2. Dimension processuelle dans la mise en place des
politiques de tri et émergence de la problématique de l'habitat
collectif.
Comme tout projet de développement durable urbain,
l'instauration du tri en France s'est d'abord inscrit « dans des pratiques
expérimentales, à petite échelle et marquées par la
dimension processuelle de leur concrétisation. »62. Dans
un premier temps, les techniciens municipaux en charge de la mise en place des
collectes sélectives se sont attachés à mener des
expertises préalables afin de « chiffrer le comportement du trieur
à l'occasion de phases expérimentales sur des quartiers-tests
»63. Dans cette perspective, des indicateurs techniques
(composition des poubelles, taux de présentation) tendent à se
stabiliser et la réalisation d'enquêtes par questionnaires traduit
un intérêt croissant des techniciens pour les modes de gestion
domestique des déchets. Dans un second temps, la mise en place
opérationnelle des premières collectes sélectives fait
rapidement apparaître les difficultés liées à la
gestion des déchets ménagers en habitat vertical. En effet, la
plupart des villes françaises ont progressivement instauré le tri
selon une hiérarchisation des zones urbaines : la mise en place «
débute dans un "secteur pilote" choisi dans une zone pavillonnaire, elle
s'étend ensuite aux "petits collectifs" ; les grandes cités sont
abordées en dernier lieu. [...] Cette implantation évolutive
permet d'aller du plus simple au plus complexe. [...] Les enquêtes (Tec
Habitat, Eco-Emballages, 1996) montrent que le taux de participation des
immeubles (65 %) est inférieur à celui enregistré dans les
maisons individuelles (78 %). »64. Ces écarts
s'expliquent alors par deux facteurs : d'une part le manque d'espace de
stockage lié à la typologie d'habitat65 et, d'autre
part, le manque de sensibilité environnementale qui semble davantage
marqué chez les catégories socioprofessionnelles (ouvriers et
employés) occupant majoritairement l'habitat collectif, et notamment
l'habitat social.
3. Comment atteindre l'usager ? Accompagnement,
communication de proximité et communication de masse.
Toutefois, il ne suffit pas d'équiper les
ménages pour qu'ils coopèrent à la collecte
sélective, ce qui oblige les acteurs institutionnels à
élaborer des stratégies de communications visant à obtenir
l'adhésion de l'usager au geste de tri. Les deux mots d'ordre qui vont
orienter
62 HAMMAN Philippe, BLANC Christine, Sociologie
du développement durable urbain. Projets et stratégies
métropolitaines françaises, Bruxelles : Peter Lang, 2009, p.
139.
63 BARBIER Rémi, « La fabrique de
l'usager. Le cas de la collecte sélective des déchets. », in
Flux, 2/2002 : n°48-49, p. 41.
64 TAPIE-GRIME Muriel, op. cit., p. 68-69.
65 L'objet déchu, pour ne pas passer
directement dans la catégorie du rebut, doit pouvoir suivre un
système de destitution progressive en étant stocké dans
les annexes de l'habitation : cave, grenier, garage, jardin...
35
l'action des pouvoirs publics à ce niveau, sous les
conseils de l'ADEME (Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de
l'Energie) et d'Eco-Emballages, sont proximité et
répétitivité66, c'est-à-dire que l'offre
d'information sur le recyclage des déchets ménagers doit
s'effectuer par des contacts directs et doit être renouvelée dans
le temps. Les ambassadeurs du tri67, émissaires de la
collectivité territoriale, sont « chargés de la distribution
du matériel mais aussi d'expliquer les consignes, de rassurer, de
justifier, provoquant ainsi l'attention minimale nécessaire au
changement d'attitude. »68. Cependant, ils ne constituent pas
les seuls agents de proximité sur lesquels s'appuient les
collectivités et, afin de conférer une plus grande
légitimité à leur action, ces dernières cherchent
à diversifier les relais de terrain. Cette logique correspond à
une « dissémination de la relation de service, au sens d'une
multiplication des interfaces par lesquelles pourront transiter consignes,
réclamations, interrogations, conseils... »69.
Dès 1994, l'ADEME et Eco-Emballages préconisaient, à
travers un guide méthodologique, un plan « type » de
communication qui insistait également sur l'importance des relais «
externes »70, tels que les associations, les
commerçants, les enseignants, les enfants, etc., ainsi que sur le
rôle prépondérant des relais « internes » que
peuvent être les gardiens d'immeuble ou les ripeurs. En habitat
collectif, comme le souligne à juste titre Muriel Tapie-Grime,
l'adhésion et l'investissement des gardiens est un pré-requis
essentiel à la réussite des opérations de collecte
sélective. Or, leur place dans la chaîne du tri n'a pas fait
l'objet d'une reconnaissance institutionnelle et, généralement,
aucune attente ni mission supplémentaire en matière de gestion
des déchets ne leur ont été adressées explicitement
par leur employeur. Dans le même sens, malgré l'identification des
gardiens comme « acteurs clés » dans la réussite du tri
en habitat vertical, il semble que, dans les faits, les collectivités
n'ont pas ou prou mis en place des dispositifs de coopération stables
avec les bailleurs permettant d'impliquer plus finement leurs agents de
terrain. Enfin, à terme, le relai d'information idéal,
fantasmé par les pouvoirs publics, est l'« usager modèle
»71 qui, par son investissement et sa conviction dans le tri,
tente de convaincre ses proches et ses voisins.
66 BARBIER Rémi, op. cit., p.
42-43.
67 A Besançon, la direction gestion des
déchets a très vite préféré la
dénomination de « conseillers du tri », insistant par
là sur leur rôle de « conseil à l'usager ».
68 Ibid., p. 43.
69 Ibid.
70 Dans le sens où ils ne font pas directement
partie de la chaîne du tri.
71 Rémi Barbier rapporte qu'aux débuts de la
collecte sélective dans le Jura, la collectivité avait
recruté des « partenaires du tri » qui s'engageaient «
à promouvoir dans leur entourage l'idée du tri comme une solution
d'avenir ». Dans le même esprit, le SYBERT, s'inspirant des
expérimentations jurassiennes, avait lancé en 2010 une «
expérience-réalité » intitulée « Le
ménage presque parfait de Besançon et sa région »,
opération consistant à suivre une dizaine de foyers dans
l'adoption de pratiques quotidiennes destinées à réduire
la production de
36
Cette communication de proximité s'est également
accompagnée d'une communication de masse mise en oeuvre « par
différentes catégories d'acteurs : les médias, les
industriels, les pouvoirs publics, les associations... »72.
L'utilisation de cette forme de communication s'est traduite par une inflation
des discours sur la question de la gestion des déchets ménagers.
Les communicants s'appuient sur deux procédés pour solliciter la
coopération des ménages en fonction de leur définition de
la figure de l'usager : l'information si l'usager est considéré
comme un acteur rationnel, la persuasion si ce dernier est jugé comme un
être pulsionnel ; bien que, dans les faits, les plans de communication
mêlent souvent ces deux registres. En outre, comme l'expriment Dominique
Lhuilier et Yann Cochin, « la diffusion des messages est le plus souvent
unilatérale au sens où l'émetteur s'adresse à des
cibles considérées comme de purs récepteurs, sur le mode
des communications de masse impersonnelles du type publicité ou
propagande. »73. Or, dans le cas de l'habitat social et
collectif, nos observations empiriques ont démontré que la forme
de communication la plus apte à toucher l'usager est l'interaction en
face-à-face avec des relais d'informations tels que les conseillers en
habitat collectif ou les gardiens. En prime d'une meilleure réception de
l'information par l'usager, Muriel Tapie-Grime remarque à juste titre
que la communication de proximité est également «
productrice d'organisation » dans le sens où, d'une part, les
usagers identifient un interlocuteur auquel s'adresser et ne se sentent plus
isolés face aux obstacles qu'ils rencontrent dans l'adoption du geste de
tri ; d'autre part, les informateurs-relais peuvent faire remonter au sein de
leur hiérarchie des informations sur les difficultés pratiques
des usagers.
Aujourd'hui, le passage à la redevance incitative de
certaines collectivités pose à nouveau des problématiques
similaires à celles rencontrées lors de l'instauration de la
collecte sélective : définition de l'usager comme acteur
rationnel74, expertises préalables, mise en place
processuelle de la redevance incitative75, accompagnement et
communication de proximité par des agents de terrain. Cette logique
processuelle qui fonctionne par expérimentation est
caractéristique des politiques locales de développement durable.
Ainsi, en détaillant la façon dont s'est instaurée la
redevance incitative à Besançon nous pourrons
déchets ménagers. Cette démarche se
retrouve également dans l'opération de la ville de
Besançon « Les familles actives pour le climat »
initiée en 2009 et encore en cours aujourd'hui.
72 LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, op. cit.,
p. 129.
73 Ibid., p. 130.
74 La redevance incitative vise la
responsabilisation et l'augmentation de l'effort de prévention et de tri
de l'usager en s'appuyant sur sa rationalité économique (principe
pollueur-payeur).
75 Avant de mettre en place une redevance
incitative La Roche-sur-Yon Agglomération a lancé, en 2010, une
expérimentation sur une dizaine d'immeuble représentant un
échantillon mixte de bailleurs sociaux et privés.
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mieux appréhender comment ces politiques se
construisent in situ et rentrent parfois en tension avec d'autres
principes de production de la ville.
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