WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le phénomène d'acquisition des anciennes demeures par les étrangers, un processus de mise en tourisme de la médina de Fès?

( Télécharger le fichier original )
par Widad Jodie BAKHELLA
Université Mohammed V  - Master recherche en aménagement, développement local et gestion des territoires 2008
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Introduction

I- Les propriétés étrangères dans la médina de Fès : D'une installation sporadique à un ancrage du phénomène

II- Les étrangers en médina : Une variété d'acteurs

Conclusion

CONCLUSION GENERALE BIBLIOGRAPHIE

ANNEXES

TABLE DES ILLUSTRATIONS TABLE DES MATIERES

9

INTRODUTION GENERALE

"Il est courant aujourd'hui d'opposer tourisme et culture: le premier est réputé mercantile, le second serait noble. Il y a là incontestablement un paradoxe, car historiquement, à l'origine même du tourisme, est la culture..."

-Catherine TRAUTMANN1-

Le tourisme a été toujours perçu comme un phénomène social dont l'impact économique est considérable. En effet, selon l'Organisation Mondiale du Tourisme (OMT), il occupe la deuxième place parmi les industries du monde avec un taux de 10% du marché de l'emploi mondial.

Au bout d'un demi-siècle (1950-2005), le nombre de touristes est passé de 25 millions à 808 millions, réalisant ainsi une croissance annuelle moyenne de 4,1%2 ; et si les tendances actuelles se poursuivent, l'OMT prévoit 1 milliard de touristes en 2010 et 1,6 milliard en 2020. L'industrie touristique va connaître une véritable explosion, et va sans doute modifier notre environnement et influer sur nos comportements3.

Avec 0,7% de part de marché dans le tourisme mondial, l'industrie touristique marocaine, pour sa part, a connu une forte croissance ces dernières années avec une progression annuelle moyenne de l'ordre de 9% sur la période 1996-20044. En effet, dès les années soixante, le Maroc fait du tourisme un secteur prioritaire de ses choix économiques, et s'est engagé dans une vision à long terme dans le but d'accueillir à l'horizon 2010 dix millions de touristes.

1 Cahiers Espaces n°37, p 226. in D. DESURVIRE, L'hébergement touristique au secours du patrimoine monumental ancien, p : 17

2 « Faits saillants du tourisme : Édition 2006 », in : www.world-tourism.org.

3 Selon un communiqué de presse des Sommets mondiaux du Tourisme Chamonix-Mont-Blanc-Genève, 03 décembre 1999, in : http://www.sommets-tourisme.org/f/presse/communiques99.htm.

4 Plan de Développement Régional Touristique (PDRT) de Fès, p 3.

10

La stratégie de relance du secteur du tourisme menée par l'État depuis 2000 dans le cadre de la vision 2010 est essentiellement basée sur le produit balnéaire, ce qui accentue davantage les déséquilibres spatiaux qui existent dans l'aménagement du territoire marocain. En effet, comme le soulignait M. BERRIANE : « L'une des particularités du tourisme marocain est la concurrence serrée et continue entre le tourisme culturel d'un côté et le tourisme balnéaire de l'autre » (BERRIANE, 2003, p.217)5.

Le plan de développement triennal (1965-1967) inscrivait le tourisme parmi les priorités économiques du pays (BERRIANE, 2003, p.218). Le choix de celui-ci en tant que secteur prioritaire de la politique de développement n'est pas fortuit. En effet, outre ses atouts géographiques et naturels, le Maroc possède un patrimoine culturel d'une grande richesse (villes impériales, médinas médiévales, gastronomie réputée, artisanat renommé et population accueillante).

« L'héritage culturel est un produit d'appel fortement recherché par le touriste 6 », avance M. KACIMI, ancien secrétaire général au département du tourisme. Ceci pour souligner l'importance du tourisme culturel qui représente, entre autres, une composante centrale de la stratégie de développement touristique au Maroc à l'horizon 2010. En effet, le tourisme culturel constitue semble-t-il une part importante du tourisme national ; Celle-ci s'élève à quelques 60% des touristes internationaux qui optent pour ce type de tourisme.

Le tourisme culturel peut être défini comme un déplacement dont la motivation principale est d'élargir ses horizons, de rechercher des connaissances et des émotions au travers de la découverte d'un patrimoine et de son territoire7. Ainsi, ce qui élargit le champ de ce segment du tourisme, c'est surtout la dimension du patrimoine qui renvoi aux composantes matérielles et immatérielles de l'identité de toute société humaine, élaborée, puis transmises et réactualisées sur un territoire8. Le patrimoine devient ainsi un instrument et un point d'appui à la politique de mise en tourisme9 d'un lieu.

5M. BERRIANE, (2003), Rapport Final, Bilan sur le tourisme marocain, in Rencontre internationale de Fès (patrimoine et développement durable des centres historiques urbains), vol.2, UNESCO, Rabat, pp. 217-233.

6 Propos avancés lors d'un séminaire sur le thème : « Le tourisme et le patrimoine culturel » organisé à Rabat conjointement par le British Council et Trade Partners UK en Décembre 2002.

7 C. ORIGET DU CLUZEAU: Le tourisme culturel, PUF, coll. « Que-Sais-Je ? », 2ème Ed, 2000, Paris, p3.

8 Idem, p4.

9 Par mise en tourisme nous entendons, le processus par lequel on construit un espace touristique. Nous allons revenir sur la définition de ce concept plus en détail dans ce qui suit.

11

Certes, le tourisme tient un rôle essentiel dans la dialectique d'assignation de signification à un lieu. Au niveau mondial, beaucoup de villes ont adopté le discours du patrimoine dans leurs stratégies de développement du secteur touristique, mais seules certaines d'entres elles sont devenues des destinations privilégiées du `tourisme culturel'10.

La composante culturelle au Maroc s'appuie essentiellement sur le label des `villes impériales'. Le Maroc compte quatre villes impériales dont celle de Fès considérée comme la plus ancienne capitale du Maroc.

À Fès, le tourisme est une activité cyclique et sans tendance claire en terme de croissance. Fès, mémoire nationale chargée de culture et de spiritualité est un pôle important pour le développement du tourisme culturel. Celui-ci est surtout axé sur la médina11, qualifiée de `Ressource phare'12 de la destination, grâce à sa richesse patrimoniale considérable qui lui a value d'être classée patrimoine universel par l'UNESCO en 1981.

Les villes marocaines, comme beaucoup de villes du monde arabe, ont l'originalité de posséder une structure duale. Elles sont composées d'une partie indigène (la médina) et d'une partie européanisée (ville nouvelle développée à partir de 1912 sous l'autorité du protectorat français). Les médinas constituent la première forme d'urbanisme à voir le jour au Maroc. Elles sont toujours assimilées au lieu de la citadinité traditionnelle par rapport à celle du modèle occidental, à l'espace d'une urbanité typique arabe et marocaine, valorisée dans le contexte d'une globalisation des modes d'habiter et de la mise en tourisme du Maroc13. Elles sont, de ce fait des morceaux de mémoire uniques qui ont su conserver à travers l'histoire les signes d'identité et les modes de vie traditionnels du peuple marocain.

Aujourd'hui, les médinas sont perçues et reconsidérées autrement, autant pour leur valeur architecturale que pour leur configuration urbaine particulière. Elles représentent de ce fait, l'un des centres d'intérêt privilégiés des visites à motivation culturelle.

10 R. BORGUI, Aménagement touristique et transformation de l'espace urbain: les risques du développement du secteur à travers le cas comparé de Venise et Marrakech, 2007, p 1.

11 Médina signifie en langue arabe `la ville'. Elle est devenue la ville arabe par opposition à la ville européenne à l'époque coloniale au Maghreb.

12 Selon le Plan de Développement Régional Touristique de la ville de Fès, lancé le 25 novembre 2005, p 7.

13A. -C. KURZAC-SOUALI, "Rumeurs et cohabitation en médina de Marrakech : l'étranger où on ne l'attendait pas", in revue Hérodote, N° 127, 4ème trimestre 2007, p. 64-86.

12

Dans cette optique, la médina de Fès connaît depuis quelques années une croissance rapide dans le secteur du tourisme. En effet, d'après la délégation régionale du ministère du tourisme, la ville de Fès a accumulée en janvier 2008 un total de 7 466 arrivées et 46 501 nuitées, soit une augmentation de 5% en termes de nuitées en comparaison avec le même mois de l'année 2007. Cette nouvelle dynamique s'inscrit dans une mutation profonde de la demande et de l'offre qui fait qu'un nouveau regard touristique est inventé pour les villes patrimoniales et plus particulièrement leurs médinas.

Il semble qu'au Maroc depuis ces trois dernières décennies, l'espace urbain ancien acquiert un autre statut au sein de la ville marocaine contemporaine. Cette mise en valeur patrimoniale et touristique de la médina s'opère particulièrement, et de plus en plus, à travers l'achat des riads14 et anciennes demeures par les étrangers. En effet, le phénomène s'est amplifié considérablement durant ces dernières années ne pouvant plus être qualifié d'une simple mode passagère. Il s'agit désormais d'un phénomène qui persiste et se diffuse de plus en plus pour toucher à des degrés variables un bon nombre de médinas marocaines. Ce mouvement s'inscrit à la fois comme une réaction de rejet et de fuite du tourisme de masse et aussi comme une quête d'un voyage inédit. Les anciennes demeures, généralement sans confort moderne, sont donc peu à peu délaissées par les autochtones pour être récupérés par des riches étrangers fascinés par le cachet traditionnel de ces villes anciennes.

Les médinas au Maroc sont passées, dès le protectorat, par un ensemble de faits ayant pour conséquence un processus de dévalorisation à multiples facettes. D'abord, la politique urbaine du protectorat sous l'égide du Général Lyautey et qui préconisait la séparation de la population européenne de celle des autochtones par la création de la ville européenne, symbole de modernité par opposition à la médina, et le glissement des principales fonctions des tissus traditionnels vers la ville nouvelle. "Par cette séparation nette et tranchée, le Résident Général a voulu, outre les questions morales, économiques et de sécurité, préserver l'aspect des villes indigènes, les monuments historiques ou religieux, les vieilles murailles pittoresques, maintenir enfin dans son cadre une civilisation intacte depuis des siècles (...)"15.

14 Riad (ryad ou riyad) : jardin irrigué de plaisance et de prestige ; grand jardin intérieur d'une demeure urbaine (définition de P. PASCON, 1977), in : TROIN J.-F. (2002) (sous la direction de), Maroc. Régions, Pays, Territoires (Encadré 5, Le patrimoine des médinas), p 152.

15 Propos de l'architecte Henri PROST dans une communication de 1931 sur les choix urbanistiques de la France au Maroc pendant le protectorat. H. PROST, "Le développement de l'urbanisme dans le protectorat du Maroc", dans L'urbanisme aux colonies et dans les pays tropicaux. Communications et Rapports du Congrès International de 1931, Edition Delayance, 1932, p.60. (Cité par Anne-Claire KURZAC-SOUALI, 2006, p. 19).

13

Ensuite, ce rôle du protectorat s'est renforcé par le départ des élites en ville nouvelle mais aussi vers d'autres villes notamment Rabat et Casablanca, voire même à l'étranger. Après l'indépendance, les médinas se sont transformées en des foyers de migration de substitution réceptifs de migrants ruraux, c'est le cas de la ville de Fès où 82% des migrants installés en 1982 sont venus directement de la campagne à la ville (FEJJAL, 1995a, p.208)16. Et c'est ainsi que les médinas sont dès lors habitées par une population plus pauvre. De ce fait, habiter la médina n'était plus valorisé mais, au contraire, avait une image négative accentuée par la perte de sa valeur foncière et la dégradation de son bâti.

Cependant, il paraît qu'au cours des dernières années de la décennie passée cet espace, autrefois marginalisé, bénéficie d'un regain d'intérêt qui fait que la médina est devenue au centre de considérations politiques, économiques, culturelles et touristiques. Pour la plupart, classées au patrimoine mondial de l'UNESCO (Marrakech, Essaouira, Tétouan et Fès), mises en valeur par le tourisme, les médinas sont désormais sujettes de 'la ruée' des étrangers vers les riads et maisons anciennes. Toutes ces médinas marquées par un développement historique différent mais qui ont toutes été, à un moment de leur histoire, touchées par le départ de leurs élites et l'installation de ruraux, sont devenues maintenant un foyer qui reçoit une vague de touristes venant y séjourner, y investir et y prendre résidence.

Il s'avère que le processus est particulièrement important à Marrakech, où depuis déjà les années 1960 les Occidentaux, notamment issus de la jet-set internationale, décident d'acheter des anciennes demeures pour y habiter. En revanche, c'est surtout vers la fin des années 1990 que ce phénomène a pris de l'ampleur pour ne plus être l'apanage de Marrakech mais aussi, et à des degrés différents, d'autres médinas notamment celle d'Essaouira et de Fès.

Après avoir rappelé dans un bref aperçu historique le contexte de ce phénomène en insistant sur le changement du statut des médinas d'espaces délaissés et marginalisés vers des espaces reconnus et convoités, il semble que ce travail de recherche sur le processus de la mise en tourisme de la médina de Fès sous l'effet de l'achat des demeures traditionnelles par les étrangers est un thème riche et susceptible de répondre à différents axes de recherche. En effet, l'afflux des étrangers vers la médina de Fès pour, de plus en plus y prendre résidence,

16 Cité par A-C. KURZAC-SOUALI, Les médinas marocaines: une requalification sélective, Elites, patrimoine et mondialisation au Maroc, Thèse de doctorat, Université Paris IV, 2006, p. 24.

14

pourrait être considéré comme une nouvelle forme de mobilité qui nous rappelle la mobilité Sud-Nord mais qui prend cette fois-ci le sens inverse, pour concerner les différents pays occidentaux à des degrés différents. Cette mobilité résidentielle se traduit par une accession à la propriété réalisée par des acheteurs solvables et étrangers au pays. S'ajoutant à cela, la spécificité de l'espace `médinal' en son rôle de foyer de réception de polymigrants17 d'origine occidentale, alors qu'il y a encore quelques années passées, à l'heure du protectorat, cet espace typique leur été interdit. On pourrait en effet qualifier cette installation étrangère dans la médina d'une migration, puisqu'elle obéît à un déplacement d'un pays (occidental) à un autre (ici, le Maroc) pour s'y installer définitivement ou temporairement.

D'un autre angle de vue, cette nouvelle tendance d'investissement étranger en médina pourrait être assimilée à une nouvelle forme de tourisme, celui-ci qui n'est à la base qu'une forme de mobilité humaine. Un tourisme dont les acteurs principaux sont des étrangers de nationalités différentes, et que l'on pourrait qualifier de tourisme de résidence.

Il paraît que peu d'études scientifiques se soient intéressées à l'étude de ce phénomène dans la médina de Fès. Par ailleurs, la littérature semble être plus ou moins abondante sur ce même phénomène à Marrakech et d'une proportion inégale à Essaouira. Cependant, ces études ont généralement traité le sujet comme une forme de reconquête, de requalification, de gentrification, de bradage mais jamais comme un processus de mise en tourisme.

Cette perspective de recherche met la notion de mise en tourisme au centre de notre réflexion. Ce terme désigne un processus de développement touristique planifié, volontariste d'un espace. Il s'oppose au terme de `touristification' qui tend à désigner a contrario un processus de développement touristique spontané (J.M DEWAILLY, p.31 in AMIROU et alii, 2005). Ce concept a vu le jour à la fin des années 80 grâce à des géographes notamment, Rémy KNAFOU, Philippe DUHAMEL et Isabelle SACAREAU.

«Tous les lieux ne sont pas touristiques, mais tous peuvent le devenir» (Claude RAFFESTIN, 1986). En effet, il n'existe pas de territoire doté de vocation touristique. La mise en tourisme

17 Pour reprendre le terme utilisé par Justin MCGUINNESS dans son article: "Errances vers un Orient imaginaire? Les polymigrants de la médina de Fès", revue Ibla de l'Institut des Belles-Lettres Arabes, n°198, 2006, pour qualifier les étrangers s'installant dans la médina de Fès.

15

de l'espace obéit à un système d'acteurs. Cette évolution des territoires est celle qu'on qualifie par le concept de `touristification'.

Le champ théorique relatif aux approches de la mise en tourisme est relativement large. L'approche de la mise en tourisme en géographie permet de comprendre comment, pourquoi et dans quel contexte un espace donné est choisi par un certain nombre d'acteurs pour y construire un espace touristique18.

Nous proposons alors, par le biais du cas de la médina de Fès, de baser notre travail de recherche sur cette approche géographique, étant donné que la médina de Fès constitue un espace touristique en mutation par un processus de plus en plus important, même si encore à ses débuts par rapport à d'autres villes telle que Marrakech ou Essaouira.

Ce concept s'adapte parfaitement au cas de la médina de Fès puisqu'il nous permettra de définir l'espace relatif à la médina en tant qu'espace touristique qui subit des transformations initiées par des acteurs publics et des acteurs privés étrangers, et renforcées par la forte fréquentation touristique de ce même espace.

La médina de Fès, en effet, et parallèlement à une croissance exponentielle du nombre des touristes et visiteurs, se voit peu à peu transformée par un processus volontariste guidé par la volonté des pouvoirs publics et les acteurs privés étrangers. Ce sont ces dynamiques qui nous interpellent et nous poussent à nous interroger sur ce processus de mise en tourisme de la médina par l'achat d'anciennes demeures et riads par des touristes étrangers.

Le choix qui est le nôtre d'étudier ce phénomène, dans la médina de Fès en particulier, s'explique tout d'abord par le fait que la ville de Fès nous est apparue comme un espace de prédilection pour travailler sur le thème du tourisme dans son lien à la culture et au patrimoine. D'autre part, la médina de Fès anime une fascination particulière auprès des touristes, car l'importance de la dimension de son patrimoine civilisationel prédomine sur tous les autres aspects. Elle constitue, de ce fait, un lieu emblématique pour analyser les dynamiques de ce processus de mise en tourisme dans un espace urbain en mutation.

18 M.-A. CHOPLIN, 2007, La mise en tourisme de Ouarzazate : Acteurs, discours et lieux, mémoire de master, Université François-Rabelais de Tours, p12.

16

Ainsi, et à la lumière de toutes ces données, nous sommes en droit de nous poser les questions suivantes : Pourquoi les étrangers s'installent-ils dans la médina de Fès ? Quelles sont les conditions permettant aux étrangers d'acheter des riads et vieilles demeures dans l'ancienne médina ? Comment un tel phénomène a-t-il pu se produire dans la médina ? Comment se présente le phénomène dans l'espace `médinal' ? L'apparition du phénomène à Fès a-t-il une relation avec le succès qu'il a eu dans d'autres villes comme Marrakech ? Prend-t-il la même allure qu'à Marrakech ou au contraire est-il particulier à Fès ?

Par là, notre questionnement central peut être formulé comme suit : Dans quelle mesure ce phénomène d'investissement des étrangers par l'achat des maisons anciennes peut-il contribuer à la mise en tourisme de la médina de Fès ?

Postulats et hypothèses de travail:

Dans le but d'entreprendre cette étude, quelques hypothèses devront être formulées; celles-ci se rattachent à notre perception des dynamiques de la mise en tourisme de la médina de Fès. Il s'agit notamment de confirmer ou d'infirmer que:

· Le phénomène d'achat par les étrangers des riads et vieilles demeures participe à la mise en tourisme de la médina de Fès;

· L'investissement étranger dans la médina de Fès prend la même allure qu'à Marrakech ou Essaouira et se développe par conséquent, selon les mêmes processus.

Pour répondre à nos questionnements, nous avons structuré notre recherche selon trois axes qui correspondent à trois chapitres. Ainsi, dans un premier temps, ce travail propose un éclairage sur le phénomène d'acquisition des maisons traditionnelles par les étrangers. Le premier chapitre se veut être un état des lieux de la question. Il vise à contextualiser le phénomène en se basant sur les cas des villes de Marrakech et d'Essaouira, et à comprendre les effets déclencheurs de cet afflux à travers les efforts de patrimonialisation et de sauvegarde encouragés par les acteurs étrangers et l'Etat, par le biais de la promotion touristique. Ceci nous permettra de montrer par la suite comment le phénomène a atteint la médina de Fès et dans quelles conditions, en s'attardant sur les actions menées pour la

17

sauvegarde et la mise en patrimoine de celle-ci en tant que base à la revalorisation de son image et sa mise en tourisme.

Puis, il s'agira dans un deuxième temps, de décrire les dynamiques récentes en médina en cherchant à expliciter la perception de la médina de Fès par les étrangers ainsi que l'organisation de ce nouveau marché et à temporaliser le phénomène pour en comprendre le développement. Nous nous attarderons également sur la manière avec laquelle ces étrangers investissent ou exploitent leur habitation en médina. Ce chapitre nous permettra donc de répondre en partie et d'une part à notre première hypothèse qui posait le constat de la mise en tourisme de l'espace `médinal' par cet afflux de plus en plus fort d'étrangers, et d'autre part, et en partie, à notre deuxième hypothèse qui supposait que le phénomène à Fès prenait la même allure que dans les villes de Marrakech et d'Essaouira qui l'ont précédé dans ce sens.

Dans un troisième temps, nous nous intéresserons plus au profil de ces nouveaux habitants étrangers. Qui sont-ils ? Comment vivent-ils dans la médina? Combien sont-ils ? Et comment s'organisent-t-ils dans l'espace ? En effet, la médina de Fès incorpore à son tissu des résidents étrangers nouveaux, de profils différents et dont les choix de localisation obéissent à des logiques sélectives.

La mise en tourisme constitue la clef de lecture à l'étude de ce phénomène d'afflux étrangers vers la médina de Fès. Elle nous permettra de comprendre comment, pourquoi, par qui et dans quel contexte l'espace `médinal' de Fès a été choisi par un certain nombre d'acteurs étrangers pour y construire un espace touristique19.

Approche méthodologique :

Afin de répondre à notre objectif principal et afin de vérifier les hypothèses que nous nous sommes posées comme base de notre recherche, des données aussi bien qualitatives que quantitatives seront indispensables à une étude géographique sur un phénomène en mouvement dans un espace spécifique.

19 M.-A. CHOPLIN, 2007, La mise en tourisme de Ouarzazate : Acteurs, discours et lieux, mémoire de master, Université François-Rabelais de Tours, p12.

18

Ainsi, en ce qui concerne les matériaux, la méthodologie retenue dans le cadre de cette étude s'est basée sur une analyse documentaire, une analyse sur le terrain et une série de questionnaires pour compléter les sources disponibles.

L'investigation bibliographique nous a permis d'avoir un aperçu général sur l'état des lieux de la question. Elle a été réalisée auprès des différentes institutions concernées par cette problématique, ainsi que dans les centres de documentation universitaires ou professionnels.

Pour les enquêtes de terrain, nous avons opté pour une démarche qualitative par observation directe à travers une enquête de repérage qui a concerné les anciennes demeures achetées par les étrangers. Cette observation a été appuyée de prises de notes et de photographies, qui ont servi par ailleurs, de trame à nos investigations de terrain.

Notre enquête s'est poursuite avec des questionnaires qui ont été distribués auprès des différents acteurs concernés par la question. Nous entendons par acteurs ici les propriétaires étrangers de maisons dans la médina. Le questionnaire est organisé en plusieurs volets et a été rempli avec la personne interrogée dans son habitation dans la grande majorité des cas. Le but à travers l'enquête auprès des nouveaux habitants, parfois propriétaires de maison d'hôtes, est d'analyser leurs profils, les modalités de leurs arrivées, leurs motivations, les procédures d'acquisition de leurs logements en médina et leurs perceptions de celle-ci. Le nombre de ces acteurs étant limités, en raison de l'absence de la majorité d'entre eux, le choix des personnes à enquêter se faisait en fonction de leur présence sur place et des opportunités de rencontre.

Certains entretiens semi-dirigés ont été également nécessaires dans les premières visites du terrain, auprès de personnes-ressources, qui nous ont permis de comprendre le contexte dans lequel s'installaient ces étrangers.

Par ailleurs, nous avons effectué un relevé cartographique presque systématique des maisons à propriétaires étrangers dans la médina. Nous nous sommes à cet effet, servis des informations recueillies à partir des dossiers de la conservation foncière, auxquelles nous avons eu accès auprès du cadastre de la ville de Fès, ainsi qu'à des listes et dossiers des habitants étrangers qui nous ont été communiqués par les différentes collectivités de la médina de Fès.

D'autre part, nous avons aussi pris contact avec certaines agences immobilières où nous avons pu avoir des compléments d'informations sur les acquéreurs étrangers en médina. Nous avons

19

aussi contacté « le représentant », des nouveaux habitants étrangers qui nous a, à son tour, fait part d'une liste personnelle d'étrangers résidant dans la médina, depuis 1997 et jusqu'à 2002.

Présentation du terrain d'étude :

Nous avons choisi d'entreprendre notre travail de terrain à Fès. La ville de Fès est située à la limite du Saïs, plateau enserré entre les rides prérifaines au Nord et le Moyen Atlas au Sud. La ville s'est localisée à la croisée des routes qu'empruntaient les échanges du Maroc pré-colonial20.

Sa médina comporte deux entités : Fès Jdid (Fès la nouvelle), construite à la fin du XIIIème siècle qui comprend la ville proprement dite avec son quartier juif, le Mellah et le palais royal ; et Fès El Bali (Fès l'ancienne) datant du IXème siècle. Cette entité est établie sur les pentes d'une cuvette traversée par l'oued Boukhrareb qui la découpe en deux parties, Adwat Al Andalous à l'Est et Adwat Al Qarawiyine à l'Ouest. Elle constitue la plus vaste et la plus passionnante médina du Maroc. C'est le coeur historique de la ville, classée comme site d'héritage mondial par l'UNESCO.

La commune urbaine de Fès est née lors du découpage administratif de la province de Fès en mars 1992. En 2002, cette commune a été divisée en deux arrondissements qui sont : Fès Médina et Jnan El Ouard21.

L'arrondissement de Fès Médina occupe la partie Est de la ville de Fès. La médina de Fès est un labyrinthe de 9 500 rues et d'un millier d'impasses grouillantes dans une médina qui s'étend sur 350 ha et la densité de la population y est estimée à 1200 personne/ha.

Notre terrain d'étude se limite à Fès el Bali, qui constitue le coeur de la ville traditionnelle et où le phénomène d'acquisition des anciennes demeures par les étrangers commence à se développer de plus en plus.

20 J.-P. LABOIRIE, 1990, Atlas de la médina de Fès, Presse Universitaire du Mirail, Toulouse, p 2.

21 Selon les dispositions du Dahir n°297-02-01 du 3 octobre 2002 relatif à la Charte communale.

20

21

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery