La femme mariée peut entamer une nouvelle existence,
qui ne semble pas moins dangereuse que celle de la vierge. Passée sous
la tutelle de son mari, elle reste un être
331Jean-Louis FLANDRIN, Les amours
paysannes..., op. cit. [note n°275], p.283-284.
332Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.475.
333Yvonne KNIBIEHLER, La virginité
féminine..., op. cit. [note n°265], p.105.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 90 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
inférieur à qui Jean Benedicti rappelle les
nombreux devoirs. Néanmoins, ce dernier n'hésite pas à lui
accorder certains droits qui relativisent quelque peu cette position de
soumission extrême dans laquelle nous imaginons la femme du
XVIe siècle. Malgré ces concessions, nous verrons dans
un premier temps qu'une majorité des références que le
franciscain fait à la femme mariée est tournée vers son
rapport au sexe. Nous nous pencherons ensuite sur la question de la faiblesse
supposée de la femme, qui doit entraîner sa sujétion
à tout prix. Enfin, nous montrerons que de cette faiblesse
découlent des devoirs mais aussi des droits que Benedicti accorde plus
libéralement que bien des hommes de son temps.
La femme a toujours été perçue comme un
être ambivalent. Jean Delumeau donne cette explication à la
méfiance exprimée envers cette dernière : « Mal
magnifique, plaisir funeste, venimeuse et trompeuse, la femme a
été accusée par l'autre sexe d'avoir introduit sur terre
le péché, le malheur et la mort. Pandore grecque ou Ève
judaïque, elle a commis la faute originelle en ouvrant l'urne qui
contenait tous les maux ou en mangeant du fruit défendu. L'homme a
cherché un responsable à la souffrance, à l'échec,
à la disparition du paradis terrestre, et il a trouvé la femme.
Comment ne pas redouter un être qui n'est jamais si dangereux que
lorsqu'il sourit ? La caverne sexuelle est devenue la fosse visqueuse de
l'enfer »334. La femme qui sécrète tous les mois
du sang par cette même « caverne sexuelle », dont le corps se
déforme sous l'effet de la grossesse, qui donne la vie à un
nouvel être et qui pourra nourrir son bébé grâce au
lait qu'elle produit ne pouvait-elle pas n'être qu'une personne
mystérieuse et inquiétante ? Le sang, qui dans beaucoup de
civilisations symbolise l'impureté, lui interdit de participer trop
activement à certains cultes. Son rapport à la vie, qu'elle
donne, mais aussi à la mort, dont elle semble plus proche, l'ont
repoussée du côté de la nature tandis que l'homme
s'attribuait la sagesse, la raison. Sa proximité avec la nature la
laisse nécessairement plus gouvernée par ses instincts que
l'homme. Les médecins de l'Antiquité attribuent à sa
« matrice » une vie propre qu'elle-même ne peut contenir. Et
d'après eux, cette matrice incontrôlable peut subitement se
trouver assoiffée de sexe. Ainsi, Jean Delumeau précise : «
Dans l'inconscient de l'homme la femme suscite l'inquiétude, non
seulement parce qu'elle est le juge de sa sexualité, mais encore parce
qu'il l'imagine volontiers insatiable, comparable à un feu qu'il faut
sans cesse alimenter, dévorante comme la mante religieuse
»335. Le discours que tiennent les gens d'Église peut
parfois sembler terroriste
334Jean DELUMEAU, La peur en Occident,
Paris, Fayard, 1978 (coll. Pluriel Histoire), p.403.
335Ibid., p.402-403.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 91 -
envers la femme mais il faut rappeler que ces derniers ont
fait voeu de continence et que la femme représente, presque
nécessairement, une menace, une tentation incessante.
Jean Benedicti aborde assez longuement les questions de
sexualité au sein du couple. Rappelons dans quel cadre ces rapports
sexuels pouvaient se dérouler au XVI e siècle. Les
conjoints ne se sont pas forcément choisis l'un l'autre et, du moins
dans les couches les plus aisées de la société, ne se
connaissent pas encore très bien. L'écart d'âge peut
être important. Le mariage doit être consommé pour
être reconnu. Marcel Bernos rappelle que, même « [e]n
l'absence de témoignages nombreux et précis sur les gestes
communs de l'amour ordinaire, [...] l'impression domine, selon une formule de
Jacques Solé, que les actes conjugaux sont "relativement rares, brefs et
privés de chaleur" »336. Le mari est censé faire
l'éducation sexuelle de sa femme, ce qui est plus facile si cette
dernière est assez jeune, mais, comme le rappelle Maurice Dumas, «
en matière de sexualité, les conseils qu'on lui adresse se
résument à la nécessité de modérer ses
propres ardeurs »337. Jean Benedicti tente donc de parer aux
dangers potentiels auxquels les femmes sont exposées dans ce « lieu
occupé par les forces du mal »338 qu'est le lit conjugal
en délimitant précisément les conditions de l'acte sexuel.
Afin de voir quels conseils donne Benedicti aux couples, nous suivrons point
par point son chapitre intitulé « De l'excez des gens mariez
».
Jean Benedicti rappelle tout d'abord la position de saint
Paul. Ce dernier affirme : « Il est bon pour l'homme de s'abstenir de la
femme. Toutefois, en raison du péril d'impudicité, que chaque
homme ait sa femme et chaque femme son mari. Que le mari s'acquitte de son
devoir envers sa femme, et pareillement la femme envers son mari. La femme ne
dispose pas de son corps, mais le mari. Pareillement, le mari ne dispose pas de
son corps, mais la femme. Ne vous refusez pas l'un à l'autre ; si ce
n'est d'un commun accord, pour un temps, afin de vaquer à la
prière ; puis reprenez la vie commune, de peur que Satan ne profite,
pour vous tenter, de votre incontinence ». Il ajoute « mieux vaut se
marier que de brûler »339. Ce passage a une très
grande importance dans la doctrine chrétienne du mariage puisqu'il
institue le devoir de mariage et qu'il reconnaît une sorte de
nécessité physique à l'acte sexuel. Benedicti explicite
immédiatement ce propos en affirmant : « il ne s'e[n]suit pas
toutesfois qu'il doiuent commettre aucu[n]s excez en leur mariage qui desplaise
à Dieu »340. Le franciscain prend ici en modèle
Sarra. Cette
336Marcel BERNOS, « Le temps des mises en
ordre », dans Le fruit défendu : les chrétiens et la
sexualité de l'Antiquité à nos jours, Marcel BERNOS,
Charles de LA RONCIERE, Jean GUYON, Philippe LECRIVAIN, Paris, LE Centurion,
1985 (coll. Chrétiens dans l'histoire), p.160.
337Maurice DUMAS, Le mariage amoureux : histoire
du lien conjugal sous l'Ancien Régime, Paris, Armand Colin, 2004,
p.135. 338Ibid., p.134.
339Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], I Cor. VII, 1-9.
340Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.150.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 92 -
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 93 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
jeune femme, qui est veuve de sept époux sans
même avoir eu le temps de les connaître, finit par épouser
le valeureux Tobie. Benedicti rappelle que le démon Asmodée est
responsable de la mort des époux successifs de Sarra. Il
interprète l'action du démon pour appuyer son propos. En effet,
tandis que les raisons d'Asmodée ne sont pas développées
dans le texte biblique341, Benedicti affirme qu'il « tua les
sept marys de la ieune dame Sara, à raison qu'ils l'auoient espousee,
plustost pour vaquer à leur concupiscence & appetis desordonnez,
comme bestes brutes, que pour auoir lignee »342. Nous ne savons
pas si cette interprétation était commune à
l'époque mais il est intéressant de remarquer qu'ici « ce
diable Asmodee » semble avoir horreur du péché et va
jusqu'à commettre plusieurs meurtres pour protéger l'honneur
d'une jeune mariée vertueuse. Quelques lignes plus loin, le franciscain
détourne à nouveau un texte biblique pour appuyer son propos. Il
affirme que le prophète Osée a dit : « Pour-autant [...]
qu'ils ont esté impudiques en leurs amours, ie feray que les femmes
seront steriles, ou que si elles viennent à conceuoir, elles
enfantero[n]t des mo[n]stres & ie leur tariray les mammelles, &c
»343. La note à laquelle renvoie l'astérisque mis
devant le mot « Prophete » invite le lecteur à se
référer à « Osee c. 9. ». Or dans ce passage, si
Osée annonce effectivement une punition divine impliquant « plus
d'enfantement, de grossesse, de conception [...] des entrailles stériles
et des seins desséchés »344, il s'agit du crime
d'idolâtrie qui est en cause et non celui d'incontinence. Nous voyons ici
que Benedicti adapte assez librement la Bible pour illustrer son propos.
Il semble néanmoins que son premier conseil soit la
modération. Tout rapport doit être mesuré en vue de son but
ultime : la procréation. Jean Benedicti conseille : « il ne faut
pas que l'ho[m]me vse de sa femme comme d'vne putain, ne que la femme se porte
enuers son mary, comme auec vn amoureux : car ce sainct Sacrement de mariage se
doit traicter auec toute honnesteté & reuerence
»345. Nous pouvons ici rapprocher ce propos de ce que pense un
contemporain, Michel de Montaigne. Ce dernier affirme en effet à la
même époque : « Aussi est-ce une espèce d'inceste
d'aller employer à ce parentage vénérable et sacré
les efforts et les extravagances de la licence amoureuse. Il faut, dit
Aristote, toucher sa femme prudemment et sévèrement, de peur
qu'en la chatouillant trop lascivement le plaisir la fasse sortir hors des
gonds de raison. Ce qu'il dit pour la conscience, les médecins le disent
pour la santé : qu'un plaisir excessivement chaud, voluptueux et assidu
altère la semence et empêche la conception. [...] Aucune
341Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Tobie, 3, 8.
342Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.151.
343Ibid., p.151.
344Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Osée, 9, 11-14.
345Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.151.
femme ne voudrait tenir lieu de maîtresse et d'amie
à son mari. Si elle est logée en son affection comme femme, elle
y est bien plus honorablement et sûrement logée
»346. Nous voyons ici que les religieux ne sont pas en
opposition avec les pensées de l'époque.
Benedicti aborde ensuite la question des positions sexuelles
acceptées ou non. Le rapport sexuel devant avoir pour but premier la
procréation, il doit la faciliter par tous les moyens. Le cas contraire,
il ne s'agirait que de chercher la volupté, ce qui est un
péché en soi. Scarlett Beauvalet affirme que cette question de la
« position naturelle » est « toujours posée lors de la
confession »347. Selon elle, « les clercs n'en admettent
qu'une seule, qui met l'homme au-dessus de la femme allongée sur le dos.
[...] Outre l'intérêt de faciliter la procréation, cette
position est symbolique de la domination masculine et rappelle le cycle naturel
de la terre fécondée par le laboureur »348.
Toutes les autres postures sont interdites car elles ne seraient pas naturelles
et ne seraient pas propices à la conception. Les médecins de
l'époque sont quasiment tous unanimes sur ce point. Or, Benedicti
apparaît plus conciliant. Il ajoute en effet à la fin de son
paragraphe : « Ie dy toutesfois, qu'au moye[n] que la femme puisse
co[n]ceuoir, en quelque maniere que le mary la cognoisse, ce n'est le plus
souuent que peché veniel »349. Le franciscain
réintroduit une infime marge de manoeuvre dans les rapports du couple.
En ce qui concerne ce qui est « co[n]tre l'ordre de nature »,
à savoir la sodomie, aucune dérogation n'est possible. La femme
mariée a le droit voire même le devoir de s'y opposer. Benedicti
va jusqu'à accorder à la femme le droit de se séparer de
son conjoint « s'il n'y a autre moyen de le corriger. Et pour autant
celles qui craignant Dieu, ne doiuent iamais consentir en choses si
destestables, ains plustost doiuent crier à la force, nonobstant le
scandale qui en pourroit arriuer. Et en cela le des-honneur ny la crainte de
mort, ne les doit intimider : car il vaut mieux mourir, dit la loy, que de
consentir à mal. Ie croy bie[n] que ce vice n'a pas lieu en France. Dieu
en soit loüé »350. La sodomie avait
déjà été longuement dénoncée quelques
pages auparavant montrant du doigt « les demons qui subuertirent Sodome,
& Gomorrhe auec leurs habitans, qui outre leur prodigieuse luxure estoint
plus qu'heretiques, voulans en ta[n]t qu'il estoit en eux possible, abolir le
gente [sic] humain, en delaissant l'vsage naturel des femmes
»351. Benedicti accorde de plus le droit de se toucher entre
époux, afin de « s'inciter à se
346Michel de MONTAIGNE, Essais III,
cité dans François LEBRUN, La vie conjugale sous l'Ancien
Régime, Paris, Armand
Colin, 1975 (coll. U), p.88.
347Scarlett BEAUVALET, Histoire de la
sexualité à l'époque moderne, Paris, Armand Colin,
2010, p.88.
348Ibid., p.88-89.
349Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.151.
350Ibid., p.151.
351Ibid., p.149.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 94 -
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 95 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
rendre le deuoir de mariage »352. Ce point
faisant débat au sein de l'Église, du fait des possibles
dérives de ces gestes, qui peuvent même mener à une
satisfaction mutuelle des conjoints sans possibilité de
procréation, Benedicti décide de se reporter au texte biblique.
Il cite en effet Genèse 26 où l'on voit « Isaac qui
caressait Rébecca »353, sa femme.
Jean Benedicti s'attache à décrire les moments
physiologiques qui seraient les plus propices à un rapport sexuel. Il
affirme tout d'abord : « Le mary qui cognoist sa femme lors qu'elle a ses
purgations, peche mortellement, sinon que l'ignorance l'excusast en partie,
comme celuy qui iamais ne[n] auroit esté aduerty »354.
En effet, la croyance est bien ancrée à l'époque que
« les enfans en deuienne[n]t ladres355, monstres,
contre-faicts, souuent ils meure[n]t au ventre de leurs meres, ou sont tachez
de quelque autre maladie, pourtans la marque de l'incontinence de leurs
geniteurs, ainsi que l'experience nous l'enseigne »356. Le
Lévitique insiste sur l'impureté de la femme qui a ses
règles : « Lorsqu'une femme a un écoulement de sang et que
du sang s'écoule de son corps, elle restera pendant sept jours dans
l'impureté de ses règles. [...] Si un homme couche avec elle,
l'impureté de ses règles l'atteindra. Il sera impur pendant sept
jours. Tout lit sur lequel il couchera sera impur »357. Ce
même passage préconise de se laver après tout contact avec
un meuble ou un objet touché par la femme impure. Benedicti ne suit pas
à la lettre ces indications de l'Ancien Testament mais il
considère que son « indisposition » doit la tenir
écartée de tout rapport sexuel. Guy Bechtel rappelle que «
[d]epuis Pline (23-79), on avait la certitude que le sang menstruel
était venimeux. [...] La femme était supposée
immunisée contre son propre venin. Cependant un être humain
capable de produire plusieurs jours par mois un tel poison était
fondamentalement mauvais, pernicieux, diabolique, et toute conjonction
charnelle avec lui relevait du défi»358. Il faut donc
éviter particulièrement un rapport durant cette période.
Benedicti, tout comme les autres théologiens de son temps, laisse
à la femme le soin d'informer ou non son mari de sa situation. Cette
dernière peut en effet choisir de « luy signifier so[n]
indispositio[n], si elle voit que le mary la poursuiue, mais auec prude[n]ce
à celle [sic] fin qu'il ne l'ait point en horreur pour cela,
& le prier hu[m]bleme[n]t d'atte[n]dre encores vn peu. Que s'il ne veut,
elle luy peut obeyr sans scrupule de conscie[n]ce : car
352Ibid., p.151.
353Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Genèse, 26, 8.
354Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.152.
355Ladre signifie « lépreux » au
sens propre mais, par extension, désigne aussi une personne paresseuse,
fainéante ou folle.
356Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.152.
357Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Lévitique, 15, 19-24.
358Guy BECHTEL, La chair, le diable et le
confesseur, Paris, Plon, 1994 (coll. Le doigt de Dieu), p. 133.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 96 -
elle est subiecte au mary [...] »359.
Cependant, la femme pécherait si elle demandait elle-même à
son conjoint de lui rendre le devoir de mariage pendant ce temps. Benedicti
donne à cela un argument qui semble en décalage avec les
croyances de la fin du XVIe siècle puisqu'il affirme «
qu'elle n'est point si necessitee qu'elle ne puisse bien attendre, veu qu'en
tel accide[n]t elle n'est pas tant espoinçonnee des aiguillons de la
chair, ne par consequent tant subiecte au peril, que pourroit estre le mary
»360. Jean Benedicti propose ensuite aux mariés de
rester continents le temps de la grossesse afin de ne pas « suffoquer le
fruit ia co[n]ceu »361. De même, un temps de sept jours
devrait être respecté après l'accouchement, afin de laisser
la matrice se refermer. Il confirme aussi qu'il « y a mesme vne loy au
droit canon qui dit que le mary s'abstienne de sa femme iusques à tant
qu'elle ait seuré l'enfant de la mammelle »362 mais
n'insiste pas sur le sujet, et ne demande pas aux femmes de suivre ce
précepte. En cela, Benedicti est plus indulgent, ou plus pragmatique,
que bien des hommes de son temps.
Les paragraphes suivants traitent la question du moment
temporel le plus adéquat pour avoir des relations sexuelles avec son
conjoint. Il affirme que « [c]eux qui vaquent à l'oeuure de chair
au temps qu'ils communient & reçoiuent le Sainct Sacrement peche[n]t
au moins venieleme[n]t »363. Benedicti rappelle qu'un minimum
de trois jours de continence est évoqué en plusieurs textes mais
adoucit aussi le propos de personnes plus rigoureuses que lui à ce
sujet. Il précise que « quand quelques gloses & Docteurs disent
que c'est peché de le rendre [le devoir de mariage] en telles
sole[n]nitez, il se doit entendre qua[n]d c'est plustost pour volupté,
ou irreuerence & mespris de la feste, que pour auoir lignee. Et par ainsi
quand ils disent qu'en tels iours il faut que le mary & la femme viuent en
continence, il s'entend de conseil »364. De même,
Benedicti recommande la continence « aux grandes festes & solennitez
»365 mais ne l'impose pas tandis que Charles Borromée,
à la même époque, conseillait aux personnes mariées
de s'abstenir l'un de l'autre même le dimanche, jour du
Seigneur366. En ce qui concerne le lieu où peuvent avoir lieu
les rapports sexuels, Benedicti hiérarchise sa phrase selon un ordre de
péché décroissant : « La partie qui rend à
l'autre le deuoir de mariage en l'Eglise ou en lieu sacré, ou bien en
public au scandale du peuple peche »367. Néanmoins, s'il
s'agit d'éviter « vn plus gra[n]d mal, comme pollution volontaire,
&c », il existe,
359Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.153.
360Ibid., p.153.
361Ibid., p.153. 362Ibid., p.154.
363Ibid., p.154. 364Ibid., p.154.
365Ibid., p.154. 366Guy BECHTEL, La
chair..., op. cit. [note n°358], p. 154.
367Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.155.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
selon l'expression de Guy Bechtel, des « accommodements
possibles avec la religion ». Ainsi, selon lui, « [l]es gens
pressés avaient [...] toujours le loisir de se réfugier dans le
clocher, voire dans la sacristie »368.
Ce même auteur rappelle que « l'amour doit
être fait. Les confesseurs avaient en même temps que la mission
d'empêcher le plaisir d'un coït trop luxurieux, le devoir de
s'assurer de son existence, de sa répétition
»369. Le devoir de mariage n'est pas à prendre à
la légère, et comme le dit Benedicti, « [c]eluy ou celle qui
denie le deuoir de mariage sans occasion à sa partie il viole le droit
de iustice, qui commande de rendre à vn chacun ce que luy appartient
»370. Ainsi, faire un voeu de continence est impossible
à l'un des conjoints si sa partie n'est pas consentante. À ce
propos, Benedicti rapporte l'histoire de femmes qui furent excommuniées
pour avoir abandonné leurs maris sous couvert d'un voeu de
continence371. Une femme renvoyée puis rappelée par
son mari a obligation de lui rendre le devoir de mariage372 mais
c'est à elle de choisir si elle désire rendre ce même
devoir à un mari adultère dont la faute est
publique373. Dans le même ordre d'idées, « la loy
de mariage oblige la femme de coucher auec son mary qui est excommunié,
& luy rendre le deuoir de mariage, & ce sans encourir censure aucune,
& à l'opposite le mary doit habiter auec la femme excommuniee
»374. Si le mari peut demander à sa femme d'avoir des
rapports sexuels avec lui, elle aussi a des droits sur sa partie. En effet, le
mari qui se fait ordonner « au desceu de sa partie, peche mortellement,
& si doit estre restitué à sa femme si elle le dema[n]de,
pour luy rendre le deuoir de mariage »375.
L'impossibilité de rendre le devoir de mariage entraîne la
dissolution de celui-ci. Le franciscain est formel sur ce point : « quant
à la femelle vierge qui ne peut endurer la co[m]pagnie du mary, on y
peut remedier par l'art de chirurgie, comme aussi celle qui est de matrice trop
estroitte. Que s'il n'y a point de remede, & que l'homme ne la puisse en
aucune façon cognoistre, on les pourra separer : car s'est vn
empeschement perpetuel qui dissoult le mariage »376. Pierre
Darmon a étudié dans son ouvrage Le tribunal de l'impuissance
: virilité et défaillance conjugale dans l'ancienne
France377 les divers recours des conjoints en cas
d'impuissance.
368Guy BECHTEL, La chair..., op. cit.
[note n°358], p. 153.
369Ibid., p. 254.
370Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.155.
371Ibid., p.68.
372Ibid., p.127. 373Ibid., p.128.
374Ibid., p.601. 375Ibid., p.450.
376Ibid., p.472. 377Pierre DARMON, Le
tribunal de l'impuissance : virilité et défaillance conjugale
dans l'ancienne France, Paris, Seuil, 1979. Il faut souligner que cet
auteur affirme que les « canonistes ont mis longtemps avant de
s'apercevoir de l'existence de l'impuissance féminine » (p.48).
Alors qu'un homme qui ne répond pas au triptyque « Dresser, entrer,
mouiller » était reconnu impuissant et incapable de se marier
depuis le XIIe siècle, les femmes n'ont fait l'objet de
procès en impuissance que dans 5% des cas étudiés
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 97 -
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 98 -
Enfin, Benedicti conseille de mentionner lors de la
confession, toutes les pensées qui ont eu trait à un rapport
sexuel désiré. Guy Bechtel explique que « [l]'amour commence
bien avant l'amour, et l'Église l'a toujours su. C'est pourquoi elle a
prévu, en confession, d'interroger non seulement sur les actes de la
chair, mais sur toutes les anticipations en esprit, les fantasmes qui les
précèdent, les délectations préalables
»378. Ainsi la femme mariée pèche « laquelle
pensant en la compagnie qu'elle aura de son mary quand il sera de retour
à la maison se delecte en telle cogitatio[n], & se senta[n]t
enflammer en icelle ne la repousse point : Et peche encores plus griefuement si
pour cela elle tombe en pollution »379. Si les conseils
donnés aux mariés sont regroupés en un seul chapitre, les
diverses fautes qui peuvent émailler une relation sexuelle sont
disséminées tout au long de l'ouvrage, au fil des exemples pris
par Benedicti pour illustrer son propos. Benedicti affirme qu'il faut confesser
toutes les facettes de l'acte de chair afin de déterminer
précisément le degré de la faute commise. Ainsi, «
[l]a femme qui consent au peché de luxure pressee de pauureté ou
de crainte peche bien mortellement, mais non pas tant que celle qui n'a
esté contrainte par telles circonstances »380, «
celuy qui abuse d'vne femme roturiere, offense aussi bie[n] que celuy qui abuse
d'vne damoiselle : le peché toutesfois de l'vn est plus grief que celuy
de l'autre. Item celuy qui abuse d'vne vieille ou laide femme, offense plus que
celuy qui peche auec vne belle, caeteris paribus, c'est à dire
quand les deux sont de mesme qualité »381. Benedicti
semble ici plus traiter de rapports sexuels hors mariage. Lorsque ce dernier
traite dans le détail les circonstances qu'il faut préciser
à son confesseur lors de l'aveu d'un péché de luxure, la
femme est citée à chaque circonstance mais elle n'est jamais
active. Elle semble n'être qu'un objet qui a mené à
pécher mais ce n'est pas son péché à elle qui
semble intéresser Benedicti dans cette partie. Il affirme même que
« le mary adultere peche plus griefuement (i'ay dit ailleurs
intensiuement) que la femme, pour autant que le sexe feminin est plus fragile,
& plus violentement agité que non pas le masculin
»382. S'il se met ici en contradiction avec ce qu'il avait
affirmé plus tôt dans son ouvrage, Benedicti semble faire porter
la plus lourde charge sur les épaules masculines. Il rappelle enfin la
charge incestueuse du rapport sexuel entre un religieux et une
laïque383 et condamne la polygamie384.
par Pierre Darmon.
378Guy BECHTEL, La chair..., op. cit.
[note n°358], p. 173.
379Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.158.
380Ibid., p.577.
381Ibid., p.577.
382Ibid., p.581.
383Ibid., p.134.
384Ibid., p.123-124.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
Les autres références à la femme
mariée les plus présentes dans l'ouvrage La somme des pechez,
et le remede d'icevx, sont celles relatives à sa faiblesse et
à sa sujétion au mari, qui a quasiment toute puissance sur elle.
La sexualité de la femme fait peur, la vie propre de sa matrice est
redoutée et il faut, tout comme les enfants, la mettre sous le joug
d'une puissance qui pourra éviter tout débordement. De plus,
selon l'Ecclésiastique, « [c]'est par la femme que le
péché a commencé / et c'est à cause d'elle que tous
nous mourons »385. Ève pèse lourd sur le sort qui
est réservé aux femmes à toutes les époques. Sa
naissance même semblait impliquer une soumission de la femme, sa faute
lui a attiré les foudres des juristes et des clercs durant des
siècles. En effet, Ève aurait été tirée
d'une côte de l'homme386. Cette naissance est la plus
communément admise tandis que plus haut dans le texte, nous pouvons lire
: « Dieu créa l'homme à son image, / à l'image de
Dieu il le créa, / homme et femme il les créa
»387. Cette première naissance simultanée du
principe masculin et féminin a été occultée par la
deuxième naissance d'un être purement féminin, Ève.
L'infériorité de cette dernière a souvent
été justifiée par le fait qu'elle a été
formée à partir d'Adam. Néanmoins, il faut souligner
qu'elle n'a pas été tirée de ses pieds, ce qui aurait pu
mettre en valeur son caractère inférieur, ni de sa tête, ce
qui aurait pu impliquer une supériorité, mais de sa côte,
de son côté, symbole d'égalité. Malheureusement,
cette « premiere mere estant deceue par ces esprits malings
»388, l'homme et la femme furent chassés du Paradis.
Benedicti attribue cette déchéance au « te[n]dre cerueau
»389 de cette femme qui n'a pas su contrer la ruse du serpent.
Ce dernier tient un discours trompeur à Ève et celle-ci se laisse
convaincre que Dieu lui fait du tort à elle et à son
mari390. Aussi, Ève n'aurait-elle peut-être agi que par
amour pour son mari, afin que celui-ci ne subisse aucun tort. Le fait qu'elle
donne du fruit défendu à Adam pourrait être une preuve de
son esprit de partage et non le signe de sa volonté de pervertir son
partenaire. Néanmoins, c'est ainsi que le récit de la chute de
l'humanité hors du Paradis fut interprété. Agnès
Walch explicite : « Son caractère diabolique avait plongé
l'humanité dans la détresse puisque par sa faute, le premier
couple avait été chassé du paradis terrestre. Les
médecins ajoutaient que la femme était de constitution faible,
voire débile, et que son développement était bien lent et
imparfait. Ils avançaient pour preuve cette vérité bien
connue que Dieu insuffle l'âme au foetus au
385Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Ecclésiastique, XXV, 24.
386Ibid., Genèse, 2, 21.
387Ibid., Genèse, 1, 27.
388Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], « Epistre
dedicatoire ».
389Ibid., p.1.
390Ibid., p.2.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 99 -
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 100 -
quarantième jour pour un mâle et au
cinquantième pour une fille dont les organes génitaux sont, en
outre, internes parce qu'elle n'a pas eu la force de les amener à
maturité. Au mieux, ces médecins, parmi lesquels le très
sérieux Ambroise Paré, conseillaient au mari de l'indulgence pour
cet être si médiocre, en grande partie irresponsable de ses
malheurs, mais coupable d'être un poids pour son partenaire
»391. Nous allons voir que Benedicti n'échappe pas
à cette image de la femme.
Ses allusions à la faiblesse d'esprit des femmes
ponctuent son ouvrage. La femme ne peut pas témoigner en justice car
elle « est le plus souuent fragile, muable & variable & subiette
au mary »392, en cela, Benedicti s'accorde avec l'opinion des
juristes de son temps. La femme écoute la messe en latin, bien qu'elle
ne le comprenne pas, tout comme les idiots393. Mais la marque
réelle de sa faiblesse d'esprit sont les superstitions auxquelles elle
donne foi. Les femmes croient qu'elles peuvent avoir des relations sexuelles
avec leur mari le jour de leur communion. Elles pensent même pouvoir
travailler ce jour-là394. D'autres sont si superstitieuses
qu'elle ne veulent « filer au Samedy » au lieu de quoi elles «
s'applique[n]t à quelques autres negoces de vanité
»395. Benedicti reconnaît le droit des femmes de
s'arrêter de filer après le dîner « en l'honneur de la
vierge Marie, à laquelle le Samedy est volontiers dedié »
mais se moque des femmes qui prétendent reporter leur ouvrage sous
couvert de superstition. De même, les femmes pensent qu'il faut
réitérer la confession. Elles ne voient pas qu'elles se font
abuser par « des co[n]fesseurs, peu experime[n]tez en cure d'ames
»396. Les « deuotes femmes » sont aussi
raillées pour leurs croyances397 en des rites surnaturels. Le
désespoir semble de plus se remarquer plus facilement chez les
femmes398 tandis que c'est lors de la confession que Benedicti dit
voir le mieux leur faiblesse d'esprit. En effet, les « pauures femmes
» n'osent confesser leurs péchés, principalement celles
« qui sont tombees au peché de la chair »399. Dans
une longue série de questions oratoires, Benedicti essaie de ramener les
femmes à une confession entière de leurs péchés et
finit son discours ainsi : « Proposez vo[us], ie vous prie vne Magdelene,
vne Samaritaine, vne Marie Egyptienne, vne Thais, vne Pelagie, & plusieurs
autres femmes pecheresses, qui ont bien enduré la honte de ce monde en
confessant leurs pechez, pour euiter la honte
391Agnès WALCH, Histoire du couple en
France de la Renaissance à nos jours, Rennes, Éditions Ouest
France, 2003, p.18-19.
392Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.176.
393Ibid., p.85.
394Ibid., p.236-237.
395Ibid., p.48.
396Ibid., p.622.
397Ibid., p.44.
398Ibid., p.379.
399Ibid., p.648.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 101 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
perpetuelle, & l'eternel reproche »400.
Néanmoins, cette même faiblesse de la femme devrait
entraîner selon le franciscain une pudeur dans l'examen du
confesseur401. En effet, il s'agit de ne pas apprendre à la
femme des choses que sa simplicité ne lui laissait pas imaginer.
Le mariage est pour la femme un moyen de sanctification.
Benedicti cite un apôtre qui dit « que la femme de bien sera sauuee
par la generation des enfans, si elle demeure en la foy Catholique auec
charité, sanctification, & sobrieté »402. La
femme doit obéissance à son mari et sera « seuerement
puni[e] & chati[ée] » « la femme desobeyssante à
son mary en choses iustes & qui concernent le mesnage »403.
Si ce propos peut paraître dur, il faut néanmoins remarquer que la
désobéissance est punie si elle concerne des choses « iustes
». Nous verrons par après les droits de la femme si son conjoint
agit d'une manière contraire aux Évangiles. De plus, tout comme
le souligne Agnès Walch, « les clercs insistent sur la
réciprocité des devoirs. Cette soumission est la contrepartie de
la protection que le mariage apporte à la femme. Le mari doit
fidélité irréprochable à son épouse, doit
lui complaire et supporter les faiblesses du sexe. »404.
Benedicti consacre un chapitre aux « pechez des maris enuers leurs femmes,
qui se commettent contre ce quatriesme Commandement ». Il montre alors que
le mari a obligation de nourrir « sa femme & sa famille, & leur
pourueoir des choses necessaires selon sa puissance »405. Ce
dernier est responsable du comportement de sa femme et il « est tenu de la
corriger, attendu que selon l'escriture, l'homme est le chef de la femme
»406. Néanmoins, « [c]eluy qui seuerement &
atrocement bat ou corrige sa femme, encor que soit pour quelque faute, il
peche. Il doit la corriger doucement, & non pas auec cruauté
»407 rappelle le franciscain. Le mari doit ajuster son
comportement à l'importance de sa femme dans son propre salut. En effet,
prendre soin de sa femme est considéré comme digne de louanges
et, tout comme le roi s'occupe de ses sujets pour accéder au Paradis, le
mari a besoin de sa femme pour obtenir la sanctification. De plus, Benedicti
souligne que « combien qu'elle soit inferieure, toutesfois elle n'est pas
esclaue ne chambriere : mais compagne, & la chair & les os du mary
»408. Il se rapporte ici à saint Paul et saint Pierre
qui « exhortent les hommes à aymer leurs espouses comme
400Ibid., p.648.
401Ibid., p.626.
402Ibid., p.459-460.
403Ibid., p.256-257.
404Agnès WALCH, Histoire du
couple..., op. cit. [note n°391], p.58.
405Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.98.
406Ibid., p.98.
407Ibid., p.98.
408Ibid., p.98.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 102 -
Iesus-Christ aime son Eglise »409. La femme,
qui n'est donc pas une servante, doit cependant « obeyr à son mary,
en ce qui co[n]cerne le gouuerneme[n]t de la famille & de la maison, &
en ce qui concerne les vertus & bonnes moeurs [...] car la fe[m]me non
seuleme[n]t est obligee de faire le co[m]mandement de son mary, ains aussi de
receuoir sa doctrine si elle est bonne, selon S. Paul, qui dit, que les femmes
interrogent leurs maris à la maison »410. La femme doit
suivre son mari là où il désire aller sauf si cela la met
dans un danger quelconque. Il conclue : « comme il y en a assez qui se
monstrent plustost bourreaux de leurs femmes que marys ». Benedicti semble
donc bien dénoncer toute violence déplacée envers les
femmes. Le silence est de mise pour l'épouse qui désire le
bien-être de son mari. Benedicti clôt son chapitre en affirmant que
« tout ainsi que celle, qui auec humilité se submet au joug du mary
pour accomplir la sentence de Dieu en la remission de ses pechez, merite
grandement, au contraire celle qui ne veut obeyr, resiste à la puissance
de Dieu, & peche grandement »411.
Cette soumission au mari entraîne un ensemble de droits
pour ce dernier mais tout premièrement un devoir. Ainsi, saint Augustin
dit : « ô toy mary au premier choc de la sensualité tu
tombes, & tu veux que ta femme soit victorieuse, veu que tu es le chef de
ta femme, elle te precede deuant Dieu, de laquelle tu es le chef. Le mary se
doit porter plus vertueusement que la femme. Et quand la femme vit mieux que
l'ho[m]me, la maison est renuersee »412. Selon Benedicti,
qui reprend ces propos de saint Augustin à son compte, le mari doit
donner l'exemple à sa femme. Il rappelle plus haut dans cette même
page « Mais quoy ? Le mauuais de portement des marys, n'est-il pas souuent
occasion de la desbauche des femmes, lesquelles bien souuent taschent à
se venger du tort qu'elles voyent leur estre fait ? ». Sous réserve
d'un bon comportement envers leurs femmes, les maris se voient attribuer un
certain nombre de droits sur leurs épouses. Ils ont par exemple le droit
de révoquer un voeu qu'elles auraient fait sans les en informer ou
« quand elles vouent au preiudice du mariage »413. Cette
révocation du voeu ne tient que le temps du vivant du mari, une fois ce
dernier décédé, sa veuve est tenue de l'accomplir.
Benedicti va jusqu'à affirmer que la femme n'a pas « liberté
de vouer »414. Dans certains passages de La somme des
pechez, et le remede d'icevx, il accepte cependant des voeux
féminins. La femme ne peut pas voyager seule sans l'accord de son
mari415. Son mari peut l'empêcher de sortir de chez elle. Dans
ce cas, « elle ne peche pas
409Ibid., p.98.
410Ibid., p.98-99. 411Ibid., p.99.
412Ibid., p.118. 413Ibid., p.74.
414Ibid., p.78. 415Ibid., p.69.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
en n'oya[n]t point Messe, ouy bien le mary s'il le luy
prohibe sans cause legitime : mais non pas si pour quelque bonne & iuste
raison il le luy defend »416. Benedicti s'interroge : les
femmes « qui esta[n]s souz la puissance d'autruy, sont contraint[e]s par
crainte ou autrement, de trauaillez à tels iours, pechent [elles] ? Ie
repo[n]s que non »417 affirme-t-il. La question du jeûne
est aussi abordée. La femme se voit « excusee des ieusnes qu'elle
à vouez de son fra[n]c arbitre, si le mary y co[n]tredit : mais si elle
est bien obligee à garder les autres ieusnes comma[n]dez de l'Eglise.
Que si son mary par viole[n]ce l'empesche de les obseruer, co[m]me par noises,
menaces, percussion418 & autres desordres, troubla[n]t la paix
& repos matrimonial, elle est excusee de peché, mais no[n] pas le
mary qui l'e[m]pesche, sino[n] qu'il le face pour quelque bonne raison,
laquelle il doit declarer au Confesseur »419. Enfin, les maris
peuvent ouvrir le courrier de leur femme s'ils n'ont aucune mauvaise
intention420. Nous voyons ici que la puissance du mari sur sa femme
est assez importante mais que néanmoins ce dernier a une grande
responsabilité dans ce qu'il autorise ou non à sa femme. Cette
dernière, du fait de son infériorité, semble devoir
obéir en tout point à son mari. Celui-ci est responsable sur son
salut des actions de son épouse.
Nous allons voir à présent quels sont les
droits et les devoirs de la femme, découlant de cette
infériorité. Benedicti insiste très pesamment sur
l'infériorité de la femme en ce qui concerne la possession
d'argent. Marie-Françoise Hans rappelle que le XVIe
siècle remet le droit romain à l'honneur et elle explique :
« Appliquer le droit romain, c'est priver la femme de toute
capacité civile, la reléguer au dernier rang dans
l'héritage, l'asservir. Si on ne lui déniche pas un époux,
on l'expédie au couvent ; si on la marie, le monsieur prend le pas sur
elle. Tant qu'il vit, elle n'a aucun droit de regard sur le capital. Petite
consolation : elle n'est pas responsable des dettes du couple
»421. Cette dernière précise que la travailleuse
est aussi mise sous une plus grande tutelle. Néanmoins Benedicti
n'aborde pratiquement pas la question du travail des femmes sauf pour la
prostituée. François Lebrun affirme que le droit coutumier, et
plus précisément la coutume de Paris, stipule que « [l]e
mari administre sans le concours de sa femme, frappée
d'incapacité légale, non seulement ses propres et les biens de la
communauté, mais aussi les propres de sa femme, dont les revenus tombent
dans la communauté »422.
416Ibid., p.196.
417Ibid., p.82.
418Coup, contusion.
419Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.201.
420Ibid., p.249.
421Marie-Françoise HANS, Les femmes et
l'argent, Paris, Grasset, 1988, p.37.
422François LEBRUN, La vie
conjugale..., op. cit. [note n°346], p.75.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 103 -
Ainsi, bien qu'il y ait une différence juridique entre
les propres du mari et ceux de sa femme, cela ne change rien quant à
l'administration de ces derniers : le mari s'en charge. Le franciscain rappelle
en plusieurs endroits de son ouvrage que les femmes n'ont pas de biens propres.
Ainsi, il faut restituer l'argent perdu au jeu par une femme mariée
puisque cette dernière n'avait pas la capacité de jouer cet
argent423. Ce n'est d'ailleurs pas à elle qu'il faut rendre
l'argent qu'elle aurait pu perdre. En effet : « Il ne faut non plus
restituer à vne femme mariee ce qu'elle a perdu au ieu424, ou
la donné, non plus au pupille, ou mineur, ou seruiteur, ou religieux :
Car alors il le faut re[n]dre à son mary, à son Tuteur, à
son maistre, à son monastere & ainsi des autres selon la
qualité des personnes »425. De même, « [l]a
femme qui donne notable quantité des biens de son mary, ou des bie[n]s
co[m]muns de la maison, soit par aumosne ou autrement, outre le gré de
son espoux offense. Voire mais la femme ne pourra elle donner l'aumosne aux
pauures ? On respond que non, si c'est contre la volonté expresse de son
mary : hors mis en huict cas. Le premier, quand la coustume du pays porte que
les femmes puissent donner l'aumosne aux pauures, il leur est licite de ce
faire, sinon que par expres commandement le mary le prohibast. Cecy a plus de
lieu és femmes Fra[n]çoises, lesquelles ont plus de
liberté en l'administration des biens de la maison, que n'o[n]t les
Italiennes & Espanolles qui ne se meslents de rien. Le second, qua[n]d
quelqu'vn seroit en extreme necessité, lors la femme luy doit suruenir,
voire plustost desrober à son mary pour le luy bailler, encores que ce
fust contre sa volonté : car extreme necessité n'a point de loy,
& qui plus est, faict que les biens particuliers sont communs : car le
droit naturel deroge en cela du droit ciuil, par lequel les biens sont diuisez.
Le troisiesme pour se preseruer le mary & sa famille de quelque danger ou
infortune, elle peut bailler des bie[n]s du mesnage. »426.
Benedicti cite ici l'exemple d'Abigaïl qui donna des vivres à David
contre l'avis de son mari Nabal. Lorsqu'elle l'apprit à ce dernier, il
mourut sous l'effet de l'indignation427. Le franciscain
reconnaît donc que la coutume peut donner plus ou moins de droits
à la femme et qu'elle a la faculté de déterminer parfois
si elle peut donner les biens de son mari.
423Ibid., p.268.
424Élisabeth Belmas indique cependant que
les archives du temps « n'apportent guère de renseignements sur la
criminalité ludique féminine » (p.201). Il semble donc
difficile d'évaluer si les femmes jouaient de l'argent et dans quelles
proportions. Néanmoins, les moralistes de l'époque soulignent que
« les femmes sont prédisposées par les imperfections de leur
nature à tomber dans les pièges du jeu » (p.52). Les jeux
d'argent les plus communs à l'époque sont des mises sur les
dés ou les cartes. Élisabeth BELMAS, Jouer autrefois : essai
sur le jeu dans la France moderne (XVIe-XVIIIe siècle), Seyssel,
Champ-Vallon, 2006 (coll. Époques).
425Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.723.
426Ibid., p.162.
427Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], I Samuel, 25.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 104 -
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 105 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
Les points suivants abordent encore plus
précisément la faculté de la femme à administrer
des biens selon Benedicti. Ainsi, le quatrième cas où la femme
peut faire l'aumône de son propre chef : « Le quatriesme, si le mary
est absent elle peut donner l'aumosne : car en l'absence du mary elle doit
auoir l'administration des bie[n]s, sinon qu'il en eust ordonné
autrement. Mais elle ne doit pas plus donner qu'elle estime que so[n] mary eust
donné s'il eust esté présent. Le cinquiesme, quand le mary
seroit fol, insensé & priué de son iugement, alors elle peut
aussi suruenir aux indige[n]s. Le sixiesme, si le mary luy depute quelque
certaine quantité pour son viure & entretien, & qu'elle en face
vn [sic] espargne, comme en ieusnant, viuant sobrement & laissant
ses superfluitez, elle peut donner le residu aux pauures. Le septiesme elle
peut donner aussi de ses biens parapharnaux, & de ce qu'elle a
apporté outre le douaire, & de ce qu'elle peut gaigner
particulierement de son art & industrie, & des lets & donnations
que ses amis luy pourroient auoir legué »428. Ici,
Benedicti reconnaît que la femme a le gouvernement de la maison en
l'absence de son mari. Il faut souligner par ailleurs que de nombreux
historiens affirment que la femme a un réel pouvoir dans l'espace qui
lui est attribué. Ainsi, François Lebrun dit que « [s]i,
théoriquement, l'autorité appartient sans partage au mari, les
tâches du ménage se répartissent entre mari et femme. Dans
les classes populaires, l'une des motivations profondes de la formation du
couple réside précisément dans la nécessité
d'associer à la gestion de la maison, c'est-à-dire de la
famille et de l'exploitation agricole ou artisanale, la force de travail de
deux personnes de l'un et l'autre sexe »429. Si le mari n'est
pas en possession de toute sa raison, la femme devient alors la maîtresse
des biens selon Benedicti. Ce dernier propose de plus, plus tard dans son
ouvrage : « qua[n]d il se trouue ainsi de ses hommes perdus [...] il
seroit bon de restituer à leurs femmes qui sont bonnes mesnageres pour
ayder a entretenir leur famille »430. Les femmes peuvent donc
parfaitement assumer la gestion des biens de la famille. Le septième
argument du franciscain quant à la possibilité pour la femme de
faire l'aumône l'amène à distinguer
précisément les diverses parties constituant le capital du
couple. Ce dernier est constitué de tous les biens du mari, qui lui
appartiennent à lui seul, des biens communs à la femme et au
mari, qui sont gouvernés par le mari, et des biens propres de la femme,
dont cette dernière est censée pouvoir disposer à sa
guise. Les biens propres de la femme sont : son salaire et les biens dits
« paraphernaux », qui sont laissés sous son administration,
par contrat le plus souvent, par opposition aux biens « dotaux », qui
passent sous le contrôle du mari. Les diverses coutumes accordent
428Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.162.
429François LEBRUN, La vie conjugale..., op.
cit. [note n°346], p.82.
430 Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede
d'icevx..., op. cit. [note n°170],p.723.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 106 -
à la femme des droits différents quant à
la gestion de ses biens propres. Benedicti quant à lui reconnaît
à la femme le droit de posséder et d'administrer à sa
guise un capital personnel. Le huitième et dernier cas où la
femme est autorisée à donner l'aumône sans l'accord de son
mari est lorsqu'elle donne une très petite quantité de vin ou de
pain car en ce cas, « il est presupposer que son mary n'en seroit ou n'en
deuroit estre fasché quand il le sçauroit
»431.
Dans son traité sur la restitution, Benedicti affirme
à plusieurs reprises que les femmes qui ont donné de l'argent
sans l'accord de leur mari doivent le restituer : il cite celles qui le donnent
« à leurs parens, ou à autres »432 ou celles
qui jouent l'argent de leur mari433. Benedicti s'attarde plus
particulièrement sur le cas des femmes des usuriers ou de ceux qui
jouent leur argent. Les premières doivent avoir pour objectif de
restituer l'argent mal acquis par leur mari si elles ne désirent pas
quitter leur conjoint. Benedicti dit ainsi par deux fois que « la femme
qui n'aya[n]t douaire, ou autre moyen de gaigner sa vie, vit des biens du mary,
qu'il a acquis par vsure, & n'e[n] à point d'autres, ils doyuent
restituer entant [sic] qu'il est en eux possible. Que si la femme n'a
moyen quelconque de viure, sinon de tels biens de son mary vsuraireme[n]t
acquis, elle ne sera pas tenue à restitution : Mais il est bo[n] qu'elle
impetre vne dispense de l'Euesque, pour en pouuoir vser en saine conscience,
ayant toutesfois tousiours la volonté de restituer, la commodité
s'y offra[n]t »434. Il leur conseille de plus l'épargne
et propose même, si la femme le désire, une séparation de
biens afin de pouvoir vivre des revenus de son douaire. Cette séparation
de biens ne l'excuse nullement de rendre le devoir de mariage à son
conjoint435. Cette pratique est attestée car en effet,
à « compter du XVIe siècle, la femme
mariée bénéficie d'une protection accrue de ses
intérêts pécuniaires. L'épouse, craignant
d'être entraînée dans la ruine de son mari, peut obtenir la
séparation de biens, prononcée après enquête par la
justice »436 précise la société Jean
Bodin. Cette décision permet à la femme de jouir de ses propres
et de ses biens meubles (déplaçables) comme elle l'entend. Elle
doit néanmoins « avoir l'autorisation de son mari ou celle de la
justice pour aliéner ses immeubles »437
c'est-à-dire tous les biens qui ne peuvent pas être
déplacés tels les bâtiments ou les terres. Elle dispose
toujours du droit de renoncer aux biens communs afin de ne pas avoir à
rembourser les dettes contractées par son mari. François Lebrun
rappelle aussi qu'elle « a droit à une compensation, dite
récompense, si
431Ibid., p.163.
432Ibid., p.710.
433Ibid., p.707.
434Ibid., p.706, discours similaire
p.318.
435Ibid., p.318.
436La femme, recueil de la
société Jean Bodin, Bruxelles, Éditions de la librairie
encyclopédique, 1962, p.251.
437Ibid., p.251.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 107 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
un de ses propres est vendu par l'époux ; elle a, sur
les propres de celui-ci, une hypothèque légale qui lui permettra
de recouvrer son dû avant tout autre créancier
»438. Benedicti est très dur envers les maris joueurs
qui dépensent l'argent qu'ils auraient dû utiliser pour subvenir
aux besoins de leur famille. Il affirme : « le ioüeur qui oste
à sa famille ce qui est necessaire, ou est cause par son ieu que sa
femme & filles font quelque folie [...] ne doit aucunement estre absous,
s'il ne desiste de tel abus »439. Plus tôt dans son
ouvrage, il dénonçait le mauvais exemple donné par le mari
joueur à sa femme et à ses enfants : le joueur qui a perdu
décharge sa colère sur eux, s'il n'a plus un sou, il joue sa
femme et il est la cause de leur désespoir. Benedicti raconte à
ce sujet l'histoire d'une femme qui se voyant sans argent pour nourrir ses
enfants va en réclamer à son mari. Celui-ci la bat tellement
qu'il la laisse pour morte. Rentrant chez elle, cette dernière
égorge ses enfants de désespoir avant de tuer à son tour
son mari qui rentre ivre et ruiné. Cette femme condamnée meurt
après avoir fait une remontrance avertissant les maris « de ne
consummer ainsi la substance de leur pauure famille aux ieux et aux tauernes
»440. Cet exemple sanglant donne plus de force à la
démonstration de Benedicti qu'un sermon religieux. La femme est ici
coupable de meurtre mais modèle du courage, comparée à
Judith qui égorgea Holopherne afin de sauver sa ville
assiégée.
Les droits attribués précisément
à la femme mariée par Benedicti sont assez limités mais
lui reconnaissent néanmoins une liberté qu'elle n'a pas dans la
grande majorité des textes juridiques de l'époque. Ainsi,
Benedicti accorde une réciprocité de droits en ce qui concerne la
séparation des conjoints. Dix cas sont pour lui causes suffisantes
« pour lesquelles la separation se fait quant à la cohabitation,
& conuersation matrimoniale, tant de la part du mary, que de la femme, mais
non pas quant au lien »441. Ces causes sont l'adultère ;
l'hérésie, la sorcellerie et la magie ; le désir de l'un
des conjoints de pousser l'autre à offenser Dieu ; « pour la
cruauté & mauuais traitteme[n]t du mary » ; « [q]uand vne
des parties veut tuer ou empoisonner l'autre, ou l'emmener en vn pays estrange
pour la tuer, &c » ; « la femme peut laisser son mary qui est
larron, & qui ne se veut point amender. Auta[n]t de celuy qui est vsurier,
homicide ou infame d'autres vices enormes » ; « pour la sodomie,
bestialité ou autre peché co[n]tre nature, qui est encores plus
gra[n]d qu'adultere » ; le voeu d'entrer en religion d'un des conjoints si
le mariage n'a pas encore été consommé ; en cas de «
disparité de pechez » (ici Benedicti affirme que toute personne,
même coupable d'un péché important, peut se
438François LEBRUN, La vie
conjugale..., op. cit. [note n°346], p.75.
439Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.664.
440Ibid., p.271.
441Ibid., p.130.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 108 -
séparer d'un conjoint huguenot) et enfin, dans le cas
ou « le mary est fol & insensé, telleme[n]t qu'il veut à
tous momens tuer sa femme, laquelle pour euiter le da[n]ger manifeste de la
mort, se peut separer, quand il n'y auroit autre moyen de se garder
»442. Trois causes sont ici explicitement en faveur de la
femme. Le franciscain va jusqu'à défendre que, si la femme peut
quitter un homme fou, ce dernier ne le peut pas dans le cas inverse. En effet,
« il n'y a pas si grand da[n]ger en son endroit, veu que l'ho[m]me se peut
mieux defendre de la femme, que la femme de l'homme »443. De
même, Benedicti affirme que le mari ne peut pas se séparer comme
il l'entend de sa femme car « [c]eluy qui repudie sa femme sans suffisante
& legitime occasio[n] est en estat de da[m]nation » et « si le
mary apres qu'il a fait separatio[n] vie[n]t à paillarder, il est
obligé sur peine de peché mortel de rappeler sa femme, & de
se reco[n]ciler [sic] auec elle : car par son
peché il a perdu l'autorité de la punir pour ce fait
»444. Ainsi, la femme a une certaine puissance sur son mari
pécheur ou du moins, celui-ci en perd face à elle. Cela se voit
aussi en cette occasion : « la femme innocente sans autre authorité
de l'Eglise peut denier au mary adultere son corps, & en cela, ne luy tenir
promesse puis qu'il n'a tenu la sienne »445. Le franciscain
accorde ici assez de raison à la femme pour qu'elle puisse
déterminer d'elle-même la conduite à tenir face à
son mari. Si les hommes semblent disposer de tous les droits sur leur femme, il
est certaines choses que ce dernier ne doit pas se permettre. Ainsi, le mari
qui refuse à sa femme d'accomplir un voeu alors même qu'il lui
avait permis auparavant pèche mortellement446. La femme
étant entrée en religion après avoir été
répudiée par son mari n'est pas obligée de
réintégrer le domicile conjugal si celui-ci la rappelle.
Néanmoins, si elle n'a fait qu'un voeu de continence, ne pouvant pas
juridiquement faire de voeu sans l'accord de son mari, elle est obligée
de rendre le devoir de mariage. Le mari doit aussi respecter le secret de la
confession et Benedicti affirme que « [s]i quelqu'vn ialoux
menaçoit de mort d'espee au poing le prestre, s'il ne luy declaroit les
pechez de sa femme qu'il a ouis en confession, il deuroit plustost mourir alors
q[ue] de violer le secret sacrame[n]tal »447 et « celuy
là qui se deguise en forme de prestre pour escouter sa femme en
confession, il est aussi bien tenu de garder le seau de confession, comme vn
confesseur, & outre ne la pourroit punir, ou luy porter mauuais visage pour
tous ses pechez sur peine d'offense mortelle »448. Enfin,
l'épouse est parfois autorisée à mentir, ou à
déguiser la vérité, afin d' « acquerir &
442Ibid., p.130-131.
443Ibid., p.131.
444Ibid., p.129.
445Ibid., p.131.
446Ibid., p.68.
447Ibid., p.676.
448Ibid., p.679.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
entretenir amitié »449 avec son mari.
En effet, il est plus important pour Benedicti de sauvegarder la paix du
ménage que de s'avouer des péchés plus ou moins graves.
Nous pouvons donc dire que la vie de la femme mariée
est déterminée quasiment exclusivement par les droits que lui
accorde son mari. La peur qu'inspire sa « matrice » légitime
sa soumission à son conjoint qui doit cependant garder à l'esprit
que son salut dépend de celle à qui il est lié par le
sacrement du mariage.