III. Institutionnalisation de la gestion des
déchets ménagers
Le déchet passe ainsi d'une valeur positive (prix pour
l'acquérir) à une valeur négative (prix pour s'en
débarrasser), d'un état transitoire (en attente de valorisation)
à un état définitif d'inutilité, de destitution.
Dans ce mouvement, les grandes villes françaises commencent à
s'organiser pour prendre en charge l'évacuation et l'élimination
de leurs ordures à travers de nouveaux procédés techniques
tels que la mise en décharge et l'incinération. Mais ce nouveau
service peinera à s'étendre à l'ensemble des villes
françaises et, surtout, aux campagnes, les contribuables étant
hostiles au paiement d'une taxe finançant l'enlèvement de leurs
ordures. Alors que les Trente Glorieuses voient la consommation exploser et,
corrélativement, les flux de déchets augmenter
considérablement, il faudra attendre les années 1980,
c'est-à-dire quelques années après la première loi
sur les déchets datant de 1975 et obligeant désormais les
communes à mettre en place une collecte et une élimination des
ordures ménagères, pour que l'ensemble du territoire
français soit desservi au niveau du service de gestion des
déchets ménagers. Cette mesure possède un double objectif
: d'un part, assurer la salubrité au sein de tout l'espace national ;
d'autre part, favoriser l'émergence et la consolidation d'un
marché de l'environnement français compétitif sur le plan
international à travers la constitution de grands groupes industriels
tels que Sita, Veolia, Saur, ou encore Nicollin.
Cependant, les solutions techniques privilégiées
par les collectivités tendent à minimiser les coûts du
service public d'élimination des déchets afin de ne pas subir la
fronde de leurs contribuables peu enclins à financer ce genre de
service52. Ainsi, le recyclage est presque absent de la politique
française de gestion des déchets ménagers jusqu'à
ce que la directive européenne n° 91-158 du 18 mars 1991
prévoie des objectifs dans ce domaine. Afin de ne pas supporter les
contraintes du modèle de recyclage allemand qui impose une prise en
charge directe des emballages par le producteur via un système de
consignes, les industriels français se fédèrent autour
d'Antoine Riboud pour créer un organisme qui aurait en charge de
percevoir des contributions des producteurs afin d'aider les
collectivités locales dans la mise en place d'une collecte
sélective. Il s'agit d'Eco-Emballages qui voit le jour en 1992 avec pour
objectif de parvenir à valoriser au moins 75 %, en masse, des
déchets d'emballages ménagers à l'horizon 2002. La loi
n° 92-646 du 13 juillet 1992 stipule également qu'à compter
du 1er juillet 2002 les décharges ne seront autorisées
à accueillir que des déchets ultimes, bien que la
définition de la notion de déchet ultime prête encore
parfois à confusion. Néanmoins, le
52 S'il paraît normal à l'usager de
payer pour acquérir un bien matériel, il lui est beaucoup plus
difficile d'admettre de payer pour s'en débarrasser.
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recyclage n'est pas encore consacré puisque le terme
« valorisation » comprend à la fois la valorisation
matière (recyclage, compostage) et la valorisation
énergétique (incinération avec récupération
d'énergie). Or, au cours des années 1990, l'incinération
fait l'objet d'un désaveu croissant car l'opinion publique,
alertée par des études épidémiologiques,
s'aperçoit que les fumées chargées en dioxines sont
très polluantes et ont des effets néfastes sur la santé
humaine et les milieux naturels. Ceci encourage l'Union Européenne
à légiférer en 2000 par le biais d'une directive
européenne fixant de nouvelles normes aux unités
d'incinération, notamment en ce qui concerne la filtration des
fumées, et faisant ainsi exploser les coûts d'exploitation de ce
procédé de traitement.
Ainsi, en l'espace de dix ans, les deux procédés
de traitement des déchets ménagers jusqu'alors
privilégiés que sont la mise en décharge et
l'incinération, sont consécutivement désavoués. Ce
déficit de solutions techniques provoque un grand chamboulement dans la
politique de gestion des déchets ménagers qui va désormais
s'orienter vers une réduction à la source du gisement des
déchets ménagers et un développement accru du recyclage.
Le bon déchet n'est plus celui qu'on brûle pour produire de
l'énergie, ni celui qu'on recycle, mais plutôt celui qu'on ne
produit pas. Cette nouvelle orientation est concrétisée par
l'article 46 de la loi Grenelle I, votée le 3 août 2009, qui pose
des objectifs ambitieux, notamment la réduction de la production
d'ordures ménagères de 7 % et la diminution de 15 % des
quantités de déchets destinés à l'enfouissement ou
à l'incinération à l'horizon 2014. Pour ce faire, des
mesures techniques sont mise en place : augmentation de la TGAP53,
mise en place de nouvelles filières de récupération et de
traitement spécifiques (textiles, DEEE54, mobilier, etc.),
incitation à la mise en place d'une tarification incitative au sein des
collectivités territoriales compétentes, modulation des
contributions des industriels aux éco-organismes en fonction de
critères d'éco-conception, harmonisation de la
signalétique et des consignes de tri sur le territoire national. De
cette législation découle une nouvelle hiérarchie des
modes de traitement qui consacre le principe des « 3R » :
prévention (Réduction), préparation en vue du
Réemploi, valorisation matière (Recyclage), valorisation
énergétique (incinération avec récupération
d'énergie), élimination (mise en décharge). Une
deuxième hiérarchisation apparaît même pour le
traitement des déchets résiduels qui doivent être
traités prioritairement par incinération ou, à
défaut, mis en décharge. Enfin, une troisième
hiérarchisation concerne le traitement des déchets organiques :
compostage de proximité (domestique ou collectif), méthanisation
et compostage industriel.
53 Taxe Générale sur les
Activités Polluantes
54 Déchets d'Equipements Electriques et
Electroniques
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