II-) Les enjeux de la multibancarisation pour l'entreprise
emprunteuse
Une analyse théorique des enjeux de la
multibancarisation (2.1) sera suivie d'une synthèse des travaux
empiriques sur la relation entre ce régime de financement et les
conditions de crédit de l'entreprise emprunteuse (2.2).
2.1-) Multibancarisation et monitoring
Le monitoring de l'entreprise multibanque peut être soit
dupliqué et avoir des effets néfaste pour celle-ci
(2.1.1), soit il peut servir de signal de qualité
(2.1.2).
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2.1.1-) Duplication des coûts de contrôle ou
assouplissement de la surveillance
L'une des explications la plus intuitive de la
monobancarité est basée sur la minimisation des coûts.
Négocier avec plus d'une banque serait très onéreux. Cela
augmenterait les coûts de transaction du fait de la duplication des
activités de monitoring et de screening exercées par les banques.
Cet argument est au coeur du modèle développé par Diamond
(1984) portant sur l'existence de l'intermédiation financière.
Dans son modèle, Diamond (1984) suppose que chaque
firme doit emprunter auprès de plusieurs prêteurs individuels et
qu'il existe des asymétries d'information ex post non seulement entre
prêteur et l'emprunteur, mais également entre les prêteurs.
Un prêteur ne pouvant observer les agissements de son homologue sans
coûts. Pour contrôler le résultat de la firme, le
prêteur individuel doit payer un coût de contrôle noté
k. Dans le cas ou la firme à emprunter auprès de m
préteurs, chacun devra engager un coût de contrôle. Le
contrôle de la firme devra donc être effectué m
fois avec un coût total de m*k. Cela soulève deux
problèmes :
> Tout d'abord, la duplication des contrôles est sans
aucun doute sous-optimale car en empruntant chez un seul prêteur,
l'entreprise peut réaliser une économie de coûts de
(m-1)*k. Cette duplication pourrait être
répercutée par les prêteurs sur les conditions de
crédit par une augmentation des taux d'intérêts et du
niveau de garanties.
> En suite, une fois que le coût de
vérification à été payer par un prêteur, le
résultat de l'investissement est révélé à
tous les autres prêteurs. L'information est donc dans ce cas un bien
public. Le caractère public de l'information pourrait conduire à
un assouplissement de la surveillance de certains prêteurs. Cette
assertion trouve justification dans la théorie du « passager
clandestin » (Eber, 1999).
La théorie du « passager clandestin »
(free rider), développée par Grossman et Hart
(1980)70, porte en effet sur les conditions dans lesquelles des
individus vont se comporter afin de parvenir à des objectifs communs, et
des conditions permettant une action collective. L'argument de base est qu'au
sein d'un groupe ou d'une société ou nul ne peut être exclu
de l'usage des biens publics, les individus sont incités à se
comporter en « passagers clandestins » c'est-à-dire à
utiliser un bien sans contribution à sa production ou à sa
gestion.
70 Cités par Eber (1999).
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Il est par conséquent difficile de mobiliser les
individus pour une action collective de production du bien en question ; le
bien désiré est alors produit de manière insuffisante,
voire pas produit du tout. Cette théorie suppose un comportement
individuel égoïste dans l'usage des biens publics. De ce point de
vue, il est « rationnel » pour les individus de se comporter en
« passagers clandestins ». Les individus rationnels, soucieux de leur
propre intérêt, ne vont pas contribuer de manière
volontaire à la réalisation de l'intérêt commun ou
du groupe ; au lieu de cela ils préfèrent laisser les autres
payer le coût de biens qui vont profiter à tous. La théorie
exclut toute possibilité d'altruisme, c'est-à-dire la
capacité des individus à engager une action collective,
même s'ils n'en attendent aucun bénéfice personnel.
A ce titre, la diversification de l'endettement
réduirait l'incitation des prêteurs plus particulièrement
celle de la banque principale à réaliser des investissements pour
recueillir des informations et contrôler l'entreprise (Refait, 2003). Au
demeurant, Rajan (1992) précise que la multibancarité peut
constituer « une arme double tranchant » car, en réduisant de
fait la valeur de l'information acquise par chaque banques par l'accentuation
la concurrence entre elles, elle peut entraîner une «
malédiction des vainqueurs » (winner's curses). Lorsque
les banques sont mises en concurrence, chacune d'elles craint de prêter
à une entreprise que les autres banques. Chaque établissement est
finalement amené à sélectionner plus
sévèrement les emprunteurs qu'il ne l'aurait fait en situation de
monopole, ce qui limite les crédits disponibles. Pourtant, le
modèle de Detragiache, Garella et Guiso (2000) prédit l'effet
inverse l'accroissement du nombre de banques avec lesquelles une entreprise a
des relations accroît de façon quelque peu mécanique la
probabilité que, lorsque la firme souhaite un refinancement, au moins
une banque informée est en mesure de lui offrir les fonds
désirés (Trabelsi-El Gharbi, 2009).
2.1.2-) Certification de la qualité de
l'emprunteur par le financement diversifié
La multibancarisation serait selon certains auteurs une
stratégie permettant à une entreprise de révéler sa
qualité auprès des prêteur (Refait, 2003). Parvenir
à s'endetter auprès de plusieurs prêteurs signale la
capacité de supporter des coûts de transaction
élevés liés non seulement l'établissement de chaque
contrat de crédit, mais aussi à leurs renégociations en
cas de défaillance de l'entreprise. La prise en compte de tous ces
coûts, dissuade et limite les comportements opportunistes des dirigeants
lorsqu'il y a séparation entre la fonction de direction et celle de
propriété (Bolton et Scharfstein, 1996). Selon Charreaux (sd) la
relation
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banque/entreprise ou les relations de crédit
interentreprises apparaissent comme les supports de mécanismes
disciplinaires plus contraignants que les relations avec
l'actionnariat71. L'entreprise à intérêt
à accroitre son endettement (Jensen, 1986) de préférence
par un régime diversifié (Bolton et Scharfstein, 1996). En effet,
le paiement régulier des intérêts et les remboursements que
l'endettement implique, donnent la possibilité aux créanciers
financiers de contraindre le dirigeant à renoncer à des
investissements non rentables, sous peine de faillite.
La multibancarisation permettrait également à la
firme de faire certifier sa qualité par les prêteurs avec lesquels
elle entretient un financement de type relationnel (entreprise de capital
risque, établissement de microfinance...) auprès de ceux adoptant
plutôt une orientation transactionnelle de financement. Fall et Diagne
(2009) montrent, à titre illustratif, comment une articulation entre
banques et EMF peut améliorer l'accès au financement des PME. La
base de l'argument est que, d'une part, les banques qui disposent de
surliquidités considérables éprouvent des
difficultés énormes à financer les PME du fait notamment
des problèmes d'informalités et de l'inadéquation de la
technologie de financement. D'autre part, les EMF qui disposent de
mécanismes de financement plus souples et appropriés, manquent de
moyens financiers suffisants pour répondre aux besoins de financement
des PME en l'occurrence les grandes PME. Ce schéma laisse entrevoir de
réelles possibilités d'articulation entre les deux secteurs, de
façon à répondre plus efficacement aux besoins des
PME72. Sur la base d'une mission de recherche sur banque et
microfinance dans trois pays (Bénin, Cameroun et Sénégal),
les auteurs découvrent des innovations importantes dans la
coopération entre les deux secteurs parmi lesquelles le « produit
migration ».
71 Les autres mécanismes de gouvernance
comportent des limites en contexte PME selon l'auteur. La faible
séparation entre les fonctions de propriété et de
direction y attenue considérablement les conflits
d'intérêts entre actionnaires et dirigeants. Quant au
marché des dirigeants, son rôle reste mineur, l'essentiel de la
carrière des dirigeants de PME restant principalement interne en raison
de l'association au capital. Enfin, le rôle du conseil d'administration
des PME peut être également considéré comme
symbolique car on ne peut justifier, dans la plupart des cas, son intervention
pour discipliner les dirigeants, ces derniers étant les principaux
actionnaires. Charreaux (sd).
72 Certains auteurs soutiennent ainsi que les
activités des EMF et des banques devraient être
complémentaires reposant sur un fondement à la fois spatial,
temporel et fonctionnel : Une complémentarité spatiale
(liée au fait que les zones prioritaires d'installation des EMF
sont celles où les banques sont complètement absentes, nonobstant
l'existence d'une activité économique bancable) ; une
complémentarité temporelle (les EMF peuvent jouer le
rôle d'éclaireur pour les banques désireuses de s'installer
dans une localité, en sondant et préparant le terrain pour le
compte des banques, en empruntant le statut de centre de maturation aux futurs
clients des banques qui y prennent du volume et améliorent la
lisibilité de leur activité) ; une
complémentarité fonctionnelle (ou les banques pourraient
aider les EMF à dénouer certaines opérations
financières ordonnées par les clients de ces dernières
à l'instar de la compensation des chèques, du cautionnement et de
la domiciliation des marchés publics, de la négociation des
travellers chèques, des transferts internationaux) (Lanha, 2003 ;
Nsabimana, 2004 ; Isern et Porteous, 2005).
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Le « produit migration » est définie
« comme un accord de coopération entre une banque et une IMF,
à travers lequel, l'IMF s'engage à faire migrer sa
clientèle d'origine vers la banque partenaire, au-delà d'une
certaine taille critique. La banque, en contrepartie de cet avantage, s'engage
à assurer le refinancement de l'IMF et à coopérer avec
cette dernière, suivant les clauses établies dans l'accord de
coopération » (Fall et Diagne, 2009, p. 3).
L'optimalité de ce type de contrat réside dans la
réduction du risque pour la banque et l'assouplissement des conditions
de crédit pour la PME. La presque totalité du risque est
supportée par l'IMF qui garantie le remboursement du crédit et
s'engage à assurer la surveillance du projet d'investissement. Dans ce
contrat de crédit, les coûts de sélection, de monitoring
sont à la charge de l'IMF. Or ce coût semble modique du fait de la
relation de long terme qui s'est tramée entre la PME et l'IMF. Celle-ci
connaît la PME mieux que n'importe qu'elle autre institution, elle
maîtrise bien le domaine d'activité de ce dernier et sa
capacité de remboursement. Logiquement l'IMF n'acceptera jamais de se
porter caution pour un client risqué et mal connu. Cette garantie de
l'IMF est une source de réduction du risque pour la banque, ce qui
l'amène à accorder le financement à des conditions plus
souples que d'ordinaire.
Tous ces enseignements théoriques controversés
ont fait objet de recherches empiriques dans différents contextes
aboutissant parfois à des conclusions contradictoires.
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