L'exigence démocratique en droit international( Télécharger le fichier original )par Zied AYARI Université Jean Moulin Lyon 3 - Master 2 Droit international public 2012 |
B/ L'émergence d'une opinio jurisLa coutume est une source non écrite de droit. Elle a précédé le droit écrit et a régi les rapports dans des différentes sociétés. Le droit international ne fait pas l'exception, le jus gentium était essentiellement un droit coutumier. Tandis, que la coutume a perdu sa place en droit interne, elle a gardé sa dynamique en droit international, c'est ce qui pousse certains auteurs à qualifier le droit international de « primitif ». L'article 38 de la CIJ cite la coutume parmi les sources du droit international: « La coutume internationale comme preuve d'une pratique générale acceptée comme étant le droit ». La coutume ne constitue une source formelle de droit international qu'à la réunion de deux éléments : le premier dit matériel qui consiste en une « pratique constante et uniforme »276(*) des sujets du droit international (Etats principalement mais organisations internationales aussi277(*)). Le deuxième dit psychologique il consiste en « L'opinio juris sive necessitatis ». La traduction littérale de cette expression latine signifie « la croyance de droit ou de nécessité ». De prima abord, on ne peut soutenir l'existence d'une règle coutumière générale, qui obligerait les Etats à avoir un régime démocratique. Il n'y point de pratique constante et uniforme relative à l'exigence démocratique. Faute de temps tout d'abord, la référence à la démocratie sur le plan universel n'a connu un véritable essor que depuis une vingtaine d'années et les comportements ne sont pas si concordants pour constituer des précédents. Toutefois, comme l'a soulevé déjà le Professeur René-Jean Dupuy : «Certes il existe des coutumes sages qui sont lentement dégagées des fait immémoriaux, établis sur une tradition mentale, mais on voit aussi récemment, des coutumes sauvages dont l'excroissance soudaine puise sa racine plus dans les volontés alertées que dans des esprits assoupis par une longue habitude »278(*). Ce nouveau processus de formation des règles coutumières vise à inverser les deux éléments de la coutume. Ainsi les rapports internes à la structure de la coutume se trouvent altérés au profit de l'élément psychologique ou volontaire. « la répétition diluée sur une longue histoire ; elle se trouve remplacée par une fréquence concomitante, du fait des Etats intéressés adoptant un comportement conjoint dans une période relativement ramassé »279(*). Par conséquent, l'élément psychologique trouve une place centrale dans l'émergence des règles coutumières. Sauf que délimiter les contours de cette notion n'est pas chose facile. En effet, même si l'élément matériel soulève des problèmes, dans le sens de savoir quelle est la nature des comportements susceptibles de constituer des précédents. Ces précédents dans quelles intervalles de temps et selon quelle fréquence doivent se répétés pour constituer une pratique constante et uniforme ? C'est l'opinio juris qui a le plus divisé la doctrine et a donné lieu à des vifs débats. L'opinio juris est définie comme « la désignation traditionnelle de la conviction des Etats qu'en adoptant de façon suffisamment constante et uniforme un certain comportement, ils se conforment à une règle de droit international coutumier. Cet élément est dit « psychologique » ou « subjectif » en contraste avec l'élément dit « matériel » (la pratique) auquel il est étroitement lié dans le processus de formation d'une coutume internationale »280(*). Cette une définition empirique, qui nous ne dévoile pas la nature « de cette conviction de se conformer à une règle de droit ». Mis à part quelques auteurs, qui nie la pertinence de l'opinio juris, comme Hans Kelsen qui, considère que cette notion a un caractère tautologique. Pour Kelsendire qu'un Etat se conforme à son opinio juris reviendrait à affirmer qu'il respecte le droit parce que c'est le droit281(*) ; la majorité de la doctrine admet son existence tout en divergeant sur sa nature. Effectivement, si on supprime la notion de l'opinio juris, on voit mal comment distinguer une règle coutumière d'un simple usage non obligatoire. Il y a deux approches principales qui a conduit à deux thèses antagonistes relatives à la formation de la coutume, il y a la théorie de l'accord tacite282(*), qui soutient que la règle coutumière n'est opposable à l'Etat que s'il a contribué à sa formation ou l'a accepté ultérieurement les principaux auteurs de cette tendance sont Triepel avec la théorie de Vereinbarung et Charles Chaumont en France. Et il y a la théorie de la formation spontanée du droit coutumier, dont les principaux auteurs sont Roberto Ago et Mario Giuliano. Cette doctrine se fonde sur le constat fondamental, que le droit est un phénomène éminemment subjectif, en ce sens qu'il vit dans l'esprit humain et ne peut exister que dans la conscience des sujets. Ainsi ne peuvent être qualifiées de juridiques que les règles ressenties comme telles, à une époque donnée, par la généralité des sujets de l'ordre juridique considéré283(*). Sans soutenir une thèse particulière on essaiera de mesurer l'existence d'une opinio juris relativeà l'exigence démocratique dans une optique volontariste et dans une optique objectiviste. Concernant, le volontarisme même l'arrêt référence sur lequel se base généralement ce courant de pensée : l'arrêt Lotus ne prévoit pas que les règles coutumières doivent être acceptées à l'unanimité, et par les Etats en litige en particulier, pour que la Cour puisse les appliquer. En effet, le fameux dictum de la CPJI, dont « les auteurs qui se réclament du positivisme volontariste font leurs choux gras »284(*) prévoit que : « Le droit international régit les rapports entre Etats indépendants. Les règles de droit liant les Etats procèdent donc de la volonté de ceux-ci, volonté manifestée dans des conventions ou dans des usages acceptés généralement comme consacrant des principes de droit et établis en vue de régler la coexistence de ces communautés indépendantes ou en vue de la poursuite de buts communs »285(*). Ainsi, le nombre important d'Etats ayant souscrit un engagement démocratique, que ce soit sur le plan régional ou universel (supra), nous permet de soutenir l'apparition d'une opinio juris favorable à la démocratie. De plus, la notion du persistent objecteur ne fait que confirmer le postulat selon lequel il n'est pas nécessaire d'exiger une acceptation de tous les Etats pour qu'une nouvelle norme coutumière leur soit opposable286(*). Le persistent objecteur est l'Etat qui s'oppose, d'une manière expresse et fréquente, à être lié par une règle coutumière émergente. S'agissant de l'exigence démocratique, rare sont les Etats qui objectent ou s'opposent expressément aux principes démocratiques. A titre d'exemple au 23 juillet 2012, il y a 167 Etats parties au PIDCP. Aucun Etat partie n'a formulé de réserve excluant l'exigence de tenir des élections libres et honnêtes contenue à l'article 25. Certains Etats ont néanmoins exclu l'application de certaines des ses modalités comme le caractère universel du suffrage (réserve du Koweït) ou le caractère secret du scrutin (réserve de la Suisse). On peut douter que ces réserves puissent être tenues pour pleinement valides287(*) parce qu''il ne saurait y avoir d'élections proprement démocratiques sans suffrage universel ou sans scrutin secret. Sans rejoindre complètement la doctrine du droit spontané en présentant l'opinio juris comme une réception purement passive et relevant ainsi du seul domaine de la conscience, ou de la connaissance - de ce que une règle donnée a surgi., l'opinio juris peut résulter d'une multitude de facteurs : juridiques et extra juridiques conditionnés par l'environnement social : la morale, l'éthique et les différents intérêts en présence, qui influent sur le comportement des Etats. La répétition de ces comportements, si elle aboutit à un sentiment de se conformer à une règle, marque l'acte de naissance de la règle coutumière. En ce qui concerne l'apparition des facteurs conduisant à l'émergence d'une opinio juris relative à l'exigence démocratique, susceptibles d'influer sur le comportement des Etats, ils sont bel et bien existants. D'abord l'environnement social n'a jamais été aussi favorable à la démocratie. Elle constitue une valeur ancrée dans les pays occidentaux, un attachement solide des démocraties nouvelles ou rétablies et une aspiration pour les peuples soumis à l'autoritarisme. La diplomatie normative exercée par les différentes organisations internationales (supra) est un facteur déterminent dans la formation d'une opinio juris. Comme l'a affirmé le Professeur Alain Pellet à propos des Nations Unies : « elles ont puissamment contribué à la formation de normes nouvelles par la répétition obstinée de recommandations qui ont été à l'origine de règles coutumières, la volonté «molle» qui y est exprimée se trouvant «durcie» par l'alchimie mystérieuse du processus coutumier »288(*). A ce titre on citera le cas syrien, en effet le gouvernement de cette Etat, qui loin d'être un gouvernement démocratique, face à la révolte du peuple syrien, et la réaction d'une grande partie de la communauté internationale, conteste plus l'ingérence des Etats occidentaux, que l'exigence démocratique. En effet, il a adopté une nouvelle loi électorale en Aout 2011, a soumis au referendum le 26 février 2012 une nouvelle constitution qui inclut le multipartisme et a organisé des élections législatives anticipées le 7 mai 2012. Même, si ces mesures sont critiquables dans le sens qu'elle ne traduise pas une véritable volonté d'établir une démocratie, elle confirme l'influence d'une opinio juris démocratique. Comme l'a déclaré la CIJ dans l'affaire des activités militaires : « Si un Etat agit d'une manière apparemment inconciliable avec une règle reconnue, mais défend sa conduite en invoquant des exceptionsou justifications contenues dans la règle elle-même, il en résulte uneconfirmation plutôt qu'un affaiblissement de la règle, et cela que l'attitudede cet Etat puisse ou non se justifier en fait sur cette base. »289(*) * 276 CIJ affaire du droit d'asile 1950 . p. 277 et CIJ affaire du droit de passage en territoire indien 1960, p. 40 * 277 Affaire de la Namibie 1971, p. 22 (dallier p. 357) * 278DUPUY (R-J), « Coutume sage et coutume sauvage », Mélanges offerts à Charles Rousseau - La communauté internationale, Paris, Pedone, 1974, p. 76. * 279Ibid., p. 84. * 280Dictionnaire de droit international public, op cit., p. 781. * 281 Cité par BUZZINI(G-P) op cit., p. 11-12. * 282DALLIER (P), FORTEAU (M), PELLET (A), op cit., p. 354. * 283 Buzzini (G-P) op cit., * 284PELLET (A), « Lotus que de sottises on profère en ton nom ! Remarque sur le concept de souveraineté dans la jurisprudence de la Cour Mondiale », in L'Etat souverain dans le monde d'aujourd'hui, Mélanges en l'honneur de Jean-Pierre PUISSOCHET, Paris, Pedone, février 2008 p. 217 * 285 CPJI, Affaire du Lotus,arrêt de 1927, série A, n° 10, p. 18. * 286Dupuy (P-M), A propos de l'opposabilité de la coutume générale: enquête brève sur l'»objecteur persistant» , in Le droit international au service de la paix, de la justice et du développement. Mélanges Michel Virally, 1991, p. 257 * 287 D'ASPREMONT (J), « l'Etat non démocratique en droit international », op cit., p. 268. * 288 PELLET (A), « La formation du droit international dans le cadre des Nations Unies », EJIL, vol 6 n°3, 1995 p. 404. * 289CIJ, Recueil, 1986, p. 98, § 136. |
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