Chapitre 4 - Le rôle des gardiens dans la gestion
des déchets
ménagers
Les résultats de recherches sociologiques sur la mise
en place du tri en habitat collectif, parfois repris sous forme de conseils aux
collectivités par l'ADEME, insistent sur le rôle
prépondérant des gardiens dans la réussite des collectes
sélectives108. En effet, ceux-ci constituent un point nodal
dans la chaîne du tri puisqu'ils sont en lien avec l'ensemble des autres
maillons mobilisés : usagers, collectivité, ambassadeurs du tri,
ripeurs et bailleurs sociaux. Surtout, ils sont chargés de faire
respecter les règles du vivre-ensemble au sein de l'immeuble, de
réguler les comportements liés aux modes d'habiter, ce qui nous
permet de présumer que les résultats des collectes
sélectives en habitat collectif ne dépendent pas uniquement du
seul bon vouloir des usagers mais découlent également de la
posture et des possibilités d'intervention des gardiens.
I. Les gardiens-concierges : une mission historique de
contrôle social
Historiquement, l'invention de la fonction de concierge dans
la première moitié du XIXème siècle
résulte d'une volonté de contrôle social des classes
laborieuses : « C'est durant le Premier Empire que les promoteurs
immobiliers opérant à Paris installent massivement des concierges
en vue de rassurer les classes aisées peu enclines à vivre dans
des immeubles collectifs où la présence des pauvres
dérange et effraie. »109. Parallèlement, les
propriétaires d'immeubles avaient jusqu'alors l'habitude de
déléguer la gestion locative de leurs biens à des
locataires principaux alors chargés de louer les appartements et de
récupérer les loyers. Cette solution montrant ses limites,
notamment sur le plan de la rentabilité économique, l'invention
de la fonction de concierge permet aux bailleurs de s'assurer le paiement des
loyers en temps et en heure grâce à l'intervention de ce nouvel
intermédiaire. Quant à l'appellation
108 Pour des travaux sociologiques, cf : TAPIE-GRIME Muriel,
« Coopération et régulation dans les collectes
sélectives des ordures ménagères », in Sociologie
du travail, 1998 : vol. 40, n°1, p. 65-87 ; BOUSSARD Valérie,
MERCIER Delphine, TRIPIER Pierre, « La dégradation du tri
sélectif des déchets... ou les frontières du cercle du tri
», in L'aveuglement organisationnel ou comment lutter contre les
malentendus, Paris : Editions CNRS Sociologie, 2004, p. 17-31 ;
ETIcs/Université François-Rabelais et Etéicos,
DETRITUS / DEchets, TRI eT Usages Sociaux. Gestion des déchets et tri
sélectif en habitat collectif HLM, Etude réalisée
pour le compte de l'ADEME, Avril 2012, 81 p.
Pour des conseils de l'ADEME, cf : ADEME, Habitat
collectif et tarification incitative. Pourquoi ? Comment ?, ADEME
Éditions, Angers : 2012, 148 p.
109 MARCHAL Hervé, Le petit monde des gardiens
concierges. Un métier au coeur de la vie HLM, Paris : L'Harmattan,
Logiques sociales, 2006, p. 28.
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« gardien », elle apparaît en même temps
que la construction des premières habitations à bon
marché110 au début du XXème
siècle et s'inscrit dans les enjeux d'hygiénisme et de
moralisation des classes populaires de l'époque : « Le mot gardien
exprime clairement le fait qu'il est nécessaire de garder les
locataires afin qu'ils ne dévient pas des chemins tracés en
fonction des découvertes relatives à l'hygiène.
»111. Cependant, c'est à partir de la création
des ZUP112 en 1959 que naissent les grands ensembles à
travers des programmes de construction de masse et que le besoin de gardiens
s'amplifie pour l'entretien de cette pléiade de nouveaux immeubles.
La crise de 1973 marque les débuts du processus de
relégation qui caractérise ces grands ensembles jusqu'à
aujourd'hui. D'abord espace de transition destiné à accueillir
des populations se trouvant dans les premières étapes de leur
ascension sociale et de leur parcours résidentiel, les cités
deviennent peu à peu des zones de relégation qui interdisent
à la plupart de leurs habitants tout espoir de promotion sociale et de
mobilité résidentielle. Face à ce constat auquel s'ajoute
la dénonciation de la piètre qualité du cadre bâti
et des infrastructures urbaines, les bailleurs sociaux passent « d'une
phase d'équipement et de construction à une phase de gestion de
l'existant en vue d'améliorer la qualité du cadre de vie.
»113. De façon concomitante, la sociabilité
néo-urbaine fantasmée par les architectes qui ont conçu
ces espaces résidentiels prend plutôt la forme d'un repli
progressif sur la sphère privée. La proximité spatiale
propre à ce mode d'habitat s'accompagne d'une distance sociale
croissante entre les résidents114. Dans ce contexte, les
objectifs des bailleurs sociaux s'orientent vers une revitalisation du tissu
social des grands ensembles et les gardiens tendent à être
investis d'une mission de médiation. Au début des années
1990, la fonction de gardien, qui ne nécessitait auparavant aucune
compétence ni aucun apprentissage particulier, se formalise
légèrement avec l'apparition de formations, bien que celles-ci
restent relativement sommaires et sporadiques. Cette démarche
répond à l'adoption des « principes du
néolibéralisme gestionnaire »115 par les
organismes logeurs (rentabilité économique, logique de
marché, idéologie managériale) qui souhaitent rationaliser
le métier de gardien dans le cadre de leurs programmes de
modernisation.
110 Les habitations à bon marché (HBM)
correspondaient, jusqu'en 1949, aux actuelles HLM (habitations à loyers
modérés).
111 Ibid., p. 32.
112 Zones à Urbaniser en Priorité
113 Ibid., p. 35.
114 CHAMBOREDON Jean-Claude, LEMAIRE Madeleine, «
Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur
peuplement », in Revue française de sociologie, n°
11-1 : 1970, p. 3-33.
115 MARCHAL Hervé, op. cit., p. 37.
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Aussi, les premières émeutes urbaines accentuent
le rôle de médiation sociale conféré aux gardiens
qui doivent désormais tenter d'impliquer au maximum les habitants dans
une coproduction de la sécurité. Le décret du 18
décembre 2001 consacre ce rôle en instaurant une obligation de
gardiennage ou de surveillance dans les immeubles ou groupes d'immeubles «
de plus de 100 logements situées dans des zones urbaines sensibles ou
dans des communes dépassant 25 000 habitants. Que ce soit par les
décideurs politiques, par les acteurs du Mouvement HLM ou même par
des chercheurs en sciences sociales, les gardiens-concierges sont
désormais considérés comme l'une des solutions aux
problèmes rencontrés dans de nombreuses cités d'habitat
social de banlieue. »116. Finalement, qu'il s'agisse du
concierge de l'immeuble bourgeois du XIXème siècle ou
du gardien d'HLM d'aujourd'hui, c'est toujours une même mission de
contrôle social des populations indigentes et/ou déviantes qui se
situe au coeur de la mission de gardiennage. Toutefois, il est
nécessaire de prendre du recul avec la définition
institutionnelle de la fonction de gardien qui reste, somme toute,
théorique et largement idéalisée pour tenter de comprendre
le rapport singulier à leur métier qu'adoptent ces
travailleurs.
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