L'exigence démocratique en droit international( Télécharger le fichier original )par Zied AYARI Université Jean Moulin Lyon 3 - Master 2 Droit international public 2012 |
Section 2 : Les sanctions contre l'Etat non démocratique:La menace ou l'emploi de la force ont été mis hors la loi par la Charte des Nations Unies (article 2 §4). Il est légitime de se demander si le non respect de l'exigence démocratique en soi exclu l'illicéité de l'usage de la force (§1) on abordera les sanctions communément admis pour sanctionner l'Etat non démocratique(§2) §1. L'usage de la force pro-démocratiqueLa licéité de l'intervention armée pro-démocratique est douteuse (A) On remarque par ailleurs que dans les cas d'Haïti et de Sierra Leone c'est les violationsgraves des droits des gouvernés qui ont le plus poussé le Conseil à intervenir, ce qui se confirme par le principe émergent de la responsabilité de protéger (B) A/ La licéité de l'emploi de la force pro-démocratique ?Pendant la période de guerre froide le Conseil de sécurité était paralysé par les vetos de ses membres permanents. Pour pallier à ce manque certains auteurs ont appelé à une nouvelle interprétation de l'article 2 paragraphe 4 de la Charte des Nations Unies412(*). Michael Reisman affirme à ce titre que l'absence et l'ineffectivité du système de sécurité collective des Nations Unies requièrent la préservation du droit de légitime défense. Cet échec doit aussi permettre de développer un nouveaux principe celui du « self-help » qui consiste en un usage unilatéral de la force d'un Etat ou groupe d'Etat pour garantir la sécurité. La question qui se pose pour lui : « was no longer whether but when self-help was lawful, which meant that the overthrow of despotic governments became a legitimate goal of States seeking to enhance order and further human rights in an essentially anarchic world »413(*). Pour Reisman l'article 2 § 4 de la Charte, impose deux étapes pour savoir si l'usage individuel de la force est légitime : s'il améliore la sécurité et l'ordre international et s'il contribue à renforcer le droit des peuples à déterminer leur statut politique414(*). De ce fait l'intervention armée pour établir ou restaurer la démocratie devient légitime en droit international. Cette thèse a été adoptée par les Etats Unis lors de l'intervention à Grenade en 1983 et au Panama en 1989415(*). A propos de l'intervention au Panama Anthony D'Amato déclara qu'elle ne constituait pas un usage illicite de la force parce que : « the United States did not intend to, and has not, colonialized, annexed or incorporated Panama »416(*). La majorité de la doctrine est en désaccord avec ce postulat. En effet, le seul cas licite d'usage individuel de la force est le « droit naturel d légitime défense » tel que prévu par l'article 51 de la Charte. Or ce droit nécessite pour l'invoquer que l'Etat ait subie une agression armée et qu'il informe le Conseil de sécurité des mesures qu'il a entrepris dans l'exercice de la légitime défense pour que ce dernier exerce son droit et son devoir de garantir la paix et la sécurité internationales. La CIJà l' occasion de l'affaire des activités militaires au Nicaragua de 1986 à confirmer l'inexistence d'un tel droit d'intervention : « La Cour doit examiner s'il n'existerait pas des signes d'une pratique dénotant la croyance en une sorte de droit général qui autoriserait les Etats à intervenir, directement ou non, avec ou sans force armée, pour appuyer l'opposition interne d'un autre Etat, dont la cause paraîtrait particulièrement digne en raison des valeurs politiques et morales avec lesquelles elle s'identifierait. L'apparition d'un tel droit général supposerait une modification fondamentale du droit international coutumier relatif au principe de non-intervention (...) La Cour constate par conséquent que le droit international contemporain ne prévoit aucun droit général d'intervention de ce genre en faveur de l'opposition existant dans un autre Etat. Sa conclusion sera quelles actes constituant une violation du principe coutumier de non-intervention qui impliquent, sous une forme directe ou indirecte, l'emploi de la force dans les relations internationales, constitueront aussi une violation du principe interdisant celui-ci »417(*). En effet, les interventions des Etats Unis à Grenade et au Panama ont été fortement critiquées. L'intervention en Iraq aussi en 2003 qui soutenait entre autre la libération du peuple irakien n'a eu qu'une faible adhésion de la part des Etats. On rejoint le Professeur Slim Laghmani dans son affirmation sur les interventions unilatérales pour établir la démocratie : « Nous sommes là, en vérité, aux confins du droit et déjà dans le domaine de la morale ou de la doctrine classique de la « guerre juste ». L'argument avancé vise, en effet, plus à légitimer la guerre qu'à la fonder en droit, or, l'apport du droit international contemporain est d'avoir réduit la notion de guerre juste à celle de guerre légale. Le droit international ne consacre aucun droit à l'ingérence démocratique et encore moins un droit à la guerre pour ce motif »418(*). Force est néanmoins de constater que les interventions approuvés par le gouvernement démocratiquement élu qu'on entendait rétablir et auquel on reconnaissait le pouvoir d'exprimer internationalement la volonté de l'Etat, sont dans ce cas licites. Sauf que la légalité de l'intervention résulte de l'accord du gouvernement légal et non pas de l'objet de l'intervention. Outre le cas de légitime défense, Seul le Conseil de sécurité peut décider d'user de la force dans le cadre du Chapitre VII de la Charte. Pour décider des mesures coercitives, dont l'emploi de la force contre un Etat, il doit qualifier la situation de menace contre la paix de rupture de la paix ou d'acte d'agression. L'intervention en Haïti en 1994 et en Sierra Leone en 1997 (supra) constituent ils des précédents d'une nouvelle pratique du Conseil visant à décider l'emploi de la force pour rétablir la démocratie en cas de changements inconstitutionnels de régime ? En d'autres termes, est ce qu'il y a eu un élargissement des situations permettant le Conseil de prendre des mesures coercitives autre que celles prévues dans l'article 39 de la Charte qui inclut l'atteinte à la démocratie ? Certains auteurs ont soutenu cette évolution considérant que les fondements juridiques d'interventions internationales coercitives sur la base du chapitre VII de la Charte des Nations Unies ont pris en compte un élargissement de la notion de menace contre la paix, englobant les violations des droits de l'homme etde la démocratie dans une certaine mesure419(*). En ce qui concerne l'intervention en Haïti, même si le coup d'Etat a entrainé les condamnations et l'adoption de la résolution 940 (1994) qui a autorisé l'emploi de la Force pour rétablir le gouvernement démocratiquement élu de Jean-Bertrand Aristide. Il faut noter tout de même, que ce texte n'a pas reçu l'adhésion de tous les membres du Conseil. Le représentant cubain a vigoureusement critiqué la décision d'intervenir en Haïti et le représentant chinois qui s'est abstenu lors du vote, a signalé que le projet de la résolution 940420(*) pouvait créer un « précèdent dangereux »421(*). De plus le texte de la résolution qualifié d'ambigu prévoyait : « Le Conseil de sécurité, (...) Constatant que la situation en Haïti continue de menacer la paix et la sécurité dans la région, (...)Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, autorise des États Membres à constituer une force multinationale placée sous un commandement et un contrôle unifiés et à utiliser dans ce cadre tous les moyens nécessaires pour faciliter le départ d'Haïti des dirigeants militaires » Cela confirme que sur le plan juridique il ne s'agit point d'un usage de la force pro-démocratique mais d'une action fondée sur un constat c'est en qualifiant la situation de menace contre la paix que le Conseil de sécurité a autorisé l'emploi de la Force. Même si pour certains le fondement réel de l'intervention en Haiti est la légitimité démocratique et que la menace contre la paix n'est qu'un fondement artificiel de la résolution 940, destinée à garantir que le Conseil n'a pas dépassé ses compétences. On ne peut adopter ce postulat, puisque la notion de menace contre la paix n'est nullement définie pour qu'on puisse conclure qu'elle ne constitue pas le fondement réel de la résolution. Le professeur Jean Combacau déclara que : « Une menace pour la paix au sens de l'article 39 est une situation dont l'organe compétent pour déclencher une action de sanction déclare qu'elle menace effectivement la paix »422(*). Cette définition volontairement circulaire et tautologique met l'accent sur le pouvoir discrétionnaire du Conseil dans ses qualifications des situations de menace à la paix. De plus, la pratique du Conseil est tellement variable et inconstante qu'on ne peut parler de précédents. Par ailleurs, l'intervention en Haïti a été sollicitée par le gouvernement légal d'Aristide. S'agissant de l'intervention en Sierra Leone en 1997, après la rupture de l'accord de paix signé le 23 octobre 1997 à Conakry entre le commandant Koroma, alors au pouvoir, et la CEDEAO, cette dernière décide de renforcer l'ECOMOG avec de nouveaux contingents qui pénètrent en territoire sierra-léonais en février 1998. L'accord de paix prévoyait déjà une présence de l'ECOMOG pour superviser le respect du cessez-le-feu établi, pour le désarmement, la démobilisation et la réintégration des combattants ainsi que pour surveiller l'assistance humanitaire. Toutefois, cette intervention a eu lieu sans autorisation aucune de la part du Conseil de sécurité contrairement aux dispositions de l'article 53 : « aucune action coercitive ne sera entreprise en vertu d'accords régionaux ou par des organismes régionaux sans l'autorisation du Conseil de sécurité ». D'une part, l'intervention a été défendue en considérant que l'autorisation avait déjà été donnée dans la résolution 1132 qui autorisait la CEDEAO à appliquer une mesure coercitive, la mise en oeuvre de l'embargo et, d'autre part, la CEDEAO a affirmé qu'il s'agissait d'une opération de maintien de la paix rentrant dans le cadre du règlement pacifique des différends et donc de l'article 52 de la Charte. Si la force régionale agit en vertu de l'article 52, l'autorisation du Conseil de sécurité n'est plus nécessaire, la seule obligation étant celle d'informer le Conseil de sécurité "de toute action entreprise ou envisagée", comme disposé à l'article 54 de la Charte423(*). Ces arguments ne sont pas convaincants pour conclure que l'emploi de la Force par la CEDEAO était licite. Mais l'attitude du Conseil de sécurité dans cette affaire suggère qu'une autorisation ultérieure a été considérée comme susceptible d'effacer l'irrégularité des mesures décrétées par l'organisme régional424(*). L'emploi de la force dans les relations internationales est du ressort exclusif du Conseil de sécurité. Les changements inconstitutionnels de gouvernement peuvent être qualifiés de menace contre la paix par le Conseil. On est-il de même s'il y a défaut de démocratie et que les autorités d'un Etat violent systématiquement les droits humains de leurs propres citoyens ? Les Etats ont il aussi une responsabilité de protéger en cas d'inaction du Conseil ? * 412 REISMAN (W M), « Coercion and Self-Determination: Construing Charter Art. 2 (4) », AJIL, n° 78, 1984, p. 642. * 413 BEYERS (M), CHESTERMAN (S), « «You, the People»: pro-democratic intervention in international law », in Democratic Governance and International Law,op cit.,p. 262. * 414Ibid., p. 263 * 415Ibid., pp. 271-279. * 416 D'AMATO (A), op cit., p. 520. * 417 CIJ, Recueil 1986, pp. 108-110. * 418LAGHMANI (S), « La volonté des Etats est-elle encore au fondement du droit international ? », op cit., p. 273. * 419 HUET (V), « L'Autonomie constitutionnelle de l'Etat : déclin ou renouveau ? », op cit., p. 65. * 420 CS Res. 940 (1994), 31 juillet 1994. * 421 Voir Sicilianos livre p. 195 * 422 COMBACAU (J), « Le pouvoir de sanction de l'ONU - Etude théorique de la coercition non militaire », Pedone, Paris, 1974, p. 10. * 423LLOPIS (A P), « La Sierra Leone ou le renouveau des opérations de paix »?, in Actualité et droit international, février 2001, http://www.ridi.org/adi/200102a2.htm * 424SICILIANOS (L-A), « L'ONU et la démocratisation de l'Etat : systèmes régionaux et ordre universel », op cit., p. 213. |
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