Section II: La multibancarisation, une orientation
financière aux effets controversés
Cette section se propose d'analyser les facteurs de l'adoption
d'un portefeuille de dettes diversifié par les entreprises(I)
ainsi que ses effets sur les conditions de financement de ces
dernières (II).
I-) Les déterminants théoriques de la
multibancarisation
La multilatéralisation de la dette bien que
justifié en majeur partie, dans la littérature, par des arguments
exogènes à l'entreprise (1.1) est un choix
stratégique pouvant relever de caractéristiques cette
dernière (1.2).
1.1-) Les facteurs exogènes de
multibancarisation
La structure du système bancaire (1.1.2) et la
et le désir de protection contre la capture informationnelle (1.1.1)
sont les deux principaux facteurs exogènes incitant l'entreprise
à diversifier ses créanciers financiers.
Mémoire DEA Sciences de Gestion Relations de
crédit et coût de l'endettement : le cas des PME
camerounaises
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1.1.1-) Diversifier ses créanciers pour se
prémunir contre la capture informationnelle
Le rationnement de crédit est un déterminant de
la multilatéralisation dans la mesure où il constitue une
couverture contre la possibilité de voir la banque principale rationner
l'entreprise. La banque principale66 (BP désormais) est celle
avec laquelle l'entreprise noue des relations durables, qui représente
une part importante dans son endettement global et est supposée disposer
d'informations privilégiées par rapport aux autres
créanciers qui sont éventuellement impliqués dans
l'actionnariat de l'entreprise (Refait 2003). L'avantage informationnel dont
dispose une telle banque, comme le montre Sharpe (1990), peut déboucher
sur une capture informationnelle se traduisant par des conditions de
crédit défavorables à l'entreprise emprunteuse. Pour faire
face à l'extraction d'une rente informationnelle par la banque,
l'entreprise peut décider ex ante d'établir plusieurs relations
de crédit. Cette stratégie est cependant associée à
des coûts de transaction élevés. Pour Von Thadden (1994)
deux relations bancaires sont suffisantes pour remédier à la
capture informationnelle. Mais entretenir plusieurs relations de crédit
permettrait à l'entreprise d'arbitrer sur les conditions de financement
proposer par chacun des partenaires et dont de choisir celles qui lui convient
le mieux (Rajan, 1992).
1.1.2-) Structure du système bancaire comme
facteur incitatif au choix de plusieurs interlocuteurs financiers
La structure du système bancaire comme
déterminant indirect de la multibancarisation est
présentée dans la littérature de manière
ambigüe bien que l'ensemble des orientations converge vers
l'hypothèse d'un rationnement de crédit. Dans leurs travaux, Beck
et al. (2006), montrent les obstacles du financement majeurs sont l'apanage des
pays avec des systèmes bancaires concentrés. La tendance peut
concurrentielle entre banques dans un tel contexte, serait à l'origine
de l'augmentation des taux d'intérêt et du manque d'accès
aux emprunts à long terme. Cette augmentation serait également
amplifiée, selon les auteurs, par les
66 Le concept de banque principale
(mainbank) est d'origine japonaise. Elle est définie dans ce
contexte, compte tenu des contraintes de la réglementation bancaire en
matière de prise de participation dans les entreprises, comme la banque
principal créancier et actionnaire majoritaire de la firme partenaire.
Son statut est similaire à ce qui est appelé dans le
système Allemand la « banque-maison » (Hausbank) :
banque partenaire de la firme tout au long de son cycle de vie ; elle
intervient en tant que créancier, actionnaire, conseiller et offre
à ses clients une gamme de services très variés
(crédit, escompte, opération sur titre, garantie, virement...)
(Nekhili, 1997). Ce concept de banque principale est appréhendé
dans la littérature française en incitant beaucoup plus sur
l'avantage informationnelle que cette banque est supposée disposer par
rapport aux autres créanciers de l'entreprise et sur son
éventuelle implication dans l'actionnariat de cette dernière
(Refait, 2003).
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restrictions sur les activités de banque,
l'intervention du gouvernement dans le secteur de la banque et un actionnariat
bancaire majoritairement Étatique.
Contrairement aux arguments ci-dessus présentées
par Beck et al. (2006) pour expliquer le rationnement, Ongena et Smith (2000a),
dans une étude comparée entre plusieurs pays, montrent que dans
les pays où il y a faible protection des droits du créancier,
où le système bancaire est moins concentré, et dans ceux
où le marché financier (marché des obligations) est
très actif, les entreprises établissent
généralement des relations bancaires multiples.
Parallèlement, les relations bancaires exclusives sont plus observables
dans les pays où la protection des droits des créanciers est
rigoureuse et le système judiciaire efficace. Petersen et Rajan (1994)
trouve que lorsque le secteur bancaire est très compétitif, cela
incite les entreprises à changer régulièrement de banques,
voir à établir des relations multiples dans le but de
bénéficier de conditions de crédits plus favorables.
Besanko et Thakor, (1993) montrent cependant que toute compétition
accrue dans le secteur bancaire implique une réduction des rentes de
monopole favorable aux entreprises, mais encourage la prise de risques et
accroit le risque de défaillance des banques qui sont favorables au
rationnement. Parlant de défaillance, Detragiache et al. (2000) dans
leur model, attribuent à la multilatéralisation une assurance
contre le risque d'illiquidité des banques. Celle-ci permet à une
entreprise d'éviter de devoir liquider précocement un projet
d'investissement à valeur actuelle nette positive du fait que sa (ses)
banque(s) est (sont) incapable(s) de le financer en totalité.
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