Les quartiers d'installation des étrangers dans la
médina constituent des espaces urbains en mutation par un processus de
mise en tourisme mais aussi et surtout, pour ces nouveaux venus, des espaces
sociaux de vie et de cohabitation avec les marocains. Ses liens sociaux vont
des simples rapports de voisinage noués avec les autochtones, aux
réseaux relationnels créés avec les autres
étrangers habitant la médina.
Les relations entre les étrangers se tissent
principalement entre les résidents de la même nationalité,
ou du moins parlant la même langue. La solidité des rapports tient
à différentes affinités, parmi lesquelles, la
fréquence de la présence de l'étranger en médina.
En effet, certains étrangers y viennent passagèrement, par contre
d'autres y vivent de façon permanente. Certains en font leur lieu de
travail pendant que d'autres l'envisagent comme un espace de résidence
ou de villégiature. Les premiers étant le plus souvent sur les
lieux, ont le plus de chance d'établir des liens plus étroits
avec le reste de la communauté étrangère.
A Fès, et d'après nos observations, le
réseau le plus solidaire est celui de la population anglophone. Ceux-ci
semblent s'organiser autour d'un américain dans les cinquantaines,
directeur du centre d'enseignement d'anglais et de l'arabe, qui a acquis une
grande réputation auprès des différents étrangers,
mais aussi auprès des habitant de la ville en générale,
pour avoir été le premier étranger à acheter une
demeure traditionnelle en médina, pour en acquérir par la suite
quatre autres. Cet esthète américain, comme le qualifie Justin
MCGUINESS (J.MCGUINNESS, 2006, p.191), est devenu spécialiste de
l'acquisition et de la restauration des riads et demeures
traditionnelles. Il a créé à cet effet, un site Internet
très riche en informations utiles à tout nouveau étranger
(anglophone, puisque le site est en anglais), souhaitant s'installer dans la
médina de Fès58. En effet, à travers son site
Internet, il explique aux étrangers comment acheter et restaurer une
maison ou un riad à Fès dans le but de les encourager
mais aussi pour leur faire part de ses expériences afin de leur faire
éviter les erreurs que lui ou d'autres étrangers ont pu
commettre. Comme il cite différents contacts utiles d'ingénieurs,
d'architectes, d'agents immobiliers et différents autres
administrateurs, qui peuvent aider à une étape ou à une
autre de l'achat de la maison.
58
http://www.houseinfez.com.
98
Nos enquêtes de terrain nous ont, en effet permis de
vérifier la position centrale de cet américain dans les choix
à prendre par les nouveaux "touristes-résidents" d'origine
anglophone, en matière de consultation et de demande de conseils. Des
habitants anglais nous ont affirmé le rôle de celui-ci et
l'utilité de son site Internet comme source d'information.
D'autre part, et en sa qualité de "pionnier" en
médina, cet américain s'amusait à enregistrer, jusqu'en
2002, et avec précision, tous les autres étrangers venant
s'établir en médina et ce depuis son installation en 1997. Il est
même un interlocuteur privilégié auprès des
autorités locales et du Wali comme interface entre les
autorités et cette communauté étrangère. Il est
intéressant de souligner également, qu'en sa qualité de
directeur du centre linguistique, cet habitant américain loue une de ces
maisons en médina aux enseignants et aux étudiants
étrangers ou leur propose de vivre au sein d'une famille marocaine,
pendant une à deux années, avant que ceux-ci ne se
décident généralement à s'acheter eux-mêmes
une maison traditionnelle.
Le réseau de contact entre les étrangers se
développe généralement dans le sens d'une
communauté d'intérêts. Ces étrangers
"néo-Fassis" comme les qualifient Justin MCGUINNESS (Idem, 2006), se
partagent les informations relatives aux processus d'acquisition d'une demeure,
sa restauration, le coût des travaux,...etc. comme ils peuvent tisser des
relations d'amitié avec des samsars marocains qui les aident et
les accompagnent aussi pour la traduction ou toute autre démarche.
Le motif d'installation et la situation sociale du nouvel
habitant aident au rapprochement entre les différents groupes. Nous
avons noté ici, l'exemple des patrons de maisons d'hôtes qui se
réunissent et se rendent souvent visite et s'organisent en association.
D'autre part, les étrangers ayant noués des liens
d'amitiés peuvent s'inviter mutuellement. Dans ce sens, les anglophones
ont créé leur point de rencontre à eux en médina,
le café culturel dont le patron est un anglais. C'est pour eux un lieu
de rencontre idéal pour manger ensemble, prendre un pot, discuter ou
travailler au calme.
D'autres étrangers, par contre, semblent être
moins ouverts à la rencontre ou à la connaissance des autres
membres de la communauté étrangère, et n'entretiennent
ainsi aucune relation avec
99
eux. Ils sont généralement des habitants dont le
lieu de travail est en ville nouvelle et qui ne passent, ainsi, que peu de
temps en médina.
Habiter dans l'ancienne médina, c'est aussi
côtoyer de plus près les aspects de la vie quotidienne de
l'autochtone. Les nouveaux étrangers s'intéressent à tous
ce qui concerne leur ville adoptive. Une jeune anglaise mariée à
un marocain est constamment vêtue en habits traditionnels marocains et ne
parle aux marocains qu'en arabe. Un autre couple d'une française
mariée à un allemand, est devenu un couple vivant à la
marocaine dans la façon de s'habiller à la marocaine et de vivre
à la marocaine. C'est des manières parmi d'autres de se faire
accepter et de s'adapter à leur nouveau milieu de vie. La cohabitation
entre les étrangers et les marocains commence par les liens de
voisinage, ainsi les contacts entre le fassi et son nouveau voisin
étranger peuvent prendre forme à travers les incidents de tous
les jours. Ces relations sont souvent modestes, mais courtoises. Un voisin
demandera son avis à l'étranger sur les travaux qu'il est en
train de faire exécuter et lui montrera sa maison. Le
représentant des résidents lui proposera de devenir membre de
leur association du quartier...etc. (J.MCGUINESS, 2006, p.196). En plus, ces
étrangers font souvent travailler des marocains chez eux, surtout quand
il s'agit d'un lieu de commerce (Maison d'hôtes, café,...). Comme
le souligne M.BERRIANE, "de façon générale, les
premiers acquéreurs ont été accueillis à bras
ouverts par les habitants de ces quartiers anciens: ils apportent des devises,
du travail (gardiennage, travail ménager) et des consommateurs de biens
et de services, et contribuent à la relance des activités
artisanales" (BERRIANE, 2003).
Les relations de proximité et de voisinage entre ces
nouveaux habitants étrangers et la population locale n'ont pas encore
fait l'objet d'une recherche ou d'enquêtes approfondies. Elles ont,
néanmoins, été introduites dans les écrits de J.
MCGUINNESS qui explique, sur la base de plusieurs séries d'entretiens
réalisés auprès des nouveaux habitants étrangers,
quelques aspects liés à la nécessité pour ces
derniers, de se faire accepter dans leur nouvel environnement. Une
enquête plus fine sur « Le voisinage des Ryads-maisons d'hôtes
(RMH) dans la médina de Marrakech », a été
néanmoins encadrée par le chercheur R. SAIGH BOUSTA, afin de
cerner les transformations de la vie du quartier historique face à la
prolifération rapide des riads reconvertis en maisons
d'hôtes à Marrakech. Le chercheur A.-C. KURZAC SOUALI, s'est
également arrêtée sur les rumeurs et cohabitation en
médina de Marrakech face à l'installation d'étrangers,
sous le thème de « l'Autre où on ne l'attendait pas ».
Ces recherches
100
sont révélatrices d'une superficialité
relative concernant les contacts de la population marocaine avec les
étrangers en médina.
La mise en tourisme de la médina par ses acteurs
étrangers de plus en plus nombreux est perçue, d'une part, comme
valorisante, étant donné que les nouveaux venus participent
à l'amélioration de l'environnement local et offrent des
opportunités d'emplois pour les habitants du quartier. D'autre part,
l'arrivée d'étrangers est susceptible de générer
des craintes par les anciens habitants, surtout dans les quartiers les plus
investis, notamment par les maisons d'hôtes. La réaction des
habitants est, en effet, généralement basée sur un
sentiment de danger et de perte des repères identitaires et
traditionnels.
Il serait intéressant de consacrer un travail de
recherche ultérieur aux aspects liés à cette
problématique de pratique de la médina par les étrangers
et les questions de la cohabitation et des rapports entretenus entre les
marocains et ses nouveaux touristes-résidents en le renforçant
par des enquêtes et des entretiens.