2.2. Effets de la richesse
spécifique et des attributs fonctionnels des vers de terre sur le
fonctionnement du sol
Il est généralement admis que les effets des
vers de terre sur le sol et les plantes varient en fonction du type de sol et
de la fourniture en nutriments (Doube et al., 1997 ; Laossi et
al., 2010). En effet, le niveau d'activité des vers de terre dans
le sol est fortement liée à la qualité et à la
quantité de la nourriture fournie à ces organismes (Flegel et
Schrader, 2000, Marhan et Scheu, 2005; Loranger-Merciris et al.,
2008). De sorte que de faibles teneurs du sol en matière organique
entraînent une augmentation de l'activité de consommation de terre
par les vers de terre, d'où une production plus importante de
biogènes (turricules, galeries). Ainsi, les effets positifs de
l'activité d'ingénierie des vers de terre seraient plus effectifs
dans les sols pauvres que dans les sols riches (Brown et al., 2004 ;
Laossi et al., 2010). Notre étude vient étayer ces
observations en leur adjoignant la notion de régime alimentaire et
d'exigences nutritionnelles du ver de terre. En effet, l'ensemble des
observations réalisées au niveau des paramètres physiques
du sol suggère que dans des sols pauvres en nutriments,
l'activité des vers de terre estimée à travers leur impact
sur les propriétés physiques du sol, augmenterait en fonction des
besoins alimentaires en matière organique de ces organismes. Ainsi, la
faiblesse du sol en nutriments engendrerait chez les vers de terre, une
intensification de leur activité de consommation de terre, d'ampleur
variant en fonction du régime alimentaire de l'espèce
considérée. Cette intensification se traduit par une construction
plus importante de galeries et une plus forte production de turricules. Ainsi,
face à la pauvreté du sol en matière organique, la
réponse adaptative des vers endogés polyhumiques tels que H.
africanus, qui ingèrent un substrat riche en matière
organique, seraient plus importante que celle des mésohumiques (M.
omodeoi), elle-même supérieure à celle des
endogés oligohumiques tels que D. terraenigrae.
L'existence de ce gradient spécifique est
confirmée par les différents résultats de notre
étude. En effet, dans le sol relativement pauvre (Corg <
1,5 %; C/N ratio = 13,46) des mésocosmes de cette
expérimentation, l'activité du géophage polyhumique H.
africanus, a entraîné la modification du sol, la plus
prononcée (plus importante stimulation de la vitesse d'infiltration,
réduction la plus importante de la densité apparente). Celle de
M. omodeoi a induit un effet d'une ampleur intermédiaire sur
les mêmes paramètres. Tandis que le plus faible impact sur la
structure du sol a été observé chez D.
terraenigrae. Au niveau de l'agrégation, la pertinence de ce
gradient n'a pu être établie que pour les espèces
compactantes M. omodeoi et D. terraenigrae, étant
donné le rôle décompactant de l'espèce H.
africanus et son faible impact sur ce paramètre. Néanmoins,
l'hypothèse se vérifie avec ces deux espèces compactantes,
puisque le mésohumique M. omodeoi a été à
la base de la production la plus importante de macroagrégats
(agrégats > 2 mm), donc d'une production de turricules plus
élevée que celle de l'oligohumique D. terraenigrae.
En somme, les résultats de cette étude en
soulignant le rôle indispensable de ces deux types fonctionnels
d'ingénieurs écologiques du sol (compactant et
décompactant) dans la structuration physique du sol,
révèlent que l'efficacité et la vitesse des processus de
structuration du sol par l'activité des communautés de vers de
terre pourrait résulter de paramètres tels que la qualité
et la fourniture en nutriments et le régime alimentaire des
différentes espèces de vers de terre.
La synthèse des observations réalisées au
niveau de l'impact des vers de terre sur les caractéristiques physiques
du sol permet de conclure que la richesse spécifique et
particulièrement la cooccurrence spatio-temporelle des groupes
fonctionnels qu'elle induit, est essentielle pour le maintien et la
régulation de la structure du sol dans les écosystèmes,
leur procurant ainsi, une certaine stabilité dans leur fonctionnement.
Cet effet semble rejoindre l'hypothèse de l'assurance
énoncée par Yachi et Loreau (1999). En effet, les principaux
indicateurs de dégradation des sols, notamment la compaction du sol, le
niveau d'agrégation ou la stabilité structurale, sont
limités par des combinaisons d'espèces qui diffèrent en
termes d'attributs fonctionnels (compactant et décompactant ou type de
régime alimentaire). De fait, la conservation d'une diversité
élevée de vers de terre dans le sol constitue un impératif
au maintien de sa structure et de son fonctionnement du sol dans les
agroécosystèmes.
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