1.3. Impact des vers de terre sur
le stockage du carbone organique et de l'azote total du sol
1.3.1. Impact des vers de terre sur les stocks de carbone du
sol
Les stocks de carbone dans les traitements évoluent
dans la strate 0 - 10 cm selon l'ordre suivant : témoin < D.
terraenigrae < H. africanus + D. terraenigrae <
M. omodeoi < M. omodeoi + H. africanus + D.
terraenigrae < H. africanus = M. omodeoi + D.
terraenigrae < M. omodeoi + H. africanus, tandis que
dans la strate 10 - 20 cm, ce paramètre évolue selon
l'ordre : M. omodeoi + H. africanus < H.
africanus + D. terraenigrae < H. africanus <
M. omodeoi + H. africanus + D. terraenigrae <
témoin = M. omodeoi < D. terraenigrae < M.
omodeoi + D. terraenigrae. Ainsi, quelle que soit la strate, les
stocks les plus élevés en carbone tendent à être
observés dans les traitements où sont présentes les deux
espèces M. omodeoi et D. terraenigrae (13,1 #177; 0,77
t C.ha-1 dans la strate 0 - 10 cm et 14,3 #177; 0,35 t
C.ha-1 dans la strate 10 - 20 cm). Toutefois ces variations ne sont
pas significatives (Fig. 17).
1.3.2. Impact des vers de terre sur les stocks d'azote du
sol
Dans la strate superficielle de sol (0 - 10 cm), les stocks
d'azote les plus importants ont été enregistrés dans le
traitement combinant les trois espèces (1,26 #177; 0,09 t
N.ha-1). Tandis que dans la strate 10 - 20 cm, les traitements
"M. omodeoi" (1,37 #177; 0,13 t N.ha-1), "M.
omodeoi + D. terraenigrae" (1,25 #177; 0,12 t
N.ha-1) et "H. africanus + D. terraenigrae" (1,3
#177; 0,14 t N.ha-1), affichent les valeurs les plus
élevées pour ce paramètre (Fig. 17). Cependant, l'impact
des vers de terre sur les stocks en azote du sol n'a pas été
significativement établi par l'analyse statistique.
Figure 17 :
Effets de la présence de vers de terre (Te : témoin ;
Mo: M. omodeoi ; Dt: D. terraenigrae ; Ha: H.
africanus) sur les stocks en carbone organique (a) et en azote total (b)
du sol.
2. Discussion
2.1. Impact des vers de terre sur
les propriétés physiques du sol
L'importante mortalité des populations de vers de terre
dans les mésocosmes semble résulter de la rigueur des conditions
climatiques qui ont prévalu dans la zone d'étude pendant la
durée de l'expérimentation (Août à Novembre 2009).
En effet, cette période remarquablement sèche, a
été caractérisée par une pluviosité
extrêmement faible (entre 37,8 et 70,9 mm) comparativement aux moyennes
des 10 dernières années (variant entre 112,1 et 180,9 mm), et des
températures moyennes (entre 25,1 et 26,8°C) relativement
élevée par rapport à celles des 10 dernières
années (entre 24,6 et 25,6°C). Toutefois, en dépit de leur
faible taux de survie, la présence des vers de terre dans les
mésocosmes s'est traduite par un profond impact sur les
caractéristiques physiques du sol. En effet, les inoculations de vers de
terre ont entraîné, quel que soit leur groupe fonctionnel
(compactant ou décompactant), une importante stimulation de la vitesse
d'infiltration de l'eau dans le sol, particulièrement prononcée
dans le cas des traitements « H. africanus » et de
« M. omodeoi + D. terraenigrae ». Cependant,
de tels résultats ne sont que partiellement conformes avec les
observations antérieures de Blanchart, 1990 ; Gilot-Villenave
et al., 1996 ; Derouard et al., 1997 ; Blanchart
et al., 1999, qui énoncent que la modification du
fonctionnement hydrodynamique du sol par les vers endogés
géophages est principalement orientée par le groupe fonctionnel
auquel appartient l'espèce de ver. Selon ces auteurs, l'activité
des vers de petites tailles de la famille des eudrilidae, principaux
représentants du groupe des vers décompactants, se traduirait par
une augmentation significative de l'infiltration de l'eau dans le sol et une
réduction de la capacité de rétention hydrique. A
l'inverse, celle des vers à effets compactants tels que M.
omodeoi ou D. terraenigrae, serait à la base d'une
diminution de l'infiltration de l'eau, au profit de l'augmentation de la
rétention hydrique. En effet, si la présence dans le sol de
l'eudrilidae à effet décompactant H. africanus, a
produit les résultats attendus au niveau de ce paramètre, notre
étude a plutôt mis en évidence, à l'inverse des
précédentes observations, l'importante contribution que peuvent
avoir les vers à effet compactant, dans la stimulation du fonctionnement
hydrodynamique du sol. Cette contribution s'exprime à travers une
amélioration significative de l'infiltration en présence de ce
groupe d'espèces (30 % d'augmentation par rapport au témoin pour
M. omodeoi, 29 % pour D. terraenigrae et 46 % pour la
combinaison des deux espèces). La stimulation de l'infiltration induite
par ce type fonctionnel a été reliée à l'importante
production de turricules de ces espèces, comme le suggère les
récents travaux de Bottinelli et al. (2010), au Nord Vietnam,
avec le ver endogé Metaphire posthuma. En rejetant dans le sol
d'importantes quantités de turricules, ces espèces auraient
entraîné une importante réorganisation du sol en particules
globulaires, aboutissant à une modification de sa porosité
structurale, notamment à travers la macroporosité (Blanchart,
1990) et la mésoporosité ou porosité d'assemblage
(Hallaire et al., 2000). Cette augmentation de la porosité
induite à la fois par les activités de forage, de consommation de
terre et de production de turricules par les vers de terre, a été
décrite comme un des processus majeurs aboutissant à
l'amélioration de la conductivité hydraulique du sol (Francis et
Fraser, 1998). Les résultats de cette étude
révèlent ainsi, que les galeries et macropores ouverts par les
vers de terre ou « biopores » constitueraient,
indifféremment de l'espèce ou du groupe fonctionnel, des voies
préférentielles d'infiltration et d'écoulement des fluides
dans le sol, à la base d'une amélioration subséquente de
la perméabilité du sol.
Relativement à la stimulation du fonctionnement
hydrodynamique, ces travaux ont également mis en évidence, une
augmentation significative de la résistance à la
pénétration du sol induite par la présence des
espèces D. terraenigrae et M. omodei (plus de 75 %
d'élévation du niveau de compaction induit par l'espèce
D. terraenigrae, dans la strate 0 - 10 cm). Cette modification de
l'état mécanique du sol résulte du réarrangement de
la structure initiale du sol en une structure agrégée
majoritairement constituée de turricules décrits par Decaëns
et al. (2001), comme des agrégats coalescents et très
compacts. Whalley et al. (1995) ont montré que la compaction du
sol entraînait des conséquences négatives sur la croissance
des plantes cultivées, conduisant à long terme, à une
réduction des rendements des cultures et de la biodiversité du
sol. Cependant, les résultats de notre étude
révèlent que l'introduction de H. africanus, permet de
réduire de 30 à 60 % les effets compactants des espèces
M. omodeoi et D. terraenigrae, en particulier dans la strate
10 - 20 cm, où s'est principalement concentrée l'activité
des différentes populations de vers de terre. Barré et
al. (2009) rapportent des résultats similaires en Australie,
où ils ont démontré que l'activité des
communautés de vers de terre permettait de ramener des sols avec
différents niveaux de compaction, à des états structuraux
intermédiaires plus stables et favorables à la croissance des
plantes. La présence simultanée d'espèces de vers de terre
appartenant aux deux groupes fonctionnels, apparaît ainsi, comme un
facteur déterminant dans le maintien et la régulation du niveau
de compaction du sol. Ce fait souligne le caractère synergique et
complémentaire de l'activité de ces deux groupes de vers de terre
sur la régulation de la structure du sol, antérieurement
évoqué par Blanchart (1990), Blanchart et al. (1997),
Derouard et al. (1997) et Blanchart et al. (1999).
Cette expérimentation confirme en outre, le rôle
prépondérant des vers endogés géophages à
effets compactants dans les processus de macroagrégation du sol,
précédemment mis en évidence par des travaux
antérieurs (Gilot-Villenave et al., 1996; Blanchart et
al., 1997; Blanchart et al., 1999 ; Coq et al.,
2007, Loranger-Merciris et al., 2008 ; Eltaif et Gharaibeh,
2009). En effet, l'activité des acanthodrilidae M. omodeoi et
D. terraenigrae a engendré une augmentation du pourcentage de
macroagrégats de 3 à 10 fois supérieure à celle
intervenant naturellement dans les mésocosmes. Ces résultats sont
conformes à ceux de Coq et al. (2007), qui ont mis en
évidence une augmentation d'une ampleur similaire (2,5 fois
supérieure au sol témoin), induite par Pontoscolex
corethrurus, dans un dispositif expérimental très proche de
celui de notre étude. La modification de la macroagrégation du
sol induite par M. omodeoi et D. terraenigrae, s'est traduite
par une augmentation subséquente du diamètre moyen
pondéral (MWD) dans les sols inoculés avec ces espèces
(variant entre 1,32 et 2,09 mm selon la strate et le traitement
considéré). Un pattern similaire a été
observé par Eltaif et Gharaibeh (2009), en mésocosmes, avec le
ver endogé géophage Allobophora caliginosa.
L'augmentation du MWD, indice fréquemment utilisé dans
l'estimation du niveau de stabilité structurale du sol (Kemper et
Rosenau, 1986 ; Jouquet et al., 2008 ; Paul et al., 2008),
indique le potentiel des vers compactants dans le processus de stabilisation de
la structure du sol, à partir de la production d'agrégats
biogéniques globulaires. Toutefois, une augmentation excessive de la
proportion de macroagrégats du sol, est susceptible d'entraîner
des effets négatifs sur la croissance des plantes (Rose et Wood, 1980).
La réduction de la macroagrégation enregistrée dans les
traitements plurispécifiques incluant l'espèce H.
africanus, souligne l'implication de cette espèce dans les
phénomènes de désagrégation des sols et sa
capacité à maintenir l'agrégation du sol à des
niveaux adéquats (Blanchart, 1990 ; Nooren et al.,
1995 ; Derouard et al., 1997 ; Blanchart et al.,
1999).
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