II- CLARIFICATION DES CONCEPTS
1- la transposition
La transposition de prime abord peut être définie
comme « le passage d'un ordre juridique règlementaire à
un autre moyennant parfois certaines conditions de délais, d'adaptation
ou de réserves. Spécialement en Union Européenne(UE) c'est
l'action d'insérer en droit interne les normes communautaires, moyennant
les vérifications et remaniements nécessaires ; elle
désigne principalement les tâches incombant aux
départements ministériels,
10 Voir article 41 du Traité CEMAC
révisé.
11 Voir article 41 du Traité CEMAC
révisé.
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en vue de l'intégration des directives
communautaires »12. [a transposition désigne alors
toute mesure contraignante de nature législative, réglementaire
prise par toute autorité nationale compétente d'un Etat afin
d'incorporer dans l'ordre juridique national les obligations, les droits et les
devoirs prévus dans la directive communautaire.
Si le concept ne souffre plus d'aucune ambigüité
pratique et procédurale en Union Européenne et dans ses Etats
membres (en effet, même si les Etats membres disposent d'une grande
liberté concernant les moyens de transposition, la jurisprudence de la
Cour de Justice des Communautés Européenne a très
rapidement encadré, par une série d'arrêts,
l'évolution de la pratique de la transposition en UE13), le
cas n'est pas similaire en zone CEMAC, dans la mesure où la
transposition y est une pratique assez récente, conséquence de
l'avènement au sein de la CEMAC d'un véritable système
d'intégration juridique, à travers une variété
d'actes juridiques qui faisait jusque-là défaut à
l'UDEAC.
Néanmoins, la transposition peut être
appréhendée en zone CEMAC comme une « mesure
nationale de mise en oeuvre de la directive
»14, dans la mesure où
cette dernière ne rentre pas dans la législation nationale avec
la même force qu'un règlement. L'intervention des organes internes
aux Etats membres est nécessaire, car ils sont les principaux acteurs du
processus de transposition dont la violation peut être sanctionnée
au sein de la CEMAC par la voie d'un « recours en manquement d'Etat
»15. C'est un mécanisme juridictionnel permettant la
saisine de la CJC afin que celle-ci prononce des sanctions contre tout
manquement d'un Etat membre à ses obligations découlant du droit
communautaire, des sanctions dont le régime sera défini par des
textes particuliers16.
[a transposition vise alors à éviter tout
contentieux sur la non-conformité du droit interne avec le droit
communautaire, elle implique pour se faire des précisions
complémentaires pour la directive dans le droit interne, mais aussi
l'adoption de toute disposition jugée complémentaire, tel qu'un
amendement ou une abrogation des dispositions nationales incompatibles.
12 CORNU (G.), vocabulaire juridique,
7ème édition, 2006. p.916.
13 CJCE, Royer, 8 avril 1976, aff. 48/75, Rec. p. 497 ; CJCE,
Enka, 23 novembre 1977, aff. 38/77, Rec. p. 2203 ; CJCE, Commission contre
Italie, 15 mars 1983, aff. 145/82, Rec. p. 711.
14 KENFACK (J.), les actes juridiques des
communautés et organisations d'intégration en Afrique Centrale
Occidentale, thèse de doctorat nouveau régime,
Université de Yaoundé II Soa, janvier 2003. p.110.
15 TATY (G.), « le recours en manquement d'Etat de
l'article 4 du traité révisé de la CEMAC : analyse
critique», troisième rencontre inter-juridictionnelle des
cours communautaires de l'UEMOA, la CEMAC, la CEDEAO et l'OHADA, Dakar, mai
2010.
16 Voir article 4 du traité CEMAC révisé.
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2- La directive
Aux termes de l'article 41 du Traité CEMAC
révisé, « les directives lient tout Etat membre
destinataire quant au résultat à atteindre tout en laissant aux
instances nationales leur compétence en ce qui concerne la forme et les
moyens ».
La directive CEMAC en liant tout Etat membre, se distingue
alors de la directive communautaire CEEAC17 qui ne vise que les
institutions communautaires ; de plus, elle se démarque aussi de la
directive en droit interne, qui est une mesure d'ordre intérieur qui
vise à régir l'organisation, le fonctionnement, bref la vie
intérieure des services dans un ministère, et qui joue un
rôle d'impulsion ferme sur les fins et plus souple quant au moyens pour y
parvenir.
En outre, si l'attachement des directives au but fixé
laisse en zone CEMAC une grande marge de manoeuvre aux destinataires dans le
choix des textes nationaux de transposition (lois, règlements,
décrets, arrêtés, circulaires...) et dans celui des
structures administratives de mise en oeuvre des directives, les choses ont
évolué différemment en Union Européenne (UE)
où les directives sont devenues de plus en plus
détaillées, n'offrant désormais aux destinataires qu'une
marge très limitée quant aux modalités normatives de leur
mise en exécution.
La directive CEMAC est surtout utilisée pour
l'harmonisation des législations nationales, d'où la souplesse et
la flexibilité de son régime juridique. La directive n'a pas une
portée générale, toutefois il arrive qu'elle lie tous les
Etats membres impliquant de ce fait une mise en oeuvre simultanée,
atténuant ainsi l'affirmation de sa portée
limitée18 ; c'est le cas par exemple au sein de l'UE,
où les directives font le plus souvent l'objet d'une mise en oeuvre
simultanée dans l'ensemble de la Communauté, réglant alors
indirectement la situation juridique de tous les citoyens de
l'Union19.
La mise en oeuvre de la directive est toutefois
subordonnée à la procédure de transposition, ce qui lui
ôte ainsi en principe toute possibilité d'applicabilité
directe, empêchant alors le moyen de l'invoquer en cas de non
transposition ou de mauvaise transposition. C'est une carence qui peut
notamment perdurer dans la mesure où les directives
17 La Communauté Economique des Etats de
l'Afrique Centrale est créée par le Traité de Libreville
du 18 octobre 1983.
18 KENFACK (J.), Op. Cit. p.109.
19 MONJAL (P-Y.), les normes de droit communautaire,
Paris, PUF, 2000. p.34
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CEMAC ne prévoient généralement pas de
délais de transposition. Cependant, les directives CEMAC ont tout de
même vocation à l'applicabilité immédiate et
s'intègrent dans les ordres juridiques nationaux du simple fait de leur
publication au Journal Officiel de la Communauté. En outre, si le juge
européen a admis la possibilité de l'applicabilité directe
de la directive, entrainant une tendance à l'effacement de la
distinction entre directive et règlement, ce n'est tout de même
pas encore envisageable dans la CEMAC20. Le manquement de l'Etat en
matière de transposition n'obture toutefois en aucun cas, l'existence de
la directive, car « un tel acte en état de latence, peut
à tout moment être réactivé
»21.
La directive enfin, s'est vu admettre l'effet direct par le
juge européen, notamment en présence de dispositions claires,
précises et inconditionnelles, permettant au justiciable de s'en
prévaloir, « à défaut de mesures d'application
prises dans les délais à l' encontre de toute disposition
nationale non conforme à la directive, ou encore en tant qu'elles sont
de nature à définir des droits que les particuliers sont en
mesure de faire valoir à l'égard de l'Etat
»22. L'effet direct ne reste toutefois qu'une
qualité accessoire de la directive, qui n'agit que par défaut,
à l`encontre de la non transposition ou de la mauvaise transposition du
texte de la directive.
3- L'ordre juridique national
L'ordre juridique selon le professeur Narcisse Mouelle Kombi, est
un concept qui renvoie à « un ensemble ordonné et
coordonné de règles, formulées et établies par des
autorités compétentes, destinées à des sujets
déterminés et dont la violation est sanctionnée, au besoin
par la contrainte »23.
Le docteur Jean Kenfack insiste sur trois principaux
éléments qui sous-tendent la définition de l'ordre
juridique, à savoir, « un ensemble articulé de normes,
l'existence d'organes chargés de les produire et d'en garantir
l'exécution, l'autonomie de ces normes et des organes comme gage de leur
existence »24 ; c'est alors avec justesse selon lui, que
le professeur Isaac soutient que l'ordre juridique est un «
ensemble organisé et structuré de
20 KENFACK (J.), Op.Cit. p.111. 21Op.Cit. p.246.
22 CJCE, Ursula Becker, 19 janvier 1982, aff. 8/81, Rec. p.
53.
23 N. MOUELLE KOMBI, « l'intégration
régionale en Afrique Centrale, entre interétatisme et
supranationalisme » in : l'intégration régionale
en Afrique Centrale : bilan et perspective, HAKIM BEN HAMMOUDA,
BRUNO BEKOLO EBE, TOUNA MAMA, Paris, Karthala, 2003. p. 223.
24 KENFACK (J.), Op.Cit. p. 26.
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normes juridiques possédant ses propres sources,
doté d'organes et procédures aptes à les émettre,
à les interpréter ainsi qu'à en faire constater et
sanctionner le cas échéant, les violations
»25.
L'ordre juridique national peut alors être
appréhendé comme cet ensemble structuré et organisé
de règles juridiques, doté d'organes et de procédures pour
leur émission, leur interprétation et leur sanction en cas de
violation, et qui est propre à un Etat, qui appartient à cet
Etat, et dont la sphère d'application se limite aux frontières de
cet Etat. Il peut s'agir par exemple de l'ordre juridique camerounais, ou
encore de l'ordre juridique gabonais ou congolais.
Mais cette clarification de l'ordre juridique national ne
serait vraiment pertinente dans un contexte d'intégration
régionale, et spécifiquement d'intégration du droit
communautaire en droit national, si l'on ne s'attèle pas à
distinguer l'ordre juridique national de l'ordre juridique communautaire, qui
est de plus en plus réel en zone CEMAC.
En effet, dans son célèbre arrêt Van Gend
Loos du 05 février 196326, la CJCE présente l'ordre
juridique communautaire en ces termes : « la communauté
constitue un nouvel ordre juridique de droit international au profit duquel les
Etats ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits
souverains, et dont les sujets sont non seulement les Etats membres, mais
également leurs ressortissants ».
L'ordre juridique communautaire est alors avant tout un ordre
juridique international27, c'est-à-dire un ensemble de normes
obligatoires produites par des Etats souverains sujets de droit international.
En effet, les organisations d'intégration économique comme la
CEMAC, l'UEMOA, ou encore l'UE, s'appuient sur des normes qui prennent sources
dans leurs traités institutifs, définis par l'article 2
paragraphe 1er al(a) de la Convention de Vienne du 23 mai 1963 sur
le droit des traités, comme «... un accord international conclu
par écrit entre Etats et régi par le droit international, qu'il
soit consigné dans un instrument unique ou dans deux ou plusieurs
instruments connexes, et quel que soit sa dénomination
particulière » . Les objectifs généraux de ces
organisations sont notamment consignés à l'intérieur de
ces traités, qui ont vocation à discipliner les rapports mutuels
entre Etats membres, dans le but final de
25 ISAAC (G), Droit communautaire
général, Paris, Armand Colin, 1998, p.117, cité par
KENFACK (J.), Op. Cit.
26 CJCE, arrêt Van Gend En Loos, 5 février 1963,
aff. 26/62, Rec.1.
27 Francine BATAILLER, « le juge interne et le droit
communautaire », Annuaire français de droit international,
volume 9, 1963. p.736.
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construire une union économique au sein de l'espace
géographique limitant leur champ de compétences. L'ordre
juridique communautaire se distingue toutefois nettement de l'ordre juridique
international, du fait justement des constantes majeures qui ressortent lorsque
l'on observe les organisations d'intégration économique :
hiérarchie des normes communautaires,
plurilatéralisme28, proximité géographique des
Etats signataires, ambitions économiques communes, élaboration de
politiques communes...etc. L'ordre juridique communautaire est en outre un bloc
juridique à deux degrés29, le premier concernant les
règles primaires ou originaires, le second concernant les règles
secondaires ou dérivées. L'intégration de ces normes
hiérarchisées dans les ordres juridiques nationaux s'effectue
dans le respect de principes qui consolident l'autonomie du droit
communautaire, en occurrence la primauté 30,
l'applicabilité immédiate31 et l'effet
direct32.
Dans le cadre précis de la CEMAC, les réformes
engagées au courant de l'année 2008 qui ont poussé la
Communauté à réviser ses textes originaires (le 25 juin
2008 à Yaoundé), permettent aujourd'hui de déceler les
trois éléments de l'ordre juridique précisés par le
docteur Jean Kenfack (les normes juridiques, les organes de production et
d'exécution, et leur autonomie ) et de conclure à l'existence
d'un véritable ordre juridique communautaire, en rapport avec les divers
ordres juridiques nationaux des Etats membres.
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