A- La notion de manquement d'Etat
Le manquement visé à l'article 4 du
Traité peut consister soit dans un acte positif (l'introduction d'une
loi ou d'une réglementation nationale incompatible avec les obligations
communautaires), soit dans une omission (l'omission d'abroger une loi ou une
règlementation incompatible avec le traité ou le droit
communautaire dérivé). Le manquement de l'Etat peut donc
être le fait d'une absence de transposition, d'une mauvaise transposition
ou alors d'une incompatibilité des textes nationaux de transposition aux
objectifs des directives communautaires. La CJCE a jugé par exemple que
« l'absence de toute mesure de transposition d'une directive pour
atteindre le résultat prescrit par celle-ci dans le délai imparti
à cet effet constitue en elle-même une violation
caractérisée du droit communautaire »243.
Le comportement répréhensible doit être
imputable à l'Etat. Le droit communautaire tend à
considérer l'Etat comme un tout quel que soit l'organe dont l'action ou
l'inaction est à l'origine du manquement244, qu'il s'agisse
des Etats fédérés dans un Etat fédéral ou
encore des autorités décentralisées dans un Etat unitaire
; ce peut donc être le gouvernement, mais aussi le parlement, ou tout
aussi bien les institutions judiciaires245, qui agiraient en
méconnaissant les dispositions claires, précises et
inconditionnelles d'une directive déjà en vigueur.
Le recours en manquement revêt aux yeux des professeurs
Jean Denis Mouton et Christophe Soulard, des traits le distinguant des
règles jusqu'à présent admises en droit international
classique, par le rôle déterminant qu'il réserve à
la Commission, organe
243 CJCE 8 octobre 1996, Dillenkofer, affaires jointes 178/94,
179/94, 188/94, 109/94, Rec. I p. 4845.
244 Ibid.
245 Dans ce cas, il peut s'agir d'un arrêt passé
en force de chose jugée et qui méconnait le droit communautaire
ou d'une juridiction tenue au renvoi et qui a omis de renvoyer. Voir TATY (G.),
Op. Cit.
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indépendant des Etats246. Bien qu'elle n'ait
pas d'équivalent en droit international, l'action en manquement est
souvent considérée comme d'inspiration « internationaliste
» parce qu'elle ne peut être mise en oeuvre que par une institution,
la Commission, ou par un Etat membre247.
B- Les enjeux du recours en manquement d'Etat
L'adoption du mécanisme de recours en manquement au
sein de la CEMAC se justifie à plus d'un titre. Le droit communautaire
de la CEMAC en effet, s'il énonçait des principes, créait
des obligations, et formulait des interdictions, il ne donnait aucune
précision sur la sanction de la violation du droit communautaire par les
Etats membres.
Si un corps d'institutions et d'organes et un corps de
règles étaient alors jusque là présents en zone
CEMAC comme l'exige la construction d'un marché commun, on y cherchait
encore une quelconque trace de sanction juridique248 de la violation
du droit communautaire par les Etats membres. L'adoption du mécanisme
vient donc répondre à une nécessité criarde en zone
CEMAC, celle d'instaurer une réelle garantie du respect du droit
communautaire par les Etats membres, mais elle répond aussi à
l'appel lancé en 2005 par le comité inter Etats réuni
à Malabo, qui réclamait l'adoption d'un véritable
régime de sanction.
Plusieurs manquements d'Etat ont été
constatés entre 1999 et 2009, et parmi eux bien entendu des manquements
à l'obligation de transposition, mais aucun Etat de la sous
région n'a jamais été sanctionné. On peut citer par
exemple, sur le plan de la fiscalité intérieure, l'augmentation
unilatérale du taux de TVA (25%) part rapport à la fourchette de
taux fixée par la directive communautaire (12 à 18%), la
limitation unilatérale de la liste communautaire des produits
exonérés de TVA, le non remboursement ou la non
déductibilité des crédits de TVA249, le
dépassement des délais par l'Etat camerounais dans la
transposition des directives
246 Mouton (J.L.) et Soulard (C.), La Cour de justice des
communautés européennes, Paris,
PUF, Que sais-je ?, 1998, p242, cité par KOAGNE ZOUAPET
(A.), la recevabilité des requêtes devant la Cour de justice de
la CEMAC, Mémoire de Master en Relations internationales, option
contentieux international, Yaoundé, IRIC, 2010, p. 35.
247 Manin (P.), Les communautés européennes
L'Union européenne, Paris, Pedone, Etudes internationales, N°
6, 5ème édition, 1999, p.362, cité par KOAGNE ZOUAPET
(A.), Op. Cit.
248 En effet L'article 32 de l'Additif au traité de
1994 énonce que « si un Etat ne s'est pas acquitté de sa
cotisation un an après l'expiration du délai fixé par le
règlement financier, sauf cas de force majeure, le gouvernement de cet
Etat est privé du droit de prendre part au vote des assises des
institutions et organes de la Communauté ». Il s'agit ici
d'une sanction politique. L'opposition entre la sanction politique et la
sanction juridictionnelle se fonde davantage sur la procédure
d'édiction de la sanction, et tout spécialement sur la
qualité de l'institution qui la prononce, que sur la nature de la
sanction elle même.
249 TATY (G.), Op. Cit.
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relatives aux communications électroniques. Autant de
violations qui fragilisent la sécurité juridique des particuliers
et la construction du marché commun.
« Le législateur CEMAC » accomplit ainsi une
véritable révolution, en introduisant dans l'ordre juridique
communautaire un mécanisme habilitant la Cour à constater les
manquements d'un Etat membre, et éventuellement lui infliger des
sanctions financières.
Désormais, tout Etat membre de la CEMAC peut voir ses
actes soumis par la voie de la procédure en manquement d'Etat, au
contrôle du juge communautaire dont la mission est de délimiter
les obligations incombant aux Etats membres, mais aussi de fixer les
interprétations authentiques des règles
communautaires250.
Paragraphe II : LA PROCEDURE DU RECOURS EN
MANQUEMENT
La procédure du recours en manquement en zone CEMAC n'a
pas encore été mise en oeuvre depuis son adoption251,
par conséquent les faits que nous évoquerons dans les lignes qui
suivent ressortent en grande partie de la pratique européenne. La
procédure du recours en manquement se déploie à travers
une action de constatation de manquement (A) qui permet à la Cour de
justice communautaire de se prononcer par un arrêt en manquement (B).
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