JURIDICTIONNELLES
Le recours en manquement d'Etat offre une nouvelle alternative
à la CJC, face à l'usage inexistant par les juridictions
nationales du renvoi préjudiciel, pour développer à
l'instar de la CJCE les grands principes et articulations de l'exécution
par les Etats membres du droit communautaire CEMAC (A) mais aussi pour
sanctionner le cas échéant (B) toute violation par ces derniers
de leurs obligations communautaires.
A- le développement d'une jurisprudence
spécifique et fondatrice pour la transposition des directives
CEMAC
« La fonction juridictionnelle est la clef de toute
organisation sociale »277. La Cour de justice
communautaire de la CEMAC en raison de sa nature spécifique a donc un
rôle déterminant à jouer dans cette Communauté de
droit qui à la différence des Etats souffre d'une réelle
légitimité démocratique278. C'est cette oeuvre
de construction et d'imposition de la légitimité
démocratique communautaire, que la CJCE a réalisé avec
efficacité depuis sa création par les Traités de Rome du
25 mars 1957279.
La CJC contrairement à son homologue européen a
très peu eu, pour ne pas dire presque jamais, l'occasion de se prononcer
sur la mise en oeuvre des directives communautaires; il s'en est alors suivi au
sein des communautés comme la CEMAC ou l'UEMOA, du fait de leur
évolution en des modèles assez proches de l'archétype
européen
277 George SCELLE, cité par MANSOUR (L.), Op. Cit.
278 KOAGNE ZOUAPET (A.), Op. Cit. p.89.
279 Les Traités de Rome instituent la Communauté
Economique Européenne (CEE) et la Communauté Européenne de
l'Energie Atomique (CEEA) et créent une nouvelle instance
juridictionnelle, la Cour de justice des communautés européenne
(CJCE).
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d'intégration régionale, une transposition
surtout textuelle280 du modèle d'actes juridiques
communautaires281 et de leur exécution.
Mais il subsiste néanmoins des domaines
caractéristiques qui nécessitent l'implication
particulière d'une instance comme la CJC, chargée du respect du
droit communautaire dans l'interprétation et dans l'application de ses
normes. C'est le cas des directives communautaires.
L'applicabilité des directives communautaires est
problématique dans la mesure où elle repose sur un partage des
compétences entre autorités nationales et communautaires, mais
les modalités particulières de ce partage ne résident pas
dans les textes communautaires originaires et doivent être
déterminées par le juge communautaire comme le montre l'exemple
de la CJCE.
Lorsqu'on observe la jurisprudence de la CJCE, les
arrêts de principe relatifs à la transposition des directives
communautaires sont le fait en amont du renvoi préjudiciel des
juridictions nationales, c'est le cas de l'arrêt VAN GEND EN LOOS de 1963
qui consacre
l'effet direct du droit communautaire en
général, de l'arrêt COSTA contre ENEL le 15 juillet 1964
qui consacre la primauté du droit communautaire, et de l'arrêt VAN
DUYN du 04 décembre 1974 qui pose le principe de l'effet direct des
directives282. Mais l'emploi du renvoi préjudiciel est
inexistant en zone CEMAC283, alors qu'il a permis à la CJCE
de jouer un rôle central dans la construction
européenne284. Le recours en manquement apparait dès
lors comme une alternative judicieuse, pour permettre à la CJC de se
prononcer sur la mise en oeuvre du droit CEMAC et des directives en particulier
par les Etats membres, entendus ici au sens tant des autorités
nationales extra juridictionnelles que des juridictions nationales.
C'est notamment par le biais du recours en manquement d'Etat
que la CJCE développe dans l'arrêt FRANCOVICH du 28 mai 1991 la
solution de la responsabilité de l'Etat membre
280 La transposition du modèle européen peut
aussi transparaitre au niveau de la jurisprudence CEMAC, notamment sur la mise
en oeuvre des actes juridiques communautaires, mais comme on le constate la CJC
n'a pas encore eu l'occasion de donner sa position.
281 Voir les articles 41 du Traité CEMAC
révisé et 43 du Traité UEMOA révisé.
282 Voir SAURON, Op. Cit, p. 44.
283 Lors de la cérémonie de rentrée
solennelle de la Cour de Justice de la CEMAC le 20 novembre 2007, son
Président déplorait dans son discours inédit le fait que
sept années après son installation, la Cour n'avait
enregistré aucune question préjudicielle. Voir CHAMEGUEU (G-M.),
Op. Cit.
284 Voir R. KOVAR, « La contribution de la Cour de
Justice à l'édification de l'ordre juridique communautaire
», Rec. Des cours de l'Académie de droit européen
», 1993, Vol. livre I, livre I, p.15 ; cité par Chamegueu Op.
Cit.
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en cas de non transposition d'une directive communautaire en
droit interne. C'est aussi par cet instrument qu'elle développe et
impose les modalités du mécanisme de transposition, elle
décide par exemple que la transposition d'une directive n'exige pas la
reprise formelle de ses dispositions dans une disposition légale
expresse et spécifique285, et dans ce cas, il est important
que le contexte juridique général puisse assurer la pleine
application de la directive de façon suffisamment claire et
précise286.
Le recours en manquement est peut-être alors l'occasion
pour la CJC de se prononcer sur l'effet direct des directives CEMAC, ou encore
sur la responsabilité de l'Etat membre en cas de non transposition, car
en effet même s'il transparait au regard du droit communautaire CEMAC et
UEMOA un quasi mimétisme du modèle juridique
européen287, cela ne signifie pas pour autant que la mise en
oeuvre juridictionnelle sera similaire288.
La CJC pourra à travers le recours en manquement
définir une politique jurisprudentielle au service des objectifs
communautaires, qui sera relayée de manière contraignante par les
juridictions nationales, dont l'attitude jusqu'ici pourrait amener à
croire au caractère facultatif du renvoi préjudiciel. Les
juridictions nationales n'auront d'autre choix que de se conformer aux
décisions de la CJC, ou même de s'approprier alors le
mécanisme du renvoi préjudiciel, dans la mesure où le
manquement de l'Etat peut tout aussi bien être le fait des instances
judiciaires nationales. A travers le recours en manquement d'Etat, il est
offert à la CJC l'occasion d'exprimer toute sa dimension au sein de la
construction communautaire, et donc « non seulement de préciser
le droit, mais aussi de couvrir les lacunes par une jurisprudence
créative, prétorienne, en préfigurant ainsi...
l'évolution de la législative »289.
Il semble donc important qu'une réelle synergie
s'installe entre la commission de la CEMAC et la CJC, car c'est cette
association qui semble au regard du cas européen290,
285 CJCE Commission contre Italie du 9 avril 1987, aff 363/85,
Rec. p.1733.
286 CJCE Commission contre Allemagne, 9 septembre 1999, affaire C
217/97.
287 Il suffit pour cela de regarder le système
juridique des communautés CEMAC et UEMOA, tels que définis par
les textes communautaires originaires.
288 En effet il n'est pas acquis, sur un plan purement
hypothétique, que la solution de la CJC confrontée au
problème de l'effet direct des directives CEMAC ou même de la
responsabilité des Etats membres pour non transposition, sera identique
à celle de la CJCE.
289 Gheorghiu, Luminiþa, Evoluþia sistemelor
juridice contemporane. Privire specialã asupra tipologiei dreptului
comunitar, Bucuresti, Editura Universul Juridic, 2004, p. 189. Cité
par NEGRUT (V.), « le rôle de la jurisprudence (CEJ) dans le
développement du droit communautaire », ACTA UNIVERSITATIS
DANUBIUS. JURIDICA, n°1, 2008.
290 En 2003 par exemple, 3 927 affaires relatives à des
infractions étaient en cours: soit 1855 affaires dans lesquelles une
procédure a été engagée, 999 cas d'envoi d'un avis
motivé, 411 affaires dans lesquelles la Cour de justice a
été saisie. XXI Rapport de la Commission sur le contrôle de
l'application du droit communautaire
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permettre une protection effective et efficace des effets du
droit communautaire. Elle permettra aux autorités communautaires de
mettre en oeuvre de véritables sanctions contre les Etats membres.
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