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Le regard porté sur les femmes par le franciscain Jean Benedicti à  travers son manuel de confession "la somme des pechez et le remede d'icevx" (1595, réédition )

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par Lucie HUMEAU
Lyon  - Master 1 2013
  

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

Dans cette deuxième partie, nous allons étudier les diverses figures de femmes pour lesquelles Benedicti a émis un discours particulier. Nous aborderons tout d'abord la question de la place de la jeune fille dans la société puis les rapports divers entretenus avec les hommes avant de nous pencher sur le problème de la relation particulière que la femme entretient avec l'enfant. Nous verrons ensuite quels rôles occupent les femmes en société selon le franciscain et comment ces rôles qui leur sont attribués sont le reflet des attentes masculines concernant le comportement féminin. Enfin, nous étudierons comment Benedicti perçoit la place de la religieuse dans la société du XVIe siècle.

LA JEUNE FILLE ET LA VIERGE : UN MODÈLE DE SAINTETÉ QUE PEU ATTEINDRONT.

Le pouvoir de la pucelle est une croyance populaire ancestrale qui a encore toute sa force au XVIe siècle. La virginité est valorisée dans la société terrestre tout comme dans la société divine où les vierges « suivent immédiatement les martyrs » comme le fait remarquer Aurélie Godefroy257. Jean Benedicti fait allusion à cette croyance quand il aborde la question des superstitions. Il accepte que les croyants se munissent de billets258 portant des prières ou des inscriptions à condition « qu'on ne regarde à la maniere de l'escriture, en disant qu'ils les faut escrire en parchemin vierge, ou quand le Soleil se leue, ou qu'on les attache auec tant de filets, & qu'ils soyent attachez d'vne pucelle, ou escrits d'vn enfant vierge, &c. »259. La virginité, à laquelle il fait trois fois allusion ici, semble bien trouver un écho auprès du peuple catholique. La pucelle n'est pas une simple jeune fille. Mais qu'est-ce tout d'abord qu'une « jeune fille » ? L'introduction au livre dirigé par Gabrielle Houbre nous la présente ainsi : elle « se définit par sa virginité et son rapport au mariage. Elle n'est ''jeune'' que lorsqu'elle en a l'âge - douze ans ou plus - mais ''vieille'' quand elle s'obstine dans le célibat et une virginité qui n'importe plus à aucun soupirant »260. Que pouvons-nous savoir de sa condition d'après l'oeuvre de Benedicti ? Nous aborderons ci-après trois aspects de la vie d'une jeune fille exposés dans La somme des pechez et le remede d'icevx. Premièrement, nous verrons quelle est la place de la vierge dans la société de la fin du XVIe siècle et quels dangers pèsent sur

257Aurélie GODEFROY, Les religions, le sexe et nous, Paris, Calmann-Lévy, 2012, p.54.

258Certains croyants portaient sur eux de petits papiers sur lesquels était écrite une prière censée leur apporter protection.

259Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.44.

260BRUIT ZAIDMAN, Louise (dir.), HOUBRE, Gabrielle (dir.), KLAPISCH-ZUBER, Christiane (dir.), SCHMITT PANTEL,

Pauline (dir.), Le corps des jeunes filles de l'Antiquité à nos jours, Paris, Perrin, 2001 (coll. Pour l'histoire), p.12.

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elle. Puis nous nous pencherons sur la question des modèles de virginité proposés aux jeunes filles. Enfin, nous montrerons que la majorité d'entre elles sont destinées au mariage, que nous étudierons en nous appuyant sur la vision qu'en a Jean Benedicti.

Jean Benedicti consacre une sous-partie de son ouvrage à la défense de la virginité. En effet, au chapitre VII du livre I, « Du stupre & defloration d'une pucelle, espece de luxure », il s'adresse directement aux jeunes filles vierges, dans un passage à tonalité lyrique : « O ieunes filles regardez icy à vostre honneur, & vous rementeuez de ce que l'Apostre dit que vous portez ce beau thresor de virginité en vaisseaux de terre, c'est à dire, en vos corps fragiles, lesquels estans rompus & deflorez demeurent irreparables, ne plus ne moins que le verre ou le vaisseau de terre. [...] Regardez donc chastes pucelles de ne croirez à ces pipeurs qui vous veule[n]t rauir ce beau thresor, qui vo[us] fait paroistre en toutes bonnes compaignies la teste leuee & sans rougir, autreme[n]t vous perdrez ce que tous les Roys Empereurs & Monarques ne sçauroie[n]t iamais vous re[n]dre. Aussi le Poëte le dit bie[n], que la virginité est irreparable, & ne se perd qu'vne fois. Ce qu'estant consideré par vne ieune fille, elle deuint en si grande tristesse & mela[n]cholie d'auoir perdu, par vn seul plaisir de si peu de duree ce gra[n]d thresor de virginité, qu'elle en mourut de regret »261. Nous pouvons nous demander dans quelle mesure la virginité est un état qui paraît si enviable à Benedicti. Il semble qu'il soit fait un parallèle entre la virginité des jeunes filles et la virginité de l'Église elle-même. Ainsi, Dietrich von Hildebrand affirme : « Seules les personnes qui lui ressemblent à ce point de vue capital peuvent développer sans limites en elles-mêmes la vie sainte de l'Église. C'est à cause de la ressemblance et de la conformité avec l'Église vierge, la propre épouse du Christ, que la virginité signifie d'une façon si marquée la relation de chaque personne avec le Christ »262. Saint Paul pense quant à lui que la femme vierge, celle qui n'est pas mariée, est plus proche de Dieu que les autres. Il dit : « la femme sans mari, comme la jeune fille, a souci des affaires du Seigneur, elle cherche à être sainte de corps et d'esprit. Celle qui s'est mariée a souci des affaires du monde, des moyens de plaire à son mari »263. La vierge a plus de chances de se préoccuper de Dieu, elle a donc plus de chances de trouver grâce à ses yeux. La supériorité de la virginité est réaffirmée par le concile de Trente, qui tente de combattre les positions protestantes sur la question. Ces derniers ont notamment rétabli la

261Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.133. 262Dietrich von HILDEBRAND, Pureté et virginité, Paris, Desclée de Brouwer, 1947, p.140. 263Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], I Cor. VII, 34.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

possibilité de se marier pour les prêtres264. Les pères de l'Église s'attachent donc à défendre le célibat et la chasteté. Yvonne Knibiehler souligne que la « virginité en soi ne fait l'objet d'aucun débat, mais des signes forts révèlent qu'elle est revalorisée dans la pastorale. Ainsi les vierges martyres des premiers siècles sont-elles mises à l'honneur. L'Église encourage les fouilles pour retrouver leurs ossements et organiser leur culte. Ici et là, elles supplantent des saints locaux »265.

Les jeunes filles désirant rester vierges sont invitées par Benedicti à vouer leur virginité à Dieu afin de clarifier cette situation et de la sacraliser. Dans son paragraphe sur les « voeus », Benedicti affirme que « la fille qui a fait voeu de garder virginité & la garde, merite plus que celle qui l'a garde sans l'auoir vouee », puis, « une vierge merite plus, estant en religion, que celle qui demeure au monde »266. La cérémonie de la consécration d'une vierge est essentielle puisqu'elle permet de faire passer la jeune fille de l'autorité de son père à l'autorité de l'évêque. En effet, « sur le plan juridique, le voeu de chasteté porte atteinte à l'autorité paternelle, puisqu'il empêche le père de marier sa fille à son gré »267 remarque Yvonne Knibiehler. Des noces mystiques sont donc organisées qui permettent à la vierge de se soumettre à un nouvel homme. La virginité peut cependant être une forme de résistance de certaines filles à l'autorité paternelle. Elles y trouvent parfois un refuge contre le mariage non désiré.

Les vierges ont plus de chances selon Benedicti de réaliser l'idéal chrétien. Il soutient en effet « qu'il est beaucoup plus facile à vne pucelle de garder co[n]tine[n]ce qu'à vne veusue : plus facile à vne veusue qu'à vne qui est mariee absente de son mary : plus facile à vn religieux qu'à celuy qui est marié : plus facile à celuy qui n'a iamais experimenté ce plaisir qu'à ceux qui l'ont appris »268. Benedicti insiste sur le fait qu'il faut garder la vierge dans l'innocence de sa condition. Au paragraphe traitant de l'« attouchement », il conseille : « le sage & bien aduisse confesseur pourra interroger prudemment sur cest articles les penitens d'aage competent, & rarement les ieunes enfans, & sur tout les filles & pucelle [sic], de peur de leur apprendre ou occasionner vn desir de sçavoir le péché, qu'ils ignorent »269. De plus, les jeunes filles semblent devoir être surveillées de plus près que leurs frères, peut-être afin de vérifier qu'elles sont toujours dans l'état d'innocence attendu. En effet, Jean Benedicti pense « sous correction

264Si l'interdiction du mariage pour les ecclésiastiques fait jour dès le IVe siècle, les prêtres catholiques gardent l'habitude de se

marier jusqu'à la réforme grégorienne du XIe siècle.

265Yvonne KNIBIEHLER, La virginité féminine : mythes, fantasmes, émancipation, Paris, Odile Jacob, 2012 (coll. Histoire),

p.114.

266Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.65.

267Yvonne KNIBIEHLER, La virginité féminine..., op. cit. [note n°265], p.71.

268Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.344.

269Ibid., p.528.

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toutesfois, qu'il seroit bon de communier les filles enuiron douze ans & les fils à 14.ans au plus tard, consideré que les esprits sont auiourd'huy plus aigus que iamais »270. La peur d'une déviance plus précoce de la jeune fille est-elle présente ? Serait-elle considérée plus apte à pécher, ce qui justifierait sa communion prématurée ? L'auteur n'explique pas cette différence d'âge.

Si l'on cherche tant à préserver l'innocence de la jeune fille, c'est aussi que celle-ci est constamment en danger, ce qui transparaît dans les écrits de Jean Benedicti. La violence des hommes sur les femmes est palpable dans son ouvrage et les allusions au viol sont multiples. Georges Vigarello tient à souligner dès le début de son Histoire du viol le « parallèle avec la violence familière et quotidienne [...]. Le viol, dans la France ancienne, est en cohérence avec l'ensemble d'un univers de violence »271. Si la jeune fille est parfois accusée d'être consentante voire tentatrice, cela n'est en aucun cas une excuse à sa défloration selon Jean Benedicti. Ce dernier affirme en effet que « la fille ne peut bonneme[n]t consentir à tel acte. Pourquoy : Pour auta[n]t qu'elle n'est pas maistresse de son corps, de son honneur, ny de sa virginité, non plus que de ses membres »272. Dans ce même chapitre traitant du « stupre & defloration d'une pucelle, espece de luxure », le franciscain développe sa pensée sur le viol d'une jeune fille : « Qviconqve deflore vne fille vierge, & rompt le seau de sa virginité, peche griefuement : car premierement il des-honnore la fille : secondement, il est occasion qu'elle ne trouuera pas bon mariage : tiercement il la met au desespoir & au chemin de perdition : quartement il fait des-honneur au pere & mere, freres & soeurs, & parens de la fille »273. Selon Yvonne Knibiehler, la « défloration est perçue comme un acte magique : à la fois blessure sanglante et révélation du plaisir, elle est supposée provoquer une mue décisive de la femelle humaine. Consciemment ou non, le mâle humain attend avec émotion, la métamorphose de la fille en femme, et tout l'imprévu qui pourrait s'ensuivre... »274. Cette atteinte à la virginité de la jeune fille fait basculer son statut social. De la vierge valorisée ne reste qu'une femme corrompue, prête à pécher à nouveau du fait de ce premier acte sexuel. Jean-Louis Flandrin remarque que le « choix - courant - du terme "corrompue" pour qualifier la fille qui a perdu son pucelage est lui-même significatif »275. Vigarello rappelle quant à lui que les « victimes demeurent physiquement stigmatisées, dépréciées comme un fruit corrompu, blessure d'autant plus

270Ibid., p.232.

271Georges VIGARELLO, Histoire du viol XVIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1998 (coll. L'univers historique), p.15.

272Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.132.

273Ibid., p.132.

274Yvonne KNIBIEHLER, La virginité féminine..., op. cit. [note n°265], p.106.

275Jean-Louis FLANDRIN, Les amours paysannes : XVIe-XIXe siècle, Paris, Gallimard, 1993 (rééd.) (coll. Folio / Histoire), p.224.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

grave que la virginité peut faire la différence entre les femmes qui comptent et celles qui ne comptent pas »276. L'expression « fruit corrompu » est très forte et renvoie aux espoirs que pouvait placer la famille en ses enfants. Un fruit « abîmé », « souillé », n'a plus les mêmes chances qu'avant et prend donc un mauvais départ. En effet la victime d'un viol est mise en marge de la société d'Ancien Régime. C'est pourquoi il importe que restitution soit faite.

La restitution fait souvent l'objet d'un accommodement entre les parties. Georges Vigarello souligne « la volonté d'éviter le recours à une justice trop lointaine ou inquiétante en multipliant les procédés infrajuridiques »277. Jean Benedicti revient par deux fois, et assez précisément, sur les moyens accordés au séducteur pour restituer son honneur et sa dignité à une jeune fille violée. Au chapitre concernant le « stupre & defloration d'une pucelle, espece de luxure », il affirme : « A tout le moins il est obligé de la prendre à femme, si les parens la luy veulent bailler : & s'ils ne veulent il la doit doüer, & luy donner aussi bon mariage que si elle n'eust point esté violee : & outre cela satisfaire aux parens. Que s'il ne la veut prendre il doit estre chastié corporelleme[n]t selon les loix, outre le douaire qu'il luy doit bailler »278. Puis, au paragraphe concernant la « Restitution des biens de l'ame, du corps, de l'honneur, & de fortune », il aborde en tout premier le cas de la pucelle déflorée : « Quant aux biens de l'Esprit, celuy qui a seduit vne pucelle, il est tenu de la prendre en mariage, ou s'il ne la peut prendre de luy bailler douaire compete[n]t qui a acoustumé d'estre donné aux filles du pays, & s'il ne la veut espouser, il doit estre puny corporellement. Et si c'est vn prestre, il faut pareillement qu'il la douë, & qu'il soit puny. Que si la fille à volontairement sans aucune deception279 consenty à sa defloration, il ne sera point tenu au fait de la co[n]science de la doüer selon aucuns : mais ouy bien au iugeme[n]t politique, auquel on presume tousiours qu'elle à esté desbauchee. Et s'il dit qu'elle n'estoit pas vierge il ne sera pas creu, (sinon qu'il en feist preuue suffisante) car le droit presume qu'elle est pucelle puisqu'elle est en l'estat : & ainsi on presumera tousiours qu'elle aura esté seduite : car comme dit la loy, n'estoit la malice des ho[m]mes, vn si grand peché ne se co[m]mettroit pas Voyez icy vous autres qui debauchez les ieunes filles, sous couleur de les prendre en mariage, en quoy vostre conscience est obligee. Que si les lois estoient bien obseruees vous seriez forbannis du pays, la moytié de vos biens co[n]fisquez, & fustigez : & si vous les auez rauis par force vous serez pe[n]dus au gibbet »280. En cela, Jean Benedicti

276Georges VIGARELLO, op. cit. [note n°271], p.39.

277Ibid., p.29.

278Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.132.

279Une déception est une tromperie, une ruse.

280Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.697.

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semble suivre les décisions prises par l'ordonnance de Blois de mai 1579, ordonnée par Henri III. En effet, l'article 42 de cette ordonnance stipule que « ceux qui se trouveront avoir suborné fils ou fille mineurs de vingt-cinq ans, sous pretexte de mariage ou autre couleur, sans le gré, sçù vouloir ou consentement exprès des pères, mères et des tuteurs, soient punis de mort, sans espérance de grace et pardon : nonobstant tous consentemens, que lesdits mineurs pourroient alléguer par après, avoir donné audit rapt lors d'icelui ou auparavant [...] »281. La peine de mort était donc autorisée dans ce cas, même si elle semble avoir été très peu fréquente. La dotation de la jeune fille était plus commune dans les cas où cette dernière obtenait gain de cause. Selon Jean-Louis Flandrin, la pression villageoise suffisait parfois à la réparation mais les tribunaux jouaient aussi leur rôle en fixant le montant de la dot si la jeune fille « établissait la vraisemblance de son accusation et s'il [le séducteur] ne pouvait prouver qu'elle avait connu d'autres hommes avant lui »282. Néanmoins, tous les historiens soulignent que la jeune fille sortait souvent souillée d'un procès où sa bonne foi était remise en cause, où un examen délicat par une sage-femme lui était infligé mais surtout où le regard était focalisé « sur la luxure et le péché, aggravant sourdement la compromission de la victime, un état d'indignité que la sentence pénale ne parvient pas à effacer »283.

Il semble que Jean Benedicti pensait, comme la société de son temps, qu'une jeune fille déflorée allait suivre un chemin de débauche. Il écrit en effet : « Celuy qui desbauche vne ieune fille, il peche doubleme[n]t, premiereme[n]t en co[m]mettant le peché de luxure : secondement en faisant offenser ceste pauure fille, & la mettant en voye de perdition »284. Néanmoins, il semble qu'ait existé une sorte de commerce de la virginité, ce que met en lumière Benedicti lorsqu'il dit : « Item si le pere ou la mere, voulans vendre la pudicité de leur fille, luy commandant de s'abando[n]ner pour leur gaigner quelque chose : la fille ne leur doit aucunement obeir, ains plustost endurer la mort, quelque pauureté que puissent auoir ses parens, & ainsi des autres enfans »285. Aussi, si les parents et la famille de la victime d'un viol sont atteints dans leur intégrité par cet acte, ils semblent être parfois à l'origine d'un marchandage de cette denrée rare qu'est la virginité. Le viol d'une vierge est dans tous les cas dans La somme des pechez, et le remede d'icevx... soumis à restitution et l'origine d'un discours désapprobateur car

281Ordonnance de mai 1579, citée dans Georges VIGARELLO, op. cit. [note n°271], p.65. 282Jean-Louis FLANDRIN, Les amours paysannes..., op. cit. [note n°275], p.292.

283Georges VIGARELLO, op. cit. [note n°271], p.40.

284Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.113. 285Ibid., p.91.

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

« il appert que ce n'est pas petit peché de deflorer vne ieune pucelle, qui est le te[m]ple du sainct Esprit, & l'honneur de ses parens »286.

Afin de soutenir les jeunes filles dans leurs efforts pour sauvegarder leur virginité, Jean Benedicti met à leur disposition un certain nombre de modèles et de repoussoirs. Yvonne Knibiehler rappelle que les pucelles « sont bien présentes dans la littérature hagiographique. Les exempla et les miracula, récits destinés à l'édification des fidèles, invoquent de préférence les témoignages de très jeunes filles : dès leur douzième année, leur nom est précisé, elles sont écoutées avec attention, leurs paroles sont retranscrites »287. Le modèle le plus fort qui est proposé aux jeunes filles est bien sûr celui de la Vierge Marie, mère de Dieu qui a su préserver sa chasteté tout au long de sa vie malgré sa grossesse. Les débats qui entourent le mystère de la conception virginale de Marie sont très présents dans l'ouvrage de Benedicti et notamment dans l' « Espitre Dedicatoire » qui précède La somme des pechez, et le remede d'icevx... Sur deux pages seulement de cette épître, nous pouvons relever vingt-cinq mentions de la virginité de Marie ; ce thème est une sorte de leitmotiv. En effet, cette conception virginale du Christ pose problème au sein même de l'Église catholique. Jean Benedicti relate l'histoire de Siméon, qui accueillit Marie au temple lors de la présentation de Jésus. Il est de coutume à l'époque de présenter les enfants au temple quarante jours après l'accouchement. La femme, purifiée, peut alors offrir son enfant avec des présents. Siméon « tomba en doute, s'il estoit possible en nature qu'vne Vierge enfantast : encores quelques uns adioustent qu'il effaça ce mot de Vierge, & y mis le mot fille iusques à trois fois, mais autant de fois il trouua le nom de Vierge remis en son lieu »288. Jean Benedicti prend tout l'espace de cinq pages de son « Espitre Dedicatoire » pour défendre la thèse de la virginité mariale. Il commence son discours par un appel à tous ceux qui remettent en cause cette virginité : « Or venez ça Payens, Iuifs, Epicuriens, Athees & Heretiques, qui calomniez la religion Chrestienne, apprenez que ce que nous croyons de la pudicité de la mere de nostre Dieu n'est pas tant esloigné de raison, qu'on n'ait creu autres choses aussi difficiles que celle-cy »289. Puis il recense toutes les mentions connues de lui à propos de l'annonce d'une vierge enfantant ou à propos de vierges qui ont enfanté selon les croyances attribuées à chacun de ces groupes qu'il interpelle. Ce travail accompli, il peut réaffirmer la grandeur de Marie, la femme la plus admirable selon ce fervent

286Ibid., p.133.

287Yvonne KNIBIEHLER, La virginité féminine..., op. cit. [note n°265], p.92.

288Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], « Espitre Dedicatoire ». 289Ibid., « Espitre Dedicatoire ».

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franciscain : « Voilà le premier miracle, ô sacree Royne des Cieux, que nous remarquons, c'est que vous estes demeuree vierge deuant l'enfantement, en l'enfantement, & apres l'enfantement »290. Jean Benedicti réaffirme donc que Marie n'a pas connu charnellement son époux Joseph : ce sont des époux virginaux. Marie est restée vierge durant sa grossesse puisqu'elle a été enfantée par l'Esprit saint. Enfin, Jésus « sortit de sa mere comme les rayons du Soleil à trauers une vitre, sans y faire ouuerture & fraction »291 : Marie est donc toujours vierge après son accouchement. La figure de la Vierge Marie est exaltée en de nombreux passages de l'oeuvre de Jean Benedicti et ce dernier compte peut-être sur le renouveau des dévotions consacrées à Marie pour faire d'elle un modèle de la virginité accomplie. Yvonne Knibiehler souligne qu'à cette époque « [l]'art baroque délaisse les représentations de l'Annonciation et même celles de la Vierge à l'Enfant, naguère si populaires ; il leur préfère l'image de l'Immaculée Conception, où la Vierge est seule, Reine du Ciel, plus vierge que mère »292.

Si la Vierge Marie est tant prise comme modèle, d'autres jeunes femmes ont elles aussi ce rôle. Ainsi, il est important de souligner que l'immense majorité des saintes approuvées par la religion catholique sont de véritables vierges. Jean Benedicti fait allusion à « saincte Catherine de Senes, & [...] saincte Christine, lesquelles ne pouuoient endurer la puanteur des pecheurs & pecheresses parlans & co[n]uersans auec eux » à l'image de la Vierge Marie qui elle non plus « ne pouuoit co[n]uerser auec vne creature en peché »293. En ce qui concerne l'histoire des vierges citées par Benedicti, nous nous appuierons sur le texte de La légende dorée, de Jacques de Voragine, afin de connaître les croyances des gens du XVIe siècle à leur propos. En effet, ce texte est l'une des oeuvres les plus imprimées à l'époque. Jacques de Voragine, au XIIIe siècle, s'est proposé de recueillir en cet ouvrage l'histoire de tous les saints de la religion chrétienne. Son oeuvre s'est véritablement imposée comme une référence avant d'être mise quelque peu à distance au XVIIe siècle. Sainte Catherine est citée comme une personne très pieuse qui communie tous les jours294. Si elle est appelée aux côtés de sainte Christine, c'est que toutes deux entrèrent en religion contre le voeu de leurs parents. Elles menèrent toutes deux une vie très pieuse faite de souffrances physiques : sainte Catherine de Sienne du fait de ses pénitences extrêmement sévères, sainte Christine par l'énergie que mirent ses tyrans à essayer de lui faire abjurer la foi chrétienne. Christine est une grande figure de vierge martyrisée. Jacques de Voragine raconte ses multiples supplices : son père lui fait

290Ibid., « Espitre Dedicatoire ».

291Ibid., « Espitre Dedicatoire ».

292Yvonne KNIBIEHLER, La virginité féminine..., op. cit. [note n°265], p.114.

293Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.27.

294Ibid., p.236.

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

déchirer les chairs et rompre les membres puis il la fait attacher à une roue et allume un bûcher sous son corps, il tente même de la jeter à la mer avec une pierre au cou. Elius, qui devient son bourreau à la mort de son père, « la fit plonger dans une chaudière allumée avec de l'huile, de la résine et de la poix ; et il ordonna à quatre hommes de secouer la chaudière, pour activer la flamme »295. Son dernier tyran fut Julien, qui la fit plonger dans une fournaise ardente, lui trancha les seins, « d'où jaillit du lait au lieu de sang »296 puis lui coupa la langue avant de la faire transpercer de flèches297. « [C]este bonne Vierge S. Christine deplorant la corruption des corps humains »298 est un modèle tout trouvé de persévérance dans sa foi et dans ses convictions pour de jeunes demoiselles en quête d'un idéal. Benedicti fait aussi référence à sainte Marthe299, vierge qui accueillit chez elle le Christ lui-même. En développant assez longuement l'histoire de sainte Marine, le franciscain fait l'apologie de la patience qui caractérise les personnes réellement pieuses. Il raconte en effet comment cette vierge, placée en temps que garçon chez les moines par son père, fut faussement accusée de la paternité de l'enfant d'une villageoise mais récompensée de sa longue patience par la reconnaissance tardive de son innocence : « car on trouua apres sa mort qu'elle estoit fille & pucelle, & par conseque[n]t qu'vne fille ne pouuoit pas auoir engrossé vne fille : & le tout fut descouuert à la grande confusion de ses ennemis : car quoy qu'on attende, Patience finalement gaigne »300. Enfin Benedicti assure que les jeunes filles vierges peuvent compter sur le soutien de la Vierge Marie dans les épreuves qui les attendent. Il attribue en effet la fin heureuse de l'histoire de sainte Justine à l'intervention de Marie. Le mage Cyprien, figure du séducteur peu scrupuleux, tente de s'attirer les bonnes grâces de Justine, qui repousse ses attaques grâce au signe de croix. La virginité de la jeune fille est mise en valeur dans le manuel de confession de Jean Benedicti et « l'intercessio[n] de la glorieuse mere de Dieu »301 est soulignée par deux fois : à ce moment mais aussi dans l'« Espitre Dedicatoire » où Benedicti interpelle la Vierge Marie ainsi : « saincte Iustine, que vous deliurastes des charmes & enchantemens de Cyprian »302. Il semble donc que les jeunes filles désireuses de persévérer dans leur foi peuvent trouver des modèles dans

295Jacques de VORAGINE, La légende dorée, Paris, Seuil, 1998 (rééd.) (coll. Points Sagesses), p.351.

296Ibid., p.352.

297Le martyre est considéré comme un « témoignage ». Sylvie Barnay affirme que le « martyr est identifié au Crucifié, son sang

versé au sang versé par le Christ sur la Croix ». Les nombreux supplices endurés par les saints sont justifiés par le lien qu'ils

créent avec Dieu. Ce sont des modèles à contempler et à vénérer. (Sylvie BARNAY, Les Saints : des êtres de chair et de ciel,

Paris, Gallimard, 2004 (coll. Découvertes Gallimard, Religions)).

298Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.142.

299Ibid., « Espitre Dedicatoire ».

300Ibid., p.361.

301Ibid., p.50.

302Ibid., « Espitre Dedicatoire ».

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les saintes dont elles connaissent les histoires mais aussi une protection auprès de la plus sainte des femmes dans le discours de Benedicti, la Vierge Marie.

Jean Benedicti mêle aussi à son discours des figures qui doivent servir de repoussoir aux jeunes filles qui seraient sur le point de pécher. Ainsi, il met en scène une jeune fille en danger de pécher mortellement : « la pucelle qui desire sçauoir, combien la delectation charnelle est grande, & cherche les moye[n]s de le sçauoir, toutesfois sans volo[n]té d'auoir co[m]pagnie d'ho[m]me, elle peche. Et si elle a le vouloir d'accomplir l'oeuure, pour en auoir l'experience, elle commet deux pechez, l'vn de curiosité & l'autre de luxure. Et si elle met la volonté en effect, c'est encores plus gra[n]d peché »303. Les filles de Loth, figures bibliques, sont elles aussi prises en exemple comme de mauvaises vierges puisqu'elles n'ont pas foi en Dieu. Selon Benedicti, c'est en effet du fait qu'elles « pensoient, voyans Sodome & Gomorre abismees, que le monde estoit finy »304 qu'elles couchèrent avec leur père, pensant perpétuer une espèce qui leur semblait en danger. Néanmoins, elles commettent l'inceste, fortement dénoncé par l'Église. Ces deux jeunes filles sont donc un contre-exemple de l'espérance que tout croyant devrait placer en Dieu. Enfin, Benedicti s'appuie sur la parabole des dix vierges pour mettre en garde les jeunes filles. Cette parabole fait référence à une coutume qui voulait que dix jeunes filles vierges raccompagnent les époux nouvellement mariés chez eux où a lieu une grande fête en l'honneur de leur union. Dans cette histoire racontée par Matthieu (25, 113), dix jeunes vierges attendent donc le passage de l'époux. Lorsque ce dernier arrive enfin, en retard, cinq des vierges n'ont déjà plus assez d'huile pour l'éclairer sur le chemin du retour. Seules les cinq vierges sages, qui avaient prévu de l'huile en quantité, sont invitées à partager la fête en l'honneur du mariage. Benedicti fait un parallèle entre un vendeur d'huile et un séducteur qui cherche à inciter une jeune fille à pécher : « les flatteurs sont les vendeurs d'huile, qui deceurent & tromperent les cinq vierges folles »305. Il peut être remarqué que dans la parabole de Matthieu, les vendeurs d'huile ne sont pas présents, les cinq vierges folles, qui ont oublié de se munir d'huile pour la veillée, ne doivent s'en prendre qu'à elles-mêmes : elles sont exclues de la fête du mariage du fait de leur manque de préparation. Ici, Jean Benedicti introduit un nouveau paramètre : les cinq vierges folles auraient pu, non pas seulement oublier de se munir d'huile, mais être trompées par les vendeurs d'huile qui prennent un visage de séducteur. De même, quelques pages plus tôt, Benedicti forgeait déjà les traits de cette nouvelle parabole en affirmant : « Or ceux qui s'addonne[n]t au plaisir d'iceux [des sens] sont les

303Ibid., p.249. 304Ibid., p.451. 305Ibid., p.530.

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

cinq folles vierge [sic] qui sont forcluses306 du Royaume celeste, lesquelles seront tourmentees par les mesmes cinq sens és prisons infernales »307. Le franciscain semble ici se réapproprier une parabole biblique en la travaillant selon le message qu'il désire faire passer auprès des vierges de la société du XVIe.

Malgré la place laissée à la figure de la vierge dans La somme des pechez, et le remede d'icevx, la majorité des jeunes filles au XVIe siècle suivent les voies du mariage. Cette union semble être pour Jean Benedicti l'issue la plus naturelle pour une jeune fille. En effet, il présente le « mariage de quelque pauure orpheline »308 comme un acte charitable capable de racheter un voeu qu'on a fait sans pouvoir l'accomplir. Or le franciscain est extrêmement sévère avec ceux qui ne tiennent pas leurs voeux. De même, il affirme que « marier les pauures filles »309 est possible pour le pécheur qui souhaite faire pénitence. Ce mariage lui permettrait d'être libéré du poids de son péché. Il semble donc que, tout du moins pour les gens de basse catégorie, les pauvres, le mariage soit une voie vers le salut, ce qui pourrait arriver de mieux à une jeune fille guettée par le désespoir et, peut-être, par la tentation du péché. Sous l'Ancien Régime, le mariage était une sorte d'échange, un pacte entre les familles. C'est pourquoi Jean Benedicti trouve mal placé pour un jeune homme de refuser de « prendre la femme sage & ho[n]neste que son pere luy veut bailler, & signamment pour quelques bons respects, comme de faire paix & accord entre les maisons & familles, assopir les vielles [sic] querelles »310. Jean-Louis Flandrin souligne quant à lui que « [d]ans le français d'autrefois, les mots "alliance" et "mariage" étaient quasiment synonymes, ce qui ne saurait être sans signification. La fonction politique du mariage, primordiale dans la plupart des sociétés, l'était aussi dans l'aristocratie européenne - c'est évident - et elle n'était sans doute pas ignorée dans des milieux plus modestes »311. Au vue de cette fonction attribuée au mariage, de nombreuses personnes essaient de le réglementer.

L'Église au XVIe siècle entame un bras de fer avec le pouvoir royal français sur cette question. Les rois successifs tentent d'imposer leur juridiction concernant les modalités du mariage. La papauté quant à elle résiste et veut montrer qu'elle est la véritable autorité en la matière. Tout commence en 1556 alors que Diane de France, fille légitimée du roi Henri II, doit épouser François de Montmorency, fils d'un puissant

306Forclore signifie exclure, écarter quelqu'un de quelque chose.

307Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.523.

308Ibid., p.75.

309Ibid., p.658.

310Ibid., p.93.

311Jean-Louis FLANDRIN, Les amours paysannes..., op. cit. [note n°275], p.31.

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connétable, c'est-à-dire du chef souverain des armées de France. Or, la veille du mariage, on apprend que ce dernier avait déjà épousé en secret Jeanne de Halluin, demoiselle de Piennes et fille d'honneur de la reine Catherine de Médicis. Jacques Poumarède explique : « Sous l'effet du scandale, et face au refus opiniâtre du pape Paul IV d'accorder une dispense pour non consommation du mariage, Henri II fit publier l'édit de février 1556 sur les "mariages clandestins" qui pose le principe d'une majorité matrimoniale de trente ans pour les fils et de vingt-cinq ans pour les filles. [...] À titre de sanction, l'édit permettait aux parents d'exhéréder les enfants mariés sans leur consentement, et envisageait même contre les coupables et leurs complices des peines laissées à l'arbitraire des juges »312. Or le « droit canon313 avait fait du mariage un contrat consensuel, fondé donc sur le seul consentement des époux, pour diminuer le nombre des unions illicites en facilitant la conclusion du mariage »314. Il existe alors une friction, une distorsion entre la juridiction de l'Église et celle que tente d'imposer le pouvoir royal français, entre le droit canonique et le droit civil. Cela se ressent grandement dans La somme des pechez, et le remede d'icevx. En effet, Jean Benedicti est nourri de ces deux juridictions et ne semble pas à première vue avoir tranché en faveur de l'une plus que l'autre.

Ainsi, le franciscain affirme à la fois le pouvoir du père et plus largement des parents dans le mariage de leur fille mais aussi l'importance du consentement de cette dernière. Benedicti affirme au début de son ouvrage : « l'enfant est tenu de pre[n]dre la femme que son pere luy a choisie, quand elle est digne de luy. Et iaçoit que le pere ne puisse des-heriter sa fille qui se marie à son plaisir co[n]tre sa volonté, toutesfois elle peche en cela, à raison de son inobedience enuers le pere, & le peu de respect qu'elle luy porte. Voire mais les mariages des enfans de famille contractez contre le gré & consentement de leurs peres, sont-ils vallables ? »315. En ces quelques phrases, Benedicti soulève les problèmes discutés à son époque. Il dit savoir que les familles ne peuvent déshériter leur fille si elle leur a désobéi en choisissant son époux alors qu'il cite l'édit de 1556 qui stipule « Nous auons dit, statué, & ordonné, disons, statuons & ordonno[n]s per edict, loy, statut, & ordonnances perpetuels & irreuocables que les enfans de famille ayans contracté, & qui contracteront cy apres mariages cla[n]destins contre le gré, vouloir & consentement, & au desceu de leurs peres & meres, puissent pour telle

312Lucien BELY (dir.), op. cit. [note n°46], article « Mariage ».

313Le droit canon ou canonique est l'ensemble des lois adoptées par l'Église catholique auxquelles doivent se conformer tous les croyants. Depuis l'avènement du pouvoir royal, le droit canon se heurte au désir des rois de définir eux-mêmes les lois dans leur royaume.

314Jean-Claude BOLOGNE, Histoire du mariage en Occident, Paris, Hachette, 1995 (coll. Pluriel), p.213.

315Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.94.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

irreuerence & ingratitude, mespris & contemnement de leurs dits peres & meres, transgression de la loy, & commandement de Dieu, & offense contre le droit de l'honnesteté publique, inseparable d'auec l'vtilité, estre par leurs dicts peres & meres, & chacun d'eux exheredez & exclus de leurs successions, sans esperance de pouuoir quereller l'exheredation que ainsi aura esté faite »316. Benedicti pose aussi la question de la nullité des mariages faits sans le consentement des parents. Il souligne que « la question est fort agitee par plusieurs, Iurisconsultes & Theologie[n]s, entre lesquels il y en a qui tiennent que ce n'est point mariage, les autres en douttent fort, & croient plustost que le mariage est nul qu'autrement. Ie mettray icy en bref leurs raisons et puis j'e[n] bailleray la resolution »317. Il commence par affirmer qu'au « nouueau Testament il est dit qu'il est en la volonté du pere de marier sa fille, ou de la garder ainsi »318. Puis il cite « le decret d'Euariste Pape par cy deuant allegué, qui dit, le mariage n'estre legitime si la fille n'est demandee à ceux qui sur elle ont seigneurie & puissance, comme sont les parens, & les nopces autrement contractees doyuent estre appellees adulteres, stupres & fornications »319. Il en arrive donc à la conclusion que « personne n'attente de rauir ou prendre la fille d'autruy, sans le consentement de ses parens »320. À ce point de sa démonstration, il insère le décret promulgué par Henri II en 1556 déclarant qu'une fille sous l'âge de vingt-cinq ans ne peut se marier sans l'accord de ses parents. Il faut ici remarquer que, tout comme pour l'âge de la première communion, la jeune fille est soumise plus précocement que ses frères à certains devoirs ou obtient plus tôt qu'eux certains droits. De même, elle peut se marier à « [v]nze ans & demy au moins » tandis qu'un jeune homme doit patienter en quelque sorte jusqu'à « treize ans & demy »321. La conclusion de Benedicti est donc qu'« il n'y a aucun doutte que tels enfans qui n'estans encores emancipez, se marient ainsi contre la volonté de leurs parens n'offensent mortellement, comme ie l'ay dit au lieu cotté : mais quant au second, à sçauoir si le mariage ainsi contracté demeure valide, ie dy que ouy, sans qu'il se puisse aucunement ro[m]pre, ne separer, au moyen qu'il ayt esté celebre par vn prestre en presence de tesmoings »322. Le franciscain semble donc se ranger à l'avis de l'Église et finalement nier la nullité d'un mariage clandestin que veut obtenir à tout prix le pouvoir royal français. Il pourrait s'arrêter là et pourtant, il réintroduit l'idée du libre consentement des enfants qui vont se marier en citant « le Pape Luce, qui declare celuy qui a raui vne

316Ibid., p.480. 317Ibid., p.479. 318Ibid., p.479. 319Ibid., p.480. 320Ibid., p.480. 321Ibid., p.473. 322Ibid., p.481.

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femme & l'a espousee de son consentement ne deuoit estre appellé rauisseur, puis qu'il a le consentement de la femme : & dit que c'est vray mariage, encores que les parens y contredisent. Voilà vne constitution Canonique qui doit preualoir à la ciuile en matiere de mariages : la connoissance desquels appartient à l'Eglise & non pas au Magistrat. L'escriture monstre que le consentement de ceux qui se marient est requis, comme il se lit des parens de Rebecca qui dirent qu'il failloit auoir le consentement de la fille pour faire le mariage : & l'Apostre le monstre clairement aux Corinthie[n]s »323. Ainsi, malgré un discours qui se veut assez consensuel, Jean Benedicti réaffirme la primauté des canons de l'Église sur les lois civiles et il tente de clore le débat sur ces mots : « Et ne me faut alleguer les loix ciuiles : car en ce point elles cedent au droit Ecclesiastique »324.

Le manuel de confession présente les différentes étapes qui doivent rythmer le mariage de deux jeunes gens : « il faut, à fin que le mariage soit legitime, que celuy qui veut auoir la famme en mariage qu'il la demande à ses parens, & ceux qui ont charge d'elle : & puis au temps des nopces qu'elle soit beniste (auec son mary) par le prestre, comme nous l'auo[n]s appris des Apostres & de leurs successeurs : & puis faut que le mary & la femme vaque[n]t deux ou trois iours à prieres & oraisons deuant que de coucher ense[m]ble, afin qu'ils engendrent des enfans beaux & agreables à Dieu. Que si les mariages se contractent autrement, sçachez qu'ils sont plustost adulteres & fornicatio[n]s, que vray mariage, &c »325. Jean Benedicti n'offre aucune description plus précise de la cérémonie qui se déroule dans l'église, de l'échange de voeux entre les mariés et du don d'un anneau du mari à sa femme. Le franciscain n'insiste pas non plus sur les récents traités qui imposent la présence de témoins lors du mariage. Ainsi, la XXIVe session du concile de Trente, du 11 novembre 1563 avait insisté sur la nécessité de la présence d'un curé et de deux témoins, sorte de concession au pouvoir royal français. Néanmoins, les articles du concile de Trente n'ont jamais été reçus en France, du fait des grandes tensions existant entre la papauté et la royauté. Une ordonnance royale s'inspire cependant du décret conciliaire : « La grande ordonnance de réformation dite de Blois (1579), prise à la suite des États du même nom, exigea (art.40) la publication préalable de trois bans successifs, sans qu'aucune dispense ne puisse être accordée, sauf motif légitime, puis une célébration par le curé devant quatre témoins, et non pas deux seulement »326.

323Ibid., p.481-482.

324Ibid., p.482.

325Ibid., p.456.

326Lucien BELY (dir.), op. cit. [note n°46], article « Mariage ».

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

Benedicti s'intéresse surtout aux questions de dot mal acquise ou aux raisons de casser des fiançailles. Ainsi, il affirme par deux fois la nécessité de restituer une dot acquise grâce à un père usurier : « la fille qui a receu son douaire que son pere luy a donné de ses vsures est tenuë à restitution, elle & son mary, s'ils sçauent bien que cela est mal acquis »327 dit-il. Puis, il réaffirme : « la fille qui a receu douaire de son pere, sçacha[n]t bien qu'il est acquis par vsure, & que son Pere n'a aucun moyen de restituer, tant elle que son mary, sont obligez à restituer »328. Ces deux allusions à la dot, ou douaire, d'une fille mettent en relief le problème que cette dernière constituait dans les familles, quel que soit leur degré d'aisance. Afin de conserver intact le patrimoine foncier, une somme d'argent était donnée à la jeune épouse. Or, s'il y avait trop de filles dans une même famille, cela déséquilibrait les plans de leurs parents. Le placement des cadettes, ou des filles les moins gracieuses, dans des couvents était une pratique fréquente dans les hautes strates de la société afin de libérer des possibilités financières pour marier les autres filles. Jean Benedicti tente aussi de réguler la pratique des fiançailles. Ainsi, il développe longuement les possibilités offertes à un homme qui « par faintise a ainsi contracté »329 de se dégager de ses promesses. Ce dernier devra réparer l'honneur de la demoiselle à qui il a promis le mariage et les jeunes gens devront se présenter à un confesseur qui seul pourra décider s'ils sont aptes à se remarier chacun de leur côté. Dans ce passage, nous pouvons retrouver un des arguments utilisés par les séducteurs pour obtenir les faveurs d'une jeune fille. En effet, Benedicti dit : « une autre coniecture, est quand il y a grande disparité entre luy & la femme, comme s'il est gentilhomme riche & opulent, & la femme soit roturier, pauure ou de bas estat, de sorte qu'il est vray semblable qu'il n'a iamais eu intention de l'espouser, sinon pour auoir iouissance d'elle : ce que arriue souuent entre ces gentilshommes & gens riches qui dissimulent de contracter mariage auec les filles des marchands & laboureurs, à fin de iouyr de leur beauté »330. La jeune fille n'a ici qu'un rôle secondaire puisqu'il revient à l'homme qui lui a promis le mariage de faire les démarches s'il veut casser les fiançailles. Jean Benedicti n'adopte pas de plus un ton réellement désapprobateur face à ces hommes qui promettent le mariage afin de coucher avec une jeune fille. Cela peut dénoter une certaine banalité ce qui est visible dans l'ouvrage de Jean-Louis Flandrin Les amours paysannes : XVIe-XIXe siècle. En effet, l'auteur y montre la fréquence de telles déclarations dans les archives judiciaires : afin d'obtenir dédommagement pour les frais de grossesse, les

327Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.318. 328Ibid., p.706. 329Ibid., p.473. 330Ibid., p.473.

jeunes filles déclarent souvent que leur séducteur leur avait promis le mariage331. Le jeune homme peut aussi faire marche arrière s'il « connoit auoir fiancé vne corrompuë, laquelle il pensoit estre vierge, ou la trouue heretique, sorciere ou magicienne, il n'est pas tenu de la prendre, nonobsta[n]t les fia[n]çailles »332. Se trouvant dans la situation inverse, la jeune fille ne semble pas avoir son mot à dire. Ici réapparaît le thème de la virginité, finalement indissociable du mariage. En effet, selon Yvonne Knibiehler, « [d]ans le cadre du mariage chrétien, déflorer une épouse vierge est le droit et le devoir du mari durant la nuit de noces. Ce n'est pas une simple prise de possession de la femme par l'homme, c'est la confirmation charnelle d'une union sacrée, bénie par Dieu, indissoluble. C'est l'inauguration de la vie d'un couple qui se propose de procréer »333. Virginité et mariage semblent se rejoindre pour inaugurer une nouvelle vie, celle d'une femme mariée.

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