La femme qui veut porter un enfant dans de bonnes conditions
doit tout d'abord respecter les interdits prescrits pour les rapports sexuels.
Ces derniers déterminent non seulement la fertilité mais aussi la
bonne issue de la grossesse. Durant cette dernière, certaines
règles doivent être suivies, que rappelle Jean Benedicti. Des
modèles bibliques sont présentés aux futures mères
afin de les sensibiliser à leurs responsabilités. L'accouchement
et le baptême de l'enfant sont plus longuement détaillés du
fait des problèmes que peuvent rencontrer les mères à ce
moment. La mortalité des femmes en couches et celle des
bébés est très importante. Le confesseur connaît les
nombreuses superstitions qui ont cours dans ces moments et ressent le besoin de
délimiter strictement les pratiques acceptables aux yeux de
l'Église de celles du peuple. Enfin, la question des pratiques
anticonceptionnelles est abordée d'une manière virulente par le
franciscain.
Les critères d'optimisation des rapports sexuels,
développés auparavant, sont : une position facilitant la
procréation, un moment propice, c'est-à-dire hors des temps
d'interdits imposés par l'Église, et un lieu qui n'entraîne
pas le scandale des autres croyants. En dehors de ces critères, les
rapports sont considérés comme « impudiques
»567 et la punition divine pour ce péché est tout
d'abord la stérilité de la femme, empêchant la
lignée de se poursuivre. La stérilité était
considérée comme « un bouleversement de l'ordre naturel des
choses, peut-être dû à un péché ou à
l'impossibilité de remplir son devoir sexuel, bouleversement qui
risquait de se répercuter négativement sur toute la
communauté »568, précise Léa Wynne Smith.
En effet, l'enfant a un rôle important dans la société du
XVIe siècle. Il apporte une aide précieuse aux classes
populaires par sa force de travail et représente un héritier
potentiel et la continuité de la lignée dans les classes sociales
plus aisées. Lui seul peut soutenir ses parents dans leur vieillesse et
prier pour leur âme après leur trépas. Léa Wynne
Smith souligne enfin que « dans l'univers essentiellement agricole de la
France du début de l'époque moderne, un
567Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.151.
568WYNNE SMITH, Lisa, « La raillerie des
femmes ? Les femmes, la stérilité et la société en
France à l'époque moderne », dans Femmes en fleurs,
femmes en corps : sang, santé, sexualités, du Moyen Âge aux
Lumières, Cathy McCLIVE (dir.), Nicole PELLEGRIN (dir.),
Saint-Étienne, Publications de l'Université de
Saint-Étienne, 2010 (coll. L'école du genre), p.206.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 128 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
lien étroit était établi entre la
fertilité d'un couple, la santé du bétail et l'abondance
des moissons, et un couple stérile pouvait être porteur de
malchance »569. Jacques Gélis met aussi l'accent sur la
correspondance effectuée à l'époque entre la Terre et la
femme. La « Terre-Mère », la Terre « nourricière
» « conserve et transforme, ébauche et parfait ; son ventre
plantureux s'acharne à assurer la permanence du cycle vital
»570. Une femme stérile pourrait entraîner une
stérilité des sols et toute la communauté villageoise se
soude pour la pousser à entreprendre les démarches qui devaient
lui permettre de remédier à cette situation. Benedicti n'aborde
pas la question des rites de fertilité car l'Église du
XVIe siècle cherche avant tout à les voir
disparaître : on tait leur existence afin de ne pas donner des
idées à des personnes trop crédules. Néanmoins,
nous savons que des « méthodes plus ou moins magiques consistaient,
entre autres, à rendre visite à une femme qui venait d'enfanter
ou à porter ses vêtements, à toucher des animaux ou des
plantes fertiles, à frotter ou à toucher des pierres
dressées, à porter des amulettes ou à recourir à
des sortilèges »571. Benedicti pense que l'oraison
offerte à Dieu peut fléchir sa position. En effet, dans la Bible,
ce n'est pas la femme, ni l'homme, qui est responsable de la
stérilité. Elle est une décision divine. Aussi, c'est
à Dieu et non à quelque superstition qu'il faudrait se fier pour
obtenir un enfant. Anne, stérile depuis de longues années, tombe
enceinte de Samuel, un prophète biblique, après une longue
oraison mentale offerte à Dieu572. Benedicti rappelle cette
histoire573 et, par là, peut vouloir conseiller aux femmes de
l'époque de se tourner vers Dieu dans l'épreuve de la
stérilité.
Lorsque la grossesse est avérée, la future
mère doit à tout prix protéger le fruit qu'elle porte. De
nombreux conseils lui sont prodigués à la fois par la
communauté des femmes qui l'entoure et par des manuels
spécialisés. Benedicti les reprend en partie dans son ouvrage. Il
rappelle ainsi que certains mouvements sont à proscrire afin
d'éviter la perte de l'enfant. Pèche donc « celle qui
s'expose au manifeste peril d'auorter, encor qu'elle ne le face pour mauuaise
intention, comme en sautant, dansant, ballant574, portant de gros
& pesant fardeaux, se lassant par trop, courant indiscrettement par les
ruës »575. Ainsi, la femme enceinte semble avoir une place
à part dans la société. Il ne faut pas qu'elle « se
blesse », c'est-à-dire qu'elle perde son enfant, et pour cela, on
lui évite les lourdes charges. Dans la réalité, peu de
femmes du peuple peuvent se ménager durant
569Ibid., p.206.
570GELIS, Jacques, L'arbre et le fruit : la
naissance dans l'Occident moderne XVIe-XIXe
siècle, Paris, Fayard, 1984, p.21.
571Cathy McCLIVE (dir.), Nicole PELLEGRIN (dir.),
op.cit. [note n°568], p.213.
572Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], I Samuel, 1.
573Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.87.
574Le terme « baller » signifie «
piétiner, danser, sauter, s'agiter ».
575Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.110.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 129 -
leur grossesse et, malgré des conseils tels que «
ne pas se coiffer soi-même, ne pas hausser trop les bras
»576, nombreuses sont celles qui continuent leur
activité jusqu'au moment critique de l'accouchement. Benedicti leur
accorde certains privilèges tel celui de ne pas jeûner. Il admet
en effet que « les femmes enceintes so[n]t excusees, ensemble les
nourrices, ausquelles il conuient manger pour deux personnes, sçauoir
est, pour elles & pour leurs enfans : mesmes elles pourroie[n]t bien
offenser en voula[n]t s'opiniastrer à ieusner, sinon qu'elles fussent si
robustes, qu'vne seule refectio[n] leur suffist à elles & à
leurs nourrissons »577.
Le régime proposé aux femmes qui le peuvent est
celui de la « médiocrité » c'est-à-dire de la
modération en toute chose. Benedicti propose ainsi de «
prude[m]ment gouuerner les femmes enceintes, & ne leur permettre de vaquer
par trop à leur plaisir, ne les affliger aussi toute l'a[n]nee qu'elles
portent leur fruit au ve[n]tre, afin qu'elles viue[n]t en tranquillité
& repos »578. Il faut donc que la femme enceinte dorme
bien, demeure dans des endroits tempérés, évite les odeurs
fortes ou les « spectacles effrayants ou seulement insolites qui
risqueraient de provoquer la naissance d'un monstre »579. Les
bruits trop forts sont à proscrire car ils peuvent provoquer
l'avortement. « Une frayeur, une colère, une
contrariété peuvent avoir le même résultat. La femme
enceinte a le devoir, pour son enfant, de dompter et de modérer ses
passions. Son entourage ne doit pas lui faire peur, ni lui annoncer subitement
des nouvelles qui puissent l'attrister ou la tourmenter »580
analyse Catherine Fouquet. La femme enceinte doit enfin manger
modérément mais suivre ses « envies » « sous peine
de voir le corps de l'enfant marqué de ces envies
rentrées, taches de vin ou de fruit par exemple
»581. Les relations sexuelles sont elles strictement interdites
durant la grossesse. Le « peril de suffoquer le fruit ia co[n]ceu
»582 est trop important selon Benedicti pour que les
mariés se permettent de vaquer « à l'oeuure de mariage
». Plus le moment de l'accouchement approche, plus le péché
est grand et les risques pour l'enfant importants d'après le franciscain
qui prend en exemple la continence dont sont supposés faire preuve les
éléphants et les cerfs « auec la femelle ta[n]dis qu'elle
est pleine »583.
576KNIBIEHLER, Yvonne, FOUQUET, Catherine,
L'histoire des mères du Moyen-Âge à nos jours,
Paris, Éditions Montalba,
1980, p.47.
577Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.201.
578Ibid., p.153.
579François LEBRUN, La vie
conjugale..., op. cit. [note n°346], p.111.
580KNIBIEHLER, Yvonne, FOUQUET, Catherine,
L'histoire des mères..., op. cit. [note n°576],
p.47.
581François LEBRUN, La vie
conjugale..., op. cit. [note n°346], p.111.
582Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.153.
583Ibid., p.153.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 130 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
Si la femme enceinte peut paraître en état de
grâce aux yeux de la société de l'époque, Benedicti
rappelle néanmoins que sa nature funeste la poursuit. En effet, la
mère marque son enfant de la macule du péché originel.
Benedicti insiste sur le fait que « nous co[n]tractons au ventre de nos
meres » ce « peché de nature »584 dont seule
la Vierge Marie a été exemptée585. Il combat en
un autre endroit de son ouvrage la croyance calviniste selon laquelle les
enfants sont justifiés, c'est-à-dire qu'ils retrouvent leur
innocence originelle, au ventre même de leur mère. Seul le
baptême peut permettre aux enfants catholiques de retrouver cette
innocence selon Benedicti qui appuie sur le fait que « les vns & les
autres sortent du ve[n]tre de leurs meres tachez de peché originel,
& tous enfans d'ire & de perditio[n] »586. Benedicti se
désole lui-même d'être un « pauure enfant d'Eue
»587 et remercie la Vierge Marie de l'avoir aidé «
depuis que le ventre maternel [l]'a ietté sur la terre
»588. Son discours oppose l'image d'une Vierge bienveillante,
au ventre protecteur qui accueille le sauveur de l'humanité, à la
simple femme dont le ventre fourbe expulse un enfant déjà
marqué du péché. Benedicti oppose sans cesse Ève
pécheresse à Marie, sainte femme. Deux modèles de
maternité sont proposés aux femmes enceintes. Marie est
constamment louée, elle qui dit : « Voicy la seruante de Dieu,
me soit fait, o sainct Gabriel, selon vostre parole
»589. Au contraire, Ève, « la pauure mesquine
», qui croit être enceinte du fils de Dieu promis à Adam, est
tournée en dérision : « Ah pauure Eue, tu estois bien
trompee, pensant estre celle qui porteroit le Sauuer [sic], ceste
prerogatiue estoit bien reseruee à une plus digne que toy
»590. Benedicti l'accuse même, ayant mis au monde
Caïn, d'avoir « plustost enfanté vn petit Antechrist, que non
pas le fils de Dieu »591. En effet, le fils aîné
d'Adam et Ève tue Abel, son petit frère, et devient par là
le tout premier meurtrier de l'humanité. La période de la
grossesse a donc un double visage : la femme assure une descendance et est
louée pour cela ; néanmoins, elle porte le poids de la
malédiction originelle et croiser une femme enceinte semble même
inquiéter les plus superstitieux592.
Au chapitre concernant la fréquence de la confession,
Benedicti indique que peuvent se confesser hors de la période de
Pâques ceux qui sont « au peril de leur vie.
584Ibid., p.14.
585Jean BENEDICTI, La Somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op.cit. [note n°170], « Epistre
dedicatoire ». Nous signalons
que le confesseur franciscain fait ici un dogme d'une croyance
qui ne sera officiellement reconnue par l'Église qu'en 1854
(dogme de l'Immaculée Conception).
586Ibid., p.388.
587Ibid., « Epistre dedicatoire
».
588Ibid., « Epistre dedicatoire
».
589Ibid., « Epistre dedicatoire
».
590Ibid., « Epistre dedicatoire
».
591Ibid., « Epistre dedicatoire
».
592Ibid., p.39.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 131 -
De là vie[n]t que les femmes enceintes & prestres
[sic] d'accoucher, & principalement les ieunes, qui n'ont encores
porté enfant, se doiuent confesser & en bon estat
»593. Benedicti semble donc connaître les
difficultés, voire les dangers, de l'accouchement au XVIe
siècle et il demande aux femmes près de leur terme de prendre
leurs précautions afin qu'elles ne meurent pas sans s'être
confessées. Un proverbe gascon de l'époque disait « Femme
grosse a un pied dans la fosse »594. Tous les historiens
soulignent la difficulté qu'il y a à évaluer
précisément les taux de mortalité en couches, tant pour
les mères que pour les enfants. François Lebrun estime que la
mortalité maternelle « transparaît dans la
surmortalité féminine entre 25 et 40 ans, alors que la
surmortalité masculine est la règle, hier comme aujourd'hui dans
toutes les autres tranches d'âge »595. Les risques sont
importants et, comme il est courant dans ce cas, les superstitions sont
nombreuses entourant la délivrance de la femme. Benedicti cite
l'utilisation de la pierre d'aigle portée par les femmes « pour se
rendre plus larges [...] en leur enfantement »596.
Significativement, cette pratique n'est pas décriée. Benedicti
évoque aussi la croyance en une action maléfique de sorciers.
Ainsi le sorcier Cyprien aurait lié « les femmes enceintes
telleme[n]t, qu'elles ne pouuoie[n]t enfanter »597. Si le
confesseur franciscain n'évoque que la pierre d'aigle, bien d'autres
remèdes étaient utilisés afin de faciliter la venue au
monde de l'enfant. Les nombreuses femmes présentes lors de
l'accouchement entourent la parturiente et peuvent « lui mettre sur le
ventre le bonnet de son mari ou, aux pieds, ses chaussures, lui entourer la
cuisse droite d'une peau de vipère ou lui faire boire des tisanes
à base de sauge, de fenouil ou d'eau-de-vie, voire d'eau de
tête-de-cerf ou de morceau de peau de loup »598. Les
pratiques les plus communes seraient le « port d'une ceinture bénie
par la Vierge ou de sainte Marguerite, ou [un] pèlerinage, fait
soi-même ou par personne interposée, aux sanctuaires
spécialisés qui existent dans toutes les provinces et sont
dédiés à Notre-Dame-de-Délivrance, de Bon-Secours
ou des Sept-Douleurs ou à sainte Marguerite »599. Les
sages-femmes sont incriminées lors des accouchements qui se finissent
mal et Benedicti conseille de se méfier d'elles600.
François Lebrun rappelle qu'elles ne peuvent théoriquement «
exercer que si elles ont subi deux examens, l'un devant le curé de la
paroisse, l'autre devant un chirurgien ». Néanmoins, seul le
premier est observé et les connaissances des sages-femmes ne sont
593Ibid., p.219.
594François LEBRUN, La vie
conjugale..., op. cit. [note n°346], p.111.
595Ibid., p.117.
596Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.560.
597Ibid., p.46.
598François LEBRUN, Marc VENARD, Jean
QUENIART, Histoire de l'enseignement et de l'éducation, tome II : De
Gutenberg
aux Lumières (1480-1789), Paris, Perrin, 2003
(coll. Tempus), p.45.
599François LEBRUN, La vie
conjugale..., op. cit. [note n°346], p.111-112.
600 Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede
d'icevx..., op. cit. [note n°170],p.46.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 132 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
pas contrôlées. Jacques Gélis souligne
donc que l'« empirisme était la règle, avec tout ce que cela
impliquait de spontanéité heureuse et de conduite aberrante. Une
présentation vicieuse, un bassin trop étroit, conséquence
du rachitisme de la petite enfance, et tout basculait. L'accoucheuse perdait
son assurance. Marquée par la souffrance, la femme s'épuisait au
fil des heures et les compagnes qui l'assistaient se laissaient gagner par le
doute »601. La mortalité néonatale,
c'est-à-dire survenue au cours du premier mois de l'enfant, serait
comprise entre 10 et 20% du total des naissances602.
Les fréquentes difficultés lors de
l'accouchement imposaient au moins un savoir aux sages-femmes : « les
sages femmes qui ne sçauent pas la forme de baptiser »603
étaient en état de péché mortel. C'est cette
compétence, et leur moralité, qui étaient
vérifiées par les curés de l'époque. Il fallait en
effet éviter à tout prix que l'enfant meure sans baptême.
Les conséquences dans ce cas étaient lourdes pour lui. Jacques
Gélis explique que « le nouveau-né qui mourait avant qu'on
ait pu lui conférer le sacrement du baptême était
doublement pénalisé. Son âme était vouée
à des souffrances éternelles, puisqu'elle était
privée de la vision de Dieu : c'était la peine du dam. Quant
à son corps, il ne pouvait rejoindre la communauté des morts ; il
n'avait pas sa place en terre consacrée, auprès des
ancêtres »604. L'enfant mort dans ces conditions erre
dans les Limbes, espace proche de l'Enfer. Il n'a pas pu en effet être
lavé du péché originel par le sacrement du baptême.
C'est pour cette raison qu'il est impropre à entrer au Paradis et
à contempler Dieu. Benedicti précise qu'on « ne permet qu'on
enterre les enfans decedez sans le Baptesme en terre saincte
»605. Cette règle était très durement
ressentie par les parents de l'époque. Jean Benedicti développe
les raisons pour lesquelles les enfants ne devaient pas être
enterrés en terre sainte en introduisant ainsi son discours : « ie
vien satisfaire à la demande d'aucuns Catholiques : lesquels conduits
d'vne cruelle misericorde trouuent estrange que l'enfant d'vn bon pere &
d'vne bonne mere qui meurt sans baptesme soit priué du ciel
»606. Il semble donc que les parents et leur entourage aient
exprimé un sentiment d'injustice face à ce drame. Le
développement des sanctuaires à répit607 peut
être interprété comme la réponse des parents,
pères et mères, à l'angoisse suscitée par la mort
de leur enfant. Les enfants morts-nés étaient en effet
emmenés par une femme proche des parents, ou payée par eux, dans
ces sanctuaires où,
601Jacques GELIS, Les enfants des Limbes :
mort-nés et parents dans l'Europe chrétienne, Paris, Louis
Audibert, 2006, p.18-19.
602François LEBRUN, La vie
conjugale..., op. cit. [note n°346], p.118.
603Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.392.
604Jacques GELIS, Les enfants des Limbes...,
op. cit. [note n°601], p.26.
605Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.391.
606Ibid., p.388.
607Ces sanctuaires sont souvent des églises,
parfois des lieux consacrés où des miracles auraient
déjà eu lieu. Les enfants sont
déposés de préférence sur l'autel
des églises, qui sont censés contenir les restes de saints
personnages, au pied d'une statue ou
devant une image sainte.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 133 -
au prix de ferventes prières, l'animation du corps de
l'enfant pendant un court instant permettait d'en déduire son retour
à la vie et de lui faire bénéficier du sacrement du
baptême. L'Église cherche à réguler cette pratique
mais Benedicti souligne que « la foy du pere & de la mere, & les
prieres, oraisons, jeusnes, aumosnes, voyage & autres deuotions
»608 peuvent aider leur enfant à recevoir le
baptême dans l'au-delà, grâce à la miséricorde
divine.
Afin d'éviter des pratiques superstitieuses qui
menaient à l'exposition du corps d'un enfant mort dans un sanctuaire
pendant plusieurs jours, les clercs acceptaient que les femmes baptisent les
enfants qu'elles pensaient être en danger de mort. L'ondoiement est le
nom de ce baptême fait par la sage-femme au moment de l'accouchement.
François Lebrun explique qu'il « doit être fait en
présence de deux témoins qui attesteront devant le curé
que les formes prescrites ont été respectées. Le rite est,
d'ailleurs, volontairement réduit au minimum, puisqu'il est seulement
demandé à la personne qui baptise, de verser de l'eau naturelle,
à défaut d'eau bénite, sur la tête ou sur quelque
autre partie du corps de l'enfant en disant "distinctement et avec attention",
en latin ou en français : "Je te baptise au nom du Père et du
Fils et du Saint-Esprit, ainsi soit-il" »609. Benedicti montre
que les femmes ont usé de ce droit lorsqu'il affirme qu'il est
inacceptable que le confesseur ne sache pas « les paroles sacramentales de
l'absolution [...] veu mesme que les femmes sçauent bien celles du
Baptesme »610. Si les sages-femmes sont normalement les plus
habilitées, parmi les femmes, à délivrer ce sacrement,
toute femme611 le peut selon Benedicti. L'eau n'est pas même
nécessaire puisque « quand vne femme seroit massacree pour la foy
Catholique, & son enfant auec elle, il seroit baptisé en son sang
»612. Il est néanmoins préférable que la
cérémonie se fasse à l'église et c'est là
qu'elle a dû avoir lieu dans la majorité des cas. En 1547, le
concile de Trente conseille que les enfants soient baptisés «
quamprimum », c'est-à-dire le plus tôt possible après
leur naissance. En effet, plus les parents attendent, plus le risque que
l'enfant décède avant d'avoir reçu le sacrement du
baptême augmente.
Les douleurs de l'accouchement expliquent sûrement les
deux principaux modèles proposés aux femmes en couches. Ils
présentent en effet des accouchements sans difficulté
peut-être afin de rassurer les parturientes ou du moins de les porter
à espérer la même issue pour elles-mêmes et donc
à prier Dieu en ce sens. La Vierge Marie,
608Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.391.
609François LEBRUN, La vie conjugale..., op.
cit. [note n°346], p.118.
610Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.618.
611Ibid., p.389.
612Ibid., p.389.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 134 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
« contraincte de [se] retirer en vne estable exposee
à tous vents »613 est néanmoins
préservée des douleurs de l'enfantement puisque Jésus
« sortit de sa mere comme les rayons du Soleil à trauers une vitre,
sans y faire ouuerture & fraction »614. Sa foi en Dieu a
été récompensée. L'histoire de l'accouchement
d'Élisabeth doit aussi porter les futures mères à prier
pour la Vierge. En effet, lorsque Marie rejoint sa parente, enceinte de
Jean-Baptiste615, plusieurs miracles se produisent. L'enfant «
se mit à bondir de joie dans le ventre de sa mère, comme pour
saluer par ses mouvements celui qu'il ne pouvait pas encore saluer par la voix
»616, c'est-à-dire Jésus, dont Marie est
enceinte. Jean-Baptiste est ensuite un des rares enfants à être
justifié « au ventre de sa mere »617. Cela signifie
qu'il n'a pas besoin dans l'absolu d'être baptisé pour être
lavé du péché originel. Enfin, c'est Marie elle-même
qui accoucha Élisabeth et le reçut dans ses « sacrees mains
virginales »618.
Si nous avons vu que la stérilité était
particulièrement mal vécue au XVIe siècle, les
nombreuses grossesses n'étaient pas non plus désirées. Le
risque qu'elles faisaient courir aux femmes, mais aussi la pauvreté de
certaines, les ont parfois poussées à utiliser des
méthodes de contraception voire à tenter l'avortement. Benedicti
pense que l'argument utilisé par certains parents pour justifier les
moyens contraceptifs, à savoir qu'ils auraient trop de bouches à
nourrir, est la preuve d'un manque de foi en Dieu car selon lui « iamais
Dieu ne met vne creature sur terre qu'il ne luy baille les moyens de viure
& gaigner sa vie »619. Néanmoins, le franciscain se
montre indulgent, ou réaliste : « Si toutesfois les mariez
craignent d'auoir trop d'enfans, qu'ils viuent en contine[n]ce mutuelle,
implorans la grace de Dieu, & fuyans tous villains attouchemens,
immodicitez & ordures »620. La continence comme moyen de
contraception est donc la seule voie acceptée. En effet, il est
précisé que ceux « qui par potion, breuuages ou autre
maniere que ce soit, empesche[n]t la conception & la generation, craignans
d'auoir trop d'enfans, pechent mortellement »621. Divers moyens
contraceptifs nous sont connus. Catherine Fouquet souligne l'utilisation de
pessaires622, de « morceaux de liège de la grosseur
d'un
613Ibid., « Epistre dedicatoire
».
614Ibid., « Epistre dedicatoire
».
615Jean-Baptiste devient par la suite un
prophète qui annonce la venue de Jésus et baptise ce dernier. Il
a donc un rôle très
important dans la Bible.
616Jacques de VORAGINE, op. cit. [note
n°295], p.305.
617Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.391.
618Ibid., « Epistre dedicatoire
».
619Ibid., p.152.
620Ibid., p.152.
621Ibid., p.152.
622Dispositif introduit dans le vagin servant de
préservatif anticonceptionnel pour la femme.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 135 -
oeuf, ou encore des éponges »623. Elle
note de plus que le « recours aux breuvages réputés abortifs
était très ordinaire. Le persil était ainsi censé
faire venir les règles. D'autres plantes encore et, d'une façon
générale, toute substance provoquant des coliques étaient
jugées susceptibles d'entraîner l'effet recherché
»624.
Contraception et avortement sont largement assimilés
au XVIe siècle. Cette assimilation « est fondée
sur le cumul de trois fautes jugées très graves. La
première est l'adultère, car tout acte conjugal accompli sans
intention procréatrice est à mettre sur le même pied que la
prostitution. La seconde faute est le meurtre, car, dans les deux cas, on
empêche un enfant de venir au monde, ce qui est considéré
comme la mise à mort de l'être qui aurait pu et dû venir au
monde. La troisième faute est l'idolâtrie, car on se sert de
moyens contraceptifs ou abortifs souvent liés à des pratiques
magiques ou superstitieuses »625. L'avortement est jugé
si grave qu'il est placé parmi les cas dont la pénitence et
l'absolution sont réservées à
l'évêque626. Ainsi, un simple prêtre ne peut
décider des pénitences à accomplir afin de réparer
la faute commise. Il existe deux degrés de péché
liés à l'avortement selon Benedicti. Il précise en effet :
« Quant à celuy qui procure l'auortement d'vne femme enceinte, si
le fruit estoit des ia animé, il a commis homicide, lequel ne pouuant
estre reco[m]pensé par peine pecuniaire, il le doit estre par vne longue
& grande penitence, pour auoir esté cause de la mort corporelle
& spirituelle, sçauoir, de la damnation de l'ame de l'enfant mort
sans Baptesme »627. Benedicti fait la différence entre
l'avortement commis sur un embryon non encore animé et sur un enfant qui
a reçu une âme : « L'enfant masle reçoit l'ame
quarante iours apres la conception, & selon aucuns soixa[n]te, & la
femelle octante iours apres »628. Ces conceptions sont
conformes aux croyances de l'époque. Si le Lévitique ne donne
qu'une période d'impureté post-accouchement qui diffère
selon le sexe de l'enfant (quarante jours s'il s'agit d'un garçon, plus
de quatre-vingt jours si l'enfant est une fille629), les
théologiens ont formé à partir de ce texte les
théories concernant l'infusion de l'âme à l'embryon, qu'ils
calquent sur le texte biblique. L'avortement avant le quarantième jour
est « un acte contre nature, dans la mesure où il détruit un
dynamisme à l'oeuvre dans l'embryon et s'oppose au principe de
finalité inscrit dans le produit de la conception »630.
De plus, l'être humain est créé à l'image de Dieu.
Avorter, c'est s'opposer à Dieu qui, de
623KNIBIEHLER, Yvonne, FOUQUET, Catherine,
L'histoire des mères..., op. cit. [note n°576],
p.123.
624Ibid., p.124.
625Guy BEDOUELLE, Jean-Louis BRUGUES, Philippe
BECQUART, L'Église et la sexualité : repères
historiques et regards
actuels, Paris, Éditions du Cerf, 2006 (coll.
Histoire du christianisme), p.95.
626Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.589.
627Ibid., p.699-700.
628Ibid., p.110.
629Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Lévitique, 12.
630Guy BEDOUELLE, Jean-Louis BRUGUES, Philippe
BECQUART, op. cit. [note n°625], p.150.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 136 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
plus, choisit parfois ses prophètes alors qu'ils
« ne sont encore que des embryons [...], ce qui signifie qu'ils sont des
êtres habités, bien avant leur naissance, par une âme
spirituelle proprement humaine »631. Nous avons vu
précédemment l'exemple de Jean-Baptiste. Après les
quarante jours, l'avortement est purement un crime, un homicide « corporel
» contre « un être humain pleinement constitué
»632. Aussi, « celuy ou celle qui baille quelque breuuage
pour faire mourir le fruict au ventre d'vne femme, ou pour la faire auorter,
co[n]tracte irregularité »633. François Lebrun
estime que « l'appel à la faiseuse d'anges est le fait de filles,
femmes ou veuves soucieuses de faire disparaître les conséquences
d'amours illégitimes. L'avortement dans le mariage, comme moyen de
limiter le nombre des enfants, ne semble guère avoir été
pratiqué »634. Dans ce dernier cas, il semble
néanmoins que « des femmes n'ont reculé devant rien, souvent
au risque de leur vie, afin d'avorter »635. Benedicti
présente l'image d'une femme « qui se iette du haut en bas & se
tourme[n]te le corps, pour se faire auorter »636. Il exprime
néanmoins une sorte de pitié envers ces « malheureuses
» qui « apres auoir abandonné leur pudicité aux
ruffiens637, uiennent à défaire leur propre fruit,
pour euiter le deshonneur du monde »638. Il les apostrophe
ainsi : « O Dieu que sera-ce de vous ? Vos enfants crieront au grand iour
du iugement vengeance contre vous »639. Benedicti espère
peut-être que la peur de se trouver face à leurs enfants lors du
Jugement dernier, les dissuadera de telles pratiques. Néanmoins, la
republication périodique de l'édit de 1556 d'Henri II montre que
la justice royale a jugé bon d'intervenir dans ces pratiques qu'elle
jugeait contraires à la moralité. Cet édit stipule que les
femmes enceintes doivent déclarer leur état au curé ou
à un juge. Si leur enfant mourait sans avoir été
baptisé et sans avoir été déclaré, la
mère était jugée coupable d'infanticide. Elle pouvait
dès lors être condamnée à mort. Cet édit
montre que les risques d'avortement ou d'infanticide étaient pris en
considération par les justices tant civile qu'ecclésiastique.
Malgré ces pratiques, la majorité des
grossesses aboutissent à la venue au monde d'un enfant. Nous allons
à présent nous pencher sur sa destinée durant les premiers
mois de sa vie et sur le rôle essentiel de la femme auprès du
bébé.
631Ibid., p.135.
632Ibid., p.150.
633Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.613.
634François LEBRUN, La vie
conjugale..., op. cit. [note n°346], p.150.
635KNIBIEHLER, Yvonne, FOUQUET, Catherine,
L'histoire des mères..., op. cit. [note n°576],
p.123.
636Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.110.
637Un ruffian est un débauché, un
entremetteur.
638Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.109.
639Ibid., p.109.
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maîtrise | juin 2013 - 137 -