Après avoir abordé les diverses relations
qu'entretient la femme avec l'homme, nous allons à présent nous
pencher sur les discours que suscite cette femme qui, pour un temps plus ou
moins long, n'est plus sous la puissance de l'homme. La veuve pose
problème du fait de sa capacité juridique et financière
retrouvée mais aussi par son possible remariage. Comme le rappellent les
auteurs de l'Histoire des femmes, un des problèmes auxquels se
trouve confrontée l'Église est celui des conséquences du
remariage sur la résurrection519. Dans un temps où la
polygamie est pourfendue, qu'adviendra-t-il des femmes remariées au
temps du retour de leurs maris ? Scarlett Beauvalet-Boutouyrie souligne de plus
qu' « alors que les rôles de la jeune fille et de la femme
mariée sont bien délimités, celui de la veuve est mal
fixé, si bien qu'elle dérange et inquiète
»520. Nous allons tenter de voir comment le franciscain Jean
Benedicti perçoit la place de la veuve dans la société
d'Ancien Régime en voyant tout d'abord quelle doit être la
conduite de la veuve, puis quel est son nouveau statut financier et enfin sa
position face au remariage.
Le discours tenu sur la veuve nous montre l'ambivalence
fondamentale de cette femme libérée de la tutelle de l'homme :
dangereuse car elle acquiert une indépendance qu'elle ne saura
prétendument pas gérer seule, elle est aussi privée de
l'appui masculin et elle serait donc « désarmée,
vulnérable, en péril aussi bien sur le plan matériel
que
518Maurice DUMAS, op. cit. [note
n°337], p.64.
519Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.),
op.cit. [note n°79], p.98-99.
520Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Être
veuve sous l'Ancien Régime, Paris, Belin, 2001 (coll. Histoire et
société : essais d'histoire moderne), p.21.
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Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
moral »521. Ce double visage que peut prendre
la veuve entraîne deux types de discours : l'un moralisateur, l'autre,
bienveillant. Benedicti n'échappe pas au désir des hommes de son
siècle de canaliser cette indépendance potentielle des veuves
mais il semble connaître les difficultés qu'elles rencontrent. La
veuve est dangereuse car, ayant connu les plaisirs de la chair, il lui est
difficile de garder la continence prêchée par l'Église. Le
discours clérical insiste sur la libération que devrait
représenter l'état de viduité : l'acte sexuel mettant
grandement les deux partenaires en danger de pécher, la veuve devrait se
réjouir de ne plus avoir à se soucier de cela. Néanmoins,
Benedicti montre que l'Église est consciente que son idéal de
continence est difficile à respecter. Il affirme que pèche la
veuve qui « se rementant de la cohabitatio[n] charnelle qu'elle a euë
auec son defunct mary, pre[n]d si grand plaisir en cela, qu'elle en sent les
aiguillo[n]s de la chair s'esmouuoir, sans se soucier de les repousser. Elle
doit chasser cela de sa fantaisie & inuoquer la grace de Dieu. Que si elle
ne s'en soucie pas, elle tombe au peché de paresse : outre qu'elle
s'expose par telle delectation & pensee, au danger de tomber en quelque
autre peché plus grief »522. Louée lorsqu'elle
garde sa chasteté retrouvée, elle serait même plus
méritante que les vierges qui elles n'ont aucun élément de
comparaison auquel se référer523. Mais la tentation
guette comme le montre l'histoire de cette « ieune veusue, laquelle estant
quelquesfois eschauffee de vin, auquel elle estoit subiette (chose bien
da[n]gereuse aux veusues, qui veule[n]t seruir à leur espoux Iesus
Christ) faisoit coucher auec elle vn petit enfant qu'elle auoit adopté.
Mais qu'arriua il ? Ce petit garçon esta[n]t incité par les
impudiques attoucheme[n]s de ceste veusue, il l'engrossa, n'aya[n]t encores que
dix ans »524. Cette anecdote, qu'elle soit véridique ou
inventée, présente divers comportements attendus de la part d'une
veuve. Scarlett Beauvalet-Boutouyrie rappelle que les clercs « proposent
aux veuves de centrer leur existence autour de quatre points, qui concernent
aussi bien leurs attitudes que leurs actes : le retrait du monde et l'adoption
d'une conduite irréprochable, le gouvernement de la maison et
l'éducation des enfants, la prière et l'oraison, et enfin, la
pratique des bonnes oeuvres »525. Cette « ieune veusue
» était sur le chemin de la sanctification. Elle pratiquait en
effet les bonnes oeuvres puisqu'elle avait adopté un enfant et elle
devait de plus s'appliquer à son éducation. Néanmoins,
elle n'est pas parvenue à appliquer l'ensemble du programme puisque sa
conduite n'est pas irréprochable : enivrée, elle a des gestes
« impudiques ». Sa punition est d'afficher aux yeux de tous son
incontinence.
521Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.173.
522Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.158.
523Ibid., p.344.
524Ibid., p.137.
525Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Être
veuve..., op. cit. [note n°520], p.33.
La pudeur, « consubstantielle à la femme
»526 selon Jean-Claude Bologne, doit être d'autant plus
exacerbée chez ces femmes seules de qui dépend maintenant leur
propre honneur. Ainsi, cette nouvelle épouse de Jésus-Christ, qui
trouve en lui une nouvelle autorité masculine, ne doit pas se farder ni
s'habiller de manière provocante : « que dira le peuple de ces
veusues tant piaffeuses, qui disent ne se vouloir iamais marier, &
temps-pendant elles vous marchent atteintees comme vne autre Venus ? A qui
pretendent-elles complaire ? A leur espoux Iesus Christ ? Il ne demande point
la beauté corporelle, qui n'est que l'ombre de celle de l'esprit,
laquelle il desire ardemment dit Dauid »527. Au XVIe
siècle se développe l'usage de porter le deuil en noir « la
première année de leur veuvage, puis les années suivantes
[de s'habiller] de noir et de blanc ou de couleurs sombres telles que le gris,
le bleu foncé ou le violet pour les bas par exemple
»528. Scarlett Beauvalet-Boutouyrie explique que le «
souhait que la veuve se pare simplement et choisisse des couleurs sombres
repose sur la conviction que la modestie dans le vêtement est
nécessaire à la conservation de la pureté
»529. Cette modestie souhaitée s'oppose aux femmes qui
font de la piaffe, c'est-à-dire qui exposent un luxe exprimant la
vanité.
Pour ce qui est de l'importance de la prière et de
l'oraison, Benedicti montre qu'il faut que les veuves fréquentent
assidûment les bancs de l'Église. Elle sont les seules à
qui est autorisée la communion quotidienne530 tandis que nous
avons vu précédemment que le franciscain se moque des femmes
mariées qui croient devoir réitérer leur communion
fréquemment. La charité est un des attributs de la veuve et
celle-ci est exaltée dans l'exemple de la veuve de Jérusalem
louée par Jésus-Christ dans l'évangile de
Marc531. Benedicti raconte ainsi son histoire : « Iesus Christ
parlant de la veusue qui n'auoit ietté que deux deniers au tro[n]c de
l'Eglise, dist qu'elle auoit plus baillé que tous les autres pour ce
qu'elle auoit do[n]né no[n] pas du superflu de son estat, ains de ce
qu'elle auoit bie[n] affaire »532. Cet exemple montre que la
charité d'une veuve est très bien vue mais cela met aussi en
exergue la grande misère qui touche bien des femmes seules. Marcel
Bernos explique que ce « n'est pas un hasard si, dans les
déclarations de grossesses illégitimes, les veuves sont
fréquemment surreprésentées »533. La
solitude
526Jean-Claude BOLOGNE, Pudeurs féminines
: Voilées, dévoilées, révélées,
Paris, Seuil, 2010 (coll. L'univers historique),
p.147.
527Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.253.
528Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Être
veuve..., op. cit. [note n°520], p.133. Ce même auteur
rappelle qu'avant le début
du XVIe siècle, le blanc était la
couleur du deuil en France.
529Ibid., p.133.
530Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.237.
531Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Marc, 12, 38-44.
532Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.490.
533Marcel BERNOS, Femmes et gens
d'Église..., op. cit. [note n°3], p.175.
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Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
dans laquelle vivent ces dernières peut les mener
à se prostituer pour assurer leur survie ou à se laisser
séduire plus facilement par un homme qui leur ferait des promesses de
mariage ou de soutien financier. Leur vulnérabilité les met plus
facilement à la merci de personnes peu scrupuleuses. C'est pourquoi
Benedicti rappelle que « l'opression des vesues, orphelins, pelerins &
autres pauures gens »534 est un péché mortel.
Pèche aussi celui qui « pend le proces au croc535, ne
voulant donner la sentence, ce qui se fait souuent au detrime[n]t des pauures
veusues, & orphelins, qui n'ont dequoy payer »536. Cette
remarque montre qu'il est souvent difficile pour une veuve sans moyen d'obtenir
une issue favorable dans un procès.
Ces quelques réflexions sur la pauvreté des
veuves nous permettent d'aborder l'aspect financier du veuvage. De quelles
ressources disposent-elles et dans quelle mesure peuvent-elles gérer
leurs biens ? La pauvreté des veuves est rappelée à
plusieurs occasions dans le texte de La somme des pechez, et le remede
d'icevx. Ainsi, il est recommandé de « secourir les vesues
»537 en leur faisant l'aumône et Bénédicti
affirme que les biens de l'Église leur appartiennent538.
L'évêque qui les dilapiderait à autre chose
pécherait et serait obligé à restitution. De plus, ceux
« qui sont commis pour egaller les tailles, tributs, & imposts, &
greuent plus les pauures que les riches, comme les veusues & orphelins,
outre le peché mortel qu'ils commettent, ils sont tenus à
restitution, de l'exces qu'ils ont imposé sur eux »539.
Il ressort de ces exemples une vulnérabilité des veuves et une
image de grande misère. Il ne faut pourtant pas oublier que la
pauvreté peut se transformer en signe d'élection dans le
catholicisme. C'est pourquoi Benedicti peut affirmer : « ceux qui sont
pauures des biens de ce monde, & les vesues, orphelins, pelerins &
autres semblables sont de la part des predestinez : car ils sont membres de
Iesus Christ, comme dit l'Euangile »540. La richesse les attend
donc au Paradis. Il faut bien cependant que les veuves vivent et
élèvent leurs enfants en ce monde.
À la mort du mari, la femme peut percevoir deux types
de biens. Dans les coutumes du Nord de la France, la veuve reçoit «
la moitié de la masse commune des meubles et acquêts mobiliers et
immobiliers, tandis que les héritiers du défunt (ses enfants ou
à défaut les collatéraux) reçoivent l'autre
»541. Le douaire coutumier
534Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.574.
535Cesser de poursuivre un procès.
536Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.184.
537Ibid., p.658.
538Ibid., p.684.
539Ibid., p.703.
540Ibid., p.638.
541Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Être
veuve..., op. cit. [note n°520], p.196.
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maîtrise | juin 2013 - 123 -
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 124 -
correspond quant à lui à « la jouissance en
usufruit de la moitié des héritages que le mari possède au
jour du mariage et de ceux qu'il a reçus, en ligne directe, pendant la
durée de l'union »542. Si le mari souhaite fixer
précisément ce qui reviendra en douaire à sa veuve, il
doit le signifier dans le contrat de mariage. Il s'agit alors d'un douaire
« préfix ». Dans les régions du Sud de la France, qui
suivent le droit romain en matière juridique, la veuve «
récupère sa dot, ainsi que les linges et hardes qui
étaient en son usage pendant la durée de l'union
»543. Certaines précautions sont prises pour que le mari
ne dilapide pas la dot de sa femme. Aussi, le mari qui s'approprie les fruits
du placement de la dot de sa femme est tenu à restitution car il commet
l'usure544. Si les conjoints sont pauvres, la veuve a peu de chances
d'obtenir quelques moyens de subsistance malgré l'aide que lui doivent
les héritiers de son mari. Afin de recevoir son douaire, la veuve doit
aussi se plier à certaines contraintes sans quoi, il peut lui être
retirer. Scarlett Beauvalet-Boutouyrie explique que « [n]on seulement la
veuve est tenue de porter le deuil pendant la première année de
son veuvage, mais elle doit aussi se montrer honnête, décente et
chaste dans sa conduite »545 si elle ne veut pas perdre ses
avantages. C'est pourquoi Benedicti explique que « la veusue à
laquelle son mary a laissé des biens, à la charge qu'elle viue en
continence, vient à forniquer [...], elle ne peut retenir [ces biens] en
saine conscie[n]ce, si elle ne vit chastement »546.
Le confesseur préconise aux veuves de placer leurs
biens « en fonds, ou en commerce, ou en association, ou en autres choses
licites »547. En effet, afin de subvenir à leurs besoins
et à ceux de leurs potentiels enfants, les veuves, si elles n'occupaient
avant que des tâches domestiques, doivent trouver rapidement un emploi.
Pour les veuves de maître artisan, la possibilité de garder
l'atelier de leur mari était déterminée par la
corporation. Celle-ci pouvait lui autoriser ou non de conserver des apprentis,
la main-d'oeuvre la moins chère, ce qui déterminait dans les
faits sa capacité à continuer son activité. Si la
corporation lui refusait cela, elle devait « leur trouver de nouveaux
maîtres et ne bénéficiait plus de leurs services. Elle se
trouvait ainsi dans la quasi-obligation de fermer boutique
»548. Il apparaît que « la nécessité
de remplacer le travail du mari défunt par une main-d'oeuvre
salariée empêchait sans doute plus de 90% des veuves d'artisan de
rentabiliser pleinement l'affaire de leur mari »549. Les veuves
se trouvaient donc dans une
542Ibid., p.200.
543Ibid., p.209.
544Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.294.
545Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Être
veuve..., op. cit. [note n°520], p.219.
546Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.116.
547Ibid., p.306.
548Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.),
op.cit. [note n°79], p.61.
549Ibid., p.62.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
situation financière très difficile. Les
activités qui paraissent les plus à même de les accueillir
sont celles hors des corporations. Les petites entreprises, telles que les
« tavernes, les cafés, les commerces de victuailles, la fabrication
de gâteaux, de pâtés ou de beignets, ainsi que les locations
de meublés »550 leur permettaient de percevoir une
rémunération. Néanmoins, dans les registres des Bureaux
des Pauvres, oeuvre de charité, « les veuves représentent un
fort contingent »551.
La solution que trouvent certaines veuves à cette
misère est le remariage. Au XVIe siècle, bien que
« le mariage suppose une obligation à vie, il était souvent
considéré comme une union temporaire interrompue par la mort d'un
des deux époux. Peu de couples vieillissent ensemble, et les jeunes
pères ou mères, restés seuls avec une ribambelle d'enfants
en bas âge ne tardent pas à se remarier »552.
L'Église cependant a une position double sur cette question. Il semble
que l'entrée au couvent et une vie de prière soit le
modèle idéal proposé aux veuves. Cependant, bien des
théologiens savent que ce modèle est inaccessible pour beaucoup.
Tout d'abord, la présence de jeunes enfants ou le désir des
familles de nouer une nouvelle alliance peuvent être des facteurs
d'empêchement à l'entrée au couvent. Selon Scarlett
Beauvalet-Boutouyrie, « 80% des veuves les plus jeunes,
c'est-à-dire celles qui ont moins de 30 ans à la mort de leur
époux, se remarient »553. Benedicti reconnaît de
plus qu'il « vaut mieux se marier que de brusler par fornication, ou de
faire pis »554. La nécessité pour certaines
femmes d'avoir des relations sexuelles, idée commune aux hommes de ce
siècle, est acceptée. Néanmoins, trop d'empressement
à se remarier est mal vu car cela suppose « qu'elle garde des
besoins sexuels pressants »555. De plus, plus elle se remarie,
plus le soupçon d'incontinence pèse sur elle. L'Église
requiert donc un délai d'un an avant toute nouvelle union. Si la femme
n'est pas assurée du décès de son mari, dans le cas
où celui-ci aurait brusquement disparu sans donner de nouvelles,
Benedicti conseille un délai de cinq ans avant un éventuel
remariage556.
Scarlett Beauvalet-Boutouyrie rappelle que jusqu'au
XVIe siècle, certains clercs ont refusé de «
donner la bénédiction nuptiale aux mariés dans le cadre de
secondes noces »557. Cette pratique montre bien les
résistances au remariage. La « vraie veuve »
550Ibid., p.62.
551Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE, Être
veuve..., op. cit. [note n°520], p.311.
552Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op.cit.
[note n°79], p.97. 553Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE,
Être veuve..., op. cit. [note n°520], p.338.
554Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede
d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.461.
555Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église...,
op. cit. [note n°3], p.176. 556Jean BENEDICTI, La
somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note
n°170], p.469. 557Scarlett BEAUVALET-BOUTOUYRIE,
Être veuve..., op. cit. [note n°520], p.48.
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mémoire | juin 2013 - 126 -
est en effet depuis saint Paul celle qui ne se remarie pas et
qui se consacre à la prière et à l'oraison. Jean Benedicti
énumère longuement les noms de ces veuves exemplaires afin
d'édifier les fidèles et de porter les veuves à
s'identifier à ces figures. Néanmoins, les diverses figures qu'il
évoque se mettent parfois en contradiction avec son affirmation initiale
disant que c'est « chose certain que la vesue qui se contente du premier
mary est plus honorable & merite plus que celle qui se marie plusieurs fois
»558. Ainsi, la romaine « Porcia » a eu deux
époux, Bibulus et Brutus. « Martia fille de Caton »
était en réalité la femme de ce dernier qui la donna en
mariage à un autre homme avant de la reprendre comme épouse
à la mort de celui-ci. « Anne » est un prénom que
portèrent beaucoup de femmes mais, s'il s'agit là de la
mère de Marie, la Légende dorée la crédite
de trois époux successifs : Joachim, père de la Vierge Marie,
Cléophas et Salomé559. Si « la belle Dido »
(Didon) est louée pour avoir refusé d'épouser le souverain
local après le départ d'Énée, il faut souligner
qu'elle n'était pas mariée à ce dernier et qu'elle est par
ailleurs dénoncée en d'autres endroits de l'ouvrage pour
s'être immolée par « inconsidération ». Aussi,
parmi ces modèles, il en reste quatre qui présentent
réellement l'histoire de veuves ayant refusé de se remarier et
remarquables par leurs actes. Valeria était la fille de l'empereur
Dioclétien, qui la maria à Galère. À la mort de ce
dernier, elle reçut des offres. Néanmoins, elle « ne voulut
iamais prendre vn second mary, dist-elle, que le premier viuoit encores en son
coeur, bien qu'il fust decedé »560. Ses refus à
Maximilius la vouent à l'exil et à la confiscation de ses biens.
Sa mort est ordonnée quelques années plus tard et bien qu'elle
réussît à se cacher durant un an, elle fut
découverte et décapitée avec sa mère sur une place
publique. La « Royne Arthemise » est connue quant à elle pour
avoir fait bâtir « vn monument si richement elabouré qu'il
fut mis entre les sept merueilles du monde : dequoy n'estant contenté
feist rediger561 les propres ossemens en poudre (ô
l'incomparable amour d'vne vesue [sic] !) pour les boire &
incorporer en son estomach »562. Son mari était Mausole
et le Mausolée d'Halicarnasse fait effectivement partie des sept
merveilles du monde. Elle aurait en effet avalé quotidiennement les
cendres de son mari, mêlées à sa boisson. « Saincte
Iudith » est peut-être la figure la plus légendaire parmi ces
veuves. Cette dernière, jeune et belle, délivra sa ville
(Béthulie) de l'oppresseur Holopherne. Elle utilise pour cela la ruse,
s'introduit dans le camp ennemi sous le prétexte d'apporter des
renseignements au général qu'elle séduisit, enivra et
décapita. Cette dernière « vesquit cent cinq ans :
voylà comme Dieu
558Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.460.
559Jacques de VORAGINE, op. cit. [note n°295],
p.494.
560Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.461.
561Ramener, réduire à quelque chose.
562Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.461.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
reco[m]pense la chasteté viduelle
»563. Enfin, « Anne fille de Phanuel » est une
prophétesse qui est restée veuve alors qu'elle avait vécu
seulement sept ans mariée. La Bible raconte que « parvenue à
l'âge de quatre-vingt-quatre ans, elle ne quittait pas le Temple, servant
Dieu nuit et jour dans le jeûne et la prière »564.
C'est donc l'idéal d'une vie longue et glorieuse qui est proposé
à ces veuves qui hésitent à se remarier. Il faut
néanmoins souligner qu'au « début des Temps modernes, un
mariage sur trois ou quatre est un remariage »565.
En conclusion, nous pouvons donc dire que le discours sur les
rapports que doivent entretenir les femmes avec l'homme est abondamment fourni
et qu'il constitue une part majoritaire du discours que tient Benedicti sur la
femme. Il ne faut pas s'étonner de cette proportion si l'on
considère que cette relation homme / femme est la plus évidente
dans une société et qu'elle est de plus, au XVIe
siècle, le lieu toujours possible du péché. Le franciscain
rappelle à la femme ses devoirs d'obéissance envers son mari mais
lui confère toutefois certains droits. La femme adultère est
quant à elle honnie, essentiellement pour le risque qu'elle fait courir
de dilapider l'héritage entre des bâtards. La concubine fait
surgir la figure du clerc incontinent et des problèmes que ce dernier
pose. Enfin, la veuve, malgré ses difficultés financières,
est appelée à vivre dans une chasteté qui la mène
sur le chemin de la sanctification. Nous allons à présent nous
pencher sur le rapport particulier que la mère entretient avec son
enfant.