Jean Benedicti fait plusieurs fois référence au
péché de la concubine dans son ouvrage. Le concubinage est
quasiment exclusivement abordé dans la relation d'une femme avec un
clerc tandis que nous savons qu'il en existe de multiples formes au XVI
e. La concubine pèche à divers degrés car,
outre la fornication voire l'adultère que comprend son acte, elle commet
aussi l'inceste. En effet, « [c]elle qui a affaire auec celuy qui est
prestre ou religieux, commet inceste & sacrilege »497. La
concubine est « sacrilege : car elle a affaire auec vne personne consacree
à Dieu. Quant au prestre ou religieux, il peche bien mortellement, mais
il n'est pas sacrilege de son costé ; n'aya[n]t affaire sinon à
vne femme laye »498. Le concubinage des prêtres est en
passe de disparaître lorsque Benedicti rédige La somme des
pechez, et le remede d'icevx. Néanmoins, ses remarques virulentes
à l'égard des religieux qui le pratiquent montrent que la
chasteté absolue n'est pas encore acquise en cette fin de
XVIe siècle. Jean-Louis Flandrin précise que les
femmes qui sont les plus susceptibles de devenir les concubines d'un clerc sont
les servantes et les veuves499.
La lutte pour la chasteté du clergé est un
combat qui a commencé dès le IVe siècle quand
le concile d'Elvire (306) impose le célibat aux clercs dans les ordres
sacrés. Adhémar Esmein explique que, pendant que le droit
canonique se fixait, « l'idée [...] se fit jour que le concubinat,
impliquant chez les concubins une volonté suivie de se placer
497Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.134.
498Ibid., p.140.
499Jean-Louis FLANDRIN, Les amours
paysannes..., op. cit. [note n°275], p.272.
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Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
en dehors du mariage, était plus délictueux que
la simple fornication, fait transitoire et isolé. Ainsi, ce fut
longtemps une question de savoir si un clerc devait être
déposé ou privé de son bénéfice à
raison d'une "simplex fornicatio", alors que cela ne faisait aucun doute
lorsqu'il vivait publiquement en état de concubinage
»500. La réforme grégorienne (XIe
siècle) demande aux clercs d'être irréprochables aux yeux
de la société ce qui entraîne une condamnation violente du
concubinage : les fidèles ne sont pas tenus d'assister à la messe
d'un prêtre concubinaire et sa complice doit être réduite en
servage par les seigneurs. Puis, au XIIe siècle, les clercs
des ordres majeurs qui ont une épouse ou une concubine sont
privés des offices et des bénéfices ecclésiastiques
tandis que le IIe concile de Latran (1139) fait du sacrement d'ordre
un empêchement dirimant au mariage501. Jusqu'au XVe
siècle, le concubinage des clercs est tacitement admis. Il fait
même débat au sein de l'Église : certains, voyant
l'éradication du concubinage impossible, pensent qu'il faudrait
plutôt autoriser le mariage des clercs. Un flou juridique et
théologique existe donc sur ce point. C'est au XVIe
siècle que va s'opérer le changement décisif en la
matière. Les querelles entre théologiens catholiques et
théologiens protestants mènent à une redéfinition
plus nette des droits et devoirs des prêtres ainsi que des conditions du
mariage, ce que nous avons déjà abordé
antérieurement. Les protestants ne voient aucune interdiction biblique
au mariage des prêtres, qu'ils réintroduisent donc
légitimement. Dans leur désir de se différencier des
protestants, les Pères de l'Église vont exiger avec force lors du
Concile de Trente que les clercs catholiques observent la chasteté. Si
le concordat de Bologne de 1516 avait menacé les clercs concubinaires de
la privation totale ou partielle de leur bénéfice502,
les décrets du concile de Trente proposent des mesures
échelonnées. Pierre-Toussaint Durand de Maillane décrit
les décisions prises lors de la XXVe session du concile sur
la manière de procéder contre les clercs concubinaires : «
après une première monition503, ils sont seulement
privés de la troisième partie des fruits [de leurs
bénéfices] ; après la seconde, ils perdent la
totalité des fruits et sont suspendus de toutes fonctions ; après
la troisième, ils sont privés de tous leurs
bénéfices et offices ecclésiastiques, et
déclarés incapables d'en posséder aucun ; en cas de
rechute, ils encourent l'excommunication »504.
500Adhémar ESMEIN, Le mariage en droit
canonique, 2e édition, mise à jour par R. GENESTAL et J.
DAUVILLIER, tome II, Paris, Libraire du recueil Sirey, 1929, p. 137.
501Amandine DUVILLET, « Du péché
à l'ordre civil, les unions hors mariage au regard du droit
(XVIe-XXe siècle) », thèse sous la
direction de Françoise FORTUNET, professeur à l'Université
de Bourgogne, soutenue en 2011 [disponible en ligne sur <
http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/69/70/10/PDF/these_A_DUVILLET_Amandine_2011.pdf]
(consulté le 24 février 2013). 502Le
bénéfice est la partie du bien de l'Église qui est
affectée à un clerc en récompense du service et du
ministère qu'il remplit au sein de l'Église.
503Une monition est un avertissement de type
disciplinaire.
504Pierre-Toussaint DURAND DE MAILLANE,
Dictionnaire de droit canonique et de pratique
bénéficiale, 2e édition, tome I, Lyon,
Duplain, 1770, p. 645, cité dans Amandine DUVILLET, op. cit. [note
n°501].
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maîtrise | juin 2013 - 117 -
C'est ce que rappelle Benedicti lorsqu'il interpelle ainsi
ses coreligionnaires : « Notez cecy Euesques & Curez, & vous
autres qui habitez auec vos concubines, au grand scandale du populat. Quittez
vostre peché, ou quittez vostre benefice, si vous ne voulez estre de la
confrairie des ames damnees & perdues, desquels sont tapissees les rues
d'enfer »505. La notion de « scandale »
détermine de plus à l'époque par quel tribunal vont
être jugés les clercs qui se rendent coupables de concubinage. En
effet, depuis l'ordonnance de Villers-Cotterêts (1539), tout ce qui est
considéré comme un crime grave, c'est-à-dire pour lequel
il y a un scandale public, est jugé par les tribunaux séculiers,
royaux et non par les officialités c'est-à-dire les tribunaux
diocésains aux mains d'ecclésiastiques. Les deux justices en
cours dans le royaume de France sont souvent en conflit autour de ce qu'elles
pensent être de leur ressort propre. Ainsi, le concile de Trente veut
faire juger les cas de concubinage d'ecclésiastiques par
l'évêque506 tandis que la justice
séculière pense qu'il lui appartient de punir ces comportements
qui troublent l'ordre public.
Daniel Jousse précise que le concile de Trente «
ajoute, qu'à l'égard des Ecclésiastiques qui n'ont ni
bénéfices, ni pensions, s'ils perséverent dans leur crime,
& qu'ils refusent d'obéir aux monitions qui leur sont faites, ils
seront punis par la prison, ou par la suspense, ou déclarés
incapables de posséder à l'avenir aucuns bénéfices,
suivant les Canons de l'Eglise »507. Benedicti n'est pas aussi
précis à propos de la peine infligée à ces
pécheurs. Il explique le principe des trois avertissements suivis de
l'excommunication en cas de non réforme de la conduite du clerc mais
indique ensuite que « s'ils perseuerent l'espace d'vn an sans se soucier
des censures ils doiue[n]t estre seuerement punis par les superieurs selon la
qualité du faict »508. Il confirme que le système
de monitions s'applique à la fois pour les prêtres concubinaires
et pour les femmes qui vivent avec eux. Après ces trois avertissements,
ces dernières « outre les autres peines canoniques doiuent estre
chassees hors des villes & Eueschez, leurs bie[n]s estans appliquez aux
hospitaux »509. Cela est en accord avec les canons du concile
de Trente. Les autres peines canoniques comportent notamment
l'impossibilité de recevoir l'absolution de leurs péchés
« si elle ne laissent leurs concubinaires »510. Si ses
biens semblent pouvoir être confisqués et redistribués aux
hôpitaux, la concubine doit aussi
505Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.692.
506Daniel JOUSSE, Traité de la justice
criminelle de France, tome III, Paris, Debure Père, 1771, p.292
[disponible en ligne sur
<
http://books.google.fr/books?
id=gAZDAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false]
(consulté le 24
février 2013).
507Ibid., p.292.
508Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.140.
509Ibid., p.140.
510Ibid., p.140.
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Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
restitution pour les biens qu'elle aurait pu acquérir
par ce moyen. En effet, les gens d'Église n'ont aucun bien propre selon
Benedicti car ce qu'ils n'utilisent pas pour subvenir à leurs propres
besoins doit être donné aux pauvres511. Selon Jousse,
la femme condamnée peut être enfermée en plus d'avoir
interdiction de fréquenter le clerc avec qui elle
péchait512. Deux mentions de Benedicti montrent pour quelle
raison l'enfermement ou l'exil hors de la ville était parfois
nécessaire. Il prend en exemple la « concubine qui ne se veut
retirer & quitter son paillard »513 et un peu plus loin
« les prestres & gens d'Eglise qui retiennent femmes suspectes &
concubines en leurs maisons ou dehors, & principalement ceux qui les
appellent apres qu'ils ont esté contraincts de les chasser
»514. Cela peut mener à penser que les mesures visant
à enrayer la fréquentation de concubins étaient peu
suivies. Dans ce cas où l'entêtement d'une des deux parties, ou
des deux, est visible, la femme qui se livre au concubinage risque, tout comme
le clerc, l'excommunication.
Deux mentions seulement font l'état d'un concubinage
entre laïcs dans La somme des pechez, et le remede d'icevx. La
première se trouve au chapitre concernant le sixième commandement
et dit : « L'homme & la femme concubinaires pechent mortellement,
& s'ils ne promettent de s'amender & de se separer l'vn de l'autre, ils
ne doiuent estre absous »515. La deuxième, plus
étrange, est un exemple démontrant comment un chrétien
peut tomber dans l'irrégularité : « Celuy qui feroit monter
vne concubine en haut par vne fenestre pour abuser d'elle, si elle vient en
tombant à se tuer, ou rompre quelque membre, il est irregulier, pour
autant qu'il vaque à vne chose illicite : car celuy qui vaque à
vne chose illicite dont la mort de quelqu'vn s'en ensuit, ou ruptures de
membres, il est homicide, & par consequent irregulier »516.
Benedicti fait ici référence à des modèles de
concubinage qu'il n'explicite pas. Or, Jean-Louis Flandrin montre qu'il existe
encore au XVIe siècle de nombreuses formes de concubinage. Il
explique que les jeunes gens vivent parfois en cohabitation afin de tester
« leur goût l'un pour l'autre »517 avant de se
fiancer. De même, il existe en Corse et au Pays basque des concubinages
avant d'officialiser l'union par un mariage. Le célèbre adage
« Boire, manger, coucher ensemble, c'est mariage, ce me semble »
paraît légaliser les unions libres. Néanmoins, ce dernier
est complété par l'expression « mais il faut que
l'Église y passe » qui modifie
511Ibid., p.216.
512Daniel JOUSSE, op. cit. [note
n°506], p.293.
513Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.601.
514Ibid., p.609.
515Ibid., p.115.
516Ibid., p.613.
517Jean-Louis FLANDRIN, Les amours
paysannes..., op. cit. [note n°275], p.243.
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profondément le sens premier du proverbe. Maurice
Dumas précise que la « pression exercée par les
autorités ecclésiastiques a fait pratiquement disparaître
le concubinage au XVIIe siècle »518. La
dénonciation virulente des couples concubinaires en chaire par les
prédicateurs et les prêtres est peut-être la cause pour
laquelle ces derniers sont si peu mentionnés dans l'ouvrage de
Benedicti.
Le confesseur Benedicti trouve dans son manuel destiné
à d'autres confesseurs entre autres un moyen propre à leur
rappeler leurs obligations en tant que clercs. En réexpliquant les
peines lourdes auxquelles les concubins s'exposent, il souhaite les dissuader
de persévérer dans le péché.