CHAPITRE I :
Le contexte de l'apparition du phénomène
à
l'échelle des villes marocaines et son
arrivée
à Fès
22
Introduction
Les médinas constituent le coeur des villes anciennes
du Maroc. A côté des grandes médinas comme celles de
Fès, Marrakech, Meknès, Rabat, Salé, Tanger . .etc, il en
existe de plus petites telle que celle d'Asilah, Essaouira, Chaouen, Safi.
.etc. La médina est un espace à haute valeur symbolique,
identitaire et cultuelle qui a le plus souvent conservé une position
centrale au sein des agglomérations marocaines22.
Après avoir subit autrefois, un long processus de marginalisation et de
dégradation de son tissu urbain, la médina acquiert, depuis peu,
un nouveau statut au sein de la ville marocaine. En effet, elle fait l'objet
désormais d'une attention particulière soutenue par le souffle
des organismes internationaux. A partir de là elle
bénéficie d'une valeur patrimoniale manifeste. Ainsi,
l'inscription des médinas de Fès, Marrakech et Essaouira donne
une nouvelle dimension spatiale à ce patrimoine par son
universalité déclarée. Une reconnaissance qui traduit un
changement du regard porté sur la médina et qui se traduit par
une nouvelle pratique de cet espace envisagé désormais comme un
patrimoine-ressource par le nouveau sens qu'il lui est donné «
Dès qu'un espace est une valeur f...] il grandit »
(BACHELARD, 1957, p.153)23.
Bien plus qu'un patrimoine culturel, la place de la
médina évolue pour devenir un vrai support au produit touristique
marocain. La vogue des Occidentaux pour les anciennes demeures et riads
des centres historiques s'inscrit dans ce contexte. En effet, depuis la
fin des années 1990 surtout, la médina incorpore à son
tissu, des acteurs récents, ils sont des touristes mais aussi des
nouveaux résidents de nationalités et de cultures
différentes.
Cette première partie introductive est un état
des lieux du phénomène d'acquisition des anciennes demeures par
les étrangers. Il s'agit en effet, pour nous de contextualiser le cas de
Fès en faisant état du phénomène dans les
médinas qui en sont les plus concernées, et en expliquant les
fondements de l'attrait des Occidentaux pour les centres anciens, avant
d'arriver au cas de Fès, en cherchant à répondre en partie
à notre première hypothèse qui posait le constat d'une
mise en tourisme de sa médina.
22 La question relative à la
centralité des médinas a fait objet d'un article de Pierre
SIGNOLES, « La centralité des médinas maghrébines :
quel enjeu pour des politiques d'aménagement urbain ? », revue
Insanyat, n°13, janvier-avril 2001, pp.9-41.
23 Cité par A-C. KURZAC - SOUALI, 2006,
p.58.
23
I- PROBLEMES DE DEFINITIONS
1-Riad et Dar: Une nouvelle construction
sémantique
L'acquisition d'anciennes demeures en médina par les
étrangers est un phénomène récent mais qui a pris
au cours de ces dernières années une grande ampleur qui a
contribué à ce que la presse écrite qualifie de la
"ruée vers les riads". Cette diffusion importante s'est
accompagnée d'une banalisation de la signification du mot
"riad" et son détournement vers un sens plus large pour
qualifier toutes les maisons de la médina.
La maison traditionnelle au Maroc prend en
général deux formes urbaines fondamentales: le dar et le
riad. On qualifie de dar, la maison d'habitation classique
avec une simple cour intérieure entourée de piliers autour de
laquelle les pièces sont agencées en se faisant face (Cf. figure
2 et 4, Planche 1). Le riad lui, qualifie une forme de maison
spéciale avec un jardin (Cf. figure 1 et 3, Planche 1). La forme
fondamentale dispose généralement de pièces sur les
largeurs opposées du rectangle tandis que des murs élevés
délimitent les longueurs24.
Au Maroc, l'existence du riad remonterait au moins au
XIIème siècle. Sa morphologie rappelle celle de la
maison à patio, mais la richesse historique et culturelle de ce terme
rend difficile la détermination d'une définition exacte. Pour
J.GALLOTTI "le riad est un jardin clos de hautes murailles, rectangulaires,
avec à ses extrémités, deux corps de logis face à
face. Fait comme une Dar dont la cour serait étirée pour faire
place à la lumière aux arbres et aux fleurs et dont les deux
côtés seuls seraient restés, il n'est que l'expression du
besoin d'espace. Il semble une maison dilatée dans un soupir". Il
ajoute plus loin: "Je n'ai jamais entendu dire qu'il existait au Maroc de
ryad aussi ancien que les vieilles maisons de Fès Bali"25.
Cette définition exclue toutes les demeures qui ont plus de deux
corps de logis et/ou qui ne seraient pas étirées.
24 A. ESHER, S. PETERMAN et B. CLOS, Le bradage de
la médina de Marrakech? in: M. BERRIANE et A. KAGERMEIER, (2001),
Le Maroc à la veille du troisième millénaire
(Défis, chances et risques d'un développement durable),
publication de la FLSHR, Rabat, p: 220.
25 J. GALLOTTI, Le jardin et la maison arabe au
Maroc, Ed. Filbert Lévy, (1926), (Tome I), p: 12.
24
Cependant, pour A.TOURI "Le terme riyad couvre au Maroc
une réalité quelque peu complexe. La définition la plus
directe et la plus large est celle qui en fait un jardin clos de murailles qui
renferme des constructions destinées principalement à l'habitat
occasionnel d'agrément et placées généralement
à ses deux petits côtés. Cette définition prend
encore plus de poids lorsque la surface plantée est divisée en
parcelles, généralement d'égales dimensions, par des
allées surélevées et se coupant à angles droits. A
partir de là, le sens s'élargit pour s'appliquer même aux
maisons dont la seule présence d'un jardin -mais à condition que
celui-ci soit d'une assez grande superficie qui généralement
avoisine le tiers de la surface totale et que son organisation s'attache au
modèle décrit- justifie la dénomination de
riyad."(A.TOURI, 1987)26
Les maisons de la médina ont quelque chose d'unique.
Elles présentent toutes, un aspect commun étant dotées de
façades aveugles et sobres. La demeure riche côtoie ainsi la
demeure pauvre, et c'est à l'intérieur que se déploie la
richesse architecturale de ces demeures. "Il était de tradition de
ne jamais refaire les enduits des murs qui donnaient sur la rue"(REVAULT,
GOVIN, AMAHAN, 1985). A Fès, l'habitat traditionnel d'inspiration
Mérinide est plus dense et prend la forme de maisons plus hautes,
centrées sur des patios, rarement végétalisées,
plutôt minérales et richement décorées de zelliges.
Les demeures construites sur les jardins périphériques en
médina au XIXème siècle et au début du
XXème siècle (Batha et Ziat) possèdent, en
revanche, des jardins comme les riads de l'époque
saâdienne à Marrakech. (EL OUARZAZI, 1990).
Il semble, en revanche, qu'à Fès on ne dit pas
"Riad" pour désigner toute une demeure. Dans l'ouvrage "Palais et
Demeures de Fès", toutes les maisons sans distinction sont
nommées "Dar". (Dar Tazi et bien d'autres comprennent des
riads). Riad à Fès, d'après les auteurs
de ce même ouvrage, est défini comme "un jardin
intérieur clos". Les recherches que nous avons menées sur le
terrain nous ont permis de toucher de plus près, tous ces aspects.
La différence qui existe donc entre riad et
dar viendrait essentiellement du fait que le premier est
agrémenté d'un jardin intérieur qui fait défaut
dans le dar. Il est aussi utile de souligner que le riad est
le plus souvent richement décoré et relève d'un standing
généralement
26 Cité par: A. EL OUARZAZI, (1999), Les
riyads de Marrakech, étude d'un phénomène urbain,
mémoire de fin d'études de l'ENA, p. 52.
25
supérieur de celui d'une dar. Il
n'empêche que l'on peut avoir des riads d'un niveau très
modeste. Les riads sont le fruit d'un stade d'évolution du
tissu urbain qui se densifie du centre à la périphérie.
C'est, l'on peut dire, une étape intermédiaire d'une
évolution à tendance de densification du tissu urbain de la
médina, qui a laissé la place à des maisons à patio
de petite taille.
Au Maroc, et depuis quelques années, on assiste
à une vulgarisation du terme "riad", qui était
jusqu'à il y a peu, restreint et directement lié à son
contexte `médinal' et résidentiel. En effet, riad semble
faire désormais, la une de certains journaux, revues,
périodiques, livres mais aussi d'émissions
télévisées, brochures et publicités touristiques,
pour devenir le mot vendeur d'un rêve et d'un certain orientalisme et
exotisme. Commercialisé dans le contexte de l'affluence des
étrangers sur les maisons traditionnelles en médina, le mot
riad est devenu ainsi, à la mode et traduit un signe
extérieur de richesse
Dans l'imaginaire des touristes occidentaux, le riad
suscite l'idée d'un mode de vie à l'oriental qui rappelle
l'univers des Mille et une nuits. Il surprend/ intrigue/ excite la
curiosité/ stimule l'enchantement. (R. SAIGH BOUSTA, 2004b, p.159).
Pour compléter cette idée de glissement
sémantique, du côté des Marocains également, surtout
ceux qui n'habitent pas la médina, la maison traditionnelle, quelle soit
dar ou riad, est devenue un riad. Le terme
riad, enfin, tend de plus en plus à qualifier "la maison de
l'étranger".
26
Planche 1
La différence entre un riad et une
dar
www.carredazur.com.
W-J. B, juillet 2008
W-J. B, juillet 2008
Figure 1 : Exemple d'une cour
intérieure d'un riad. La photo a été prise
à « Riad Louna », une maison d'hôtes à
propriétaire belge.
Figure 3
Figure 2 : Exemple d'une cour
intérieure d'une dar dans le quartier de Tala'a Kbira.
Figure 4
Source, figure 3 et 4 : A. Esher, S. Petermann
et B. Clos, 2000, p.220.
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