d. Euripide
Sans doute représentée pour la première
fois en 412 avant J.-C., soit une vingtaine d'années avant le
Gorgias de Platon, l'Hélène d'Euripide traduit
également les aspirations du poète à une justice des morts
pour suppléer celle, imparfaite, du séjour des mortels. Rappelons
d'abord que la pièce se déroule elle aussi en Égypte,
où Hélène se serait réfugiée tandis qu'un
double d'elle-même assistait à la guerre de Troie539
Cette version du cycle de l'Iliade n'est pas une pure invention d'Euripide.
Évoquée par Platon une première fois dans le
Phèdre 540 où il se livre à une
palinodie, une seconde fois au neuvième livre de la
République 541, expressément repris par
Euripide542 le poète Stésichore d'Himère
arguait déjà qu'Hélène aurait été
enlevée par Protée, roi d'Égypte, tandis qu'avec
Pâris était un simulacre (eidolon). Hérodote
rapporte également cette tradition du séjour
d'Hélène en Égypte, qu'il dit tenir de l'enseignement
même des prêtres égyptiens543.
Le lieu où se situe l'action importe
particulièrement pour ce qui nous concerne, dans la mesure où, si
Euripide est bien un poète grec, c'est de manière significative
dans la bouche d'une prêtresse
537 Eschyle, Euménides, v. 273-275, trad. D.
Loayza, Paris, Garnier-Flammarion, Théâtre étranger,
2001.
538 Sur le parallélisme entre les passages en question
d'Eschyle et de Pindare, cf. L. Ruhl, De Mortuorum judicio, Parr I.
Ricker, 1903, p. 67-68.
538 Pour plus de précisions sur le cadre dramatique de
la pièce et sur l'Égypte d'Euripide, se reporter à la
préface de H. Grégoire et L. Méridier, dans Euripide,
OEuvres Complètes, t. V : Hélène, Les
phéniciennes, Paris, Les belles lettres, Collection des
universités de France, 1973, p. 42 sq.
540 Platon, Phèdre, 244a.
541 Platon, République, L. IX,
586c.
542 Euripide, Hélène, v. 33 sq., trad. H.
Grégoire, Fr. Frazier, Paris, Belles Lettres, 2006.
543 Hérodote, L'Enquête, L. II, 112-120
; voir également le v. 113 d'Alexandra (Cassandre), du
Scholiaste de Lycophron (Ne siècle avant J.-C.).
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égyptienne, Théonoé, qu'il place les vers
suivants : « en effet, il y a aussi un châtiment de ces crimes pour
ceux qui sont sous terre comme pour ceux qui sont sur terre, pour tous les
hommes. L'esprit des morts sans doute ne vit plus mais il possède une
conscience immortelle quand dans un immortel Ether il s'est jeté
»544. Il est ici fait allusion à une survie possible de
la conscience sommée d'expier ses crimes dans le royaume souterrain. Il
y a là manifestement évocation d'une doctrine
étrangère à celles connues et partagées par la
plupart des Grecs. A celles qui prétendaient, depuis au moins le We s.
avant J.-C. jusqu'au début du christianisme, que le souffle de vie
retournait à l'éther et le corps à la terre, et qu'Eschyle
lui-même décrivait dans les Suppliantes Sas
Une croyance allogène qui ne serait pas soluble dans le tableau
synoptique des croyances populaires que Festugière dresse des croyances
populaires grecques d'après des épigrammes
funéraires546 Nous commençons à entrevoir que
s'il y a bien des précédents grecs au motif du jugement
développé par Platon, ces précédents , même
« inspirés » par l'orphisme ou le pythagorisme, pourraient ne
pas être aussi grecs qu'ils le laissent accroire.
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