III. 2012 : Instauration d'une redevance incitative
avec pesée embarquée
A la fin des années 2000, la capacité de
traitement par incinération paraît une nouvelle fois
menacée par l'arrivée en fin de vie du four construit en 1976.
Afin d'éviter le remplacement de ce four qui demanderait encore un
investissement conséquent, la préférence est
accordée à la réduction à la source et à la
valorisation matière anticipant par là les orientations du
Grenelle de l'environnement. Pour atteindre cet objectif il est
nécessaire d'accentuer le levier incitatif de la redevance pour
détourner une part des déchets incinérés vers la
collecte sélective, le compostage et les déchèteries.
Cette solution paraît d'autant plus justifiée que le Grenelle de
l'environnement consacre l'intégration d'une part incitative dans le
mode de financement du SPED : la Communauté d'Agglomération du
Grand Besançon possède donc une longueur d'avance et compte bien
continuer à montrer la voie au niveau national. C'est dans ce contexte
qu'est prise la décision d'instaurer une redevance incitative avec
pesée embarquée, première expérience de ce type sur
un secteur urbain aussi important. Ce nouveau système est d'abord mis en
place de façon fictive sur une période test s'étendant de
janvier à août 2012 qui permet à l'usager de se
familiariser aux nouvelles modalités de facturation, avant d'être
rendu effectif à partir du 1er septembre 2012. Il comprend
une part fixe (appelée « abonnement ») assise sur le volume du
bac « gris » qui, schématiquement, représente environ
50 % de la facture et une part variable calculée selon le poids du
contenu du bac « gris » (environ 40 %) ainsi que le nombre de
levées (environ 10 %)91. Le passage à la redevance
incitative avec pesée embarquée a mobilisé les conseillers
du tri qui ont effectué à partir de 2010, en plus de leurs
tâches ordinaires, les missions suivantes : rachat/cession et
91 Cf. Annexe 2, tableau 1 : grille tarifaire de la
redevance incitative pour l'année 2013. Communauté
d'Agglomération du Grand Besançon.
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standardisation du parc de conteneurs92, pose de
puces électroniques sur les bacs « gris » puis les bacs «
jaunes »93. Enfin, la mise en place effective de la redevance
incitative au 1er septembre 2012 a entériné les changements
organisationnels amorcés depuis plusieurs années chez les
conseillers du tri avec le passage d'un rôle d'accompagnement à un
rôle de contrôle de l'application du règlement de collecte
qui se traduit par leur nouvelle dénomination de «
référents territoriaux ».
Toutefois, la redevance incitative possédant une
portée d'application limitée en habitat collectif, les
élus ont souhaité surveiller sa mise en place en créant un
programme d'accompagnement principalement orienté vers le logement
social. Cette initiative a été confortée par l'octroi de
financements européens dans le cadre d'un projet « LIFE »
destinés à soutenir l'effort de réduction des
déchets entamé par la CAGB. Un « programme d'accompagnement
à la mise en place de la redevance incitative en habitat collectif
» a donc vu le jour en 2012 et s'est matérialisé par
l'embauche de quatre conseillers en habitat collectif. Ces derniers
accomplissent une mission d'accompagnement plus complète et
spécifique que celle qu'effectuaient les conseillers du tri. Leur
démarche se fonde sur quatre phases d'action :
- L'établissement de diagnostics sur les immeubles
choisis conjointement par la CAGB et les bailleurs sociaux (organisation et
entretien du local et des bacs, qualité du tri, taux de
présentation, propositions de réorganisations techniques,
etc.)
- La proposition d'action aux logeurs (modification de la
dotation94, animations en pied d'immeuble, communication en
porte-à-porte, formation des gardiens)
- La mise en place des actions retenues
- L'évaluation des actions menées
Si les techniciens de la CAGB chargés de coordonner ce
programme d'accompagnement s'accordent à souligner les nombreux
progrès réalisés depuis ses débuts en janvier 2012
et qui se traduisent par des ressentis qui relèvent plutôt d'un
ordre qualitatif (amélioration des relations et de la collaboration avec
les bailleurs sociaux, bon accueil des habitants qui sont en
92 Avec la transmission de la compétence
« collecte des déchets » de la ville de Besançon vers
la Communauté d'Agglomération du Grand Besançon en 2006,
des communes périphériques qui avaient jusqu'alors un
système de collecte et de facturation différents ont dû
intégrer le mode de fonctionnement intercommunal. Ainsi, avant le
passage à la redevance incitative, les conseillers du tri ont
mené des enquêtes de terrain pour racheter et standardiser le parc
de conteneurs puisque la CAGB est propriétaire des bacs qu'elle loue aux
usagers.
93 Pour que la benne à ordures
ménagères puisse identifier l'usager titulaire du contrat
attaché à chaque bac et y associer les données sur
lesquelles s'appuie la facturation (poids et nombre de levées), il faut
nécessairement que chaque conteneur soit muni d'une puce
électronique. Cf. annexe 2, schéma 1 : Mode de fonctionnement de
la redevance incitative avec pesée embarquée.
94 La dotation correspond au nombre et au volume des
bacs dont est doté un contrat.
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attente d'informations, etc), des difficultés se posent
lorsqu'il s'agit de dégager la valeur ajoutée de l'action des
conseillers en habitat collectif à travers la production d'indicateurs
quantifiables. En effet, les techniciens, qui « font figure d'experts
chargés d'une fonction de médiation entre deux mondes, celui de
la science et celui de la politique »95, doivent
nécessairement livrer un éclairage « objectif »,
faisant fi des nombreuses incertitudes et contingences empiriques, pour que les
élus puissent prendre des décisions. Alors que nous pourrions
penser que la dimension technique introduite par la pesée
embarquée dans le recueil de données permet de mesurer
précisément la production de déchets de chaque usager,
l'interprétation de l'avalanche de chiffres enregistrés
quotidiennement par les bennes à ordures ménagères
s'avère plus que délicat96. Pour pouvoir s'adonner
à des comparaisons, il est tout d'abord nécessaire de disposer
d'indicateurs fiables qui s'appuient sur des données rigoureuses parfois
difficiles à collecter. Les techniciens de la CAGB retiennent un
indicateur principal pour évaluer la production de déchets sur un
immeuble, il s'agit de la quantité de déchets (résiduels
d'une part et recyclables de l'autre) produite par habitant sur un temps
donné. Or, il n'est pas toujours évident d'estimer la population
réelle de l'immeuble et, souvent, le bailleur ne dispose que de chiffres
officiels qui sont parfois remis en cause par les observations des conseillers
en habitat collectif lors de leurs opérations de porte-à-porte.
Ensuite, pour pouvoir faire l'objet d'une interprétation, les
données obtenues doivent être mises en relation avec leurs
différents contextes sociaux de production. Premièrement, en ce
qui concerne le titulaire du contrat, s'agit-il de professionnels et/ou de
ménages ?97 S'il s'agit de ménages, quelle est leur
composition (par exemple, des ménages composés d'enfants en bas
âge produisent significativement plus de déchets à cause
des couches) ? Quel est leur niveau de revenu et leur type de consommation ?
Quelle est la période de production considérée (vacances,
période de fêtes, ménage de printemps) ? Quelle est la
qualité du tri sur l'immeuble (les erreurs de tri faussent les chiffres
puisque des déchets non recyclables, qui ont été
enregistrés dans le bac jaunes, auraient normalement dû être
comptabilisés dans le bac gris) ? Aussi, il faut savoir comment les
acteurs qui se situent en aval des usagers dans la chaîne du tri agissent
: Le gardien opère-t-il un tri correctif face aux erreurs des usagers ?
Les entreprises de nettoyage mettent-elles les encombrants ou les
déchets électroniques dans les
95 LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, op. cit.,
p. 34.
96 Pour illustrer notre propos, nous
présentons en Annexe 2 l'exemple de l'immeuble n°3 pour lequel nous
avons présenté sous forme de graphiques les poids
collectés quotidiennement sur les bacs jaunes et les bacs gris au cours
de deux périodes.
97 Sur certains immeubles, les contrats sont
partagés entre les locataires et les professionnels (commerces, bureaux,
cabinets, etc.) qui occupent les lieux, ce qui rend impossible
l'interprétation des chiffres de la pesée embarquée.
Cependant, depuis l'introduction de la redevance incitative, les bailleurs
tendent de plus en plus à établir des contrats
séparés pour chacune de ces deux catégories d'usagers,
souvent sur demande des locataires.
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bacs gris98 ? Les bacs sont-ils sujets aux
dépôts sauvages quand ils sont présentés à la
collecte sur le trottoir ? Le ripeur vérifie-t-il la qualité du
tri et déclasse-t-il les bacs pollués ? Les bacs sont-ils
toujours remis dans le bon local99 ? Tous ces paramètres sont
susceptibles de faire varier significativement les résultats des
pesées et bloquent les possibilités de comparaisons fines entre
plusieurs immeubles. Enfin, il faut savoir à quelle échelle
temporelle ramener l'indicateur produit pour pouvoir observer des
évolutions notables dans les pratiques des usagers ? Le quadrimestre qui
correspond au temps de facturation, le semestre qui correspond à une
période d'action dans le programme d'accompagnement ou l'année
pour tenter de repérer des tendances sur le plus long terme ?
Face à ces difficultés d'évaluation de la
plus-value du programme d'accompagnement à la mise en place de la RI en
habitat collectif, la direction gestion des déchets a choisi en janvier
2013 de lancer une opération spécifique sur quatre sites pilotes
paraissant « accessibles » en termes de capacité à
produire des résultats mesurables. Chacun des quatre conseillers en
habitat collectif s'est vu attribuer un immeuble sur lequel il a
accentué ses actions de diagnostic, de communication, d'animation et
d'évaluation. Les actions à mettre en place ont été
hiérarchisées selon qu'elles étaient susceptibles
d'aboutir sur la production d'indicateurs permettant d'évaluer
l'intérêt du dispositif d'accompagnement. Ainsi, la
priorité a été donnée à l'optimisation de la
dotation des sites pilotes, moyen le plus efficace pour agir sur le
deuxième indicateur de référence100 que
constitue le montant de la redevance par habitant101. Le
deuxième objectif visé a été l'amélioration
de la qualité du tri permettant un transfert des déchets
résiduels (facturés) vers les déchets recyclables (non
facturés). Enfin, un troisième objectif, qui relève
davantage d'un ordre qualitatif, a été de poursuivre et
consolider le partenariat avec les bailleurs sociaux.
98 C'est le cas sur le secteur de Néolia
Palente : l'entreprise chargée du nettoyage des locaux et de la sortie
des bacs dépose les petits encombrants dans les poubelles pour
éviter de les transporter jusqu'en déchetterie où le
dépôt est payant pour les professionnels.
99 Parfois, les agents de terrain de l'entreprise
de nettoyage ou du bailleur échangent involontairement les bacs entre
deux cages d'escalier ou deux immeubles.
100 Cet indicateur répond au premier objectif de la
commande politique, à savoir maîtriser les charges d'ordures
ménagères en habitat social collectif.
101 Beaucoup d'immeubles étant surdotés,
c'est-à-dire disposant de plus de bacs que nécessaire, leur
retirer des bacs est une action simple à mettre en oeuvre qui fait
baisser le montant de la redevance de façon notable.
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