SECTION I. LE `' JUS AD BELLUM» OU DROIT DE FAIRE
LA GUERRE
Le Droit de faire la guerre est une notion délicate du
Droit International Public (DIP). Le DIP est l'ensemble des règles et
principes qui régissent les relations entre Etats et d'autres sujets du
droit international comme les organisations internationales ; et qui les
engagent de manière réciproque. C'est la loi de la
communauté internationale12. Actuellement le DIP régit
les Etats, les organisations internationales et les personnes privées,
physiques ou morales ; car les sujets de droit, dans un système
juridique ne sont pas nécessairement identiques quant a leur nature ou a
l'étendue de leurs droits et leur nature dépend des besoins de la
communauté13.
Dans les relations des nations, la nécessité de
déterminer un « code de bonne conduite » excluant le recours
à la violence apparaissait déjà opportune, dés lors
que les Etats nouaient des relations mutuelles. Le tout premier traité
connu, consistant dans une inscription sur un monument en pierre (environ 3100
Av. JC), fut signé entre les cités sumériennes. D'autres
empires du Proche-Orient vont aussi signer des traités de ce genre au
cours du IIe millénaire avant JC.
11 H. GROTUIS, cité par N. QUOC D., A PELLET,
Droit International Public, LGDJ, Paris, 2002, p. 83
12 B. M. MBUYI, Introduction a l'étude des
sources modernes du Droit International Public, Bruylant, Québec,
1999, p. 57
13 CIJ, « Réparation des dommages
subis aux services des Nations Unies », Avis consultatifs du 11 Avril
1949, Recueil des arrêts, avis consultatifs et ordonnances,
1949, p. 178
Plus tard Juifs, Grecs et Romains fixèrent certains
principes qui prescrivaient l'usage de la force. Parmi ces principes nous avons
celui qui obligeait que toute déclaration de la guerre devrait
être précédée d'un ultimatum avec délai
permettant d'éloigner les vulnérables (femmes, vieillards et
enfants) de la zone de combat.
Mais avec la notion de la « guerre juste », les
Romains furent les premiers à apporter une contribution
déterminante au droit international ; en affirmant le devoir pour une
nation a s'abstenir de faire la guerre sans motif légitime. Pour eux,
une guerre était juste lorsqu'elle était déclarée
par l'autorité souveraine dans le but de maintenir l'ordre et la
justice, et non motivée par le profit ou une volonté
dominante14.
Au cours du Moyen-âge, le droit de faire la guerre sera
aussi codifié. Mais c'est le père du DIP, GROTUIS avec le droit
naturel, qui viendra interdire aux nations modernes de s'abstenir a l'usage de
la force et a causer du tort a autrui, tenir parole, réparer les
dommages, etc. ces exigences tiennent dit-il, à la nature humaine, elles
sont permanentes et DIEU lui-même ne peut les changer15.
Poursuivant ce mouvement de codification du droit de faire la
guerre, les nations tentèrent immédiatement après la
première guerre mondiale, d'organiser la paix d'une manière
totale ; mais l'arbitrage international confié a la
Société des Nations (SDN), n'avait pas permis de régler
les différends entre pays de manière pacifique. Par après
viendra le pacte de Paris appelé pacte BRIAND-KELLOGG, qui n'a pas aussi
empêché les hostilités malgré qu'il ait
été signé par l'Allemagne et le Japon.
Dès nos jours, depuis 1945, les Nations Unies,
s'inscrivant dans la postérité de la SDN, ont consacré
dans leur Charte constitutive l'illégalité de la guerre. Ainsi la
guerre a été interdite dans les relations internationales des
Etats (§1), mais ce principe de non recours à la force
connaît quelques limites (§2).
§1. DE L'INTERDICTION DU RECOURS A LA FORCE ARMEE
Longtemps, l'emploi de la force tout détestable qu'il fut,
demeura le procédé le plus rependu de règlement des
différends internationaux. L'avènement de l'ONU qui a
instauré
14 C. KARLVON, De la guerre, Minuit, Paris,
1955, p. 25
15 H. GROTUIS, le droit de la guerre et de la
paix, traduit par J. BARBEYRAC, centre de philosophie politique et
juridique, Caen, 1984, p. 78
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dans sa Charte constitutive le principe de non recours
à la force, et qui a imposé plus que jamais d'autres moyens
pacifiques de solution aux litiges survenant entre les membres de la
communauté internationale, dans le but de garantir la paix et la
sécurité internationales ; rendra moins fréquent l'usage
de la force dans le règlement des différends opposant les
Etats.
Parlant du principe de non recours a la force, bien avant la
Charte de l'ONU, plusieurs tentatives avaient été entreprises par
les nations pour mettre la guerre hors la loi, notamment la convention
`'Drago-Porter» dite de la Haye de 1907 qui fut la première, le
pacte de la SDN de 1919 et le pacte de BRIAND-KELLOGG du 26 Août 1928.
Toutes ces tentatives se sont heurtées a des obstacles, au point
qu'elles n'avaient pas empêché le recours à la force sous
toutes ses formes.
Pour la première, elle n'interdisait l'usage de la
force que lors du recouvrement de dettes contractuelles, ce qui marqua sa
portée très limitée. Pour la deuxième qui provenait
de la SDN, elle va laisser l'humanité dans une perplexité par ce
que tout en reconnaissant d'une part l'illicéité de la guerre,
elle reconnaissait d'autre part sa licéité lors que certaines
règles de procédure sont respectées (l'article 12 de son
pacte)16. Et la troisième tentative, elle était
constituée de deux actes adoptés la même année, et
les deux documents ne coïncidaient pas dans leur champ d'application
ratione personae, car les Etats parties a l'un d'entre eux ne l'étaient
pas toujours pour l'autre17.
Elaborée au moment oü l'épreuve de la
seconde guerre mondiale, la plus meurtrière encore que la
première, la Charte de l'ONU va corriger les imperfections du pacte de
la SDN, et va prohiber la guerre. Cette prohibition posée par l'article
2 §4 de la Charte vise tout recours a la force, dont la guerre n'est
qu'une forme extrême : « les membres de l'organisation
s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir a la menace ou
a l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou
l'indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre
manière incompatible avec les buts de Nations Unies
»18.
Dans le même angle d'idée, l'Assemblée
Générale de l'ONU dans sa résolution (A/RES/42/22) du 18
Novembre 1987 portant déclaration sur le renforcement de
l'efficacité
16 P. DAILLER, M. Forteau, A. Pellet, N. QUOCDIN,
Droit International Public, 8e éd, LGDJ, Paris,
2009, p. 1034
17 Idem, p. 1035
18 ONU, Charte des Nations Unies, Nations
Unies, New-York, 1965, N°176, p. 4
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du principe de l'abstention du recours a la menace ou a
l'emploi de la force dans les relations internationales, adoptée
à sa 73ème séance, réaffirme que tout
Etat qui fait usage de la menace ou emploi la force pour régler un
différend qui lui oppose à un autre Etat, viole le droit
international et la Charte des Nations Unies, et engage ainsi sa
responsabilité internationale ; dès lors qu'il met en danger la
paix et la sécurité internationales ainsi que la
justice19.
Depuis lors, la condamnation de la guerre était mainte
fois répétée dans tous les pactes régionaux de
sécurité et de défense mutuelle, car chaque peuple a droit
à la paix. La résolution de l'Assemblée
Générale 39/11 du 12 Novembre 1984 portant déclaration sur
le droit des peuples à la paix fut prise dans ce sens.
Le recours à la force étant ainsi
prohibé, les Etats sont désormais obligés de régler
leurs différends par des moyens pacifiques, entre autres les modes non
juridictionnels de règlement des différends : les
négociations directes, les bons offices, les médiations,
l'enquête et la conciliation ; et les modes juridictionnels de
règlement des différends : l'arbitrage et le règlement
judiciaire par la Cour Internationale de Justice (CIJ).
Bref, la guerre étant interdite par le principe de non
recours à la force, les nations se sont imposé les
méthodes pacifiques de règlement de différends. Mais ce
principe de non recours à la force connaît des exceptions.
§2. LES LIMITES AU PRINCIPE DE NON RECOURS A LA FORCE
Pour radicale que soit la condamnation du recours à la
force, elle n'exclut pas que certaines exceptions puissent lui être
apportées.
A la différence du pacte de la SDN qui procédait
par énumération des hypothèses des guerres
illégales, l'article 2 §4 de la Charte prohibe, rappelons-le, la
menace ou l'emploi de la force.
Mais, il existe toute fois des situations où le recours
à la force armée est admis par les Nations Unies : c'est le cas
du droit de légitime défense (A), c'est aussi le cas lors que
le
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conseil de sécurité de l'ONU, se fondant sur le
chapitre VII de la Charte décide de l'emploi collectif de la force (B).
C'est en fin, le cas reconnu dans la résolution 2105 (XX) adoptée
en 1965 dans le cadre du droit des peuples a disposer d'eux-mêmes (C).
A. RECONNAISSANCE DU DROIT DE LEGITIME DEFENSE
Aucune disposition de la Charte, dit son article 51, ne porte
atteinte au droit naturel de légitime défense. Cet article
distingue la légitime défense individuelle(1) et collective
(2).
1. La légitime défense
individuelle
Il convient de la définir (a), et d'en examiner les
conditions d'exercice (b).
a. Notion
La légitime défense individuelle est le droit
d'un Etat attaqué d'avoir recours a la force armée, pour se
protéger contre l'agression dont il est victime. Pour qu'un Etat puisse
recourir a la guerre dans l'exercice de son droit de légitime
défense individuelle, il faut qu'il soit (réellement et
actuellement) victime d'une agression armée, que le recours a la force
soit le seul moyen nécessaire et proportionnel pour se mettre a l'abri
de l'agression ; et en fin qu'il informe le conseil de sécurité
des mesures prises au titre de légitime défense et soit
prêt à les abandonner lorsque le conseil de sécurité
y aura substitué des mesures proprement collectives.
b. Conditions d'exercice de la légitime défense
individuelle 1°. L'agression
« Dans le cas de la légitime défense
individuelle, ce droit ne peut être exercé que si l'Etat
intéressé a été victime d'une agression
armée »20. Selon la résolution 3314 (XXIX),
« l'agression est l'emploi de la force armée par un Etat contre la
souveraineté, l'intégrité territoriale ou
l'indépendance politique d'un autre Etat, ou de toute autre
manière incompatible avec la Charte des Nations Unies, ainsi qu'il
ressort de la présente définition ». La CIJ n'a jamais
contesté cette définition.
20 CIJ, 27 Juin 1986, Nicaragua contre
Etats-Unis, Rec., 1986, p. 103 §195
Mais l'énumération fournie par la
résolution n'est cependant pas limitative, car d'autres actes pouvant
être qualifiés d'actes d'agression par le conseil de
sécurité ou par la CIJ.
2°. Nécessité et
proportionnalité
Dans la logique d'un système qui cherche a
réduire au maximum l'emploi unilatéral de la force armée,
elle ne peut être utilisée que dans la mesure du stricte
nécessaire pour se protéger de l'agression. Ce qui condamne les
mesures disproportionnées qui seraient utilisées à cette
fin.
3°. Information au conseil de sécurité de
l'ONU
Selon l'article 51 de la Charte, « les mesures prises
dans l'exercice ... du droit de légitime défense sont
immédiatement portées à la connaissance du conseil de
sécurité et n'affectent en rien le pouvoir et le devoir qu'a le
conseil de sécurité, en vertu de la présente Charte,
d'agir a tout moment de la manière qu'il juge nécessaire pour
maintenir ou rétablir la paix et la sécurité
internationales ».
La précision se conçoit, en son principe
aisément. L'Etat qui se prévaut de la légitime
défense doit informer le conseil de sécurité des mesures
qu'il adopte a cette fin, pour que leur licéité puisse être
vérifiée, et que des dispositions collectives puissent y
être substituées le plus rapidement possible.
La légitime défense paraît indissociable
d'un système de sécurité collective qui demeure
présentement, malgré ses imperfections21.
2. La légitime défense
collective
Avant d'en examiner les conditions d'exercice (b), il convient
d'abord de la définir (a). a. Notion
La légitime défense collective est le droit d'un
Etat d'utiliser la force pour venir en aide a un autre Etat victime d'une
agression. Malgré les vives critiques dont elle a parfois fait l'objet,
elle est expressément admise par l'article 51 de la Charte.
21 M. CIFENDE K., Droit International Public,
UCB, G3 Droit, 2010-2011, inédit
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b. Conditions d'exercice
La légitime défense collective ne peut
être exercée que si les conditions de la légitime
défense individuelle sont remplies. Il faut notamment qu'une agression
armée ait été commise contre l'Etat qui
bénéficie de la légitime défense collective,
même si l'auteur de celle-ci ne doit pas avoir été
lui-même victime d'une telle agression.
Aucune règle ne permet la mise en jeu de la
légitime défense collective sans la demande de l'Etat victime.
L'exigence de cette demande s'ajout a celle d'une déclaration par
laquelle cet Etat se proclame agressé.
Très légitimement, les auteurs de la Charte ont
estimé que l'action des Etats devait être harmonisée et
coordonnée avec les responsabilités de l'ONU22.
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