Dans La somme des pechez, et le remede d'iceux,
Benedicti aborde les questions de l'adultère et de ses
conséquences, notamment pour les enfants qui pourraient naître de
cette union illégitime. Le fait que la femme adultère soit
particulièrement visée par le discours de Benedicti sur ce
péché est lié aux représentations que les hommes de
l'époque se font des désirs sexuels féminins. Le chapitre
« De Adultere », d'une quinzaine de pages, explicite les
différents degrés de péché inhérents
à ce vice.
Jean Benedicti commence par rappeler la différence qui
existe entre l'adultère simple et l'adultère double : « Le
simple, c'est quand vn des deux qui commette[n]t le peché est
marié, l'autre ne l'est pas : L'adultere double, c'est quand ils sont
tous deux liez par mariage : ce qui est encores plus grief que l'autre
»450. Les premiers coupables évoqués sont les
maris « qui tiennent une concubi[n]e auec leur femme, ou qui abusent de
leurs seruantes, & doiuent pour ce peché estre par l'Euesque
Diocesain excommuniez »451. Benedicti commence donc par accuser
la partie qui, d'un point de vue juridique, n'a aucun tort à commettre
l'adultère. En effet, comme le rappelle Pierre Darmon, la
législation du XVIe siècle ne connaît «
qu'une seule victime, le mari ; qu'une seule plainte, la sienne ; qu'un seul
coupable, la femme infidèle »452. Si cette vision
s'affirme pleinement dans le domaine juridique, le monde religieux
défend une certaine égalité dans le couple.
L'adultère est ensuite assimilé à un parjure puisqu'en
effet, le conjoint coupable agit en contradiction avec le serment fait lors de
la cérémonie du mariage de garder fidélité à
son époux. Ce parjure, rappelle Benedicti, entraînait la peine du
bûcher ou la lapidation dans des temps plus anciens453. Le
rôle de l'eau d'amertume
449Ibid., p.56.
450Ibid., p.116.
451Ibid., p.116.
452Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les
vices : misogynes et féministes en France
(XVIe-XIXe siècles), Bruxelles,
André
Versaille éditeur, 2012, p.156.
453Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.117.
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est souligné comme « vn grand miracle pour
descouurir l'adultere de la femme »454. En effet, cette
cérémonie ancienne est explicitée dans la Bible. La femme
qui est amenée au prêtre sur un soupçon d'adultère
doit boire de l'eau contenue dans un vase tandis que le prêtre
énonce cette formule : « S'il n'est pas vrai qu'un homme ait
couché avec toi, que tu te sois dévoyée et
déshonorée, alors que ton mari a pouvoir sur toi, que ces eaux
d'amertume et de malédiction te soient inoffensives ! Mais s'il est vrai
que tu te sois dévoyée, alors que ton mari a pouvoir sur toi, que
tu te sois déshonorée en partageant la couche d'un homme autre
que ton mari... [...] Que Yahvé te fasse servir, dans ton peuple, aux
imprécations et aux serments, en faisant flétrir ton sexe et
enfler ton ventre ! »455. Benedicti rappelle l'existence de
cette pratique bien qu'elle ne soit plus en cours au XVIe
siècle. La Bible ne fait pas mention d'un rite similaire pour les hommes
adultères. En effet, dans l'Ancien Testament, la polygamie est
acceptée : les hommes n'ont pas à se justifier d'avoir des
rapports sexuels avec plusieurs femmes, du moins lorsqu'il s'agit d'un
adultère simple. Le confesseur interprète pourtant le
déluge comme une punition, entre autres, des adultères commis et
présente aux lecteurs les passages de la Bible, mais aussi de son
histoire contemporaine, où des milliers d'hommes meurent en punition
d'un adultère. Il fait ensuite le parallèle entre l'histoire de
Bethsabée et David et celle d'hommes de son temps, qui « n'ont
point d'e[n]fans auiourd'huy, ou s'ils en ont ils se meurent & leurs races
& maisons viennent de rabais à decadance »456.
Bethsabée, mariée à Urie le Hittite, couche avec David et
tombe enceinte de ce dernier. L'enfant né du péché meurt
cependant d'une grave maladie. Le couple peut alors concevoir dans la
légitimité car le péché a été
lavé457.
Benedicti emploie ensuite une métaphore qui peut
laisser penser qu'il n'approuve pas la différence de traitement entre la
punition de l'adultère féminin et masculin. Il explique en effet
qu'en certains lieux, « on punit la femme trouuée en adultere, la
faisant fouetter & puis enclorre en vn monastere à faire penitence :
mais de la punition des hommes il ne s'en parle point, afin que le dire de ce
Philosophe soit verifié, qui comparoit les loix des hommes à la
toile des araignees, laquelle attrappe bien les petits moucherons, mais les
grosses mouches la rompent & passent tout outre »458.
Maurice Dumas souligne en effet que l'accusation de l'adultère
féminin est un mythe qui « saute aux yeux, tant ce tableau n'a
guère de rapports avec les comportements réels. Toutes les
études sur la criminalité le confirment : ce sont les hommes qui
commettent
454Ibid., p.117.
455Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Nombres, 5, 19-22.
456Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.117.
457Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], II Samuel, 11-12.
458Ibid., p.117.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
massivement l'adultère. Les femmes auxquelles le
mariage donne des ailes ou qui se vengent de l'injustice d'une union
forcée sont bien moins nombreuses que celles qui cèdent à
la pression physique ou morale d'un homme. On répute la femme d'un
appétit sexuel insatiable, mais c'est la "concupiscence" de l'homme que
révèlent les archives, autrement dit un comportement sexuel
abusif, rendu possible par sa position dominante »459. Ainsi,
même si les hommes semblent être les plus largement coupables de ce
crime qu'ils dénoncent chez leur femme, ce sont ces dernières qui
subissent les peines prévues par la loi. Ces peines sont
extrêmement lourdes au XVIe siècle et Benedicti est au
fait des coutumes et lois en ce domaine. Les femmes peuvent être
fouettées avant de subir la peine de l'« authentique »
c'est-à-dire d'être enfermées dans un monastère
pendant deux ans. Les textes précisent que si « au bout de deux
ans, le mari ne l'en a pas retirée ou vient à
décéder, elle est rasée, voilée, vêtue comme
les autres religieuses et cloîtrée à vie
»460. L'accusation d'adultère semble avoir
été un des moyens utilisés par un mari en
difficulté financière pour sauver sa fortune. En effet, si le
tribunal reconnaît l'adultère et tranche pour la réclusion
monacale, la femme perd en faveur du mari « son douaire, sa dot, son
préciput461 et tous les autres avantages stipulés par
le contrat de mariage. Seul inconvénient, il doit payer la pension de la
recluse »462. Les tribunaux sont donc assez prudents dans le
jugement de ces cas.
Benedicti rappelle que c'est « vne folie aux hommes de
se promettre impunité, veu que deuant Dieu ils sont autant ou plus
coulpables que les femmes. C'est aussi folie [...] à l'homme de requerir
chasteté en sa femme, luy estant plongé au bourbier de
paillardise »463. Il pense en effet que c'est pousser les
femmes à vouloir se venger que de les tromper. Ici surgit le
débat sur les différences de culpabilité entre la femme et
l'homme. En effet, pour certains « [m]oralistes et théologiens de
la période post tridentine [...] le mari commet un péché
d'autant plus grave qu'il est chef de famille et doté de raison. La
femme, faible et fragile a l'excuse de l'infantilisme »464.
Mais le franciscain précise : « En matiere d'adultere les femmes
offensent plus griefuement & plus perilleusement que les hommes, à
raison premierement pour le regard du dehonneur & infamie : secondeme[n]t
à raison de l'incertitude des enfans qui en sont procreez, & qui
succedent aux biens du mary. Voire mais l'homme qui est creé à
l'image de Dieu, & qui est le chef de la femme, n'offense-il pas plus
griefueme[n]t ? ouy bien intensiuement,
459Maurice DUMAS, op. cit. [note
n°337], p.24.
460Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les
vices..., op. cit. [note n°452], p.163.
461Le préciput est le droit pour
l'époux survivant de prélever un bien ou une somme d'argent sur
l'héritage laissé par le conjoint
décédé, avant tout autre partage.
462Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les
vices..., op. cit. [note n°452], p.164.
463Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.117.
464Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les
vices..., op. cit. [note n°452], p.159.
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mais non pas extensiuement, (ce sont termes de
Theologie) c'est à dire, que l'adultere de l'homme n'est pas de si
grande estendue, & ne traine pas tant d'inconueniens apres soy, que celui
de la femme »465. C'est donc parce que son péché
a plus de conséquences dans le temps que la femme est la plus coupable.
Jean Benedicti énonce alors les diverses conséquences de
l'adultère de la femme et les moyens qu'a cette dernière de faire
réparation de son péché.
La première conséquence dénoncée
par Benedicti est « l'infamie d'vne maison »466. Si Pierre
Darmon rappelle que le « discrédit jeté sur la famille peut
entraîner sa ruine matérielle »467, les auteurs de
l'Histoire des femmes en Occident soulignent que « l'on
considérait la femme comme un bien dont la valeur diminuait lorsqu'il
était utilisé par un autre que son propriétaire
légitime. L'honneur masculin dépendait alors de la
chasteté de la femme »468. Les autres
conséquences sont toutes liées à la possibilité
d'introduire dans la maison des enfants illégitimes. Ces enfants
illégitimes peuvent en effet « succéder aux biens, qu'ils
[sic] ne leur appartienne[n]t point »469. Maurice
Capul décrit les incapacités juridiques qui frappaient les
bâtards connus comme tels : « inhabileté à obtenir des
bénéfices ecclésiastiques, impossibilité de
succéder ab intestat à leur père, ni même
généralement à leur mère, annulation
fréquente par les cours des legs faits en leur faveur, etc. Longtemps,
les bâtards furent exclus de nombreux métiers pour lesquels on
exigeait la naissance de "loyal mariage" »470. Ceci est dans le
cas où l'illégitimité de l'enfant était connue mais
qu'en est-il si la mère tait ce fait et élève ce dernier
avec ses enfants légitimes ? Benedicti rappelle à plusieurs
reprises la nécessité pour les bâtards de restituer le bien
qu'ils ont soustrait aux enfants légitimes du couple. De même, si
la femme adultère a reçu quelque chose de ses oeuvres ou si elle
a donné un bien à son amant, elle est tenue à
restitution471. Benedicti fait aussi peser sur le
péché féminin la possibilité d'une «
commixtion de sang »472 entre des personnes qui ne savent pas
qu'elles sont de la même famille. L'inceste devient alors possible.
Enfin, le franciscain ajoute que « bien souuent l'enfant illegitime sera
promeu aux ordres, & obtiendra benefice, esta[n]t estimé legitime,
& contre les saincts canons & decrets de
465Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.118.
466Ibid., p.118.
467Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les
vices..., op. cit. [note n°452], p.156.
468Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.),
op. cit. [note n°79], p.107.
469Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.118.
470Maurice CAPUL, Abandon et marginalité :
les enfants placés sous l'Ancien Régime, Toulouse, Privat,
1989 (coll. Racines),
p.114.
471Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.265.
472Ibid., p.118.
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Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
l'Eglise »473. La « femme adultere
participe à tous ces pechez là, ou pour mieux dire, en est la
cause & le motif »474.
Benedicti développe ensuite au cours de quatre longues
pages les solutions que peuvent apporter les mères adultères aux
inconvénients découlant de leur péché. Dix
solutions sont offertes à la femmes adultère. La première
est, « si elle ose bien sans le danger de sa vie, le reueler à son
mary, elle le doit faire, afin ou qu'il empesche de succeder à ses
biens, ou bien qu'il adopte & le face son heritier »475.
Benedicti précise cependant bien qu'elle ne doit pas se diffamer
elle-même en faisant cela et qu'il vaut mieux cacher son adultère
que de risquer mourir476. En effet, au XVIe
siècle, la législation autorise le meurtre de la femme et de
l'amant trouvés en flagrant délit d'adultère. Pierre
Darmon précise que « lorsque meurtre il y a, ce sont plutôt
les amants qui sont tués, ou émasculés, que les
épouses infidèles »477. Dans ce cas, il n'y
aurait pas de flagrant délit mais il est admis que l'homme, au
récit de sa femme, pourrait être pris d'une telle colère,
qu'il en tue sa femme. De plus, le secret est admis car « [i]l vaut [...]
mieux que les biens soient occupez par cest enfant que la bonne renommee se
perde »478. La deuxième solution pour la femme
adultère est de révéler sa naissance à son enfant
illégitime. Ce dernier n'est pas obligé de la croire mais s'il le
fait, il doit refuser de succéder à son prétendu
père. La troisième solution est de « persuader à son
adultere (sans toutesfois continuer le peché auec luy) de satisfaire
à son mary par quelque bo[n] moyen, ou payer les frais à
l'Hopital, si l'enfans y a esté exposé479 : car il ne
doit pas viure aux despens des membres de Iesus Christ, qui sont les pauures
»480. Ici ressort la place particulière du bâtard,
même au sein d'établissements de charité tels que les
hôpitaux. Ces derniers craignent en effet ces « pauvres
abandonnés qu'une sinistre légende chargeait de tous les dangers
du péché et notamment de la vérole, la vraie, la syphilis
»481. L'amant peut cependant arguer de bien des choses afin de
se décharger de cette tâche. La quatrième solution est de
« persuader au mary de preferer les autres enfans, qui sont legitimes
& leur ordonner ses bie[n]s par son testament ou autrement
»482. Si elle pense trop attirer l'attention par ce moyen, elle
peut choisir de
473Ibid., p.119.
474Ibid., p.119.
475Ibid., p.121.
476Ibid., p.119.
477Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les
vices..., op. cit. [note n°452], p.161.
478Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.119.
479L'exposition des enfants consistait à
placer le nouveau-né non désiré dans un lieu visible afin
qu'il soit pris en charge par une
institution de charité.
480Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.121.
481Jean-Pierre BARDET (dir.), L'enfant
abandonné, Paris, CDU/SEDES, Histoire économie et
société, 3ème trimestre 1987,
p.295.
482Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.122.
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donner libéralement tout son bien à son mari et
à ses enfants légitimes. Le bâtard ne reçoit rien
mais son origine n'est pas dévoilée : il peut donc rester
auprès de sa « famille ». Si la femme ne possède aucun
bien, elle « doit le plus qu'elle pourra augme[n]ter les bie[n]s de la
maison, plus trauailler qu'elle n'est pas obligee, ieusner, & ma[n]ger
moins, pour espargner le bien, laiser [sic] les
bo[n]bans483, dorures, ornemens, atours & autres superfluitez
d'habillement, afin que par telle parcimonie elle puisse récompenser le
do[m]mage qu'elle fait auec son bastard à la maison
»484. Une autre solution est de placer l'enfant « en
quelque monastere & religio[n], ou il n'y ait moye[n] de iouyr d'aucuns
benefice »485. Elle peut aussi léguer tout son bien
à son mari et à ses enfants légitimes ou encore charger au
moment de sa mort un religieux d'avertir son mari. Cela est plus prudent selon
Benedicti que de l'annoncer elle-même à son mari car « elle
peut retourner à conualescence, & par consequent encourir son
indignation, & s'exposer aux mesmes dangers que dessus »486
à savoir la mort. Enfin, le dernier conseil de Benedicti est de s'en
remettre à Dieu si aucune des solutions développées
précédemment n'était possible.
Le franciscain emploie dans ce passage le vocabulaire de la
pitié en interpellant « la pauure miserable » ou « la
pauuvre infortunee »487 : « O pauuvres femmes que
abandonnez ainsi vostre honneur, regardez en quel labirinthe vo[us] estes
enuelopees. Voyez en quels precipices vous fait tomber ce peché
»488 leur lance-t-il puis, plus loin, « O vous autres
femmes Chrestie[n]nes qui prete[n]dez vostre part au ciel, vous vous deuez bien
tenir sur vos gardes, à fin de ne croire au siffle du serpe[n]t
tortueux, qui a trompé jadis vostre premiere mere Eue, & ne vous
donnez en proye à ses pipeurs mondains, lesquels apres qu'ils ont iouy
de la despouille de vostre ho[n]neur s'en gaussent, & en dressent leur
risee »489. Benedicti tente de sensibiliser les femmes à
leurs devoirs en leur rappelant la manière dont Ève a
chuté mais aussi en leur proposant des modèles féminins de
vertu : « Proposez vous vne Sara, vne Rachel, vne Judith, vne Suzanne,
& si vous aimiez mieux les Paye[n]nes, mirez vous à une Penelope,
à vne Arthemise, à vne Lucresse, qui ont preferé leur
ho[n]neur à tous plaisirs mo[n]dains »490. Toutes ces
femmes ont mené une vie d'épouse parfaite. Suzanne est
évoquée en plusieurs autres passages de La somme des pechez,
et le remede d'icevx. En effet, cette magnifique
483Les « bobans » signifient des
festivités, avec une idée d'ostentation.
484Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.122.
485Ibid., p.122. 486Ibid., p.120.
487Ibid., p.120. 488Ibid., p.121.
489Ibid., p.123. 490Ibid., p.123.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
jeune femme, mariée à Ioakim, est
accusée injustement d'adultère par deux vieillards avec qui elle
a justement refusé de pécher. Elle est finalement
innocentée grâce au prophète Daniel qui est alors un tout
jeune garçon491. Cette histoire montre la force de la foi en
Dieu. Suzanne, prête à être mise à mort pour un crime
qu'elle n'a pas commis s'en était en effet remise à sa
toute-puissance.
Benedicti affirme enfin qu'il revient au mari de faire cesser
l'adultère de sa femme. Ce dernier, s'il ne veut se séparer de
« sa femme perseuerante en adultere public, & habite auec elle en luy
rendant le deuoir de mariage, consent au peché de sa femme, laquelle il
doit chasser plustost de sa maison, & se separer d'auec elle, pour euiter
le souspeçon de luy fauorizer, & le scandale du peuple
»492. Agnès Walch rappelle que « [p]uisque c'est
à l'époux de maintenir l'autorité dans sa famille contre
toute incursion étrangère, puisqu'il est censé surveiller
et maîtriser le comportement de son épouse, il est le premier
responsable de ses débordements »493. Néanmoins,
certains maris gardent leurs femmes adultères, ne seraient-ce que pour
assurer la subsistance du ménage. De plus, le remariage étant
interdit au cocu, il est admis que « si le mary veut ou qu'il ne se puisse
contenir, il la peut rappeller, au moye[n] qu'elle se soit corrigee de so[n]
peché, & par ainsi se reconciliant auec elle, luy demander &
rendre le deuoir de mariage sans offense »494. La femme
adultère rappelée n'a aucune objection à apporter ici.
Cependant, Benedicti accorde à la femme en retour le droit de quitter
son mari adultère si cela se sait, ainsi que le droit de lui refuser le
devoir de mariage. Le franciscain donne aussi les raisons qui peuvent pousser
le mari à garder auprès de lui sa femme adultère : si la
chose est secrète, si son épouse s'est corrigée
d'elle-même et s'en est excusée, s'il était possible
qu'elle agisse d'une pire manière en étant loin de lui et enfin,
par charité, afin de la « reduire en la voye de salut
»495. Nous pouvons donc conclure que ce chapitre sur
l'adultère nous présente une femme dont le crime est plus grave
que celui de l'homme. Selon Pierre Darmon, cette « sévère
répression qui frappe les épouses infidèles cache la
hantise d'une domination de la femme dans le cadre du mariage. [...] On
retrouve cette crainte d'un univers où la hiérarchie est
bafouée jusque sous la plume des juristes les plus éminents
»496, affirme-t-il. Ainsi, même si les rituels festifs du
XVIe siècle
491Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Daniel, 13.
492Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.127.
493Agnès WALCH, Histoire de
l'adultère : XVIe-XIXe siècle, Paris,
Perrin, 2009 (coll. Pour l'histoire), p.37.
494Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.127.
495Ibid., p.129.
496Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les
vices..., op. cit. [note n°452], p.166-167.
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continuent à se moquer des maris cornus, la
sévérité est de mise lors des procès de femmes
adultères.
Si Benedicti admet que l'adultère a la même
gravité qu'il soit commis par l'épouse ou par son conjoint, son
discours reflète la pensée de son époque :
l'adultère de la femme est plus dangereux car ses conséquences
s'étalent dans un temps long. En affirmant néanmoins que l'homme
sera reconnu plus coupable que sa femme dans l'autre monde, le franciscain
contrebalance leur impunité aux yeux de la loi du XVIe
siècle. Nous allons à présent nous pencher sur la question
de la place de la concubine dans la société d'après les
mentions qu'en fait Benedicti.