III- La valorisation de l'espace médinal de
Fès : prémices de la mise en tourisme
La médina de Fès a
bénéficié outre ses potentialités touristiques et
sa forte image culturelle, d'un intérêt de sauvegarde et de
reconnaissance universelle par la mise en place d'une image de plus en plus
valorisante et la recomposition du discours sur son centre ancien par le prisme
du patrimoine. A cette démarche patrimoniale vient s'intercaler une mise
en valeur touristique. La médina de Fès illustre assez
parfaitement un passage de la prise en compte du patrimoine à la
touristification et la mise en tourisme de celui-ci.
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1- Sauvegarde et patrimonialisation de la médina de
Fès : Une politique qui bat au rythme de la touristification
Fès est une ville historique, fondée en l'an
809, a une population de 150 461 habitants occupant 12 212 maisons dont 9369
maisons traditionnelles à caractère historique. La Médina
avec ses deux entités Fès El Bali et Fès Jdid est un lieu
d'activité (9600 unités) et en particulier de production
artisanale non polluante (1276 ateliers).
Fès a connu à la fin du 19ème
siècle, un rythme de dégradation continue marqué par trois
phases principales : abandon, surexploitation, mauvaise restauration et
occupation inadéquate des lieux, en parallèle avec une
dégradation avancée des infrastructures et des équipements
socio-éducatifs. Autant de facteurs qui ont favorisé le
surpeuplement de la médina qui atteignait au cours des années
1980 plus de 180 000 habitants. Cette surdensification a eu de graves
répercussions sur les conditions de vie de la population et sur la
qualité du cadre bâti. En effet, sur les 13 385 bâtisses de
la médina de Fès (dont 11 601 historiques),
l'ADER-Fès35 a relevé globalement, 34% de logements en
mauvais état, dont 31% à Fès El Bali et 67% à
Fès Jdid. (Cf. Carte 4)
C'est ainsi que la médina de Fès a fait,
à partir des années 1980, l'objet d'une attention de plus en plus
soutenue. Elle a bénéficié de la mise en place d'une image
valorisante de ses tissus anciens par le biais d'acteurs locaux et
internationaux. Ainsi, au comble de sa dégradation, la médina de
Fès reprend son dynamisme grâce à sa patrimonialisation.
Rappelons ici que la « patrimonialisation » correspond au processus
par lequel une communauté reconnaît, en tant que patrimoine, des
productions de sa culture héritées des générations
passées ou produites par les générations actuelles et
jugées dignes d'être transmises aux générations
futures36.
35 Agence pour la Dédensification et la
Réhabilitation de la Médina de Fès.
36 SKOUNTI, 2004, p.149, cité par A-C. KURZAC
SOUALI, 2006, p.42.
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Carte 4. Répartition des maisons
menaçant ruine dans la médina de Fès.
Source: ADER-Fès, 2000.
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En octobre - novembre 1976, dans l'idée de sauvegarder
la médina de Fès, une assemblée générale de
l'UNESCO à Nairobi déclare la médina de Fès «
Trésor Culturel de l'humanité ». « Mais, c'est une
campagne sans précédent, par sa nature, dans l'action de
l'UNESCO. C'est la première qui soit entreprise en faveur d'une ville
islamique. L'action à mener constitue, par son ampleur, l'exemple d'un
des défis majeurs que l'humanité doit relever pour
préserver et enrichir son héritage culturel, devant les
contraintes que nous impose un processus de modernisation et
l'industrialisation accélérées. Ce défi est
à la hauteur des capacités et de l'imagination de l'homme.
» Par ces termes le Directeur général de l'UNESCO a
annoncé en 1980 l'intérêt que porte cette organisation pour
la sauvegarde de la médina de Fès. C'est ainsi qu'en 1981, la
médina de Fès a été inscrite sur la liste du
patrimoine mondial.
Cependant, l'intérêt du gouvernement marocain
pour la sauvegarde de la médina de Fès et sa valorisation comme
ville vivante dépasse son inscription par l'UNESCO sur la liste du
patrimoine mondial. Elle remonte au premier Schéma Directeur d'Urbanisme
de Fès préparé en 1975 et qui a été
confirmée par la lettre Royale du 21 juillet 1980 concernant la
sauvegarde de la ville (Cf. Annexe 2). Les études du schéma
directeur se sont concrétisées par le lancement d'une campagne
internationale pour la sauvegarde de Fès en 1980 et la mise en place
d'un plan visant à améliorer les conditions de vie des habitants
tout en préservant leur héritage culturel.
Ainsi, de 1980 à 1985 la "Délégation
à la sauvegarde de la ville de Fès" utilisant un compte
d'affectation spécial a réalisé les études
nécessaires qui ont permis l'élaboration d'une stratégie
globale sur différents niveaux d'intervention.
De 1985 à 1989 des opérations
expérimentales ont été menées par la
Délégation à la Sauvegarde de la Ville de Fès
(D.S.V.F) aux niveaux: de l'habitat, des équipements, des
activités artisanales, des infrastructures,...etc. La réussite de
ces opérations expérimentales a permis de démontrer que la
sauvegarde est possible dans sa conception intégrée et
grâce à la mobilisation des potentialités locales.
En 1989, le gouvernement marocain crée l'Agence pour la
Dédensification et la Réhabilitation de la Médina de
Fès (ADER-Fès), une agence d'exécution qui n'est autre que
la continuité de
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la Délégation à la Sauvegarde de la Ville
de Fès, et dont la mission est la réalisation des programmes de
sauvegarde de Fès dans le cadre des prérogatives
gouvernementales. Cet objectif place l'agence au coeur d'un processus qui,
au-delà de la simple restauration du bâti, vise à adapter
le centre historique à son évolution démographique,
économique et touristique.
La patrimonialisation de la médina a
entraîné un changement de son statut. Elle est devenue un «
bien collectif » caractérisé par une nouvelle dimension
spatiale liée à son universalité déclarée.
En effet, au-delà de l'aspect lié à la protection des
bâtiments et des sites inscrits, la patrimonialisation permet
d'appréhender la médina de Fès comme «
patrimoine-ressource ».
L'image qui se dessine, de nos jours, pour la médina
est celle d'un espace patrimonialisé entièrement offert à
la consommation ludique et affecté à séduire les
touristes. En effet, le rapport tourisme/patrimoine ou
patrimonialisation/touristification n'est plus à démontrer.
« La relation est maintenant tellement évidente que l'on
pourrait presque superposer la carte des hauts lieux touristiques mondiaux avec
celle des ensembles patrimoniaux prestigieux37». Ceci
rejoint l'hypothèse de O. LAZZAROTTI (2000) à propos du «
patrimoine et du tourisme : un couple de la mondialisation », selon
laquelle « le tourisme et le patrimoine procèdent d'un
même système de valeurs, dont la diffusion mondiale est conforme
à un seul et même mouvement de mise en ordre d'un monde
».
Ainsi, l'instrumentalisation institutionnelle du patrimoine en
médina dévoile aussi la priorité économique de
cette sauvegarde, par la mise en valeur touristique du bâti ancien.
L'évolution de la place de la médina de Fès dans le
produit touristique marocain est illustrative de cette patrimonialisation qui
se matérialise de plus en plus par l'engouement des touristes pour les
maisons traditionnelles du centre historique de la ville et l'assimilation de
ce patrimoine dans le produit du tourisme culturel.
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