Le Sieur de la Serre, écrivain français,
dénonce ainsi la coquetterie des femmes : « Dites moy donc un peu
à quoy servent ces pots à pommade, ces boites à poudre,
ces fiolles à eau distillée et ces papiers à vermillon que
je voy sur vos toilettes ? Est-ce une partie des artifices que vous mettez en
oeuvre pour vous faire plus belle que vous n'êtes ?
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mémoire | juin 2013 - 150 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
O que ces affettes [choses superflues] vous coûteront
des larmes si vous avez le loisir de vous en repentir !
Il est vray que vos corps demandent tous les jours la
charité d'une pommade de senteur pour corriger les défauts de
leur infection ; que vos cheveux ne peuvent cacher leur graisse qu'avec la
poudre ; que vos visages basanez, après s'estre savonnez à la
fontaine de l'alambic [cosmétique] cherchent du vermillon afin que leur
couleur mourante ne paroisse. Mais vous ne considérez pas qu'en ces
occupations vous remplissez des cruches percées comme les Danaïdes.
Où trouvera-t-on de la pommade à l'épreuve de votre
puanteur ? Quelle poudre desséchera la graisse gluante de vos testes ?
Et quel vermillon peut faire paroistre sur vos joues les roses que la nature
n'y a point plantées »720.
Benedicti paraît bien modéré par rapport
à son contemporain quand il aborde le péché de
coquetterie. Néanmoins, c'est contre ce dernier qu'il s'insurge le plus
auprès des dames. La femme serait futile, frivole et vaine. Elle
chercherait par divers artifices à se rendre plus belle qu'elle n'est.
Nous verrons tout d'abord quels types de comportements sont
considérés comme de la coquetterie par Benedicti avant de montrer
quelles en sont les conséquences selon lui.
Le confesseur voit trois domaines dans lesquels la femme
pèche par coquetterie : l'habillement, le maquillage et la coiffure.
Dans son discours, Benedicti associe fréquemment coquetterie et
vanité. En effet, le souci de plaire et l'envie de se montrer
complaisamment vont ensemble. Ainsi, la « femme qui se met à la
fenestre, pour estre regardee, ou va à l'Eglise, pour veoir & estre
veuë, ou qui s'habille pompeusement721 pour estre desiree &
aymee charnellement n'vn [sic] autre, peche mortellement, noobstant
[sic] que son intention ne fust effectuee »722. Tout
habillement superflu est susceptible de faire pécher son possesseur
selon Benedicti. Il s'avoue plus clément que certains de ses
contemporains en faisant une distinction entre les femmes qui savent qu'elles
sont en tort lorsqu'elles portent ces vêtements, et les femmes qui n'en
auraient pas conscience. Il affirme en effet : « car si elles croyent que
cela soit peché mortel, & nonobta[n]t en portent, elles offensent
mortelleme[n]t : la raison c'est que, celuy qui fait vn peché veniel,
croyant qu'il est mortel, offense autant comme s'il commettoit vn peché
mortel »723. Benedicti dénonce l'extravagance de
certains habits. Il déclare : « C'est
720Sieur de LA SERRE, Le Réveil-matin des
dames, 1588 cité dans Femme, repaire de tous les vices...,
op. cit. [note n°452],
Pierre DARMON, p. 262.
721« Pompeusement » signifie ici d'une manière
fastueuse, avec ostentation.
722Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.156-157.
723Ibid., p.250.
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maîtrise | juin 2013 - 151 -
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mémoire | juin 2013 - 152 -
grand cas dit Tertullian de la vanité des femmes du
iourd'huy, lesquelles sont si ornees & atteintees, que vous diriez
prompreme[n]t724 [sic] qu'elles porte[n]t de grandes
forests sur vn petit col. Ie croy qu'il vouloit parler de ces godero[n]s (si
dés ce temps-là ils estoient en vsage) & fraises à la
confusion »725. Les « godrons » ou « goderons
» sont les plis ronds qui donnaient leur forme aux fraises. La fraise,
attribut vestimentaire caractéristique du XVIe siècle
en France, tant féminin que masculin, prend des largeurs
démesurées dans les années suivant son apparition
(1550-1560). Sa taille maximale aurait été atteinte peu avant
1580 ce qui explique pourquoi Benedicti en parle dans son ouvrage. La «
fraise à confusion » n'est pas empesée et se rabat donc en
partie sur le vêtement de celui qui la porte. Elle remplace peu à
peu la fraise à godrons en France, qui s'attirait de nombreuses
moqueries et marques de désapprobation. Ce n'est sûrement pas de
ces habits dont parlait Tertullien, né vers 150 ou 160 et mort en 220
mais le citer permet à Benedicti d'ancrer son propos dans une plus
longue durée et de s'appuyer sur des figures d'autorité. Le
franciscain se penche aussi sur le port d'une « robe dissoluë
»726 ou d'« habits dissoluts »727. Il
explique longuement ce qu'il entend par là dans un paragraphe
détaillé qui précise ce qui suit : « La fille ou
femme qui descouure sa poitrine, ses mammelles & tetins sans volonté
de mal faire, mais seulement pour estre veuë plus belle, & pour
co[m]plaire à son mary, ou pour en chercher vn, peche venieleme[n]t. De
faire paroistre les autres parties vergogneuses, comme en portant des vestemens
minses & subtils à ceste fin ce seroit peché mortel
»728. Jean-Claude Bologne analyse l'apparition d'une
véritable différenciation sexuelle dans les costumes au
XVIe siècle. Il affirme qu'en effet à cette
période, la femme « dissimule de plus en plus le bas du corps pour
exalter les parties supérieures »729. Il explique que
malgré les dénonciations virulentes des moralisateurs et des
prédicateurs, « la focalisation du désir sur le haut du
corps va imposer durablement le décolleté dans le costume
féminin occidental »730. Enfin, il souligne qu'il s'agit
bien là « d'une coquetterie publique, puisqu'en privé elles
recouvrent leur sein d'un linge ou d'un mouchoir »731. Ces
vêtements qui découvrent la poitrine des femmes sont
attaqués avec force car ils serviraient « à capturer le
corps et l'âme des hommes »732 selon l'expression de
Scarlett Beauvalet-Boutouyrie. Cette manière de s'habiller est
réprouvée car elle est vue comme
724Proprement signifie véritablement,
vraiment, réellement.
725Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.250.
726Ibid., p.250.
727Ibid., p.251.
728Ibid., p.252.
729Jean-Claude BOLOGNE, Pudeurs
féminines..., op. cit. [note n°526], p.152.
730Ibid., p.152.
731Ibid., p.152.
732Scarlett BEAUVALET, Histoire de la
sexualité..., op. cit. [note n°347], p.24.
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maîtrise | juin 2013 - 153 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
une arme de séduction. La femme est
soupçonnée « de vouloir attirer les regards masculins,
d'éveiller leur concupiscence et de les attirer dans l'abîme de la
luxure »733. Benedicti fait à nouveau une distinction
entre les divers objectifs qui poussent la femme à s'habiller ainsi. Il
accepte en effet que les femmes usent de ce moyen afin de plaire à leur
mari ou pour en trouver un. Mais il semble aussi accepter une sorte de
coquetterie « naturelle » aux femmes puisque celles voulant
être vues plus belles qu'elles ne sont, ne sont pas réellement
blâmées. Cela rend un moment ambiguë la position de Benedicti
à ce propos. Néanmoins, le fait que ce comportement soit
considéré comme un péché véniel montre qu'il
ne le cautionne pas tout à fait.
Dans la suite de son discours, il défend en quelque
sorte le droit de la femme de s'habiller comme elle le souhaite. Il donne en
effet ces arguments : « Voire mais, me direz-vous, cela est cause
d'attirer les hommes à concupiscence. Ie respons que le peché ne
vient pas de la femme, qui fait cela sans mauuaive intentio[n], ains il procede
de celuy, qui prend l'occasio[n] de luy-mesme »734. Il estime
cependant que la femme ne doit pas provoquer un « scandale
»735 par la manière dont elle s'habille. Elle doit donc
porter des vêtements qui suivent la mode de son pays et s'adapter aux
modes vestimentaires des endroits où elle se rend. Benedicti pense
néanmoins qu'il vaudrait mieux « que ceste coustume d'aller ainsi
les tetins descouuerts seroit du tout abolie, pour les maux qui en peuuent
arriuer : car le diable est caut736 & subtil
»737. Le franciscain en appelle-t-il à une sorte de bon
sens des femmes ou à leur pudeur supposée naturelle ? Il leur
propose ici de s'abstenir de porter des vêtements pouvant pousser les
hommes à commettre un péché. Ailleurs dans l'ouvrage,
Benedicti se montre plus persuasif en menaçant « ces femmes
dissoluement habillees, lesquelles corrompent le monde auec leurs vanitez
»738, d'aller en Enfer pour cause d'homicide spirituel sur la
personne atteinte par leurs traits.
Lorsque Benedicti décrie l'utilisation de trop de
maquillage par les femmes de son époque, il emploie le mot « fard
». Il est intéressant de remarquer avec Catherine Lanoë que ce
mot est très peu employé tant dans les livres de recettes de
cosmétiques que par les contemporains de Benedicti. Il semble que cela
soit dû au fait que, « [d]ès son apparition en
français en 1190, le vocable fard est employé au
figuré avec une forte connotation péjorative, destiné
à désigner tout "ce qui constitue une apparence
733Ibid., p.24.
734Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.252.
735Ibid., p.252.
736« Caut » signifie « rusé ».
737Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.252.
738Ibid., p.698.
trompeuse", une feinte ou une dissimulation "dans les paroles
et l'attitude". Au fard est attachée l'idée du masque,
de l'artifice, de la pratique nocturne et dérobée...
»739. Lorsque Benedicti emploie ce mot, il est dès lors
immédiatement dans la condamnation de son utilisation. Cette
condamnation est forgée à partir des textes bibliques, que
rappelle le franciscain. Il cite en effet « vne constitution des Apostres
qui dit [...] ne te farde point le visage ô femme, c'est celuy que
Dieu a fait. Et s'il n'y a rien en toy qui doiue estre fardé : car tout
ce qu'a fait Dieu, il est bien fait »740. Puis, Benedicti
s'appuie sur saint Ambroise, qui aurait tenu ce discours : « O pauure
fe[m]me dit-il, tu effaces la peinture de Dieu, si tu te fardes.
Di-moy [sic] si tu fais venir quelqu'vn pour repaindre &
recolorer l'image & le pourtrait que tu as, le peintre excellent & bien
expert qui l'a faite, ne sera-il pas courroucé contre toy, voyant son
image adulteree & changee ? Donne toy donc garde, toy qui es fait à
l'image du Createur, d'effacer la peinture de Dieu, pour prendre celle d'vne
putain. Tu commets vn grand crime, si tu penses de te mieux peindre que Dieu
»741. Le port de fards serait contraire aux désirs
de Dieu pour ses créatures. Pèche donc véniellement toute
« femme ou fille, qui se farde auec blanc d'Espagne ou autres couleurs,
seulement pour paroistre plus belle »742. Catherine Lanoë
explique que « dès le XVIe et jusqu'à la fin du
XVIIIe, la quête de la blancheur s'impose en France à
la manière d'une véritable tyrannie, car l'albâtre de la
peau constitue le fondement même de la beauté, son origine et son
principe »743. Le blanc, symbole de pureté dans le
catholicisme même, est très recherché dans les hautes
strates de la société. Deux types de produits sont
utilisés à cette fin : les fards qui assurent un blanchiment
passif et des remèdes censés « agir directement sur
l'épiderme, dans le cadre d'un blanchiment actif »744.
Benedicti ne mentionne que le « blanc d'Espagne » qui, appelé
aussi blanc « de Meudon, ou encore blanc de Troyes,
était un carbonate de calcium naturel, de la craie broyée tout
simplement »745. Quand Benedicti dénonce le fait pour
une mère d'apprendre à sa fille à « farder, peindre,
plastrer leur visage »746, il nous montre dans le même
temps quels pouvaient être les gestes d'une femme à sa toilette.
Le terme « plastrer » peut sembler péjoratif mais il renvoie
aussi à la consistance même du fard, décrit comme « un
enduit plus ou moins épais, sec et couvrant »747 par
Catherine
739Catherine LANOE, La poudre et le fard : une
histoire des cosmétiques de la Renaissance aux Lumières,
Seyssel, Champ
Vallon, 2008 (coll. Époques), p.33-34.
740Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.250.
741Ibid., p.252.
742Ibid., p.251.
743Catherine LANOE, op. cit. [note
n°739], p.28.
744Ibid., p.29.
745Anne-Marie MOMMESSIN, Femme à sa
toilette : beauté et soins du corps à travers les
âges, Levallois-Perret, Éditions
Altipresse, 2007, p.97.
746Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.97.
747Catherine LANOE, op. cit. [note
n°739], p.30.
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mémoire | juin 2013 - 154 -
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
Lanoë. Les femmes du XVIe siècle usent
aussi de fards rouges, afin de souligner la blancheur de leur teint. «
S'il s'agit d'un rouge végétal, la poudre peut être
étendue sur le visage au doigt ou au pinceau, telle quelle ou bien
diluée dans une eau parfumée et gommée. S'il s'agit d'un
rouge minéral en revanche, sa faible solubilité dans l'eau oblige
le consommateur à le mélanger à une huile ou à de
la gomme arabique748, comme le font les peintres
»749. Ainsi, le verbe « peindre », employé par
Benedicti peut renvoyer à la fois au pinceau utilisé par les
femmes pour se maquiller ou à la ressemblance existant entre les gestes
de la femme qui se maquille et les gestes du peintre. Il faut enfin souligner
que si le fard peut être dérobé « à vne femme
qui s'en farde pour en abuser »750, la pratique est cependant
acceptée « pour couurir quelque deformitié & laydeur,
qu'elle pourroit auoir contracté de quelque maladie, ou autre
inconuenient »751.
Enfin, Benedicti aborde la question des « femmes qui
portent les cheuelures de quelques trespassees pour estre plus belles & non
pour autre fin »752 et de celles qui « dore[n]t leur
tresse & entortille[n]t leurs cheveux pour attraper les hommes, comme
l'araignee les mousches à sa toyle »753. De nouveaux
canons définissent les soins à apporter aux cheveux au
XVIe siècle. Dans la haute société, les femmes
sont très influencées par les modes étrangères qui
introduisent des coiffures travaillées, « nattées à
la Toscane ou à l'Italienne, quand ce n'est pas à l'Espagnole
»754. La comparaison des femmes à des araignées
attirant leur proie montre qu'une fois encore, la peur du franciscain est
qu'elles incitent les hommes à pécher. Depuis les origines du
christianisme, les femmes « se paraient de faux cheveux
confectionnés à partir de chevelures humaines ou de poils animaux
»755. Au XVIe siècle, ces pièces de
faux cheveux sont appelées des « coins ». Ils permettent aux
femmes de multiplier les possibilités de coiffure. Les perruques et
postiches sont aussi utilisés bien que l'Église ait
condamné leur usage dès le Haut Moyen Âge756.
Les perruques servaient essentiellement à « recouvrir de trop
brunes crinières »757. En effet, la mode est au «
blond vénitien », ce que rapporte Benedicti quand il dit : «
celle, laquelle par artifice fait deuenir ses cheueux qu'elle a naturelleme[n]t
noirs, iaulnes, blonds, ou d'autre
748La gomme arabique est obtenue à partir de
la sève de l'acacia. Glucide naturel, elle est utilisée pour
solidifier, coller et donner
du brillant.
749Catherine LANOE, op. cit. [note
n°739], p.58.
750Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.172.
751Ibid., p.251.
752Ibid., p.252.
753Ibid., p.250.
754Paul GERBOD, Histoire de la coiffure et des
coiffeurs, Paris, Larousse, 1995, p.67.
755Anne-Marie MOMMESSIN, op. cit. [note
n°745], p.118.
756Ibid., p.130.
757Ibid., p.130.
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maîtrise | juin 2013 - 155 -
couleur, elle offense venielement »758.
Anne-Marie Mommessin explique que, « [p]lus rare que la teinte brune, le
blond a dû symboliser très tôt les forces
bénéfiques ; la couronne solaire, le blé mûr, la
croûte dorée du pain, tandis que le brun renvoyait à la
terre, à la glèbe, à l'automne, à la tristesse si
bien que chez les Romains comme pour l'Église catholique, le brun
était symbole d'humilité, de pauvreté, couleur
déterminante de la rude bure des moines »759. Les
Vénitiennes réussissent au XVIe siècle «
grâce à des préparations complexes et subtiles (teintures
et séchage au soleil), [à] obtenir une nuance très
appréciée »760. De multiples recettes sont
données dans des recueils ou des traités à destination
d'un public féminin. Ces préparations demandent de nombreux
ingrédients tels de la cendre de vigne, du bois de réglisse, du
citron ou encore des lupins. Benedicti dénonce un péché
véniel ici encore alors qu'il affirme « qu'aucuns voudroyent dire
que ce seroit mortel[...] »761.
Quelles peuvent être les conséquences directes
de ce péché de coquetterie chez les femmes ? Il faut rappeler
tout d'abord un passage de la Bible explicitant nettement à quoi les
coquettes s'exposent. Dans le livre d'Isaïe, une prophétie concerne
particulièrement les femmes qui apportent trop de soins à leur
toilette : « Yahvé a dit : À cause de l'orgueil des filles
de Sion, parce qu'elles vont la tête haute et les yeux provocants, parce
qu'elles vont à pas menus, faisant sonner les anneaux de leurs pieds, le
Seigneur rendra galeux le crâne des filles de Sion et découvrira
leur nudité. Ce jour-là, le Seigneur enlèvera parure de
chevilles, croissants, pendentifs, bracelets, voiles, bandeaux, coiffures,
chaînettes de pieds, ceintures, boîtes à parfums et
amulettes, bagues, anneaux de nez, vêtements précieux, manteaux,
capes, aumônières, miroirs, linges fins, turbans et mantilles. En
fait de parfum, la pourriture ; en fait de ceinture, la corde ; en fait de
coiffure, tête rase, et comme robe splendide, un sac ; au lieu de
beauté, une marque au fer rouge »762. Si Benedicti ne
les menace pas de telles choses, la toxicité de certains produits de
beauté devait se charger d'offrir un spectacle similaire à
certaines femmes. Évelyne Berriot-Salvadore décrit le
châtiment qui « vient justement frapper celles qui s'y adonnent :
rides, puanteur d'haleine, noirceur et chute des dents, rougeur des yeux, perte
de la vue, surdité sont les marques infamantes d'un mauvais usage du
758Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.251.
759Anne-Marie MOMMESSIN, op. cit. [note n°745],
p.128.
760Paul GERBOD, op. cit. [note n°754],
p.67.
761Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.252.
762Bible de Jérusalem, op. cit. [note
n°6], Isaïe, 3, 16-24.
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Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
sublimé763, de la céruse et autres
produits "aussi dangereux que peste" »764. En effet, de
nombreux fards sont composés de céruse, ingrédient
utilisé en peinture également et dont les effets néfastes
ne sont réellement dénoncés qu'au XVIIIe
siècle. Ce pigment blanc est fabriqué à base de plomb, ce
qui lui donne un caractère extrêmement toxique. Les femmes du
XVIe siècle s'exposent donc à des maladies
ophtalmiques, salivation, sécheresse excessive de la bouche ou
inflammation des gencives. Deux siècles plus tard, les médecins
lui attribuent « l'occurrence de maladies de poitrine, d'affection des
poumons [...], l'apparition de taches, la sécheresse de la peau, voire
des "douleurs aiguës et des convulsions effroyables" ou la mort par
affection pulmonaire »765. Les symptômes aujourd'hui
connus du saturnisme, maladie provoquée par l'intoxication au plomb, se
retrouvent dans ces commentaires médicaux. Les femmes ont donc parfois
payé chèrement leur désir de se conformer à la mode
du temps. Selon Benedicti, la faute la plus grave que commettent les coquettes
est qu'elles en oublient d'aller à la messe. Il dénonce en effet
les « femmes qui sont si rauies à se vestir, orner, parer qu'elles
en perdent la Messe aux festes & Dimanches »766. De
même la « femme qui s'applique si long temps à s'accoustrer,
diaper767, attinter768 & orner, & par ce moyen
perd la Messe aux festes & Dimanches, peche mortelleme[n]t
»769. Aucune différence n'est faite ici sur les motifs
qui la poussent à prendre soin de sa toilette. Benedicti stigmatise
aussi « celle qui est cause que son mary faict ba[n]queroute par la
superfluité des atours & habits dissoluts, ou empesche par ce moyen,
que les dettes soie[n]t acquittees »770. En effet, certaines
recettes demandent l'achat de « coûteuses substances
d'épicerie ou de fruiterie » et Catherine Lanoë souligne que
« c'est bien désormais d'une boutique entière que devrait
disposer une femme pour se farder, y puisant céruse et sublimé,
rouge d'Espagne et alun zaccharin, mie de pain et vinaigre distillé,
fèves et amandes, eaux de fleur et fientes de boeuf...répartis en
mille boîtes différentes »771. Ces coûts,
selon Benedicti, peuvent être la cause d'un grave
déséquilibre dans le budget du ménage, voire d'une «
ba[n]queroute ». De plus, la femme est accusée de prendre de son
propre chef « à son mary quelque chose notable pour entretenir ses
jeux, atours, fards, & autres
763Le sublimé est un remède fait
à base de mercure, élément chimique hautement toxique.
764Évelyne BERRIOT-SALVADORE, « De
l'ornement et du gouvernement des dames : esthétique et hygiène
dans les traités
médicaux des XVIe et XVIIe
siècles », p.37-58, dans Cathy McCLIVE (dir.), Nicole PELLEGRIN
(dir.), op.cit. [note n°568],
p.49.
765Anne-Marie MOMMESSIN, op. cit. [note
n°745], p.94.
766Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.251.
767« Diaper » viendrait du nom commun « diaspre
» désignant un drap de soie à fleurs, à ramages ou
arabesques.
768« Atinter » signifie « se préparer
».
769Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.196.
770Ibid., p.251.
771Catherine LANOE, op. cit. [note
n°739], p.139.
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superfluitez »772, ce qui est contraire
à l'idée selon laquelle c'est l'homme qui gère
l'économie familiale.
Benedicti ne semble pas dénoncer la coquetterie
seulement pour elle-même mais surtout parce qu'elle entraîne
potentiellement une suite d'autres péchés plus importants. Ainsi
la femme qui se maquille est souvent qualifiée de « piaffeuse
»773 c'est-à-dire d'orgueilleuse, qui souhaite se
montrer à tout prix. Or, l'orgueil fait partie des sept
péchés capitaux. L'envie, autre péché capital, est
elle aussi soeur de la coquetterie dans le discours de Benedicti. Il semble
régler une querelle entre femmes, un chagrin de coquette, lorsqu'il dit
: « [l]a femme qui porte enuie à sa voisine, dequoy elle est plus
belle qu'elle, elle a grand tort, car la beauté de sa voisine n'empesche
par la sienne. Qu'il soit ainsi, si sa voisine n'eust esté iamais nee,
elle ne seroit pas plus belle qu'elle est, & n'auroit pas d'auantage
qu'elle a »774. La coquetterie serait aussi une dangereuse
incitation à la luxure. Ainsi, la « fille ou femme laquelle
s'habille pompeusement, soit en allant à l'Eglise, aux compagnies ou
ailleurs, pour complaire charnelleme[n]t à d'autres qu'à son
mary, nonobstant que l'effect ne s'ensuyue, peche mortellement pour ce que son
intention est sinistre & peruerse »775. De même,
« la fille ou femme, qui de guet à pend se met aux fenestres, &
se presente en la compagnie des hommes pour estre veüe & souhaitee
d'eux charnellement, peche »776. Plus loin, le confesseur
dénonce « les femmes mondaines & piaffeuses, lesquelles par
leurs habillemens excessifs, par leurs gestes lascifs, bal & risee
prouoquent les autres à mal »777. Il s'appuie aussi
à ce sujet sur saint Jean Chrysostome qui aurait dit que la femme «
qui s'orne pompeuseme[n]t, pour estre desiree de quelqu'vn, peche
mortelleme[n]t, scandaliza[n]t son prochain, & luy offrant le venin pour
boire »778. La femme venimeuse incite par sa coquetterie
à des comportements transgressifs. Le blâme est étendu
à ceux qui fabriquent « des fards pour les femmes mondaines
»779 et aux « marchands qui veulent trancher des
gentils-hommes, & les habillemens, colliers, carquans780,
ioyaux, bombans, pompes & autres vanitez de leurs femmes
»781. Benedicti propose certains remèdes à
cela.
Au chapitre portant sur la restitution, le franciscain
exprime l'opinion qu'« [o]n n'est pas tenu de rendre [...] le fard
à la femme piaffeuse »782. Benedicti souhaite aussi
772Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.164.
773Ibid., p.169, p.254, p.720, p.735.
774Ibid., p.355.
775Ibid., p.190.
776Ibid., p.190.
777Ibid., p.720.
778Ibid., p.17.
779Ibid., p.719.
780Collier de pierreries.
781Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le
remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.169.
782Ibid., p.735.
Femmes et société dans le manuel de
confession du père Jean Benedicti.
responsabiliser la mère qui enseignerait ces gestes en
lui faisant prendre conscience que, donnant à sa fille un « mauuais
exemple, elle est homicide de l'ame de son fruit »783. Le
franciscain rappelle aussi que l'excommunication punissait les femmes grecques
de tels comportements784. Il tente de montrer que les hommes sont
parfois plus responsables que la femme coquette qui n'a pas de mauvaise
intention785 mais il sait la faiblesse des religieux même et
il conseille au « pere confesseur [... de recevoir] le pecheur doucement
& benignement, sans toutesfois le regarder en face lors qu'il se confesse,
ne permettre aussi d'estre regardé de luy principalement si c'est vne
femme »786. Ainsi, pour éviter toute tentation, il est
recommandé d'éviter tout regard qui pourrait la faire
naître.
Il semble donc que la coquetterie soit mal vue par le
confesseur Benedicti. Ce dernier la condamne modestement pour elle-même
mais il souligne qu'elle incite à de nombreux péchés
mortels. Cet art de l'illusion, utilisé pour séduire et
conquérir, n'est qu'une des facettes des moyens dont les femmes usent
pour tenter les hommes. Nous allons voir à présent quelles autres
figures se présentent à l'esprit de Benedicti quand il pense au
pouvoir de séduction des femmes.