Il existe un autre type d'usage lié aux maisons
traditionnelles achetées par les étrangers dans la médina
de Fès. Celui-ci est relatif à la reconversion de ces demeures
à un but lucratif en les aménageant en maisons d'hôtes ou
encore en un café ou restaurant. Comme elles peuvent aussi servir de
local pour les institutions culturelles. Ceci permet ainsi à certains de
couvrir leurs dépenses d'achat et de restauration.
En effet, de plus en plus de demeures dans la médina
de Fès sont utilisées comme une nouvelle forme
d'hébergement touristique selon la formule de maison
d'hôtes46, un concept nouveau qui a vu le jour vers la fin des
années 1990, et qui vend le désir d'habiter la médina.
Mais, c'est un concept qui est, du point de vu symbolique, en contradiction
avec l'hospitalité traditionnelle suivant laquelle l'hôte est
quelqu'un qu'on reçoit selon des règles de convenances claires.
Cette hospitalité consistait à refuser de faire payer
l'invité (l'hôte). « Lorsqu'on reçoit, c'est son
horizon géographique et symbolique qui s'élargit. [...] les
hôtes reconduisent ces règles immémoriales qui se
transmettent encore comme des coutumes [...] de l'ordre de la bienséance
élémentaire47 ». Pour M. CHEBBAK,
universitaire, « En toute rigueur, une maison est un foyer, un lieu de
vie et d'intimité où logent des résidents permanents qui,
par moments et selon les circonstances, reçoivent gracieusement et sans
artifices de véritables hôtes à qui l'on offre le
gîte et le couvert parce qu'ils nous sont proches. [...]Aujourd'hui, ces
attitudes d'accueil, de chaleureuses retrouvailles et d'exquises
convivialités [...] sont cyniquement récupérées par
le marketing touristique48. »
Déjà à la fin du Protectorat,
l'hébergement des touristes dans la médina de Fès se
faisait dans des anciennes demeures sous forme de petits hôtels qui se
trouvent principalement à Tala'a Kbira et Tala'a Sghira. Aujourd'hui les
maisons d'hôtes offrent au touriste la possibilité de
séjourner en médina dans une ambiance sophistiquée et
parfaitement dépaysante.
46 Selon la loi n°61-00 portant statut des
établissements touristiques, article 2 : « La maison d'hôte
est un établissement édifié sous forme d'une ancienne
demeure, d'un riad, d'un palais, d'une kasbah ou d'une villa et
situé soit en médina, soit dans des itinéraires
touristiques ou dans des sites de haute valeur touristique », in : Droit
du tourisme, première édition, 2004, p135.
47 Revue Architecture de Maroc, 2004,
Dossier « Les maisons d'hôtes » n°17,
juin-juillet-août, Archimédia, Casablanca, p.9.
48 Idem, p.29.
77
Actuellement à Fès sur les 56 maisons
d'hôtes déclarées et autorisées, quelques 27 sont
tenues par des étrangers, dont 17 sont classées. Un chiffre qui
reste très modeste en comparaison avec Marrakech, où le nombre de
maisons d'hôtes étrangères est estimé à
quelques 11049. Mais la particularité de Fès,
réside dans le fait que cet investissement en maisons d'hôtes est
pour la plupart réalisé par des marocains, principalement des
fassis ayant manifesté le désir de retour en
médina.
Les maisons d'hôtes dans la médina de Fès
ont été recensées et cartographiées par
l'ADER-Fès en 2006 (Cf. Carte 6). Il faut également envisager la
présence à Fès de maisons d'hôtes non
déclarées qui opèrent secrètement dans le domaine
en proposant les mêmes services. Nous avons pu en recenser en Juin 2008,
à l'aide des autorités locales, quelques 13 maisons. Les
propriétaires les louent par le biais d'Internet ou directement de leur
pays par la remise des clefs en main au locataire, ou encore en confiant la
maison à un marocain qui, une fois les clients sur place, s'occupera de
la gestion du logement et de sa location.
Les propriétaires des maisons d'hôtes
déclarées se sont regroupés en une association des
propriétaires des maisons d'hôtes de Fès. Le statut de
l'association n'a pas encore été approuvé. Mais celle-ci
démarre bien puisqu'elle a des missions et des objectifs clairs et
précis. Elle est présidée par un marocain, le
propriétaire de « la maison Bleue », et le conseil
d'administration est constitué à moitié d'étrangers
et à moitié de Marocains. Ses principales missions sont, entre
autres, de représenter les maisons d'hôtes autorisées
à Fès (médina et ville nouvelle), de promouvoir leur
activité et défendre leurs droits ainsi que d'organiser le
marché en luttant contre les activités clandestines.
La multiplication des riads aménagés
en maisons d'hôtes joue par cette réutilisation, un rôle
déterminant dans la mise en tourisme de la médina par la mise en
valeur du patrimoine domestique.
Une autre forme d'usage touristique des maisons anciennes
dans la médina de Fès par les étrangers est celle d'une
dar transformée en un café et restaurant culturel. Dans
la médina de Fès, il en existe un seul et qui est connu de tous
les étrangers qui y habitent.
49 Antone ESHER, 2000, p.227.
Carte 6. La localisation des maisons
d'hôtes (marocaines et étrangères) à Fès en
2006
Source : ADER-Fès, 2006.
78
79
Ce café est tenu par un jeune homme anglais qui a tout
quitté à Londres pour réaliser son rêve d'ouvrir un
restaurant à Fès. Son idée vient du fait qu'il avait senti
le besoin dans la médina d'un espace de récréation. Ce
café a ouvert ses portes en 2007 dans une petite ruelle au quartier de
Tala'a kbira à 200m de Bab Boujloud, axe commercial très
fréquenté, et s'est rapidement intégré au tissu
économique de la médina. Outre, ses mets et boissons
inspirés généralement de la cuisine marocaine, le
café abrite une bibliothèque riche et variée comme il fait
aussi office de galerie d'expositions, de café-concert, de
séances de yoga, et autres activités diverses. Il est
volontairement décoré simplement en puisant dans les
spécificités de l'artisanat et des traditions locales.
D'autre part, certaines institutions culturelles peuvent
prendre pour local des riads et demeures anciennes, comme le cas de
l'Institut Français qui utilise le patrimoine domestique en
médina comme support des manifestations culturelles. L'annexe se trouve
au fond d'une ruelle au quartier Batha. La demeure est louée à
une famille de notables de la médina qui n'y vit plus, et l'Institut
Français en a fait un local pour les concerts et les colloques ainsi
qu'un lieu de résidence pour les jeunes chercheurs et les artistes. Il
existe aussi une demeure personnelle en copropriété
maroco-anglaise, qui sert également de galerie d'exposition d'art dans
le quartier historique Qarawiyine.
En somme, les maisons acquises par les étrangers dans
la médina de Fès prennent deux formes principales.
L'investissement se fait généralement pour un usage privé
dans une première phase de la mise en tourisme. Il est rattrapé
et renforcé ensuite par des choix d'investissement alimentés par
la recherche de gains. Ces investissements sont polymorphes, selon que le
propriétaire décide de convertir sa demeure en une maison
d'hôtes, occasionnellement pour couvrir ses dettes et ses dépenses
de restauration ou comme activité principale guidée par
l'éventualité d'un bénéfice important. La mise en
tourisme de la médina est d'autre part soutenue par l'exploitation de
ces demeures en des équipements touristiques dans le cas où est
programmée une utilisation de celles-ci en café ou en restaurant
ou en un local pour les manifestations culturelles ou encore pour la location
aux touristes, hors la formule d'hébergement en maison d'hôtes.
L'investissement peut aussi être effectué pour un placement
d'argent ou une revente ultérieure relative à une hausse
anticipée des prix de l'immobilier sur le marché. C'est la
spéculation foncière.
Planche 5
Les demeures étrangères à usage
commercial ou culturel dans la médina de Fès
W-J. B, juillet 2008
W-J. B, juillet 2008
e e
2
e :
nt
e
c
Ô fé
ca v
in d
e. e
t
é
e
av
e
c
un
d
é
c
o
r
a
io
Figure 2 : Le café vu de
l'intérieur avec une décoration
typiquement marocaine.
Figure 4 : La cour d'une dar
transformée en un café - restaurant culturel.
W-J. B, juillet 2008
80
Figure 1 : Entrée de derb El Magana
abritant le café culturel, qui en tire le nom, à
propriétaire anglais.