II- Etat des lieux du phénomène des
acquisitions de vieilles maisons dans les médinas marocaines
De plus en plus d'étrangers investissent dans les
médinas marocaines. Ceux-ci acquièrent de vieilles demeures pour
y séjourner en tant que résidence secondaire, y monter un
commerce ou s'y établir. Ainsi, plusieurs médinas, quelles soient
grandes ou petites, ont été touchées, à des
degrés différents, par ce flot.
Des médinas comme celle de Tanger, Asilah, Chaouen,
Tétouan, Rabat s'ouvrent de plus en plus à un public
international. Cependant, le développement d'une communauté
étrangère aussi importante reste l'apanage de villes comme
Marrakech, Essaouira ou encore Fès.
C'est ainsi que nous nous arrêterons, dans ce titre, sur
l'état des lieux de ce phénomène dans les deux villes de
Marrakech et Essaouira, car c'est par ces deux médinas que le
phénomène a commencé, avant de traiter le cas de la ville
de Fès.
1- Marrakech : le nouvel Eldorado
La médina de Marrakech est la plus grande médina
du Maroc en superficie et en hommes. Elle s'étend sur 700 ha dont 450 ha
bâtis, et sa population a atteint 250 000 habitants en 2004, selon le
Recensement Général de la Population et de l'Habitat.
La place de la médina dans l'ensemble du
périmètre urbain demeure prépondérante avec en
1981, 20% du total des espaces urbanisés31.
31 Chiffres extraits des études
préliminaires au Schéma Directeur de la ville de Marrakech,
cité par A-C. KURZAC SOUALI (2006, p.87).
30
L'espace intra-muros est éventré par de
nombreuses portes qui permettent la circulation routière en ses
périphéries, et est entouré de remparts discontinus qui
laissent la médina s'ouvrir vers l'extérieur.
A l'heure du protectorat, Hubert Lyautey, le premier
Résident Général français, a condamné
Marrakech à devenir la capitale du tourisme et a concentré ainsi
tous ses efforts exclusivement à cette fin. Ainsi, Marrakech devint, et
grâce à ses particularités, la destination la plus
prisée par les touristes. C'est ainsi que le seul nom de Marrakech
évoque toute une série d'images enracinées dans
l'imaginaire occidental.
Au cours des deux dernières décennies, et devant
une croissance continue du nombre des touristes, la médina de Marrakech
a été principalement transformée par les actions
conjointes des acteurs publics et d'acteurs privés
particulièrement étrangers.
En effet, outre les interventions des acteurs publics pour la
revalorisation du tissu traditionnel et de son environnement urbain, la
médina de Marrakech a été inscrite sur la Liste du
Patrimoine Mondial de l'UNESCO en 1985 et la place Jamaâ El Fna a
été proclamée Chef-d'oeuvre du patrimoine oral et
immatériel de l'humanité en 2001. Toutes les deux
bénéficient d'une double reconnaissance internationale au titre
de patrimoine matériel et immatériel. La médina se
transforme ainsi et peu à peu d'un espace à visiter et à
parcourir à un espace de séjour. On parle ici des riads
et anciennes maisons qui y sont achetés par des étrangers.
Le phénomène semble avoir commencé à Marrakech
effectivement, dès les années 1960 (BERRIANE, 2003). Les adeptes
de ce type de logement étaient, à l'époque, des hippies,
des artistes et de grands couturiers. Cependant, il y a des années
avant, que le peintre Jacques Majorelle avait découvert le charme de
l'Orient à Marrakech, la ville ocre. En 1917, il décide de s'y
établir en achetant un riad dans l'ancienne médina avant
d'être obligé de la quitter par la suite au début des
années 1920 à cause de la politique d'urbanisme liée au
protectorat qui interdisait l'installation des Européens dans le centre
historique.
Aujourd'hui, le cercle s'est élargit et le
phénomène s'est amplifié à partir de la
moitié des années 1990 pour concerner d'autres couches de la
société occidentale. Des intellectuels, des cadres
supérieurs, des touristes branchés...etc. tous se bousculent aux
portillons de ces demeures. Le développement d'une communauté
aussi dynamique qu'à Marrakech reste
31
inégalé au Maroc (ESHER, 2000). En effet, selon
les travaux de relevés menés par le géographe allemand A.
ESHER, à la fin de l'année 2000, 457 étrangers ont
acheté plus de 500 maisons dans la médina de Marrakech. Ces
nouveaux venus sont de nationalités différentes dont les
français représentent 60%. Leur présence est
attestée dans presque toute la médina comme l'illustre la Carte
2.
Carte 2. Répartition géographique
des propriétés étrangères dans la médina de
Marrakech
Source: ESCHER A., PETERMANN S., CLOS B.,
(2000), "Le bradage de la médina de Marrakech?"
In: Le Maroc à la veille du troisième
millénaire- Défis, chances et risques d'un développement
durable, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Rabat,
Colloques et Séminaires, 93, Rabat, p.224.
32
Au départ, ce sont des étrangers qui ont
exprimé un enthousiasme pour l'acquisition de riads ou maisons
traditionnelles dans l'objectif de les rénover pour y habiter une partie
de l'année. Mais, ce mouvement, d'abord disparate et varié, a
vite intéressé ceux qui font de leur habitation en médina
une résidence principale mais aussi et surtout les investisseurs qui
donnent aux vieilles demeures une vocation touristique en les aménageant
comme maison d'hôtes. En effet, sur les quelques 400 riads
répertoriés à Marrakech, presque 120 ont
été transformés en maisons d'hôtes32. Sur
ce total, plus de 90% sont détenus par des Européens.
Ces étrangers ne s'installent pas aléatoirement,
le choix de la localisation est très sélectif, il obéit
à des critères bien précis liés, d'une part
à la proximité du noyau urbain et de la place Jamaâ El Fnaa
où sont présents les commerces et l'artisanat, et d'autres part,
à la facilité d'accès au quartier d'habitat, sa
sûreté et son bon état.
Aujourd'hui, Marrakech, qualifiée de "la capitale des
riads" par la presse marocaine, est devenue saturée, les prix y
sont exorbitants et hors de portée des jeunes investisseurs de classe
moyenne qui préfèrent investir dans d'autres médinas comme
celle d'Essaouira, à des prix encore plus ou moins accessibles.
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