PARTIE 1. LA GOUVERNANCE
D'UN PROJET DE RENOUVELLEMENT URBAIN
Jean Frébault (2012) énonce que c'est la
maîtrise d'ouvrage qui pilote un projet urbain, et que pour ce dernier,
le levier d'intervention pour aménager n'est plus uniquement la
transformation physique de l'espace, comme ce fut le cas pendant longtemps.
Aujourd'hui, dès lors qu'ils s'inscrivent dans la stratégie
d'ensemble du projet, les leviers utilisés sont multiples :
développement économique, mixité urbaine et
diversité sociale, actions de rénovation urbaine articulés
avec la politique de la ville, projets culturels, prise en compte des
dimensions de gestion et de sécurité, etc. Tout
particulièrement en tissus urbains constitués, on s'oriente de
plus en plus envers une combinaison d'actions de natures très
variées, polarisées ou diffuses sur un même
territoire : transformation foncière à travers la
procédure de ZAC (Zone d'Aménagement Concerté), projets
d'initiatives privées cadrés par le PLU (Plan Local d'Urbanisme),
requalifications préalables de l'image du site, aménagement
d'espaces publics, insertion urbaine d'infrastructures, combinaison de
programmes neufs et d'actions de réhabilitation.
Ces projets, par leur ampleur, engagent l'ensemble du devenir
de la ville et de ses habitants. Ils font partie intégrante de la
stratégie urbaine, laquelle relève directement de la
sphère politique et non des seuls acteurs de l'aménagement. La
complexité accrue des opérations et des partenaires
mobilisés, les exigences de la concertation avec les habitants,
l'évolution inéluctable des projets, le besoin d'une vision
prospective et à large échelle nécessitent un engagement
fort des autorités élues durant tout le processus de
transformation. Celles-ci sont aujourd'hui au premier plan, non seulement dans
l'initiative du projet, la définition de ses lignes directrices, mais
aussi pour mobiliser et défendre le projet auprès des acteurs
économiques ou de la population. Ce qui est en jeu est la vision
stratégique du devenir, et c'est bien in fine aux politiques de porter
cette responsabilité, d'indiquer les priorités et de
réaliser les arbitrages qui conditionneront les modalités de mise
en oeuvre opérationnelle.
Cette implication forte des collectivités est d'autant
plus justifiée que ce sont elles qui supportent largement le coût
de l'aménagement, tout comme ses risques financiers et politiques. Ceci
est d'autant plus vrai pour les opérations de renouvellement urbain, qui
exigent des investissements lourds et à très long terme, et qui
ne peuvent plus, comme dans les opérations classiques, être
couverts par une simple vente de charges foncières.
La notion opérationnelle de renouvellement urbain,
développée en France dans la lignée de la
« régénération » britannique, est
définie par Sylvaine Le Garrec (2006) comme une «
méthodologie d'intervention sur les zones urbaines
dévalorisées (friches industrielles, quartiers d'habitat ancien
et d'habitat social) qui privilégie la création de nouvelles
valeurs foncières et immobilières et le retour des
mécanismes de marché ». Cette notion, fréquemment
associée à l'idée de « refaire la ville sur la ville
», est aujourd'hui devenue un antonyme de l'étalement urbain et de
la conquête de terrains vierges, renforcé par sa rencontre avec
les principes du développement durable alimentant un positionnement en
faveur de la ville compacte.
Cette posture, favoriser le renouvellement plutôt que
l'extension, est admise et intégrée dans les stratégies
d'urbanisation des agglomérations. Cela peut être une
évidence, au regard des objectifs de faire une ville durable. Pourtant,
produire la ville en travaillant sur le tissu existant plutôt qu'en
investissant de nouveaux terrains, et en faisant évoluer ce tissu par
voie de mutations foncières, soulève plusieurs enjeux et
problématiques. C'est de cette tendance contemporaine de
l'aménagement de la ville par le renouvellement dont nous discuterons,
à travers l'exemple du projet de renouvellement urbain du Bas Chantenay
à Nantes.
Avant toute chose, un projet urbain se mûrit, il passe
par différentes phases. C'est tout d'abord une impulsion politique,
appuyée ou non par des études issues de l'agence d'urbanisme de
l'agglomération, par des objectifs retranscrits dans les documents de
planification tels que le SCOT (Schéma de Cohérence et
d'Orientation Territoriale) pour la stratégie à grande
échelle, ou le PLU pour les orientations et règles à
respecter à l'échelle locale. Cette impulsion se traduit par la
délégation à une société
d'aménagement d'études de définition ayant pour objectifs
de bien cerner le territoire ciblé, ses qualités et ses
défauts, mais aussi de dessiner des premières orientations
d'aménagement. Lorsque cette étape a été franchie,
et c'est sans aucun doute une des phases les plus importantes du lancement d'un
projet, l'aménageur doit déterminer le mode de recrutement de son
maître d'oeuvre, le type de marché le mieux adapté à
la mission qui lui sera confiée, et la mise en oeuvre de ce
recrutement.
C'est une étape capitale en effet, car du choix de
l'équipe de maîtrise d'oeuvre va découler la qualité
du dessin d'aménagement d'une part, mais surtout de sa mise en oeuvre
dans le temps. On le sait, un projet urbain s'étale sur un temps long,
et s'il faut que les intentions initiales répondent aux ambitions
politiques, c'est son application et la manière dont va fonctionner
l'alchimie entre l'équipe recrutée, l'aménageur et la
collectivité, qui déterminera la réussite du projet
urbain. Sur ce point, Alain Bornarel, ingénieur et dirigeant du bureau
d'études Tribu Conseil (2012), énonce ainsi que « le
projet urbain est la complexité même (...). Pas seulement parce
qu'il nécessite une multitude de nouveaux points de vues, introduit de
nouvelles ambitions et de nouvelles richesses. Mais surtout parce (qu'il)
repose sur la conviction que la qualité du tout est supérieure
à la somme de chacune de ses parties, que l'organisation attentive de
leur indépendance conditionne la richesse du projet et ne procède
que d'arbitrages. Ainsi, un jeu des acteurs professionnels élargi est
déterminant (...). Il s'agit de construire un savoir partagé issu
de la prise en compte simultanée des aspects culturels, sociaux,
environnementaux et économiques de chaque projet ».
Nous avons ici la chance de rendre compte des
réflexions qui ont été menées afin d'initier le
projet de renouvellement urbain du Bas Chantenay, à Nantes. C'est une
chance, car il est rare, en tant que jeune aménageur, d'être
intégré à ce stade d'un projet, et de participer aux
débats juridiques, politiques et stratégiques qu'il entraine.
Historique de la gouvernance
du Bas Chantenay
Le territoire nantais du Bas Chantenay forme la partie ouest
de la rive Nord de la Loire, dans sa traversée du coeur de
l'agglomération nantaise. Au même titre que l'île de Nantes,
et que les territoires du Pré Gauchet sur la rive Nord et de Pirmil-Les
Isles sur la rive Sud, il constitue un site majeur de renouvellement urbain
pour conforter et développer le coeur d'agglomération dans toutes
ses composantes.
La genèse du projet de renouvellement du Bas Chantenay
remonte à 2006. A cette date, Nantes Métropole confie à
Nantes Métropole Aménagement la responsabilité d'engager
des premières études de définition sur le secteur Est du
territoire, portion du Bas Chantenay la plus à même de muter
à court terme, puisqu'elle comprend déjà plusieurs
terrains conséquents en friche (emprise Armor, carrière
Miséry, parc des Oblates, etc.).
Périmètre 1 : études de
définition et pré-opérationnelles.
Le projet urbain intègre désormais
également le périmètre 2, pour davantage de
cohérence.
Ces études de définition, confiées
à l'urbaniste hollandais Pierre Gautier, ont abouti, en 2008, à
une étude pré-opérationnelle, avec déjà
à l'époque des premiers objectifs de programmation. Elles ont
établi un potentiel d'aménagement global sur un
périmètre élargi de 30 ha environ, dont le programme
propose deux équipements publics ainsi qu'une capacité
constructive de l'ordre de 300.000 m² de SHON (Surface Hors OEuvre Nette,
aujourd'hui Surface de Plancher), constitué de logements, de commerces
et d'activités tertiaires (bureaux). L'étude a
procédé en définissant des secteurs opérationnels
sur les sites les plus capables en termes de densité et de
maîtrise foncière. Ainsi s'agissant de l'approche
opérationnelle, il était proposé, pour la partie Est, un
développement du quartier par sous-secteurs, présentant chacun
une forte mixité d'usages entre habitat, commerces, tertiaire, culture,
sport et restauration.
En termes d'outil d'aménagement, il a été
préconisé, à cette date, la procédure de ZAC.
Schéma des affectations par
« chapitres », Pierre Gautier (2008)
Rapidement s'est posée la question de la poursuite de
la mission de l'urbaniste. Pour des raisons de manque d'adhésion au
programme proposé, et parce qu'il existait déjà un certain
nombre de projets de grande envergure sur l'agglomération, la
collectivité n'a pas donné suite à cette étude en
lançant un marché de maîtrise d'oeuvre. Il a
été décidé d'attendre que cette dernière
dispose d'un budget pour relancer le projet. Et ce n'est donc qu'en 2011 que le
projet de renouvellement du Bas Chantenay est « ressorti des
cartons », avec à la clé un nouveau mandat
d'études confié à nouveau à Nantes Métropole
Aménagement.
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