WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le regard porté sur les femmes par le franciscain Jean Benedicti à  travers son manuel de confession "la somme des pechez et le remede d'icevx" (1595, réédition )

( Télécharger le fichier original )
par Lucie HUMEAU
Lyon  - Master 1 2013
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Danse et tentation : la femme vecteur du péché.

Dans certaines expressions de Benedicti, la peur de la femme tentatrice transparaît. Au-delà de sa beauté, dont nous venons de voir qu'elle est mise en valeur, c'est par diverses attitudes corporelles que la femme semble menaçante. Menaçante et dangereuse tant pour elle-même, qui pèche dans ces attitudes, que pour ceux qu'elle entraîne à sa suite dans la chute. Nous allons voir ci-après que Benedicti se méfie du contact avec la femme mais aussi simplement des regards échangés avec elle par les hommes. Il semble que la danse soit particulièrement condamnable du fait même de l'alliance de ces diverses tentations.

Au chapitre intitulé « De l'attouchement », Benedicti aborde la question du danger que représente pour l'homme tout contact physique avec une femme. Les « baisers & attouchemens impudiques, ils sont illicites & dangereux & principalement

783Ibid., p.97. 784Ibid., p.250. 785Ibid., p.252. 786Ibid., p.627.

Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 159 -

ceux qui se font en la personne d'vne femme »787. Jean-Claude Bologne souligne que « [l]'étreinte et le baiser deviennent plus fréquents, et plus explicites »788 au XVIe siècle. Néanmoins, ces contacts sont dangereux car « qui taschera de retenir [la femme], fait co[m]me celuy qui apprehe[n]de789 le scorpion, ou le serpent ». La femme apparaît donc comme un animal dangereux susceptible de piquer et d'insuffler son venin dans les veines de l'homme. La femme est vénéneuse aux yeux de Benedicti et les hommes doivent s'en protéger. Le franciscain donne l'exemple notamment d'un « Ermite estant vne fois co[n]traint de porter sa mere pour la passer le fleuue, couurit ses mains de mitaines de peur de toucher sa chair lequel estant d'elle interrogé, pourquoy il auoit fait cela, il respondit que la chair de la femme est vn feu, & les mains de l'homme l'estoupe790, pour autant dit il à sa mere, ie craignoye en vous touchant qu'il ne me suruint quelque mauuaise pensee des autres femmes »791. Il s'appuie ensuite sur l'exemple de saint Léon Pape qui se serait coupé une main après qu'une « femme lui déposa un baiser sur la main, ce qui fit naître en lui une véhémente tentation charnelle »792. Sa main lui est ensuite heureusement « restituee par le moye[n] de la vierge Marie »793. Cette histoire semble proposer aux hommes de se mutiler plutôt que de céder au péché, tout en ayant l'espoir de retrouver leur intégrité physique par la suite. Le récit du martyre d'un homme introduit un nouveau degré de violence fait à son corps. En effet, « ce triomphant martyr, lequel estant attaché par le commandement du tyran sur vn beau lict orné & tapissé, & se voyant impudiquement touché & manié par vne femme qui esmouuoit sa chair à luxure, ayma mieux (autrement il ne se pouuoit defendre) se trancher à belles dents la langue, & la ietter contre la face de la putain, que de se laisser emflamber par attouchemens impudiques »794. La gradation introduite par Benedicti cherche à montrer que plus le contact est en quelque sorte impur, plus l'auto-pénitence que s'infligent ces hommes est grande car, hommes de Dieu, ils connaissent la véritable nature de la femme et du péché. En effet, l'ermite a choisi de s'isoler dans un monde plus spiritualisé, l'évêque est un ministre du culte tandis que le martyr est prêt à mourir pour défendre sa foi. L'histoire de l'ermite Martinien de Césarée est aussi

787Ibid., p.526.

788Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la conquête amoureuse de l'Antiquité à nos jours, Paris, Seuil, 2007 (coll. L'univers

historique), p.128.

789Appréhender a le sens de « se saisir de ».

790L'étoupe est de la filasse de chanvre ou de lin.

791Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.526.

792Jacques de VORAGINE, op. cit. [note n°295], p.310.

793Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.527.

794Ibid., p.527. Benedicti attribue ce martyre à Nicétas de Goth (p.105) mais nous n'avons pas trouvé de récit confirmant cette

association. L'histoire est néanmoins racontée dans La Légende dorée. Le martyre de ce chrétien aurait incité saint Paul, connu

comme étant le tout premier ermite, à se retirer du monde, afin de ne pas subir les mêmes tourments. (Jacques de VORAGINE,

op. cit. [note n°295], p.83).

Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 160 -

Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 161 -

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

racontée afin de montrer le pouvoir de séduction de la femme et le danger qu'il y a à se laisser toucher par elle. Ce dernier, « voyant qu'vne femme estoit venuë en son ermitage pour le desbaucher, se ietta dedans le feu ardant, mieux aimant estre bruslé de feu materiel qui prend fin, que d'estre tourme[n]té au feu infernal, qui est inextinguible »795. Cette femme s'était introduite dans l'ermitage de Martinien sous prétexte de s'être perdue. Elle était en réalité envoyée par le diable et Martinien, se recommandant à Dieu avant de pécher avec elle, reçoit du secours de sa part. Les hommes peuvent donc recourir à Dieu lorsqu'une femme les tente dans le but de les faire déchoir.

Ici, le contact était en quelque sorte provoqué par la femme. Néanmoins, afin de se prémunir de toute mauvaise pensée et de toute tentation, l'homme doit soigneusement éviter les occasions de toucher le corps de la femme. Benedicti accepte « qu'on peut bien licitement se resiouyr en la veue d'vne belle femme, sans toutesfois la desirer : mais non pas en l'attouchement d'icelle, lequel est bien plus perilleux que la veue »796. Le franciscain explique donc au prêtre qui « a de coustume de fouëtter les espaules toutes nües du penitent pe[n]dant qu'on dit le Pseaume, les oraisons & qu'il donne l'absolution » que « [c]ela n'est pas toutesfois tant necessaire, qu'on ne le puisse bien obmettre, principalement si c'est vne femme qu'on absout »797. Se voient ici une sorte de charité de la part du confesseur, qui réprouve peut-être les pratiques trop violentes de pénitence, mais aussi la peur que le prêtre voit les épaules nues de la pénitente et qu'il en ressente une tentation propre à le faire pécher. Contact indirect par le biais du fouet et interaction du regard rendent cette pratique dangereuse. De même, l'absolution du fidèle, lorsqu'il est pardonné de ses fautes, suppose d'« imposer la main ou bie[n] les deux, comme font aucuns, sur la teste du penitent ». Benedicti précise : « Il est bien vray que telle imposition de mains n'est pas necessaire : signamment quand c'est vne femme ieune, belle, delicate & bien ornee [...] »798. Le contact direct avec la pénitente est ici aussi réprouvé afin de prévenir toute tentative de séduction de la part de la femme mais aussi toute tentation du prêtre.

Si le contact tendait plus à la faute selon une citation précédente de Benedicti, de nombreuses mentions montrent que le regard est bien défini comme un vecteur de tentation et donc de péché. L'avis du franciscain est que « la plus dangereuse [occasion de luxure], c'est la trop grande familiarité & conuersation auec les femmes : ce qui a esté la ruyne de plusieurs : car comme dit l'autre Poëte, La femme brusle en regardant : ce

795Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.142. 796Ibid., p.527. 797Ibid., p.670. 798Ibid., p.671.

Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 162 -

qui s'entend actiueme[n]t & passiuement, c'est à dire, elle se brusle, & brusle les autres, elle en regardant, & l'ho[m]me en la voyant ». Ainsi, parler avec une femme, c'est s'exposer à son pouvoir de séduction. La femme semble introduire le feu du péché en l'homme par le biais de son regard. C'est pourquoi pèche « l'homme qui regarde attentiuement la femme pour la conuoiter, & la femme l'homme, il laisse entrer la mort en son ame par la fenestre de ses yeux »799. Ève elle-même avait péché par le regard « qui voya[n]t le fruict deffendu en eut enuie »800. Plusieurs exemples d'hommes ayant péché en regardant une femme sont pris par le confesseur. Ainsi, « Dauid, qui ayant ietté ses yeux sur Bethsabee l'a voulu auoir, en [sic] deux vieillards qui par leurs yeux desirerent la belle Susanne »801 mais aussi « Ruben le premier enfant de Jacob [qui] offensa grandement par la veue, lors qu'il apperceut Bala concubine de son Pere, qui toute nue se lauoit en vn bain, dequoy estant par apres griefuement tenté, il chercha tous les moyens d'auoir afaire auec elle : ce qu'il accomplit vn iour qu'il la trouua prise de vin. Ainsi il souilla la couche de son Pere, duquel il receut malediction, à cause dequoy il perdit le droit de primogeniture qui fut baillé aux enfans de Joseph son frere »802. Toutes ces histoires sont issues du texte biblique et rappellent aux lecteurs comment furent punis les protagonistes. David qui envoie le mari de Bethsabée à la mort paie son péché par la perte de leur premier enfant. Les deux accusateurs de Suzanne sont mis à mort après la découverte de leur fausse accusation. Enfin, Ruben perd son droit d'aînesse et sa descendance est condamnée à rester limitée. Ces récits doivent inciter les hommes à réfléchir aux conséquences qu'un seul regard peut entraîner.

Les remèdes à ces tentations sont les mêmes que pour ce qui est du toucher : il faut absolument éviter de regarder une femme. C'est pourquoi le confesseur est invité à ne pas « regarder [le pénitent] en face lors qu'il se confesse, ne permettre aussi d'estre regardé de luy principalement si c'est vne femme »803. Benedicti se méfie en effet de la femme « qui viendroit à confesse pour tenter le prestre, & l'inciter à mauuais desirs »804. S'il est déjà trop tard, les hommes peuvent suivre le modèle d'« Auianus Euesque d'Alexandre qui s'arracha vn oeil, par lequel il auoit desiré vne femme »805. Benedicti rappelle en plusieurs endroits de son ouvrage qu'afin d'éviter toute tentation, il faut « [e]uiter la co[m]pagnie & familiarité des femmes »806. Si les regarder pousse à pécher,

799Ibid., p.524. 800Ibid., p.524. 801Ibid., p.524. 802Ibid., p.525. 803Ibid., p.627. 804Ibid., p.679. 805Ibid., p.105. 806Ibid., p.105.

Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 163 -

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

les toucher semble plus dommageable mais leur parler aussi peut faire glisser l'homme vers la chute. Il ne faudrait « nous arrester au milieu des fe[m]mes car leurs paroles [...] sont plus coula[n]tes que l'huyle : mais en la fin sont des fleches asserees pour tuer dit Dauid », il y a un réel danger à « pre[n]dre trop gra[n]d plaisir à iazer, rire & caqueter auec la femme, soit bonne, ou mauuaise »807. Benedicti présente ici un tableau sombre de la femme et insiste auprès des hommes : « Que si les saincts Peres nous admonnestent d'euiter la familiarité de celles qui sont vertueuses, combien deuons nous soigneusement fuyr la conuersation de celles qui sont mondaines & desbauchees ? Ce sont les Sirenes, lesquels par leur chant melodieux & attractif enchantent les hommes, & finalement les precipite[n]t en vn dangereux naufrage »808. La peur de la femme séductrice se reflète ici. Elle peut s'expliquer par les divers modèles de tentatrices qui existent dans le livre de référence des catholiques.

Ève est bien sûr la figure par excellence de la tentation : à la fois tentée, séduite puis tentatrice, elle incarne le mal qui mène à la chute de l'homme. L'interprétation qui a été faite de la Genèse explique en grande part la place de la femme dans la société du XVIe siècle. Benedicti, inventant le discours tenu par le serpent à Ève, montre comment cette dernière a pu être tentée par lui : « Dieu ne vous aime pas, ains il vous hait, il vous porte enuie, ayant peur que vous soyez participa[n]s de sa science. Et pour autant qu'il sçait que tout ente[n]dement raisonnable peut compre[n]dre tout ce qui est intelligible, il veut vous empescher de paruenir au souuerain de la science, comme aussi il m'a voulu empescher moy estant au ciel auec luy. Ainsi tu peux connoistre dit-il à Eue le tort qu'il fait à toy & à ton mary »809. Benedicti présente ici un discours de la séduction, jouant sur le sentiment d'injustice et de curiosité du destinataire. Ève ainsi séduite, tentée par le serpent, commet plusieurs péchés : « Nostre mere Eue commist premierement le peché en son coeur, en presumant de soy & desirant du fruict, qui fut le peché du coeur, & puis persuada à son mary d'en ma[n]ger, disant qu'il n'y auoit tant de mal comme il pensoit, ains que s'il en mangeoit il auroit le sçauoir du Pere & du Fils & du sainct Esprit : ce que veut signifier le mot Elohim : car notez que Satan la feist tomber en heresie pour la persuader à son mary, qui fut le peché de la bouche, & finalement en mangea, qui fut le peché de l'oeuure »810. Le chemin de la tentation est donc bien déterminé. Il passe par le coeur, séduit, puis par l'acte qui fait tomber totalement dans le péché. Si Ève n'avait été que séduite, la faute aurait été moins grande. Néanmoins, Adam se résout à « manger du

807Ibid., p.347. 808Ibid., p.348. 809Ibid., p.2. 810Ibid., p.187.

fruict defendu, pour complaire à vne creature, qui estoit Eue »811. Cette dernière a réussi assez facilement à convaincre Adam de croquer lui aussi dans la pomme. Trompée par les diables812, elle devient diable à son tour lorsqu'elle trompe Adam. D'autres figures connues sont aussi appelées par Benedicti quand il interpelle les hommes ainsi, citant saint Jérôme : « Ne demeure point, dit-il, auec la femme en vne mesme maison, en te confiant de ta chasteté. Es tu plus fort que Sanson ? Plus sainct que Dauid ? Plus sage que Salomon, &c »813. Samson s'amourache de Dalila, à qui il révèle le secret de sa force. Celle-ci use de séduction avec lui car il ne souhaite pas lui apprendre d'où vient sa force. Néanmoins, après plusieurs tentatives, elle obtient de lui ce qu'elle veut et elle le fait livrer à ses ennemis, ce qui entraîne sa mort. David, père de Salomon, pécha avec Bethsabée et en fut puni. Salomon subit lui aussi les foudres divines pour s'être laissé séduire par des femmes. Benedicti dit à son propos : « Il est escrit de luy que son esprit deuint tout aliené par ceste pestilence [sic] luxure qu'il exerçoit auec ses putains : voire iusques à delaisser la vraye religion, & en embrasser vne fausse, comme ont fait nos ministres de France814 »815. Salomon aurait eu « sept cents épouses de rang princier et trois cents concubines »816. Ces femmes apportent le culte de leur pays d'origine. Le roi accepte et favorise ces cultes dont celui de la déesse Astarté, divinité à l'origine des figures d'Aphrodite et de Vénus. Son culte aurait abouti à des prostitutions sacrées, ce qui attire la colère divine sur Salomon. Des modèles non bibliques sont aussi utilisés afin d'inciter l'homme à se méfier des tentatrices. Ainsi, Venus est constamment dénigrée comme étant la divinité de l'amour, de la séduction. Elle est associée au nom de Didon, qui s'est tuée de désespoir après le départ de son amant, Énée. La séductrice Venus, à qui Benedicti reconnaît un rôle dans la procréation817, est cependant abaissée au rang de « dangereuse paillarde »818. Le spectacle de ces femmes tentatrices qui ont mené à la perte de beaucoup d'hommes devrait inciter ces derniers à être plus prudents à leur abord.

Une des activités dénoncées par Benedicti est la danse, qui joint tout à la fois le contact physique auquel la sévère morale de l'époque « donne du prix »819 et l'échange de regards. Le confesseur rappelle que « les femmes feroie[n]t mieux de filler à leur

811Ibid., p.186.

812Ibid., p.249.

813Ibid., p.348.

814Allusion aux « ministres du culte » protestants.

815Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.346.

816Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], I, Rois, XI, 3.

817Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.375.

818Ibid., p.345.

819Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la conquête amoureuse..., op. cit. [note n°788], p.133.

Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 164 -

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

quenouille le iour du Dima[n]che, que de sauter & danser impudiquement »820. Jean-Claude Bologne explique que la « danse s'érotise au XVIe siècle, permettant des baisers ... ou des visions subreptices ! "On sautille et gambade, lançant sa cavalière si haut qu'on voit ses jambes, sans parler d'autre chose" »821. De plus, aux « XVe-XVIe siècles apparaissent des danses de couple, basses danses, pavanes, allemandes, voltes ... Même si le couple est ouvert et que l'on ne peut enlacer sa cavalière, il s'agit d'une évolution dans les rapports entre les sexes que permet la danse, "seule occasion régulière pour les jeunes gens de s'approcher et de se toucher en simulant un couple" »822. C'est peut-être pourquoi Benedicti précise qu'il « faut danser honnestement, & non point à la façon du iourd'huy, lors qu'on fait faire la volte & madrigalle à ces dames et damoiselles, qui monstrent bien souue[n]t leur braguettes & haut de chausses : chose du tout indecente à personnes d'honneur »823. La volte est une « danse populaire, d'origine provençale, qui pourrait être l'une des premières formes de la valse. Elle est donc à trois temps de tempo rapide, et fait partie des hautes danses, entendons des danses sautées »824. Jean-Claude Bologne souligne de plus qu'il s'agit d'une « danse de couple fermé, enlacée et rapide »825. Le madrigal est une sorte de poème chanté, issu de la tradition des troubadours médiévaux, et qui eut un grand succès à la Renaissance. La braguette est un vêtement qui recouvre les parties génitales de la personne qui le porte mais il s'agissait d'un attribut essentiellement masculin au XVIe siècle. Les hauts de chausses étaient quant à eux de courts pantalons qui allait de la ceinture aux genoux. Le fait que les hommes puissent voir aussi haut sous les robes des femmes était considéré comme une chose indécente. La volte provençale est aussitôt vue par l'Église comme « une danse de sorciers, symbole de l'accouplement avec Satan »826. Benedicti accepte une danse sage et précise qu'« [i]l n'y faut pas vser de chansons d'amour & d'impudicité : abus qui se commet le plus souue[n]t, & qui donne occasio[n] à plusieurs d'entrer en vaines pe[n]sees, & mauuais desirs »827. Dans les madrigaux, « la musique est entonnée par un meneur, mais le refrain est repris par les danseurs. Un regard appuyé, une mimique suggestive, persuadent la partenaire que l'on partage les sentiments qui y sont exprimés »828. Un autre conseil est de ne « pas danser par mauuaise intention, sçauoir

820Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.583.

821Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la conquête amoureuse..., op. cit. [note n°788], p.134.

822Ibid., p.134.

823Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.372.

824Pierre-Paul LACAS, « VOLTA ou VOLTE, danse », Encyclopaedia Universalis, [disponible en ligne sur

< http://www.universalis.fr/encyclopedie/volta-volte/>] (consulté le 02 avril 2013). Ce lien mène à une vidéo du groupe Lei

Tambourinaire de Sant Sumian interprêtant une volte : < http://www.youtube.com/watch?v=RJanisNOajs>

825Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la conquête amoureuse..., op. cit. [note n°788], p.135.

826Ibid., p.135.

827Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.372.

828Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la conquête amoureuse..., op. cit. [note n°788], p.134.

Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 165 -

est, pour attirer les personnes à concupiscence, ou pour quelqu'autre mauuaise fin, co[m]me feit la fille d'Herodias, pour occasion de laquelle fut decapité sainct Iean »829. La vision qu'a l'Église de la danse est donc en décalage avec ces danses qui permettent « de toucher l'épaule de la cavalière, de lui faire du pied, de converser avec elle »830. Le meurtre que Salomé obtint par sa danse reste dans les mémoires des religieux et permet de montrer un exemple flagrant des conséquences possibles de cette pratique. Afin d'écarter les femmes du bal, ou d'inciter leurs maris à les y surveiller, Benedicti conclut : « Plusieurs auiourd'huy dressent le bal, mais c'est pour attraper la proye : & Dieu sçayt le bel honneur qu'en rapportent les dames & ieunes filles qui s'y trouuent : Il y en a eu autres fois qui ne s'en sont pas retournees si pucelles que quand elles sortirent du ventre de leurs meres »831. Le bal est donc présenté comme un lieu de débauche où les femmes séductrices trouveront des hommes prêts à pécher mais aussi où elles sont elles-mêmes en danger de se laisser aller à la tentation. Les hommes y sont incités à pécher par le regard, eux qui viennent « veoir curieusement les femmes & les desirer »832 . Bien que « l'homme doi[ve] estre plus vertueux que la femme »833, « si esta[n]t vaincu par force de la tentation, il vint à co[n]sentir au peché qu'il eut à tout le moins patience deuant que de commettre le peché, afin de dire quelques oraisons, si par aduenture Dieu auroit pitié de luy »834. L'homme a pour lui un argument qui l'empêche d'être si coupable s'il cède à la femme tentatrice : cela serait inscrit dans son nom latin même : « M.V.L.I.E.R. M.1. La femme mauuaise est le mal des maux V. la vanité des vanitez. L. luxure des luxures. I. la cholere des choleres. E, la furie des furies & R. la ruyne des Royaume »835.

Ainsi, tout contact avec la femme apparaît dangereux dans le discours de Benedicti car nécessairement porteur d'une tentation. La femme séductrice ne saurait que trop bien comment attirer l'homme à elle et le pousser à pécher. Le regard, la parole, le contact physique semblent tous pouvoir brûler sur place l'homme peu prudent face à une tentatrice sans scrupule. La pudeur qu'on lui accorde si facilement est donc le véritable comportement que l'on attend d'elle. De même, le silence serait une qualité rare chez la femme comme nous allons le montrer.

829Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.372. 830Jean-Claude BOLOGNE, Histoire de la conquête amoureuse..., op. cit. [note n°788], p.134-135. 831Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.372. 832Ibid., p.249. 833Ibid., p.652. 834Ibid., p.674. 835Ibid., p.348.

Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 166 -

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo