la violation de l'interdiction d'organiser un meeting sur le campus. Cet évènement a plongé l'Université dans une grave crise qui a paralysé le déroulement des activités académiques pendant quelques mois. Pour aplanir les divergences entre syndicats et autorités, une relecture consensuelle des textes sur les franchises universitaires s'impose. * 80 Entretien avec Laya SAWADOGO ; ancien Ministre des enseignements secondaire, supérieur et de la recherche scientifique ; le 21/02/2011 * 81 Entretien avec K.J étudiant en 6è année en médecine à l'UFR/SDS; le 28/02/2011. * 82 Article 10 de la PSU, Le Pays du lundi 31 mai 2004, N°3135. * 83 Le Pays du lundi 31 mai 2004, N°3135. * 84 BIANCHINI Pascal, Crises de la scolarisation, mouvements sociaux et reformes des systèmes d'enseignement en Afrique noire : cas du Burkina Faso et du Sénégal (1966-1995), thèse de doctorat, Université, Paris VII, 1997, 395cm, 30cm |
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