Après avoir été baptisé, le
bébé entre dans la « première enfance »,
période qui s'étend jusqu'à son sevrage. L'importante
mortalité des enfants à cet âge montre que cette
étape est un passage difficile. La mère a un rôle vital
dans la survie du nourrisson. C'est en effet elle qui « l'emmaillote,
veille à son sommeil et à son hygiène, et surtout
l'allaite »640. L'allaitement est perçu comme une
étape cruciale dans le développement de l'enfant, dans le
façonnage de son caractère futur. C'est pourquoi de nombreux
auteurs du XVIe siècle ont écrit sur les bienfaits de
l'allaitement mais surtout de l'allaitement maternel. Benedicti prend part au
débat et donne des conseils tant aux mères qu'aux
inévitables nourrices. Ces dernières, femmes d'artisan puis
presque exclusivement paysannes, sont louées par les soins des parents
afin de nourrir et de prendre soin de leur enfant. Choisies à
l'aveuglette sur les marchés ou grâce à un
intermédiaire par les parents les plus pauvres, elles font
néanmoins l'objet d'un discours moralisateur important au
XVIe siècle.
Le paragraphe dédié à l'allaitement est
un des premiers mais surtout un des plus développés du chapitre
« Les pechez des Peres & meres enuers leurs enfans, contre ce
quatriesme Commandement ». Benedicti commence son propos ainsi : «
Les meres qui n'ont cure de nourrir leurs enfans, ou à tout le moins de
leur pourueoir de bo[n]nes nourrices, iusques à l'aage de trois ans,
apres lesquels les peres sont tenus par droit naturel, de les aua[n]cer &
leur bailler ce qui est necessaire, peche »641. La durée
d'allaitement peut aller jusqu'à l'âge de deux ou trois ans au
XVIe siècle, même si la diversification alimentaire
intervient assez tôt. Catherine Rollet souligne qu'au fur et «
à mesure que l'enfant grandit, la fonction alimentaire du sein
décline : il est de plus en plus nourri de nourritures solides, mais le
sein reste nécessaire pour apaiser les peurs et les tensions
»642. Ainsi, jusqu'à quatre ans, certains enfants
peuvent téter leur mère de temps à autre. Benedicti
dénonce le fait que toutes les femmes ne souhaitent pas allaiter :
« Pourquoy est-ce que nature leur a baillé deux mammelles co[m]me
deux petites bouteilles, sino[n] pour cest effect ; mais cruelles marastres
qu'elles sont, ce leur est assez d'auoir tiré leurs enfans hors de leurs
entrailles & mis sur terre, & puis les enuoyer aux tristes villages,
pour les faire nourrir par femmes estrangeres, mal saines, &
640François LEBRUN, Marc VENARD, Jean
QUENIART, Histoire de l'enseignement..., op. cit. [note
n°598], p.59.
641Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.95.
642Catherine ROLLET, « Histoire de
l'allaitement en France : pratiques et représentations », mai 2006
(rééd.) [disponible en ligne sur <
http://www.co-naitre.net/articles/histoireallaitementCRmai2006.pdf>]
(consulté le 19 mars 2013).
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 138 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
mal complexionnees : chose si co[n]tagieuse aux pauures
petits enfans, qu'il leur seroit meilleur d'estre nourris de quelque beste
brute, comme vn Cyrus & Romulus643, que d'estre commis à
la misericorde de telles nourrices »644. Il semble en effet que
si l'allaitement « par la mère est de règle dans les
campagnes, c'est-à-dire dans l'immense majorité des familles
»645, « le recours à une nourrice est une pratique
courante dans les villes, petites ou grandes »646. Cette
demande est le fait de trois raisons selon le père franciscain Pierre
des Gros, religieux du XVIe siècle : « La
première, pour ce que ce n'est pas la coutume de nourrir. La seconde,
pour plus garder leur beauté et frescheté. La tierce pour plus
prendre esbatement à leurs maris, et c'est incontinence
»647. Dans les milieux aisés, la femme a une fonction de
représentation qui s'accorde mal avec le système de
tétée à la demande qui est la règle au
XVIe siècle. Le docteur Laurent Joubert (1529-1583) souligne
avec aigreur que certains maris « ne veulent permettre à leur femme
de nourrir, afin que leurs tétins demeurent plus jolys, qu'ils se
plaisent à manier, non pas des tétins mols »648.
La fonction esthétique des seins est mise en avant pour éviter
l'allaitement aux femmes des milieux aisés. Enfin, les contraintes dues
à l'allaitement sont mises en valeur par les couples pour placer leurs
enfants en nourrice. Ceci vaut surtout pour les hautes classes de la
société car, pour une partie des mères, le placement en
nourrice est la seule solution afin de pouvoir poursuivre une activité
professionnelle vitale pour l'ensemble du groupe familial.
Nous allons tout d'abord voir quels conseils étaient
donnés aux femmes allaitantes. Benedicti rappelle que le mari doit
« s'abst[enir] de sa femme iusques à tant qu'elle ait seuré
l'enfant de la mammelle »649. Plusieurs raisons expliquent ces
recommandations : on pense qu'une nouvelle grossesse priverait le
nouveau-né de lait, que « l'acte vénérien excite les
passions et trouble toutes les humeurs, dont le lait est la plus fragile
»650 et que « l'incontinence & copulation charnelle
fait bie[n] souuent perdre le laict aux nourrices, non sans le dommage des
enfans »651. Le temps de l'allaitement étant très
long à l'époque, « de nombreux maris préfèrent
reporter le tabou sexuel sur une nourrice et reprendre sans tarder avec leur
épouse des relations trop longtemps
643Cyrus le Grand, fondateur de l'Empire perse, fut,
selon une légende, nourri par une chienne. Romulus, fondateur de Rome
avec
son frère Remus, aurait été allaité
par une louve.
644Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.95.
645François LEBRUN, Marc VENARD, Jean
QUENIART, Histoire de l'enseignement..., op. cit. [note
n°598], p.63.
646François LEBRUN, La vie
conjugale..., op. cit. [note n°346], p.126.
647Pierre DES GROS, cité dans Nourrices et
nounous : une histoire des « femmes allaitantes », Bernadette de
CASTELBAJAC,
Paris, Cosmopole, 2007, p.8.
648Laurent JOUBERT, cité dans Ibid.,
p.13-14.
649Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.154.
650Didier LETT, Marie-France MOREL, Une histoire
de l'allaitement, Paris, Éditions de la Martinière, 2006,
p.85.
651Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.154.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 139 -
interrompues du fait de la grossesse »652. En
effet, en ajoutant les neuf mois de la grossesse aux deux ans d'allaitement,
c'est une longue période d'abstinence sexuelle que seraient
censés s'imposer les couples. La femme qui allaite doit aussi surveiller
son alimentation afin que son lait soit assez abondant pour l'enfant, et de
bonne qualité. Elle doit, tout comme la femme enceinte, ne pas «
éprouver d'émotions trop violentes, ni travailler trop dur, car
cela pourrait faire tourner son lait et empoisonner l'enfant
»653. Une des légendes entourant une grotte miraculeuse
où Marie se cacha dit que cette dernière « ayant dû se
séparer un instant de son nouveau-né le confia à Joseph.
Quand elle le reprit, son trouble fut si grand qu'avant de lui présenter
le sein, elle fit comme les femmes du pays, convaincues qu'une émotion
trop forte nuisait à la qualité du lait : elle exprima à
terre un peu de lait de ses seins avant de faire téter à nouveau
l'enfant »654. Benedicti pense quant à lui que Marie eut
« une si grande abondance de laict en [ses] sacrees mammelles »,
qu'elle en répandit sur le sol de la grotte, « à cause
dequoy la terre d'icelle porte medecine [...] de sorte que si les nourrices,
voire mesme les brebis & autres animaux qui n'ont point de laict, prennent
de ceste terre detrempee en eau, le laict leur vient en abondance
»655. Le commerce de cette pierre qui aurait reçu le
lait de Marie était extrêmement développé au
XVIe siècle : réduite en poudre, elle était
mélangée à de l'eau et bue par les femmes qui craignaient
de manquer de lait. La Vierge Marie est le symbole par excellence de la
mère allaitante. Yvonne Knibiehler souligne que « les relations de
Marie avec son divin enfant ont contribué à la structuration de
la conscience maternelle en Occident »656. Le dévouement
de la mère se lit dans l'allaitement et le lait de la Vierge devient le
symbole du pouvoir d'intercession de Marie auprès de
Dieu657.
L'allaitement par la mère de l'enfant n'est toutefois
pas toujours possible comme nous l'avons vu plus haut. Aussi, si Benedicti
s'outrage que les mères puissent confier leurs enfants à ces
« femmes estrangeres, mal saines, & mal complexionnees », il ne
s'oppose par à ce que les parents leur pourvoient « de bon[n]es
nourrices ». Quelle est la nourrice idéale selon les
critères du XVIe siècle ? Il faut tout d'abord
souligner que, d'après les théories de l'époque, le
caractère de l'enfant dépend de la qualité du lait et de
la femme avec qui ce dernier est en contact physique. Benedicti décrie
les mauvaises nourrices car, selon lui, « non seulement les corps en
demeurent interessez658 & gastez,
652François LEBRUN, Marc VENARD, Jean
QUENIART, Histoire de l'enseignement..., op. cit. [note
n°598], p.65-66. 653Didier LETT, Marie-France MOREL,
op. cit. [note n°650], p.81.
654Marie-Claude DELAHAYE, Bébés au
biberon, Paris, Éditions Hoëbeke, 2003, p.20.
655Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], « Epistre
Dedicatoire ». 656Yvonne KNIBIEHLER, Histoire des
mères et de la maternité en Occident, Paris, PUF, 2000
(coll. Que sais-je ?), p.30. 657Didier LETT, Marie-France MOREL,
op. cit. [note n°650], p.27. 658« Intéresser »
s'entend ici dans le sens de « faire tort à quelqu'un ; causer du
dommage à quelqu'un ».
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 140 -
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 141 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
[...] ains aussi qui est bien le pis, il demeure quelque
impression & charactere du vice des nourrices aux esprits des enfans
»659. Le choix de la nourrice devrait donc être
extrêmement attentif, même si cela est difficile pour certaines
familles. Dans les faits, seules les familles aisées peuvent se
permettre de choisir la femme qui allaitera leur enfant. Les qualités de
la bonne nourrice sont diverses. Elle doit avoir entre vingt-cinq et
trente-cinq ans et être en bonne santé c'est-à-dire
n'être « ni trop grasse, ni trop maigre »660. Les
jeunes femmes brunes ou châtains sont plus appréciées. En
effet, les blondes auraient une odeur désagréable661
tandis que « les rousses passent pour aimer trop les hommes
»662. Ses seins sont examinés : ils ne doivent
être « ni trop gros, ni trop petits, ses mamelons en forme de
noisette, son lait ni trop épais, ni trop séreux
»663. Son caractère importe aussi, comme nous l'avons
vu. Elle ne doit pas être bavarde et avoir des moeurs
irréprochables. Les parents aisés peuvent payer les gages d'une
telle nourrice qui s'installe parfois au domicile du nouveau-né.
François Lebrun souligne que le « bourgeois propriétaire
place son enfant dans la paroisse où il a ses terres, chez la femme de
son fermier ou chez quelques voisines qu'il connaît »664.
Pour les familles pauvres, qui placent leurs enfants par
nécessité, le hasard est la règle. Les enfants sont
souvent emmenés dès les premières heures de la vie loin du
domicile des parents « par tous les temps, à pied ou dans de
mauvaises voitures »665. Benedicti qualifie ces nourrices de
« femmes estrangeres » car elles habitent parfois très loin
des centres urbains qui leur envoient des enfants. La mortalité pendant
le transport est importante. Puis, le manque d'hygiène des maisons
paysannes voire le manque de lait des nourrices « sèches »
effectue un nouveau tri parmi les nouveaux-nés. Quand la nourrice a du
lait, celui-ci est mal adapté à l'enfant qui vient de
naître car il est trop épais pour lui. En effet, la plupart ont
attendu quelques semaines avant de se louer comme nourrice, le temps de sevrer
leur propre nourrisson. Durant cette période, le lait s'épaissit
naturellement et est donc moins assimilable pour les nouveaux-nés qui
n'ont souvent que quelques jours voire quelques heures à leur
arrivée chez la nourrice. De plus, les « nourrices
mercenaires666 » ont souvent plusieurs enfants ou ont d'autres
travaux à effectuer. Peu d'enfants revoient leurs parents, qui ignorent
en grande partie les risques de la mise en nourrice.
659Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.95.
660Didier LETT, Marie-France MOREL, op. cit.
[note n°650], p.100.
661François LEBRUN, Marc VENARD, Jean
QUENIART, Histoire de l'enseignement..., op. cit. [note
n°598], p.66.
662Didier LETT, Marie-France MOREL, op. cit.
[note n°650], p.100.
663François LEBRUN, Marc VENARD, Jean
QUENIART, Histoire de l'enseignement..., op. cit. [note
n°598], p.66.
664François LEBRUN, La vie
conjugale..., op. cit. [note n°346], p.127.
665Didier LETT, Marie-France MOREL, op. cit.
[note n°650], p.116.
666Le mot « mercenaire » signifie
exclusivement qu'elle reçoit un salaire en échange d'un service
rendu.
Selon Benedicti, « iamais l'enfant n'est si bien nourry
d'vn laict estra[n]ger, co[m]me de celuy de la propre mere, lequel n'est autre
chose (si nous croyo[n]s aux Physiciens) que le sang duquel l'enfant a
esté formé au ventre de sa mere qui est cuict par la chaleur
naturelle & conuerti en laict, pour donner alime[n]t au fruict
»667. Les médecins du XVIe siècle, qui
ont remarqué l'absence de règles chez les femmes enceintes, l'ont
interprétée comme étant la preuve que l'enfant
était façonné de ce sang et nourri par lui. Il y aurait
« une continuité totale entre le sang du placenta, dont l'enfant
est nourri dans la matrice pendant la grossesse, et le lait qui est produit
après la naissance. Les traités anciens d'anatomie expliquent
qu'après l'accouchement, on assiste au procédé de
déalbation : le sang, qui allait au cordon, remonte jusqu'aux mamelles
par une veine spéciale qui relie l'utérus aux seins
»668. C'est cette théorie du sang « blanchi »
qui réglemente les temps de l'accouchement. En effet, « les
mères ne peuvent fabriquer en même temps du sang et du bon lait
»669. Il est donc recommandé à la mère de
ne pas allaiter de suite après l'accouchement. Les relevailles sont la
« cérémonie religieuse de purification »670
qui permet aux mères de pouvoir réintégrer la
société normale après avoir « garder la couche
quelque espace de temps sans habiter auec leurs maris »671.
Cette cérémonie avait lieu, dans la tradition juive, quarante
jours après l'accouchement. La durée d'« impureté
» est réduite à vingt jours par les médecins du
XVIe siècle. En attendant de pouvoir allaiter, et pour
éviter les douleurs dues à l'engorgement des seins, les
mères « se font dégorger les seins par des servantes ou des
petits chiens »672 tandis que les enfants sont allaités
par une autre femme ou nourris de « vin sucré, d'huile d'amandes
douces, de sirop de chicorée ou encore d'eau miellée
»673. Ces pratiques peuvent expliquer pourquoi Benedicti
affirme qu'il « seroit donc bien meilleur & plus sea[n]t, à ces
ieunes dames, ta[n]t poupines, de tenir vn enfant entre les bras, fruit de leur
mariage, que non pas vn petit chie[n] »674.
Afin d'inciter les mères à allaiter, Benedicti
allie le nom de grandes figures de la Bible à un traitement de faveur
pour ce qui est de certaines obligations religieuses. Il conseille ainsi de
« se mirer à l'exe[m]ple de Sarra, Rebecca,
Rachel, Anne, & autres matrones de l'ancien testament, &
mesme du Paganisme, comme à Hecuba, Royne de
667Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.96.
668Didier LETT, Marie-France MOREL, op. cit.
[note n°650], p.65.
669Ibid., p.66.
670François LEBRUN, La vie
conjugale..., op. cit. [note n°346], p.123.
671Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.154.
672Didier LETT, Marie-France MOREL, op. cit.
[note n°650], p.66.
673Marie-Claude DELAHAYE, op. cit. [note
n°654], p.24.
674Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.96.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 142 -
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 143 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
Troye, lesquelles ont mieux aimé nourrir leurs enfans,
que les bailler à nourrices mercenaires »675. Il est
encore une fois visible que le franciscain utilise de grands noms afin
d'appuyer son propos : Sara, femme d'Abraham et Anne, femme d'Elqana, sont
effectivement présentées dans la Bible en train d'allaiter leurs
enfants Isaac676 et Samuel677. Nous n'avons cependant
trouvé aucune mention d'allaitement pour Rébecca ou Rachel.
Benedicti mêle les noms de femmes célèbres pour leur
descendance. Il place, intentionnellement ou non, les noms de Rébecca et
de Rachel, dont l'allaitement n'est pas mentionné, entre les noms de
Sara et d'Anne : le lecteur peut ainsi se persuader de la
véracité de tous les exemples. Le cas d'Hécube est plus
surprenant. Reine de Troie et femme de Priam, elle aurait eu dix-neuf enfants
de son mari. Tout comme Rébecca et Rachel, nous n'avons pas pu trouver
la preuve qu'elle aurait allaité ses enfants. Néanmoins, une
légende connue dit que Pâris, son cadet, fut allaité par
une ourse après avoir été abandonné par ses parents
dans la montagne. Les modèles donnés aux femmes semblent donc
être des figures d'autorité. Ils ne devraient pas être remis
en cause. Leur utilisation montre cependant que la vérité
biblique ou historique est parfois forcée pour justifier le propos.
Benedicti complète l'exemple de ces modèles par la
présentation de certains droits qui devraient encourager les femmes
à allaiter. En effet, il excuse « les nourrices qui ne peuuent
laisser leurs nourrissons »678 si ces dernières manquent
la messe. De même les nourrices n'ont pas obligation de
jeûner679. Il est remarquable ici que le franciscain emploie
le mot de « nourrice » tandis qu'il cherche par ailleurs à
encourager les femmes à accepter leurs responsabilités
maternelles. Cela est peut-être dû au fait qu'il connaisse bien les
usages de la société de son temps. Il existe une interdiction qui
est néanmoins faite aux mères comme aux nourrices : mettre son
enfant à dormir à côté d'elles pour ne pas
être réveillées par ses cris ou pour ne pas avoir froid au
moment de l'allaiter. Benedicti rappelle que les femmes risquent par cette
pratique de « suffoquer » leur enfant680. François
Lebrun explique que « [l]'insistance avec laquelle les autorités
civiles et ecclésiastiques rappellent cette interdiction, du
XVIe à la fin du XVIIIe, prouve qu'il s'agit d'une
habitude très enracinée, en dépit des risques
évidents qu'elle fait courir aux nourrissons »681. Si
cette pratique est vue par certains historiens comme une forme d'infanticide
acceptée, d'autres y décèlent la preuve de l'amour de la
mère, qui préfère garder son enfant au chaud contre elle
plutôt que de le laisser dans un
675Ibid., p.96.
676Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Genèse, 21, 7.
677Ibid., 1 Samuel, 1, 23.
678Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.196.
679Ibid., p.201.
680Ibid., p.109.
681François LEBRUN, Marc VENARD, Jean
QUENIART, Histoire de l'enseignement..., op. cit. [note
n°598], p.60.
berceau que bien des familles ne possèdent d'ailleurs
pas. De plus, lorsque l'enfant pleure, sa mère le prend tout de suite
dans ses bras. En effet, les parents redoutent les convulsions qu'on ne sait
pas soigner. Les enfants sont donc toujours proches de la femme, de jour comme
de nuit.
Après le temps de l'allaitement vient celui de
l'éducation du jeune enfant.