Dans certaines expressions de Benedicti, la peur de la femme
tentatrice transparaît. Au-delà de sa beauté, dont nous
venons de voir qu'elle est mise en valeur, c'est par diverses attitudes
corporelles que la femme semble menaçante. Menaçante et
dangereuse tant pour elle-même, qui pèche dans ces attitudes, que
pour ceux qu'elle entraîne à sa suite dans la chute. Nous allons
voir ci-après que Benedicti se méfie du contact avec la femme
mais aussi simplement des regards échangés avec elle par les
hommes. Il semble que la danse soit particulièrement condamnable du fait
même de l'alliance de ces diverses tentations.
Au chapitre intitulé « De l'attouchement »,
Benedicti aborde la question du danger que représente pour l'homme tout
contact physique avec une femme. Les « baisers & attouchemens
impudiques, ils sont illicites & dangereux & principalement
783Ibid., p.97.
784Ibid., p.250. 785Ibid., p.252.
786Ibid., p.627.
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ceux qui se font en la personne d'vne femme
»787. Jean-Claude Bologne souligne que «
[l]'étreinte et le baiser deviennent plus fréquents, et plus
explicites »788 au XVIe siècle.
Néanmoins, ces contacts sont dangereux car « qui taschera de
retenir [la femme], fait co[m]me celuy qui apprehe[n]de789 le
scorpion, ou le serpent ». La femme apparaît donc comme un animal
dangereux susceptible de piquer et d'insuffler son venin dans les veines de
l'homme. La femme est vénéneuse aux yeux de Benedicti et les
hommes doivent s'en protéger. Le franciscain donne l'exemple notamment
d'un « Ermite estant vne fois co[n]traint de porter sa mere pour la passer
le fleuue, couurit ses mains de mitaines de peur de toucher sa chair lequel
estant d'elle interrogé, pourquoy il auoit fait cela, il respondit que
la chair de la femme est vn feu, & les mains de l'homme
l'estoupe790, pour autant dit il à sa mere, ie craignoye en
vous touchant qu'il ne me suruint quelque mauuaise pensee des autres femmes
»791. Il s'appuie ensuite sur l'exemple de saint Léon
Pape qui se serait coupé une main après qu'une « femme lui
déposa un baiser sur la main, ce qui fit naître en lui une
véhémente tentation charnelle »792. Sa main lui
est ensuite heureusement « restituee par le moye[n] de la vierge Marie
»793. Cette histoire semble proposer aux hommes de se mutiler
plutôt que de céder au péché, tout en ayant l'espoir
de retrouver leur intégrité physique par la suite. Le
récit du martyre d'un homme introduit un nouveau degré de
violence fait à son corps. En effet, « ce triomphant martyr, lequel
estant attaché par le commandement du tyran sur vn beau lict orné
& tapissé, & se voyant impudiquement touché &
manié par vne femme qui esmouuoit sa chair à luxure, ayma mieux
(autrement il ne se pouuoit defendre) se trancher à belles dents la
langue, & la ietter contre la face de la putain, que de se laisser
emflamber par attouchemens impudiques »794. La gradation
introduite par Benedicti cherche à montrer que plus le contact est en
quelque sorte impur, plus l'auto-pénitence que s'infligent ces hommes
est grande car, hommes de Dieu, ils connaissent la véritable nature de
la femme et du péché. En effet, l'ermite a choisi de s'isoler
dans un monde plus spiritualisé, l'évêque est un ministre
du culte tandis que le martyr est prêt à mourir pour
défendre sa foi. L'histoire de l'ermite Martinien de
Césarée est aussi
787Ibid., p.526.
788Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la
conquête amoureuse de l'Antiquité à nos jours, Paris,
Seuil, 2007 (coll. L'univers
historique), p.128.
789Appréhender a le sens de « se saisir
de ».
790L'étoupe est de la filasse de chanvre ou de
lin.
791Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.526.
792Jacques de VORAGINE, op. cit. [note
n°295], p.310.
793Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.527.
794Ibid., p.527. Benedicti attribue ce
martyre à Nicétas de Goth (p.105) mais nous n'avons pas
trouvé de récit confirmant cette
association. L'histoire est néanmoins racontée
dans La Légende dorée. Le martyre de ce chrétien
aurait incité saint Paul, connu
comme étant le tout premier ermite, à se retirer du
monde, afin de ne pas subir les mêmes tourments. (Jacques de VORAGINE,
op. cit. [note n°295], p.83).
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Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
racontée afin de montrer le pouvoir de
séduction de la femme et le danger qu'il y a à se laisser toucher
par elle. Ce dernier, « voyant qu'vne femme estoit venuë en son
ermitage pour le desbaucher, se ietta dedans le feu ardant, mieux aimant estre
bruslé de feu materiel qui prend fin, que d'estre tourme[n]té au
feu infernal, qui est inextinguible »795. Cette femme
s'était introduite dans l'ermitage de Martinien sous prétexte de
s'être perdue. Elle était en réalité envoyée
par le diable et Martinien, se recommandant à Dieu avant de
pécher avec elle, reçoit du secours de sa part. Les hommes
peuvent donc recourir à Dieu lorsqu'une femme les tente dans le but de
les faire déchoir.
Ici, le contact était en quelque sorte provoqué
par la femme. Néanmoins, afin de se prémunir de toute mauvaise
pensée et de toute tentation, l'homme doit soigneusement éviter
les occasions de toucher le corps de la femme. Benedicti accepte « qu'on
peut bien licitement se resiouyr en la veue d'vne belle femme, sans toutesfois
la desirer : mais non pas en l'attouchement d'icelle, lequel est bien plus
perilleux que la veue »796. Le franciscain explique donc au
prêtre qui « a de coustume de fouëtter les espaules toutes
nües du penitent pe[n]dant qu'on dit le Pseaume, les oraisons & qu'il
donne l'absolution » que « [c]ela n'est pas toutesfois tant
necessaire, qu'on ne le puisse bien obmettre, principalement si c'est vne femme
qu'on absout »797. Se voient ici une sorte de charité de
la part du confesseur, qui réprouve peut-être les pratiques trop
violentes de pénitence, mais aussi la peur que le prêtre voit les
épaules nues de la pénitente et qu'il en ressente une tentation
propre à le faire pécher. Contact indirect par le biais du fouet
et interaction du regard rendent cette pratique dangereuse. De même,
l'absolution du fidèle, lorsqu'il est pardonné de ses fautes,
suppose d'« imposer la main ou bie[n] les deux, comme font aucuns, sur la
teste du penitent ». Benedicti précise : « Il est bien vray
que telle imposition de mains n'est pas necessaire : signamment quand c'est vne
femme ieune, belle, delicate & bien ornee [...] »798. Le
contact direct avec la pénitente est ici aussi réprouvé
afin de prévenir toute tentative de séduction de la part de la
femme mais aussi toute tentation du prêtre.
Si le contact tendait plus à la faute selon une
citation précédente de Benedicti, de nombreuses mentions montrent
que le regard est bien défini comme un vecteur de tentation et donc de
péché. L'avis du franciscain est que « la plus dangereuse
[occasion de luxure], c'est la trop grande familiarité &
conuersation auec les femmes : ce qui a esté la ruyne de plusieurs : car
comme dit l'autre Poëte, La femme brusle en regardant : ce
795Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.142.
796Ibid., p.527. 797Ibid., p.670.
798Ibid., p.671.
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qui s'entend actiueme[n]t & passiuement, c'est à
dire, elle se brusle, & brusle les autres, elle en regardant, &
l'ho[m]me en la voyant ». Ainsi, parler avec une femme, c'est s'exposer
à son pouvoir de séduction. La femme semble introduire le feu du
péché en l'homme par le biais de son regard. C'est pourquoi
pèche « l'homme qui regarde attentiuement la femme pour la
conuoiter, & la femme l'homme, il laisse entrer la mort en son ame par la
fenestre de ses yeux »799. Ève elle-même avait
péché par le regard « qui voya[n]t le fruict deffendu en eut
enuie »800. Plusieurs exemples d'hommes ayant
péché en regardant une femme sont pris par le confesseur. Ainsi,
« Dauid, qui ayant ietté ses yeux sur Bethsabee l'a voulu auoir, en
[sic] deux vieillards qui par leurs yeux desirerent la belle Susanne
»801 mais aussi « Ruben le premier enfant de Jacob [qui]
offensa grandement par la veue, lors qu'il apperceut Bala concubine de son
Pere, qui toute nue se lauoit en vn bain, dequoy estant par apres griefuement
tenté, il chercha tous les moyens d'auoir afaire auec elle : ce qu'il
accomplit vn iour qu'il la trouua prise de vin. Ainsi il souilla la couche de
son Pere, duquel il receut malediction, à cause dequoy il perdit le
droit de primogeniture qui fut baillé aux enfans de Joseph son frere
»802. Toutes ces histoires sont issues du texte biblique et
rappellent aux lecteurs comment furent punis les protagonistes. David qui
envoie le mari de Bethsabée à la mort paie son
péché par la perte de leur premier enfant. Les deux accusateurs
de Suzanne sont mis à mort après la découverte de leur
fausse accusation. Enfin, Ruben perd son droit d'aînesse et sa
descendance est condamnée à rester limitée. Ces
récits doivent inciter les hommes à réfléchir aux
conséquences qu'un seul regard peut entraîner.
Les remèdes à ces tentations sont les
mêmes que pour ce qui est du toucher : il faut absolument éviter
de regarder une femme. C'est pourquoi le confesseur est invité à
ne pas « regarder [le pénitent] en face lors qu'il se confesse, ne
permettre aussi d'estre regardé de luy principalement si c'est vne femme
»803. Benedicti se méfie en effet de la femme « qui
viendroit à confesse pour tenter le prestre, & l'inciter à
mauuais desirs »804. S'il est déjà trop tard, les
hommes peuvent suivre le modèle d'« Auianus Euesque d'Alexandre qui
s'arracha vn oeil, par lequel il auoit desiré vne femme
»805. Benedicti rappelle en plusieurs endroits de son ouvrage
qu'afin d'éviter toute tentation, il faut « [e]uiter la co[m]pagnie
& familiarité des femmes »806. Si les regarder
pousse à pécher,
799Ibid., p.524.
800Ibid., p.524. 801Ibid., p.524.
802Ibid., p.525. 803Ibid., p.627.
804Ibid., p.679. 805Ibid., p.105.
806Ibid., p.105.
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Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
les toucher semble plus dommageable mais leur parler aussi
peut faire glisser l'homme vers la chute. Il ne faudrait « nous arrester
au milieu des fe[m]mes car leurs paroles [...] sont plus coula[n]tes que
l'huyle : mais en la fin sont des fleches asserees pour tuer dit Dauid »,
il y a un réel danger à « pre[n]dre trop gra[n]d plaisir
à iazer, rire & caqueter auec la femme, soit bonne, ou mauuaise
»807. Benedicti présente ici un tableau sombre de la
femme et insiste auprès des hommes : « Que si les saincts Peres
nous admonnestent d'euiter la familiarité de celles qui sont vertueuses,
combien deuons nous soigneusement fuyr la conuersation de celles qui sont
mondaines & desbauchees ? Ce sont les Sirenes, lesquels par leur chant
melodieux & attractif enchantent les hommes, & finalement les
precipite[n]t en vn dangereux naufrage »808. La peur de la
femme séductrice se reflète ici. Elle peut s'expliquer par les
divers modèles de tentatrices qui existent dans le livre de
référence des catholiques.
Ève est bien sûr la figure par excellence de la
tentation : à la fois tentée, séduite puis tentatrice,
elle incarne le mal qui mène à la chute de l'homme.
L'interprétation qui a été faite de la Genèse
explique en grande part la place de la femme dans la société du
XVIe siècle. Benedicti, inventant le discours tenu par le
serpent à Ève, montre comment cette dernière a pu
être tentée par lui : « Dieu ne vous aime pas, ains il vous
hait, il vous porte enuie, ayant peur que vous soyez participa[n]s de sa
science. Et pour autant qu'il sçait que tout ente[n]dement raisonnable
peut compre[n]dre tout ce qui est intelligible, il veut vous empescher de
paruenir au souuerain de la science, comme aussi il m'a voulu empescher moy
estant au ciel auec luy. Ainsi tu peux connoistre dit-il à Eue le tort
qu'il fait à toy & à ton mary »809. Benedicti
présente ici un discours de la séduction, jouant sur le sentiment
d'injustice et de curiosité du destinataire. Ève ainsi
séduite, tentée par le serpent, commet plusieurs
péchés : « Nostre mere Eue commist premierement le
peché en son coeur, en presumant de soy & desirant du fruict, qui
fut le peché du coeur, & puis persuada à son mary d'en
ma[n]ger, disant qu'il n'y auoit tant de mal comme il pensoit, ains que s'il en
mangeoit il auroit le sçauoir du Pere & du Fils & du sainct
Esprit : ce que veut signifier le mot Elohim : car notez que Satan la
feist tomber en heresie pour la persuader à son mary, qui fut le
peché de la bouche, & finalement en mangea, qui fut le peché
de l'oeuure »810. Le chemin de la tentation est donc bien
déterminé. Il passe par le coeur, séduit, puis par l'acte
qui fait tomber totalement dans le péché. Si Ève n'avait
été que séduite, la faute aurait été moins
grande. Néanmoins, Adam se résout à « manger du
807Ibid., p.347.
808Ibid., p.348. 809Ibid., p.2.
810Ibid., p.187.
fruict defendu, pour complaire à vne creature, qui
estoit Eue »811. Cette dernière a réussi assez
facilement à convaincre Adam de croquer lui aussi dans la pomme.
Trompée par les diables812, elle devient diable à son
tour lorsqu'elle trompe Adam. D'autres figures connues sont aussi
appelées par Benedicti quand il interpelle les hommes ainsi, citant
saint Jérôme : « Ne demeure point, dit-il, auec
la femme en vne mesme maison, en te confiant de ta chasteté. Es tu plus
fort que Sanson ? Plus sainct que Dauid ? Plus sage que Salomon, &c
»813. Samson s'amourache de Dalila, à qui il
révèle le secret de sa force. Celle-ci use de séduction
avec lui car il ne souhaite pas lui apprendre d'où vient sa force.
Néanmoins, après plusieurs tentatives, elle obtient de lui ce
qu'elle veut et elle le fait livrer à ses ennemis, ce qui entraîne
sa mort. David, père de Salomon, pécha avec Bethsabée et
en fut puni. Salomon subit lui aussi les foudres divines pour s'être
laissé séduire par des femmes. Benedicti dit à son propos
: « Il est escrit de luy que son esprit deuint tout aliené par
ceste pestilence [sic] luxure qu'il exerçoit auec ses putains :
voire iusques à delaisser la vraye religion, & en embrasser vne
fausse, comme ont fait nos ministres de France814
»815. Salomon aurait eu « sept cents épouses de
rang princier et trois cents concubines »816. Ces femmes
apportent le culte de leur pays d'origine. Le roi accepte et favorise ces
cultes dont celui de la déesse Astarté, divinité à
l'origine des figures d'Aphrodite et de Vénus. Son culte aurait abouti
à des prostitutions sacrées, ce qui attire la colère
divine sur Salomon. Des modèles non bibliques sont aussi utilisés
afin d'inciter l'homme à se méfier des tentatrices. Ainsi, Venus
est constamment dénigrée comme étant la divinité de
l'amour, de la séduction. Elle est associée au nom de Didon, qui
s'est tuée de désespoir après le départ de son
amant, Énée. La séductrice Venus, à qui Benedicti
reconnaît un rôle dans la procréation817, est
cependant abaissée au rang de « dangereuse paillarde
»818. Le spectacle de ces femmes tentatrices qui ont
mené à la perte de beaucoup d'hommes devrait inciter ces derniers
à être plus prudents à leur abord.
Une des activités dénoncées par
Benedicti est la danse, qui joint tout à la fois le contact physique
auquel la sévère morale de l'époque « donne du prix
»819 et l'échange de regards. Le confesseur rappelle que
« les femmes feroie[n]t mieux de filler à leur
811Ibid., p.186.
812Ibid., p.249.
813Ibid., p.348.
814Allusion aux « ministres du culte »
protestants.
815Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.346.
816Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], I, Rois, XI, 3.
817Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.375.
818Ibid., p.345.
819Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la
conquête amoureuse..., op. cit. [note n°788],
p.133.
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Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
quenouille le iour du Dima[n]che, que de sauter & danser
impudiquement »820. Jean-Claude Bologne explique que la «
danse s'érotise au XVIe siècle, permettant des baisers
... ou des visions subreptices ! "On sautille et gambade, lançant sa
cavalière si haut qu'on voit ses jambes, sans parler d'autre chose"
»821. De plus, aux « XVe-XVIe
siècles apparaissent des danses de couple, basses danses, pavanes,
allemandes, voltes ... Même si le couple est ouvert et que l'on ne peut
enlacer sa cavalière, il s'agit d'une évolution dans les rapports
entre les sexes que permet la danse, "seule occasion régulière
pour les jeunes gens de s'approcher et de se toucher en simulant un
couple" »822. C'est peut-être pourquoi Benedicti
précise qu'il « faut danser honnestement, & non point à
la façon du iourd'huy, lors qu'on fait faire la volte &
madrigalle à ces dames et damoiselles, qui monstrent bien souue[n]t
leur braguettes & haut de chausses : chose du tout indecente à
personnes d'honneur »823. La volte est une « danse
populaire, d'origine provençale, qui pourrait être l'une des
premières formes de la valse. Elle est donc à trois temps de
tempo rapide, et fait partie des hautes danses, entendons des danses
sautées »824. Jean-Claude Bologne souligne de plus qu'il
s'agit d'une « danse de couple fermé, enlacée et rapide
»825. Le madrigal est une sorte de poème chanté,
issu de la tradition des troubadours médiévaux, et qui eut un
grand succès à la Renaissance. La braguette est un vêtement
qui recouvre les parties génitales de la personne qui le porte mais il
s'agissait d'un attribut essentiellement masculin au XVIe
siècle. Les hauts de chausses étaient quant à eux de
courts pantalons qui allait de la ceinture aux genoux. Le fait que les hommes
puissent voir aussi haut sous les robes des femmes était
considéré comme une chose indécente. La volte
provençale est aussitôt vue par l'Église comme « une
danse de sorciers, symbole de l'accouplement avec Satan »826.
Benedicti accepte une danse sage et précise qu'« [i]l n'y faut pas
vser de chansons d'amour & d'impudicité : abus qui se commet le plus
souue[n]t, & qui donne occasio[n] à plusieurs d'entrer en vaines
pe[n]sees, & mauuais desirs »827. Dans les madrigaux,
« la musique est entonnée par un meneur, mais le refrain est repris
par les danseurs. Un regard appuyé, une mimique suggestive, persuadent
la partenaire que l'on partage les sentiments qui y sont exprimés
»828. Un autre conseil est de ne « pas danser par mauuaise
intention, sçauoir
820Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.583.
821Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la
conquête amoureuse..., op. cit. [note n°788],
p.134.
822Ibid., p.134.
823Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.372.
824Pierre-Paul LACAS, « VOLTA ou VOLTE, danse
», Encyclopaedia Universalis, [disponible en ligne sur
<
http://www.universalis.fr/encyclopedie/volta-volte/>]
(consulté le 02 avril 2013). Ce lien mène à une
vidéo du groupe Lei
Tambourinaire de Sant Sumian interprêtant une volte : <
http://www.youtube.com/watch?v=RJanisNOajs>
825Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la
conquête amoureuse..., op. cit. [note n°788],
p.135.
826Ibid., p.135.
827Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.372.
828Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la
conquête amoureuse..., op. cit. [note n°788],
p.134.
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est, pour attirer les personnes à concupiscence, ou
pour quelqu'autre mauuaise fin, co[m]me feit la fille d'Herodias, pour occasion
de laquelle fut decapité sainct Iean »829. La vision
qu'a l'Église de la danse est donc en décalage avec ces danses
qui permettent « de toucher l'épaule de la cavalière, de lui
faire du pied, de converser avec elle »830. Le meurtre que
Salomé obtint par sa danse reste dans les mémoires des religieux
et permet de montrer un exemple flagrant des conséquences possibles de
cette pratique. Afin d'écarter les femmes du bal, ou d'inciter leurs
maris à les y surveiller, Benedicti conclut : « Plusieurs
auiourd'huy dressent le bal, mais c'est pour attraper la proye : & Dieu
sçayt le bel honneur qu'en rapportent les dames & ieunes filles qui
s'y trouuent : Il y en a eu autres fois qui ne s'en sont pas retournees si
pucelles que quand elles sortirent du ventre de leurs meres
»831. Le bal est donc présenté comme un lieu de
débauche où les femmes séductrices trouveront des hommes
prêts à pécher mais aussi où elles sont
elles-mêmes en danger de se laisser aller à la tentation. Les
hommes y sont incités à pécher par le regard, eux qui
viennent « veoir curieusement les femmes & les desirer
»832 . Bien que « l'homme doi[ve] estre plus vertueux que
la femme »833, « si esta[n]t vaincu par force de la
tentation, il vint à co[n]sentir au peché qu'il eut à tout
le moins patience deuant que de commettre le peché, afin de dire
quelques oraisons, si par aduenture Dieu auroit pitié de luy
»834. L'homme a pour lui un argument qui l'empêche
d'être si coupable s'il cède à la femme tentatrice : cela
serait inscrit dans son nom latin même : « M.V.L.I.E.R. M.1. La
femme mauuaise est le mal des maux V. la vanité des vanitez. L. luxure
des luxures. I. la cholere des choleres. E, la furie des furies & R. la
ruyne des Royaume »835.
Ainsi, tout contact avec la femme apparaît dangereux
dans le discours de Benedicti car nécessairement porteur d'une
tentation. La femme séductrice ne saurait que trop bien comment attirer
l'homme à elle et le pousser à pécher. Le regard, la
parole, le contact physique semblent tous pouvoir brûler sur place
l'homme peu prudent face à une tentatrice sans scrupule. La pudeur qu'on
lui accorde si facilement est donc le véritable comportement que l'on
attend d'elle. De même, le silence serait une qualité rare chez la
femme comme nous allons le montrer.
829Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.372.
830Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la conquête
amoureuse..., op. cit. [note n°788], p.134-135.
831Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede
d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.372.
832Ibid., p.249. 833Ibid., p.652.
834Ibid., p.674. 835Ibid., p.348.
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Femmes et société dans le manuel de
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