La femme est appelée à garder le silence car sa
parole est considérée comme nécessairement vaine. Elle ne
semble en effet capable que d'un bavardage futile qui la mène souvent
à la calomnie voire au mensonge. Nous allons voir comment sont
étudiés ces péchés par Benedicti et sur quels
modèles s'appuie ce dernier pour démontrer le danger qu'il y a
à ne pas tenir sa langue.
Le franciscain relate l'histoire qu'un « sainct Pere
» a écrit à propos « d'vne femme chaste toutesfois,
mais par trop addonnee au cacquet, laquelle apres sa mort fut apperceuë du
Secretain836 [sic] de l'Eglise, couppee d'vne scie par le
milieu du corps. Il refere encore le mesme d'vne ieune fille nommee
Muse, qui fut punie aussi pour ce mesme vice, auquel le sexe feminin
est communeme[n]t plus subiet que le masculin. Ces pauures femmes ne faisoient
conscience des petits pechez au commenceme[n]t, lesquels finalement vinrent
à grande consequence »837. Les préjugés
sur la nature bavarde des femmes sont ici présents. Verena Aebischer
affirme que le bavardage était considéré comme une oeuvre
du diable838. Puisque les femmes sont plus susceptibles d'être
tentées par le diable dans les mentalités du XVIe
siècle, nous pouvons y voir une explication à ce
préjugé. L'image de la femme coupée en deux peut renvoyer
aux deux tranchants du langage. En effet, Benedicti reprend à son compte
les affirmations du « sage Hierosolymitain839 Sidrach »
qui aurait dit : « La langue double a dechassé plusieurs femmes
de vertu, & les a priuees de leurs labeurs »840. La
langue double est celle qui « porte l'amer avec le doux, & le
venin auec le miel »841. L'homme qui entre dans le jeu du
bavardage avec une femme « se destourne de la co[n]te[m]plation des
choses celestes, & finalement tombe en enfer »842.
Cela peut se comprendre en étudiant la croyance selon laquelle « le
bavardage provoque la dissipation de l'intériorité : celui qui
parle beaucoup se disperse dans une multiplicité de communications avec
le monde et n'est plus capable de revenir à la vraie connaissance, qui
est purement intérieure »843. La femme, bavarde par
essence, peut donc difficilement se voir accorder un caractère
raisonnable puisqu'elle peine à se recentrer sur elle-même dans le
silence.
836Il s'agit peut-être ici d'une erreur de
l'imprimeur ou d'une faute de Benedicti qui parle sûrement du «
sacristain », personne
chargée de l'entretien de l'église et des objets
liturgiques.
837Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.552.
838Verena AEBISCHER, Les femmes et le langage :
représentations sociales d'une différence, Paris, PUF, 1985
(coll. Sociologie
d'aujourd'hui), p.19.
839Hierosolymitain signifie, « qui vient de
Jérusalem ».
840Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.529.
841Ibid., p.528.
842Ibid., p.347.
843Carla CASAGRANDE, Silvana VECCHIO, Les
péchés de la langue, Paris, Éditions du Cerf, 1991,
p.292.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 167 -
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 168 -
Il faut souligner aussi qu'en « s'abandonnant au flux des
mots, on en arrive à dire des paroles oiseuses et que de là on
passe inévitablement aux propos nuisibles. Lorsqu'on parle beaucoup, on
parle des faits concernant autrui, on tombe dans la calomnie, on en arrive
même aux injures »844. C'est ce que reproche Benedicti
aux femmes quand il raconte l'histoire d'une femme « qui esta[n]t
extremement ialouse de son mary, dit que sa voisine est mauuaise femme, en la
diffama[n]t sans aucun suffisant fondement »845. La calomnie
est ici le fruit de la jalousie, mais elle est permise par les bavardages
féminins qui entraînent cette diffamation. Les femmes sont
tellement bavardes qu'elles révèlent le contenu de leur
confession et cherchent à se faire révéler celle des
autres. Elles usent de ruses pour cela rappelle Benedicti qui fait le tableau
de ces « femmes assez malignes, qui vous diront, I'ay esté
à confesse à vn tel, lequel dit cecy & cela, ou m'a
interrogee des choses que iamais ie n'auoye ouyes, &c
»846. La calomnie est personnifiée sous la figure
d'une femme « laquelle demo[n]trant vn courroux furieux, traine de sa
main dextre vn pauure ieune garçon, qui te[n]d les bras au ciel,
implorant l'ayde des dieux, & en sa main senestre elle tient vne torche
ardente »847. La scène se poursuit
présentant « deux chambrieres qui viennent apres, qui sont
fallace848 & astuce »849. Ce sont donc les
femmes qui représentent le mieux ces défauts selon les hommes de
l'époque. Benedicti explique que le diable se mêle de porter le
désordre par le biais des femmes. Il raconte « qu'vne fois le
diable voyant qu'il n'auoit peu [sic] mettre debat entre vn mary &
sa femme, qui auoie[n]t demeuré l'espace de trente ans ensemble en bonne
paix, s'addressa à vne vieille maquerelle, laquelle paracheua ce qu'il
n'auoit peu [sic] faire. Et ente[n]dez comment. Cest instrument de
Lucifer rapporta au mary que sa femme ne luy estoit pas fidele, & puis va
rapporter tout le mesme à la femme, luy disant que son mary en aymoit
vne autre qu'elle. Or le soir estant venu, le mary comme[n]ce à regarder
sa femme d'vn mauuais oeil, & la femme aussi le mary : de sorte qu'ils
demeurere[n]t quelque temps sans auoir vne belle parole l'vn de l'autre.
Finalement la vieille voyant ceste pauure femme triste, luy conseilla de mettre
vn cousteau auec de l'eau beniste sous le coussin de son mary, luy faisant a
croire qu'apres qu'il auroit dormy dessus qu'il l'aymeroit pl[us] que iamais.
Ce qu'aya[n]t esté fait par la femme simple & trop credule, ceste
vieille (ô mescha[n]t organe du diable !) s'en va dire au mary que sa
femme machinoit sa mort : & qu'ainsi fust, qu'elle auoit à
844Ibid., p.293.
845Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.664.
846Ibid., p.679.
847Ibid., p.532.
848Fallace signifie « tromperie, fausseté
».
849Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.532.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
ceste fin caché vn cousteau sous son oreiller pour le
tuer auec de l'eau beniste pour l'enterrer. Qu'arriua-il ? Le mary y va voir,
lequel trouuant le fait verifié, prend le cousteau & en couppa la
gorge à sa propre femme. De ce crime si detestable le mesme diable en
eut horreur : car il dist par apres à ceste vieille, retire toy
maqurelle, car tu es plus mescha[n]te que moy »850. Ainsi, la
calomnie, fille de bavardage, pousse elle-même à de grands
péchés. Elle est instillée en l'esprit des femmes par le
diable lui-même mais ce dernier semble ici sous-estimer la
méchanceté de la femme prise dans l'engrenage d'une parole
futile.
La femme qui ne garde pas le silence est aussi amenée
à mentir. Le mensonge est « une parole dont le sens est faux [...],
prononcée dans l'intention de tromper »851. Introduit
par le diable sous la forme du serpent, le mensonge est lié à la
chute des Hommes du Paradis et à une nature diabolique. De même
que pour le bavardage, ce lien avec le diable semble avoir permis d'attribuer
le mensonge plus facilement aux femmes qu'aux hommes ce qu'exprime Benedicti
lorsqu'il dit de certaines femmes qu'elles « mentirent
voirement852, aussi le naturel du sexe le porte ». La femme qui
bavarde au lieu de garder le silence se met en danger de mentir lorsque
quelqu'un vante sa virginité, qu'elle a perdue. Aussi pèche la
« femme impudique, qui se vante d'estre chaste & s'appelle femme de
bien : & la fille de sa virginité qu'elle a perdu
»853. Benedicti ne leur demande pas de s'accuser mais « si
on les loüe de chasteté & continence, elles ne doiue[n]t ne
approuuer ne reprouuer ce qu'o[n] dit, ains dissimuler baissans la teste sans
faire sembla[n]t de rien, & penser en leur coeurs, qu'elles ne merite[n]t
pas telles loüanges »854. S'abstenir de bavarder les
empêcherait de se trouver dans ces situations. Rien ne justifie un
mensonge, pas même sauver une vie comme le montre l'exemple du «
pasteur de brebis qui mentit à Dioscorus payen, qui cherchoit sa propre
fille saincte Barbe855 pour la tuer »856 et qui
offense par là véniellement. En effet, selon Benedicti, « il
est plus licite de laisser tuer mil hommes, voire soy-mesme que de mentir vne
seule fois »857. Si mentir est si grave, c'est que, depuis
Augustin, « [l]'identification Dieu-Verbe-Vérité et le
mystère de l'incarnation du Verbe divin [...] définissent [...]
le
850Ibid., p.554.
851Carla CASAGRANDE, Silvana VECCHIO, op. cit.
[note n°843], p.193.
852Voirement signifie « assurément,
véritablement ».
853Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.245.
854Ibid., p.245.
855Barbe, fille de Dioscore, est
persécutée par ce dernier pour ses convictions
chrétiennes. Nous n'avons pas trouvé de récit
faisant mention du mensonge du berger. Certains textes ne le
mentionnent pas, d'autres font plutôt état de sa délation
auprès de
Dioscore, après qu'il ait découvert la cachette de
Barbe, tentant d'échapper à son père.
856Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.542.
857Ibid., p.542.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 169 -
caractère théologiquement central de la
vérité comme valeur »858. Tout mensonge est un
affront à la Vérité que Dieu a voulu offrir à
nouveau aux humains en envoyant sur Terre l'incarnation de son Verbe.
Néanmoins, le mensonge a une place ambivalente dans la
Bible. Benedicti rappelle ces cas où le mensonge n'a pas
été châtié par Dieu, voire a été
récompensé : « On allegue Abraham qui dist sa femme estre sa
soeur, Isaac qui dist le mesme de la sienne, de Iacob859 qui trompa
son pere et son frere, se disant estre Esau, des Sages femmes d'AEgypte qui
mentirent au Roy Pharaon, pour sauuer les petits enfans d'Israël, de
Ioseph qui vsa de dissimulation à l'endroit de ses freres, de Raab, de
Rachel, de Iudith, de Michol qui mentirent bel & bien [...]
»860. Benedicti continue la liste des mensonges racontés
dans la Bible. Il défend que certains ont plutôt «
celé la vérité » que menti. Par exemple, «
Abraham disant que Sara estoit sa soeur, il ne mentit pas : car elle estoit sa
niepce, laquelle selon le langage du pays s'appelloit soeur
»861. Cela est un péché aussi, mais moins
important. Néanmoins, il affirme : « Et quant est de
Rachel862, des Sages femmes d'AEgypte863, de
Raab864, de Thamar865 & de Michol866,
elles mentirent voirement [...]. Et de Iudith867 il n'y a point de
doutte qu'elle ne pechast venielement (d'autres osent bien dire d'auantage)
lors qu'elle mentit aux Assyriens, & trompa Holofernes. Et pourquoy donc
est-ce, me direz-vous, que l'Escriture la loüe, elle & les autres qui
ont menty pour vn bien ? Ie respons qu'elle les loue du bon desir, &
affection qu'elles ont eu à leur patrie, à l'honneur de Dieu
& au profit de leur prochain : mais non pas de la menterie qu'elles ont
commise, laquelle comme dit est, ne se peut aucunement dispenser ne tourner en
bien »868.
858Carla CASAGRANDE, Silvana VECCHIO, op. cit.
[note n°843], p.190.
859Jacob, malgré son mensonge, soutenu par
la complicité de sa mère, eut une longue descendance et acquit de
nombreuses richesses. Il ne fut nullement puni d'avoir usurpé
l'identité de son frère Esaü afin d'obtenir le droit
d'aînesse. Bible de Jérusalem, op. cit. [note
n°6], Genèse, 27.
860Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.543.
861Ibid., p.543.
862Rachel, qui s'enfuit avec son époux
Jacob, dérobe les idoles de son père Laban. Ce dernier vient les
chercher. Rachel les cache alors « dans le palanquin du chameau » et
s'assoit dessus. Elle trompe son père en lui disant : « Que
Monseigneur ne voie pas avec colère que je ne puisse me lever en ta
présence, car j'ai ce qui est coutumier aux femmes ». Laban repart
sans avoir trouvé ses idoles. Bible de Jérusalem,
op. cit. [note n°6], Genèse, 31, 34-35.
863Deux sages-femmes ont ordre de tuer tous les
nouveaux-nés mâles. Elles ne s'exécutent pas et disent au
Pharaon : « Les femmes des Hébreux ne ressemblent pas aux
Égyptiennes. Elles sont vigoureuses. Avant que l'accoucheuse n'arrive
auprès d'elle, elles se sont délivrées ». Le texte
biblique dit qu'elles furent favorisées. Ibid., Exode, 1,
19-20.
864Rahab cache des espions israélites dans
sa maison et ment aux soldats venus les chercher affirmant qu'ils sont
déjà partis de chez elle. Elle est la seule, avec sa famille,
à échapper à la destruction de la ville de Jéricho,
grâce à la protection accordée par les espions.
Ibid., Josué, 2.
865Thamar couche par ruse (elle se déguise
en prostituée) avec son beau-père, Juda, qui avait refusé
de lui donner un nouveau mari, ce qu'il aurait dû faire selon la loi
hébraïque. Néanmoins, elle est pardonnée et donne
naissance à des jumeaux. Ibid., Genèse, 38.
866Mikal tombe amoureuse de David et devient son
épouse. Mais son père, Saül, veut sa mort. Elle
prévient alors son mari qui prend la fuite et ment aux soldats qui
viennent le chercher pour le tuer en prétextant qu'il est malade.
Ibid., I Samuel, 19, 10-17. 867Judith, afin de
défendre sa cité, se fait passée pour une traîtresse
auprès d'Holopherne, général des troupes ennemies, le
séduit et le tue pendant son sommeil. Elle est louée par la
Bible. Ibid., Judith.
868Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.544.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 170 -
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de
maîtrise | juin 2013 - 171 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
Il ne faut donc pas suivre ces modèles et penser
plutôt aux femmes qui furent durement punies pour avoir commis un
péché de bouche. Les femmes qui mentent doivent avoir à
l'esprit l'exemple de Salomon qui « cognut à laquelle des deux
meres appartenoit l'enfant »869. Dans cette histoire, deux
femmes disent au roi être la mère d'un enfant. Ce dernier, afin de
les tester, demande une épée et affirme clore le débat en
tranchant l'enfant en deux afin que chacune puisse en avoir une moitié.
La vraie mère préfère alors donner son enfant à
l'autre femme qui, elle, encourage le roi dans son jugement. Le mensonge est
alors rendu public par Salomon qui rend le bébé à sa
véritable mère870. Les femmes qui murmurent et
calomnient dans le dos des autres sont invitées à contempler
l'exemple de Marie qui « murmura contre son frere Moyse, & en fut bien
punie : car elle deuint lepreuse »871. Marie ou Myriam, soeur
de Moïse, avait en effet parler contre « la femme kushite qu'il avait
prise »872. Elle devint lépreuse pendant sept jours,
durant lesquels elle est « séquestrée hors du camp
»873 puis elle est à nouveau admise dans la
communauté. Les femmes peuvent néanmoins compter sur l'indulgence
de Dieu qui « pardonna [...] à Marie soeur de Moyse le peché
de detraction »874 mais elles devraient plutôt prendre
d'autres modèles, plus élevés. Lorsque Benedicti prend
l'exemple des femmes maudites après leur mort pour avoir
été bavardes durant leur vivant, il conclue ainsi : « Elles
eussent mieux fait de n'auoir point tant babillé, ains d'auoir
gardé le silence de la vierge Marie, de laquelle les Euangelistes ne
racontent que cinq paroles qu'elle a proferees : d'auoir gardé silence
d'vne Marie Magdaleine, qu'elle a obserué trente ans au desert, &
d'vne Marie Egyptiaque, qui le garda quarante sept ans : le silence d'vne
saincte Clere »875. Marie est en effet très peu
citée dans la Bible, ce qui explique son relatif silence. Nous ne savons
en réalité que peu de choses à propos de la mère de
Jésus. Marie-Madeleine, « désireuse de contempler les choses
célestes, se retira dans une grotte de la montagne, que lui avait
préparée la main des anges, et pendant trente ans elle y resta
à l'insu de tous »876 selon Jacques de Voragine. Marie
l'Égyptienne, prostituée repentie tout comme Marie-Madeleine,
« mena pendant quarante-sept ans, au désert, une vie de repentir et
de privations »877 qui fut interrompue par un prêtre
nommé Zosime à qui elle conta son histoire et qui pu la confesser
de ses péchés. Plusieurs saintes portent le nom de Claire mais
nous n'avons pas trouvé trace, ni
869Ibid., p.508.
870Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], I Rois, 16-18.
871Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.547.
872Bible de Jérusalem, op. cit.
[note n°6], Nombres, 12, 1.
873Ibid., Nombres, 12, 14.
874Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.654.
875Ibid., p.552.
876Jacques de VORAGINE, op. cit. [note
n°295], p.343.
877Ibid., p.212.
dans la Légende dorée, ni dans
d'autres supports, d'une sainte Claire ayant respecté un silence plus ou
moins long. Il s'agit peut-être ici encore d'un effet d'accumulation
utilisé par Benedicti pour appuyer son propos.
Enfin, le franciscain incite les hommes à se
méfier des paroles féminines. Il affirme que « maudire Dieu,
c'est le peché de blaspheme, & le peché le plus grief de
tous, comme est ainsi la haine de Dieu, auquel peché Satan vouloit
precipiter Iob par le moyen de sa femme. Le plus gra[n]d que sceut imposer
ceste impie Iezabel au bon Naboth, ce fut de dire qu'il auoit maudit Dieu
»878. Les femmes semblent ainsi vouloir entraîner les
hommes à leur suite dans l'engrenage des péchés de langue.
En effet, Job, testé par le diable, est ainsi interpellé par sa
femme : « Vas-tu encore persévérer dans ton
intégrité ? Maudis donc Dieu et meurs ! »879.
Néanmoins, Job n'écoute pas sa femme, la traite de folle et
persévère dans sa foi, pour laquelle il sera grandement
récompensé. Quand à Jézabel, elle accuse Nabot
d'avoir maudit Dieu afin que son mari, Achab, puisse s'emparer des vignes de ce
dernier, qu'il n'avait pu obtenir par négociations. Nabot est
lapidé par le peuple, suite à l'accusation de
blasphème880. De plus, s'il faut se méfier des femmes
et de leur langage, il ne faut jamais leur confier un secret car elles ne
peuvent tenir leur langue. Benedicti prend à ce propos l'exemple d'un
certain Papyrus : « le ieune enfant Papyrius n'est il pas
immortalizé par les Historiographes pour n'auoir voulu descouurir le
secret du Senat Romain à sa mere ? Iaçoit que tantost elle le
flattast luy promettant monts et vaux, ores elle le menaçast, iamais ne
luy voulut fier, (elle estoit femme) ce qu'il auoit ente[n]du au Capitole :
exemple assurement memorable à toute la ieune posterité
»881. Il est assez amusant de remarquer qu'après avoir
dit que Papyrus ne voulut pas révéler le secret à sa
mère, il prend le soin de préciser qu'elle « estoit femme
», ce qui semble expliquer selon lui la réserve de son fils.
En conclusion, les femmes sont considérées
comme bavardes et menteuses par le franciscain Benedicti. Elles sont
invitées à réguler leur langage et à prendre
exemple sur la Vierge ou encore Marie-Madeleine qui ont su surmonter leur
nature féminine en se murant dans le silence. Les hommes devraient se
méfier d'elles et ne rien leur confier d'important s'ils ne veulent voir
leurs secrets ébruités. Nous pouvons conclure avec Verena
Aebischer, qu'« [i]ci et là, hier et aujourd'hui, le bavardage
comme trait
878Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.544-545.
879Bible de Jérusalem, op. cit. [note
n°6], Job, 2, 9.
880Ibid., I Rois, 21.
881Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.675-676.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de
mémoire | juin 2013 - 172 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
caractéristique des femmes prend dans la tête
des gens une réalité palpable et inéluctable. Pour
l'homme, il est une option parmi d'autres, alors que la femme ne semble pouvoir
faire que cela. [...] La représentation du parler-bavardage
féminin s'oppose à celle du parler masculin, auquel est reconnu
le privilège de constituer la norme, la bonne façon de parler. En
conflit avec cette norme, le parler féminin s'inscrit en défaut,
en négatif, en trop et en moins »882.