Réorientation de la stratégie
d'enquête et diversification des informateurs-relais
Ces blocages de terrain nous ont donc amené à
opérer une réorientation de notre stratégie d'approche des
locataires en diversifiant les informateurs-relais. Conséquemment, nous
nous sommes appuyés sur des acteurs variés afin
d'appréhender le milieu enquêté avec un point de vue plus
large qui ne se cantonne pas aux seuls locataires qui daignent nous
répondre et qui sont, pour une grande majorité, des trieurs
:
- Des habitants avec qui nous avions tissé des liens,
un ripeur Mahorais résidant à Planoise pour aller à la
rencontre des habitants originaires de Mayotte et des Comores.
- Les conseillers en habitat collectif que nous avons suivi
dans leurs opérations de sensibilisation en porte-à-porte afin
d'observer les réactions des usagers et de prendre contact avec certains
d'entre eux.
- Des animateurs et travailleurs sociaux de la maison de
quartier qui nous ont fait part de leurs observations sur le sujet et
aidé à rencontrer des habitants.
- Des représentants d'associations du quartier qui ont
une connaissance très fine des lieux puisqu'ils y habitent et s'y
investissent.
Finalement, à une méthodologie
stéréotypée (introduction par le biais du gardien,
échanges avec des usagers, passation d'entretiens) incapable de
répondre aux contingences du terrain a succédé une
méthodologie diversifiant largement les angles d'approche et
principalement fondée sur l'observation. Seul un entretien a
été réalisé avec une locataire - qui nous semblait
représenter un cas idéal-typique - afin de pouvoir convoquer son
discours et ainsi donner une forme plus concrète à notre
propos30. Notons toutefois que ces blocages de terrain ont seulement
concerné l'immeuble n°1 (cité Brulard) et l'immeuble
n°2 (Planoise) et que ce sont justement ces difficultés qui nous
ont poussé à concentrer nos investigations sur ces deux sites,
restreignant ainsi le champ de notre étude à la gestion des
déchets ménagers en milieux
30 Bien que l'enquête par entretien soit «
utilisée prioritairement dans tout ce qui est investigation des logiques
de l'usager », « les pratiques les plus ordinaires se prêtent
difficilement » à cet exercice puisque « les
enquêtés littéralement ne "voient" pas ce qu'ils font ; le
travail reposera alors principalement sur l'observation. ». BLANCHET
Alain, GOTMAN Anne, op. cit., p. 25 ; BEAUD Stéphane, WEBER
Florence, op. cit., p. 155.
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relégués31. Ce choix se justifiait
par le fait que, notre travail portant sur les logiques de l'usager,
étudier les milieux qui sont les plus éloignés des
rationalités institutionnelles comporte une dimension plus instructive
quant à la compréhension du mode de réception (ou non
réception) des politiques publiques par les citoyens.
De ce fait, nous avons été très vite
amenés à exclure l'immeuble n°4 (Battant) de notre
enquête pour plusieurs raisons : d'une part, la population
résidant dans ce logement collectif n'a pas du tout le même profil
socio-économique que dans les deux premiers immeubles (classe moyenne)
et, d'autre part, les modalités de pratique du tri diffèrent
largement par rapport aux trois autres sites32. Quant à
l'immeuble n°3 (Palente), la logique de peuplement à l'oeuvre dans
ce logement collectif contraste fortement avec celle observée à
la cité Brulard et à Planoise : les locataires sont
majoritairement des retraités qui occupent leur logement depuis plus
d'une dizaine d'années et ont adopté un mode d'habiter qui se
rapproche davantage de la résidence privée en quartier
pavillonnaire que du HLM des grands ensembles. Ainsi, une simple
après-midi de porte-à-porte nous a permis de rencontrer
aisément les locataires et, à travers les discours recueillis,
nous nous sommes rapidement aperçus de la prégnance des
mécanismes de contrôle à l'oeuvre dans la régulation
des comportements collectifs (appropriation des parties communes,
stigmatisation et ségrégation des quelques locataires
déviants, transmission entre voisins des informations concernant le tri,
surveillance des allers et venues au sein de l'immeuble par quelques locataires
« gendarmes »). Ainsi, nos investigations sur l'immeuble n°3
nous ont surtout servi, par contraste, à mieux mettre en relief la
situation anomique qui règne sur les deux sites de la cité
Brulard et de Planoise. C'est d'ailleurs ce constat qui nous a fait promptement
abandonner notre approche de terrain initiale qui consistait, dans une
perspective microsociologique, à sélectionner une cage d'escalier
sur chacun de ces deux immeubles pour mener nos investigations sur une
échelle restreinte. En effet, nos observations ont montré que,
dans le cas d'espaces qui connaissent un déficit de régulation
sociale (immeuble n°1 et n°2), la cage d'escalier ne correspond pas
à une réalité sociologique, c'est-à-dire qu'elle ne
constitue pas une échelle pertinente dans l'établissement de
relations sociales et dans la régulation des comportements. Les
mécanismes de
31 A trop vouloir diversifier l'échantillon,
on risque de s'interdire l'étude de liens de causalité plus
spécifiques, plus profonds en se cantonnant à une approche
comparatiste de surface.
32 Contrairement au reste de
l'agglomération, le centre-ville de Besançon ne dispose pas d'une
collecte sélective par bacs. Les habitants de la Boucle et de Battant
doivent emmener leurs déchets recyclables jusqu'à des points
d'apport volontaire. Nous pouvons présumer que cette différence
matérielle dans l'accès au service influence le comportement des
usagers. L'étude de l'interférence des dispositifs techniques et
des modalités de collecte sur les pratiques des usagers aurait
constitué un objet de mémoire singulier. C'est pourquoi nous
avons préféré écarter ces aspects pour ne pas nous
laisser noyer sous un flot de problématiques
hétérogènes.
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construction d'une identité collective prennent corps
sur des échelles plus larges : le bâtiment, le secteur et surtout
le quartier.
Avant de nous intéresser à la gestion des
déchets ménagers à Besançon, notamment en habitat
social collectif, il est essentiel de rappeler à quel point le
déchet est un très bon « révélateur social
» en évoquant comment cette thématique est
généralement abordée par les sciences sociales. Dans cette
perspective, nous verrons que la notion de déchet prise dans son
acception moderne est le fruit des processus connexes d'urbanisation et
d'industrialisation. Enfin, nous verrons comment les politiques publiques ont
opéré une construction sociale de la figure de l'usager et
élaboré des stratégies pour emporter son adhésion
au tri.
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