A- L'apathie du juge national à l'égard du
droit communautaire
La CJC ne peut exercer son activité sur la
totalité des situations dans lesquelles se pose la question de
l'application du droit communautaire. Le déficit de moyens
infrastructurels, structurels et logistiques adéquats accroît
cette infirmité institutionnelle et fonctionnelle, par
conséquent, recentre le juge national, en l'occurrence, le juge
camerounais dans le dispositif mis en place en vue de l'application du droit
communautaire230. C'est donc le juge national, en l'occurrence le
juge camerounais qui en raison des liens institutionnels et psychologiques
qu'il a avec les autorités du pays, apparait comme ayant la position la
plus déterminante pour oeuvrer à l'appropriation du droit
communautaire231, et de façon particulière,
vérifier la conformité des actes administratifs et des actes de
droit privé aux normes juridiques communautaires ; c'est-à-dire
par exemple, contrôler la transposition des directives communautaires.
En effet, la reconnaissance du droit communautaire est
« d' autant plus important que les personnes privées sont
dépourvues de possibilités de recours contre les Etats devant le
juge communautaire et ne peuvent donc agir que devant les juges nationaux
devenus juges communautaire de droit commun »232.
229 Dans le cadre du recours en manquement.
230 J. KENFACK, « le juge camerounais à
l'épreuve du droit communautaire et de l'intégration
économique », Juridis périodique, n°63,
Juillet-août-septembre 2005, p.67.
231 DJEDJRO MELEDJE (F.), Op. Cit. p.9.
232 J. Rideau, « Le rôle de l'Union
Européenne en matière de protection des droits de l'homme ».
RCADI, t.265
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Mais on note une véritable résistance, qui
s'explique en partie par « le manque d'appropriation du droit
communautaire par les juges nationaux. En effet, la diffusion du droit
communautaire auprès des juridictions nationales qui sont pourtant en
première ligne dans son application fait défaut.
Cela se traduit par l'absence de Bulletin officiel de la
Communauté, ou de revues faisant une place plus ou moins importante au
droit communautaire. Plus grave l'accès informatique aux textes de la
Communauté et à la jurisprudence de la Cour est
insuffisant.
En réalité, les juges nationaux sont
rarement confrontés à des questions d'interprétation ou
d'appréciation du droit communautaire matériel comme le sont
leurs homologues européens »233.
En outre, L'absence de questions préjudicielles
démontre à souhait le manque de dialogue entre le juge
communautaire et les juges nationaux.
B- La contingence du contrôle du juge national
« Devant le juge interne, le droit international n'est
pas en principe un élément d'ordre public, il n'est
appliqué que s'il est invoqué »234.
L'activité du juge national consubstantielle à l'expression
et à l'épanouissement du droit communautaire, ne peut donc se
produire que si les justiciables invoquent les normes communautaires lors de
leur défense devant les juridictions nationales.
Mais les juges nationaux sont rarement confrontés
à des questions d'interprétation ou d'appréciation du
droit communautaire matériel, notamment du fait de l'absence de
combativité judiciaire des particuliers235, prompts à
soustraire les litiges visés à la sphère du juge, avec des
voies plus proches de la diplomatie économique236. Des
solutions qui si elles servent de manière succincte
l'intérêt du justiciable, ne concourent en aucun cas à
l'effectivité juste des normes communautaires en droit interne, mais
plutôt à la persistance des irrégularités.
(1997), p.143. Cité par MANSOUR (L.), «
l'accès des particuliers au juge communautaire : analyses et incidences
des évolutions jurisprudentielles », Master 1 Droit et Science
politique/Option régulations internationales et Européennes,
Université Nice Sophia-Antipolis, année 2006-2007.
233 Voir G. TATY, Op. Cit.
234 OLINGA (A-D), « Réflexions sur le droit
international, la hiérarchie des normes et l'office du juge camerounais
» Juridis périodique, n°63,
Juillet-août-septembre 2005, p.11.
235 CHAMEGUEU, Op. Cit.
236 J. KENFACK, Op. Cit. p.75.
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Plusieurs raisons semblent justifier le comportement peu
enthousiaste des particuliers à l'égard du juge :
- Dans un premier temps, l'absence de Bulletin officiel de la
Communauté, ou de revues relatives au droit communautaire entretient la
désinformation des justiciables sur le droit de la CEMAC.
- En outre, pour le docteur Jean Kenfack, les lenteurs des
procédures judiciaires, le comportement peu orthodoxe des
administrations concourent également à cet état de
fait237.
- Sans doute les justiciables ignorent les avantages qu'ils
peuvent tirer de l'effet direct du droit communautaire, dont la dynamique
repose avant tout sur le rôle du justiciable238, à tel
point que le Président Lecourt écrivait :
« Lorsque le particulier s'adresse à son juge
pour faire reconnaître le droit qu'il tient des traités, il n'agit
pas seulement dans son intérêt propre, il devient par là
même une sorte d'agent auxiliaire de la Communauté
»239.
Il est donc primordial que le justiciable CEMAC, et
camerounais en l'occurrence, bouscule l'immobilisme du juge national, afin de
conférer la force et la prévisibilité à la
règle communautaire240. C'est dans ce sens que la CJCE
précise par ailleurs que, « la vigilance des particuliers
intéressés à la sauvegarde de leurs droits entraine un
contrôle efficace qui s'ajoute à celui...de la commission et des
Etats membres »241.
Les justiciables, les Etats membres, la Commission, et tout
aussi bien les juges communautaire et nationaux, concourent donc à la
mise en oeuvre du droit communautaire, ou à la transposition des
directives en particulier. Alors même si des lacunes persistent, et
freinent alors l'écoulement progressif dans les ordres juridiques
nationaux de la réglementation induite par les directives CEMAC, les
réformes récentes au sein de la Communauté
démontrent le caractère corrigible de l'exercice de
transposition, avec l'instauration du recours en manquement, qui peut avoir des
répercussions importantes et positives.
237 J. KENFACK, Op. Cit. p.75.
238 G. TATY, Op. Cit.
239 L'Europe des juges, Bruxelles, Bruyant, 1976, p.260,
cité par B. Genevois dans ses conclusions sur l'arrêt Cohn-Bendit,
p.161, cité par G. TATY, Op. Cit.
240 J. KENFACK, Op. Cit. p.75.
241 CJCE, 5 février 1963, aff. 6/62.
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