Chapitre 3 - La gestion des déchets
ménagers à Besançon
I. Mémoire locale
Pour mieux comprendre le contexte institutionnel dans lequel
s'ancre la gestion des déchets à Besançon, il est
nécessaire de s'intéresser à la « mémoire
locale » de la gestion des déchets ménagers76.
D'une façon générale, nous pouvons d'abord repérer
certains traits caractéristiques non exhaustifs qui dessinent l'ethos de
la ville en matière de politiques environnementales :
· La tradition socialiste de la mairie de
Besançon a permis d'assurer un « continuum politique »
favorable au développement de projets fédérateurs et
novateurs en matière de développement durable77 ;
· Le rapport très singulier de la ville de
Besançon à l'environnement : avec ses sept collines verdoyantes
et le Doubs, Besançon est résolument une ville ouverte sur la
nature qui promeut son statut de « première ville verte de France
» accordé à diverses reprises par des enquêtes de
quotidiens français ;
· La promotion de Besançon comme terre
d'innovation, tant sur le plan technique que sur le plan
social78.
En fait, à travers l'instauration de la redevance
incitative, nous assistons aussi à la démonstration de
l'exemplarité et à l'affirmation de l'identité
singulière de la commune de Besançon.
Afin de retracer, plus spécifiquement,
l'émergence et la structuration du SPED bisontin nous nous appuyons
principalement sur les travaux de Denis Guigo79. Ce bref rappel
76 « L'action publique en développement durable
s'inscrit dans des espaces de contraintes, qui ne correspondent pas uniquement
à des variables socio-politiques (tel le portage des dossiers par les
élus) mais aussi à des éléments morphologiques ou
socio-économiques, portant la trace d'un certain passé, de longue
durée, qui imprègne le territoire. ». HAMMAN Philippe, BLANC
Christine, op. cit., p. 195.
77 La REOM au volume du bac a été
instaurée en 1999 lorsque Robert Schwint était maire (1977-2001)
et Jean-Louis Fousseret a pris la relève et même prolongé
la démarche entamée sous son prédécesseur en
instaurant une redevance incitative au poids et à la levée en
2012.
78 Jusqu'en 2005, le slogan qui figurait sur le
logo de la ville était « Besançon l'innovation ». La
capitale comtoise, forte de son passé horloger, s'est
spécialisée dans les microtechnologies. Elle s'enorgueillit
également du terreau d'innovation sociale que constitue son territoire,
notamment à travers la création, en 1968, d'un Minimum Social
Garanti préfigurant le Revenu Minimum d'Insertion qui ne sera mis en
place que 20 ans plus tard au niveau national. Dans le même ordre
d'idée, Besançon fait aussi figure de précurseur en
matière d'Insertion par l'Activité Economique grâce
à l'invention des « Jardins de Cocagne » sur ses terres de
Chalezeule en 1991.
79 GUIGO Denis, « Sisyphe dans la ville. La
propreté à Besançon au fil des âges », in
Les Annales de la Recherche Urbaine, Décembre 1991 : n°
53, p. 46-57
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historique nous permettra de mieux appréhender le poids
de la « mémoire locale » en matière de gestion des
déchets. Jusqu'au milieu du XIXème siècle, le
nettoyage des rues de Besançon s'effectue de façon informelle
grâce au travail d'indigents employés par la Ville et de paysans
collecteurs qui rachètent les boues urbaines pour les revendre en tant
que fertilisant à la campagne. La qualité de ces boues se
dégradant avec la présence croissante de déchets inertes,
elles n'intéressent plus autant les campagnes
périphériques et ce système tend à s'effriter pour
déboucher sur une gestion en régie de ces excreta urbains
à partir de la fin du XIXème siècle. Cependant,
une réelle gestion publique, disposant de moyens conséquents,
peine à se mettre en place du fait de l'hostilité des bisontins
au paiement d'une taxe servant au financement de ce service80. C'est
en 1927 qu'une taxe d'enlèvement des ordures ménagères
(TEOM) est instaurée en application de la loi du 13 août 1926 qui
autorise désormais les communes à prélever le contribuable
pour assurer la propreté des rues. Malgré cela, il faudra
attendre le lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour que le service
municipal de gestion des déchets se modernise enfin avec l'achat de
« sept modernes camions-bennes électriques, dont quatre bennes
tasseuses de 15m3 »81. Le gisement des ordures, ne
faisant plus du tout l'objet d'une valorisation dans l'agriculture, est
traité par une mise en décharge. La décharge
municipale82 s'apparente à un dépotoir sauvage sur
lequel on brûle les monticules de déchets afin de gagner de
l'espace de stockage, ce qui faisait dire à Jean Minjoz, alors maire de
la ville, que ce brasier produisait « un panache de fumée qui
permettait aux aviateurs et à beaucoup d'autres voyageurs de localiser
la ville de Besançon »83. En 1966, le site est
transformé en « décharge contrôlée », ce
qui consiste à entreposer les ordures par couches successives entre
lesquelles on parsème de la terre. En 1971, Besançon ouvre sa
première usine d'incinération, ce qui conduit à un
transfert d'une partie des tonnages de la mise en décharge vers ce
nouveau procédé de traitement. Cette unité
d'incinération valorise la chaleur produite par la combustion des
ordures bisontines en chauffage urbain qui alimente le jeune quartier de
Planoise et, à partir de 1984, le nouvel hôpital. Avec la loi de
1975, la ville de
80 « Une entreprise locale de transport, la
société des Monts-Jura, a d'ailleurs proposé en 1921 de
prendre en charge l'enlèvement des ordures ménagères,
ainsi que le nettoiement de la ville, pour 485 000 F par an. L'importance de la
somme - près de 10 % du budget - fait reculer la municipalité qui
décide finalement de concéder pour quinze ans aux Monts-Jura
l'enlèvement des ordures ménagères par camions-bennes avec
couvercle à charnières. Le coût de la prestation,
évalué à 185 000 F par an, y compris l'entretien d'une
décharge, aurait été couvert par une taxe perçue
par poubelle : 50 F par an pour une poubelle de 15 litres correspondant aux
besoins d'un ménage (la poubelle étant fournie par la Ville).
Mais ce projet ne fut pas mis à exécution ; les variantes
proposées ensuite par d'autres sociétés non plus. ».
Ibid., p. 53.
81 Ibid.
82 Cette décharge se situait sur l'actuel
Centre technique municipal où se trouvent aujourd'hui, entre autres, les
locaux de la direction gestion des déchets de la CAGB.
83 Ibid., p. 54.
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Besançon poursuit la modernisation de son SPED en
uniformisant les conteneurs poubelle, jadis très disparates car le choix
des récipients était laissé à l'appréciation
des riverains. Ces bacs sont loués aux usagers et permettent un gain de
temps sur les circuits de collecte grâce au système de basculement
dans les camions-bennes. La location de bacs aux usagers constitue en quelque
sorte les prémices de la redevance incitative puisque le prix de
location varie en fonction du volume choisi par l'usager. La modernisation du
SPED marque également l'intronisation du « "service complet" :
l'éboueur prend le conteneur dans la cour ou le jardin de l'immeuble, le
vide puis le remet en place. »84. Enfin, les grandes
orientations données par la ville de Besançon à la
problématique de la salubrité urbaine au début des
années 1990 sont les suivantes : sensibilisation des usagers sur les
enjeux de cette problématique ; amorce d'une réflexion
intercommunale sur le traitement des déchets avec la création du
Conseil des Communes du Grand Besançon en 1990 ; développement
d'un réseau de déchèteries municipales (la première
a été ouverte en 1984).
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