V. Comment atteindre l'usager en habitat social
collectif ?
Cette dernière remarque rend compte des
difficultés d'application de la redevance incitative en habitat social
collectif étant donné que le levier incitatif au coeur de ce
nouveau mode de facturation est plus complexe à activer au sein de ce
mode d'habitat. Dès lors, une question reste en suspens : comment
atteindre les usagers qui résident en logement HLM ? Les techniciens de
la direction gestion des déchets réfléchissent à
des solutions qui restent, pour le moment, du domaine de l'hypothétique.
D'une part, le transfert de l'incitativité vers les usagers pourrait
s'opérer par le biais de dispositifs techniques adaptés. A court
terme, l'idéal serait que l'accès aux locaux poubelles soient
protégés par un accès sécurisé afin
d'éviter des dépôts sauvages et de permettre une meilleure
appropriation des lieux par les locataires. Sur le moyen terme, la solution
d'une individualisation de la redevance par la construction de colonnes
enterrées avec accès par badge est parfois
évoquée104. Néanmoins, la CAGB émet des
réticences sur le fait d'adresser des préconisations quant aux
solutions
103 Cependant, les logeurs intègrent quand même
ce principe d'individualisation de la redevance sur leurs nouvelles
opérations immobilières.
104 Ce système est déjà mis en oeuvre
à la Roche-sur-Yon : chaque logement est muni d'un badge comportant ses
données d'usager que le locataire doit présenter à la
colonne enterrée lorsqu'il dépose son sac poubelle. La colonne
enterrée reconnait l'usager, ouvre son tambour de 30 litres
destiné à accueillir le sac et facture un montant forfaitaire
à chaque dépôt.
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techniques que le bailleur doit mettre en place, cela en
raison des décalages existant entre la durée de validité
des aménagements urbains liés à la gestion des
déchets et les temps d'amortissements des investissements des bailleurs
sociaux105. L'évolution rapide des politiques et des
systèmes techniques de gestion des déchets rendent vite
obsolètes les aménagements que pourrait préconiser la
CAGB. Par exemple, il y a quelques années celle-ci incitait les
bailleurs à construire des locaux extérieurs qui font aujourd'hui
l'objet de dépôts sauvages avec l'arrivée de la redevance
incitative. Alors que l'organisme logeur cherche à opérer des
aménagements possédant une durée de validité d'au
moins 20 ans pour amortir ses investissements dans le temps, la
collectivité est susceptible de désirer un changement ou une
amélioration des aménagements techniques au bout de 5
ans106.
D'autre part, la deuxième ressource sur laquelle les
techniciens espèrent pouvoir s'appuyer pour inciter les usagers de
l'habitat social et collectif à adopter les gestes de tri se situe
plutôt à un niveau social. Il s'agirait donc de trouver
l'échelle d'interaction sociale qui fasse sens pour les habitants et de
s'appuyer sur des locataires référents capables d'influencer
leurs pairs et d'impulser une dynamique positive à la gestion des
déchets dans chaque immeuble. Dans l'idéal, cette échelle
doit être la plus restreinte possible : palier, cage d'escalier ou
immeuble. Or, le problème des grands ensembles réside dans
l'hétérogénéité socioculturelle qui freine
la constitution de groupes localisés107. Nos observations de
terrain nous ont prouvé que les mécanismes d'identification
collective se structurent sur des espaces plus vastes tels que le quartier ou
le secteur. Les seules formes de mobilisations collectives que nous avons pu
observer comportent une dimension négative puisqu'elles ont
émergées en réaction à des situations de crise,
à des péripéties sinistres (c'est le cas de l'immeuble
n° 2 où un groupe de locataire s'est constitué suite au
grave incendie volontaire provoqué par un pyromane récidiviste
dans une cage d'escalier). De ce fait, il ne s'agit pas pour les habitants
105 « Cette diversité des cadres temporels de
l'application du développement durable urbain ne coïncide
guère avec les périodes rapprochées qui gouvernent la
gestion publique, qu'il s'agisse du temps politique - la durée d'un
mandat, les campagnes électorales - ou de la comptabilité
publique, suivant un principe d'amortissements des investissements. ».
HAMMAN Philippe, BLANC Christine, op. cit., p. 144-145.
106 Sur l'obsolescence rapide des solutions techniques
préconisées, l'exemple des trappes jaunes destinées
à accueillir un par un les déchets recyclables (cf. Annexe 1,
photos n°3 et 14) est très parlant. Sans ce dispositif, nul doute
qu'au début de la collecte sélective une grande part de
locataires aurait déposé ses sacs poubelles non triés
indifféremment dans la trappe grise ou la trappe jaune. Finalement,
cette petite trappe a permis à l'usager de reconnaître l'existence
d'un deuxième flux de déchets. Or, au fur et à mesure que
les deux catégories distinctes de déchets sont de plus en plus
clairement assimilées par les usagers, la trappe jaune devient plus un
obstacle qu'une aide technique à la pratique du tri du fait de son
exiguïté. C'est ce qu'exprime le gardien de l'immeuble n°2 :
« Et sachant que des fois il y a des cartons, lorsqu'ils ont
racheté du mobilier ou des choses comme ça, ils rentrent pas dans
la trappe donc ils veulent pas s'embêter à mettre en petits
morceaux. Et effectivement la trappe n'est pas adaptée parce que
l'orifice est trop petit. C'est parti d'un bon état d'esprit pour la
gestion du tri mais aujourd'hui ça devient plus un inconvénient
qu'un avantage. »
107 CHAMBOREDON Jean-Claude, LEMAIRE Madeleine, «
Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur
peuplement », in Revue française de sociologie, n°
11-1 : 1970, p. 3-33.
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de faire corps pour revendiquer l'adoption et la normalisation
d'une pratique positive telle que le tri mais plutôt de se mobiliser
a minima pour éviter qu`un évènement
négatif ne se reproduise.
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