L'exigence démocratique en droit international( Télécharger le fichier original )par Zied AYARI Université Jean Moulin Lyon 3 - Master 2 Droit international public 2012 |
§2. La responsabilité de l'Etat pour défaut de démocratie ?Il s'agit de savoir, si aujourd'hui un Etat qui ne met pas en place un régime démocratique ou qui ne respecte pas les principes démocratiques commet-il un fait internationalement illicite et par la même engage t-il sa responsabilité internationale ? Cette question est intimement liée à celle de savoir s'il y a une obligation d'avoir un régime démocratique pour les Etats. Dans le sens, que si on conclu qu'il y a une exigence démocratique, le défaut ou le non respect de la démocratie constituent une violation d'une règle de droit international et engage d'une manière automatique, la responsabilité de l'Etat. Mis à part, les cas où il y a un engagement conventionnel (Les organisations régionales ou la Communauté des démocraties) qui prévoit la responsabilité de l'Etat, affirmer que l'absence de démocratie est un fait générateur de la responsabilité de l'Etat n'est pas encore confirmée (A) même si une évolution en la matière n'est pas à écarter (B). A/ L'ambivalence de la responsabilité de l'Etat pour défaut de démocratieComme on l'a déjà souligné le droit de la responsabilité internationale fait à ce jour l'objet de plusieurs controverses. Mis à part quelques règles qui sont contenues dans des conventions spéciales398(*), le régime général de responsabilité est de nature coutumière. Certes, la coutume est encore une source dynamique du droit international, mais la portée de ses règles est souvent mal définie. C'est ce qui explique en général l'importance de l'entreprise de codification en droit international. La Conférence de Genève de 1930 a montré les difficultés inhérentes à la codification du droit de la responsabilité internationale, elle n'a pas abouti à l'adoption d'une convention sur la responsabilité internationale en raison du désaccord entre les Etats. Dés 1955, la CDI a entrepris la codification d'un régime de la responsabilité internationale, qui n'a aboutit qu'en 1996 à un projet d'articles. Ce projet a été fortement critiqué et n'a pas été adopté par les Etats. Le projet final a été adopté à la 53e session de la CDI en 2001. L'AG a pris note de ce projet dans sa résolution 56/83 du 12 décembre 2001. L'une des premières raisons d'absence d'un consensus relatif à la responsabilité internationale est qu'elle est engagé pour fait internationalement illicite de l'Etat et non pas à l'obligation de réparer un préjudice comme c'était le cas en droit international classique. En d'autres termes, l'Etat engage sa responsabilité pour manquement à une obligation internationale indépendamment de tout préjudice qui pourrait en avoir résulté pour un autre Etat. Concrètement cette notion ne produit que des conséquences très limitées (sauf dans des cadres régionaux où il y a un système de juridiction obligatoire). En effet la responsabilité de l'Etat pour fait internationalement illicite ne produit « d'effets concrets que dans les rares hypothèses où les intérêts en cause concerne la Communauté internationale dans son ensemble. Il s'agit là d'un autre sujet de controverse aussi bien, entre les Etats que la doctrine c'est la distinction faite par la CDI dans le projet de 1996 entre crimes internationaux et délits internationaux. Onsoutient que les violations des obligations ayant le caractère de normes impératives de droit international (jus cogens) constituent, à cause de leur gravité, des « crimes internationaux » et que la responsabilité qui en découle doit s'encadrer dans un régime plus sévère, adéquatà la gravité du fait illicite. On parle à ce propos de «sanctionsinternationales »qu'il faut appliquer aux crimes internationaux et qui ont une fonction à la fois préventive et punitive (alors que la responsabilité pour les violations des autres obligations internationales se limite à l'obligation de réparer) et on prévoit en outre queles sanctions soient appliquées non seulement par l'Etat immédiatement lésé, par la victime directe de la violation, mais encore par d'autres Etats, étant donné que tout Etat a intérêt à ce que soient respectées les obligations envers la communauté internationale, et enfin par des organisations internationales, en particulier par lesNations Unies qui seraient même obligées de les appliquer399(*). Cette distinction est l'une des principales causes de l'échec de l'adoption des projets d'articles de la CDI en 1996400(*). Dans son projet de 2001, la CDI n'a pas retenu le régime de responsabilité aggravé pour les crimes internationaux, mais a tout de même gardé la distinction des deux types de responsabilité selon que la norme violée soit impérative ou non (article 40 et 41). Le principal apport dans le maintien de cette distinction consiste dans l'intérêt à agir. En effet, un Etat qui n'est pas directement lésé par un comportement d'un autre Etat, peut invoquer sa responsabilité si « L'obligation violée est due à la communauté internationale dans son ensemble ». (Article 48 paragraphe 1 b). Cette différence de régime de responsabilité pour violation des règles diapositives ou des règles impératives ne rentre pas dans le cadre du développement progressif du droit international, partie intégrante de l'oeuvre de codification. La CDI s'est contenté de reprendre ce qui a été déjà prévu par la CIJ à l'issue de l'affaire de la Barcelona Traction du 5 février 1970. Dans cette affaire la Cour a affirmé : «Une distinction essentielle doit ... être établie entre les obligations des Etats envers la communauté international dans son ensemble et celles qui naissent vis-à-vis d'un autre Etat dans le cadre de la protection diplomatique. Par leur nature même, les premières concernent tous les Etats. Vu l'importance des droits en cause, tous les Etats peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés; les obligations dont il s'agit sont des obligations erga omnes. Ces obligations découlent par exemple, dans le droit international contemporain, de la mise hors la loi des actes d'agression et du génocide mais aussi des principes et des règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine, y compris la protection contre lapratique de l'esclavage et la discrimination raciale. Certains droits de protection correspondants se sont intégrés au droit international général...; d'autres sont conférés par des instruments internationaux de caractère universel ou quasi universel »401(*). Malgré que la notion d'obligation erga omnes est encore critiquée par certains auteurs402(*) elle est généralement saluée par la majorité de la doctrine et admise par la jurisprudence internationale. Reste à savoir si l'exigence démocratique est une norme impérative de droit international et de ce fait l'absence de démocratie et de nature à engager la responsabilité de l'Etat et à permettre une actio popularis à son encontre ? La réponse par la négative s'impose. En effet, dans l'état actuel du droit international une norme, qui est encore mal assurée dans ses fondements et contestée par une partie de la doctrine dans sa positivité ne peut avoir la qualité de jus cogens. Toutefois certaines règles qui caractérisent un régime démocratique peuvent être qualifié de norme impérative de droit international, il s'agit de certains droits politiques des individus : droit à des élections libres et honnêtes, liberté d'expression (...).La CDI a déclaré à propos de l'article 25 du PIDCP (relatif aux élections), qu'il contient une obligation due : « envers un groupe d'Etats et qui est établie aux fins de la protection d'un intérêt collectif »403(*). Il semblerait que l'article 25 contient des obligations erga omnes. Cela implique que sa violation par un Etat partie au Pacte ne lèse pas les autres Etats parties mais leur conféré le droit d'invoquer la responsabilité. Sauf que le problème devient plus épineux quand il s'agit de qualifier les violations des principes démocratiques. Un bon nombre d'Etat adopte une démocratie de façade. Presque tous les Etats organisent des élections mais les systèmes électoraux sont très divers404(*). Ils ne permettent pas tous de tenir des élections libres et honnêtes. L'Etat est libre d'adopter les modalités qu'il juge nécessaire pour organiser son processus électoral et les standards internationaux en matière d'élections ne sont pas obligatoires en droit international général. De plus, l'assistance électorale de l'ONU ou le déploiement d'observateurs internationaux. Idem pour le multipartisme ou la liberté d'expression. Plusieurs Etats subordonnent l'autorisation de constituer un parti politique ou un journal, chaine de radio qu'à condition que les auteurs de l'initiative soient acquis au pouvoir. L'appareil étatique peut se trouver instrumentalisé à des fins partisanes. Par exemple, le fait d'user de l'administration des impôts pour entraver tout soutien à des partis ou associations de société civile qui s'opposerait aux dirigeants politiques. Dans ce cas de figure, et en l'absence d'autorité dans l'ordre international apte à qualifier objectivement les situations, les condamnations et les sanctions prononcées par les Etats peuvent être considérées comme une ingérence dans les affaires internes de l'Etat objet de ces mesures. C'est ce qui explique en partie, la coexistence et la coopération à ce jour avec les Etats non démocratiques. On aperçoit cependant, depuis quelques temps les prémisses d'une certaine évolution dans l'invocation de la responsabilité de l'Etat pour défaut de démocratie. * 398 Convention sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par les objets spatiaux du 29 mars 1972. Convention de Montréal sur l'unification de certaines règles du transport aérien du 28 mai 1999 qui, prévoit quelques règles de responsabilité en matière de transport aérien (...) * 399STARACE (V), « La responsabilité résultant de la violation des obligations à l'égard de la communauté internationale », RCADI, 1976, vol. 153, pp. 263-318, p. 289. * 400 PELLET (A), « Les articles de la C.D.I sur la responsabilité de l'Etat pour fait internationalement illicite, suite et fin », AFDI, 2002, pp.1-23. * 401Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32. * 402WEIL (P), « Vers une normativité relative en droit international », RGDIP, 1982. * 403 Commentaire de l'article 48, rapport de la CDI, 53e session, A/56/10, Supp. n° 10, p. 345. * 404D'ASPREMONT (J), « L'Etat non démocratique en droit international - Etude critique du droit international positif et de la pratique contemporaine », op cit |
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