La destruction de l'espace
public par le zonage monofonctionnel
Longtemps, composer la ville consistait à dessiner des
rues, des places censées à la fois être des lieux du vivre
ensemble, du bouger ensemble, de la rencontre, à pied ou à
cheval. Les moyens de déplacements étaient limités, aussi
le dessin de la ville s'est fait avec une forme de modestie dans
l'échelle des compositions. Il fallait lier les espaces de la
manière la plus simple bien sûr, mais la moins
désagréable aussi, puisqu'à pied on ressent davantage les
barrières et autres éléments incongrument
placés.
Avec le XXe siècle sont arrivés d'un seul coup
dans les villes toutes les mobilités mécaniques, tramways,
métros, trains et automobiles. Mais Jean-Marie Duthilleul (2012) estime
que les espaces de la ville n'ont pas été reconçus autour
de cette nouvelle donne de la vie urbaine. Il explique ainsi que
« ces espaces sont devenus de plus en plus encombrés,
difficiles à vivre et à gérer, jusqu'à ce que,
autour des années 1940, prennent forme des théories qui allaient
se révéler dramatiques pour la vie urbaine : les
théories de la séparation des réseaux par modes, puis des
territoires par fonction. Il s'agissait, pour gérer la
complexité, de « séparer les variables ». Ce
faisant, on a coupé la ville en morceaux et détruit la fine
alchimie d'activités humaines génératrice de la richesse
urbaine. Il en a résulté des découpages de la ville en
zones, optimisées par fonctions, reliées entre elles par ce que
l'on a appelé des transports (...), sans souci de la qualité du
trajet si ce n'est son efficacité ».
Regardons le Bas Chantenay : c'est une zone
monofonctionnelle (activités industrielles, de stockage et de
manutention) dont l'unique accès se fait par la voiture, excepté
une ligne de bus au demeurant bien trop esseulée pour un si vaste
territoire. Et s'il y a eu desserte par train, elle est aujourd'hui anecdotique
puisque la gare de Chantenay, mise à part sa fonction logistique, n'est
desservie que par quatre arrêts de TER chaque jour.
Nous avons envie de croire, après ces quelques
remarques, que le Bas Chantenay est un laboratoire presque exhaustif pour
analyser les carences de qualité urbaine qu'ont engendrées sur un
territoire un phénomène bien connu de nos agglomérations
françaises. Ce phénomène, ce sont des années
d'industrialisation rapide, caractérisées par une apparente
absence de stratégie urbaine que l'on pourrait attribuer à la
période d'euphorie économique, suivies d'autres années de
désindustrialisation qui là aussi ont fait montre d'une absence
d'organisation urbaine, liée cette fois-ci peut-être à une
déprime, ou une paralysie collective.
On peut s'interroger sur cette érosion de ce qui a
été identifié, il y a peu longtemps, comme faisant partie
intégrante de l'espace public. Est-ce, comme on vient de l'aborder,
lié à une mutation des formes de communication, à un
changement radical dans l'organisation de nos sociétés modernes,
ou bien à un échec de la fabrique de la ville depuis l'ère
industrielle ? Il est possible que tous soient liés, mais il n'en
reste pas moins que nous nous devons aujourd'hui, en tant que
« dessinateurs de ville » de se pencher avec le maximum
d'attention sur ce qui fait l'espace public aujourd'hui.
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