2. Influence des vers de terre
géophages sur la séquestration de la matière organique du
sol
La dynamique du carbone dans le sol est influencée par
de nombreux facteurs abiotiques et biotiques parmi lesquels les vers de terre
jouent un rôle considérable (Wolters, 2000). En effet,
l'évolution du carbone dans le sol apparait intimement
corrélée au niveau d'agrégation. Les agrégats (en
l'occurrence les micro-agrégats) jouent un rôle de protection
physique de la matière organique, en la rendant inaccessible à la
minéralisation microbienne, augmentant ainsi, la durée de vie du
carbone stocké (Angers et Chenu, 1997 ; Feller et Beare, 1997 ;
Balesdent et al., 2000). En effet, conformément à la
théorie proposée par Edwards et Bremner (1967), les
micro-agrégats du sol, unités formées par liaison entre
(i) les particules d'argiles, (ii) les métaux polyvalents (Fe, Al, C) et
(iii) les complexes organo-métalliques, constitueraient les seuls
agrégats hautement stables des sols. La matière organique
à l'intérieur de ces complexes, y est physiquement
protégée et inaccessible à la minéralisation
bactérienne.
L'adsorption du carbone sur les surfaces minérales est
également considérée comme un mécanisme important
de stabilisation (Von Lutzow et al., 2006). Selon les mêmes
auteurs, ce mécanisme peut être amplifié par
l'activité des vers de terre. Ces organismes stimuleraient la formation
des complexes organo-minéraux et la protection physique du carbone
à l'intérieur des micro-agrégats et des
macro-agrégats, lors du passage et du brassage de la terre dans leur
intestin (Bossuyt et al., 2005), suite à une amplification des
réactions aboutissant à la formation de chélations
(liaisons hydrogènes) et de liaisons fortes entre le carbone et les
particules minérales telles que les oxydes de fer ou d'aluminium (Kaiser
et Zech, 1999). Toutefois, Ge et al. (2001) indiquent qu'une
désintégration rapide des agrégats induisant la
libération du carbone, peut survenir lorsque les polysaccharides et les
autres agents liants organiques sont minéralisés.
Par ailleurs, les données de la littérature
indiquent que le temps moyen de renouvellement du carbone associé
à la fraction fine du sol est relativement lent, et serait de l'ordre de
40 ans pour les oxysols tropicaux (Cerri et al., 1985), contre moins
de 5 ans pour le carbone associé aux fractions plus grossières
(Feller et Beare, 1997). L'enrichissement en carbone de la fraction fine permet
une séquestration relativement durable, puisqu'il affecte des
compartiments à dynamique lente. En revanche, le stockage de carbone
dans les fractions grossières induirait une séquestration moins
durable, liée à l'importante labilité de cette fraction
(Baldock, 2002 ; Six et al., 2004). Ainsi, dans le sol, le
carbone se stocke préférentiellement dans les agrégats de
sol de taille inférieure à 20 um (fraction fine de sol) et le
rapport C/N augmente des fractions grossières vers les fractions fines
(Feller, 1995). Or, quelques travaux rapportent que dans des sols ayant
reçu des apports de résidus végétaux, la
présence de vers de terre géophages provoque un transfert de
carbone des fractions grossières vers les fractions fines (Villenave
et al., 1999 ; Razafimbelo et al., 2003). Les
vers de terre en déterminant ainsi, l'enrichissement des fractions fines
en matière organique, induiraient une séquestration plus durable
du carbone dans le sol.
D'autres auteurs rapportent toutefois que l'augmentation de
l'activité de minéralisation de la matière organique par
les microorganismes, résultant du « priming effect »
induit par la digestion de la matière organique par les vers des vers de
terre, peut se traduire par une augmentation de la libération du carbone
du sol (Lavelle et al., 2004). Don et al. (2008) ont
montré que la libération rapide du carbone dans les turricules
frais de vers est positivement corrélée à l'importance de
l'activité enzymatique qui catalyse le processus de la
minéralisation. Ils ont ainsi mis en évidence la relation
étroite qui existe entre l'activité des enzymes (hydrolases) et
le carbone organique du sol. Selon les mêmes auteurs, le temps de
séquestration du carbone à l'intérieur des structures
biogéniques des vers de terres serait inversement proportionnel à
l'activité enzymatique de ces structures.
Ainsi, la protection physique du carbone à
l'intérieur des structures biogéniques des vers de terre est
fonction de deux paramètres majeurs : (i) l'agrégation qui
conditionne le temps de séquestration du carbone (Cerri et al.,
1985 ; Feller, 1995 ; Feller et Beare, 1997 ; Baldock,
2002 ; Six et al., 2004); et (ii) l'activité enzymatique
à l'intérieur de ces structures qui détermine la vitesse
de minéralisation et de libération du carbone (Lavelle et
al., 2004 ; Don et al., 2008). Toutefois, Jégou
et al. (1998) rapportent que le niveau d'enrichissement en carbone des
turricules varie considérablement avec la catégorie
écologique et le régime alimentaire des vers. Les
résultats de Bossuyt et al. (2006) et ceux de Fonte et
al., (2007) indiquent que les espèces de vers de terre affectent
différemment l'incorporation de la matière organique
fraîche dans les microagrégats stables à l'intérieur
des turricules, et que les effets interactifs de ces espèces, peuvent
avoir d'importantes conséquences sur l'incorporation et la protection
du carbone à l'intérieur des microagrégats des
biogènes des vers de terre.
II. MILIEU
D'ETUDE
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