IV.1.2. L'abstentionnisme
La participation se trouve au coeur de l'idéal de la
vie démocratique, c'est à travers l'élection l'instrument
par excellence de la démocratie que le peuple a son mot à dire
sur la décision du pays. C'est à travers l'élection que le
pouvoir des dirigeants puise sa source de légitimité. Cependant,
la baisse du taux de participation de la population pose le problème de
légitimité du pouvoir.
En ce qui concerne Madagascar, le phénomène de
l'abstention commence à gagner du terrain et ne cesse de s'amplifier. A
l'appui de ce propos, on constate une certaine tendance de la baisse de
participation électorale qui s'avoisine autour de 40 à 48 %, ce
qui revient à dire qu'une grande partie de l'électorat ne
participe pas aux opérations électorales.
Pour avoir une image de l'abstention dans le cas de Madagascar
il s'avère nécessaire de rappeler quelque chiffre qui stipule
la baisse de participation de la population dans le
33 Andriamahefa in Revue de l'Océan
Indien, n° 315.
processus électoral. Nous nous referons ici à
quelques données d'études réalisées par Roubaud
François sur la sociologie électorale à Madagascar.
Lors de l'élection de 18 novembre 1945 le
deuxième tour de l'élection du 21 octobre 1945, l'abstention est
enregistrée à 42,52 %. Pendant l'élection
législative en novembre 1946, elle avait atteint 44,06 %. Ce n'est que
l'élection en 1992 que le taux de participation a atteint un taux
élevé avoisinant le 81 % force est de souligner que cette
élection est la consultation électorale déroulant dans la
régularité. Notons également qu'à l'élection
présidentielle en 1996 premier tour le taux d'abstention est de 41,6 %
et au deuxième il a augmenté de 50,3 %34. Le
schéma s'est reproduit pendant l'élection présidentielle
du décembre 2006 ou l'on assiste à la victoire de Ravalomanana
avec un taux d'abstention de 38,06 %. Le taux d'abstention est de 47,4 % lors
du dernier referendum constitutionnel du 17 novembre 2010. Nous tenons à
signaler que ce referendum s'est démarqué par les autres par
l'usage du bulletin unique.
Ces quelques données montrent qu'une tendance à
la désaffection de la vie politique est en train de s'opérer dans
le pays. Mais comment expliquer ce taux d'abstention ? Le taux d'abstention est
un indicateur de l'exclusion sociale plus précisément de
l'exclusion de la vie politique. Comme nous l'avons souligné
précédemment cette exclusion de la vie politique peut
résulter du système lui-même à cause du
problème de non inscription dans la liste électorale.
L'imperfection de la liste électorale produit l'exclusion du citoyen de
ses propres droits. La motivation de l'individu à participer à
une élection dépend de la fiabilité de la liste
électorale.
Toutefois, la participation à une élection
dépend également d'autre variable comme le niveau de
l'éducation de l'individu, l'enjeu de l'élection, par exemple
plus l'élection est importante plus les citoyens sont motivés
à aller voter. Elle dépend de l'intérêt du citoyen
de ce que rapporte l'élection pour lui. L'étude
réalisée par Roubaud François a montré que ce sont
les jeunes âgés de 18 à 24 ans qui sont les plus
abstentionnistes. Leurs observations pendant l'élection
présidentielle en 1996 dans l'agglomération d'Antananarivo ont
permis de constater qu'un tiers de ce groupe d'âge n'accomplit pas ses
devoirs électoraux. Les abstentionnistes sont de 28 % pour la tranche
d'âge de 25 à 29 ans.
Pour notre part nous avons interrogé les individus
concernant le dernier referendum constitutionnel du 17 novembre 2010. Ce
referendum a permis de savoir l'attitude des citoyens à l'égard
du vote mais également leurs attitudes dans sa première
expérience de l'utilisation du bulletin unique. Parmi les 65 individus
enquêtés, 35 % ont déclaré participer
34 Roubaud François, qui vote pour qui et
pourquoi ? Un essai de sociologie électorale à partir des
élections présidentielles dans l'agglomération
d'Antananarivo, 1992-1996. Novembre 1997.
au referendum tandis que 65 % n'ont pas participé. Pour
connaître la perception de la population quant à l'utilisation du
bulletin unique, nous avons recueilli que pour les individus ayant
participés à ce referendum, ils éprouvent de
difficulté du fait que c'est la première fois qu'on pratique
cette méthode de scrutin. Il est étonnant de constater que les
individus qui déclarent participer à ce référendum
n'ont pas encore lu le texte constitutionnel dans lequel ils sont censés
de choisir.
Pour les individus qui n'ont pas participé à ce
referendum, leurs raisons s'expliquent d'abord par le manque d'information et
de mobilisation concernant l'objectif de ce referendum. Ensuite, les personnes
interrogées ont insisté que c'est une pratique de modifier chaque
fois la constitution mais ça ne change rien. Elle est modifiée
dans l'intérêt des dirigeants mais non pas pour
l'intérêt de la population.
L'abstentionnisme évoque l'exclusion politique de la
population, il découle aussi une crise de représentativité
de la pratique démocratique actuelle. Pour connaître la
pensée de la population à l'égard de ses
représentants, nous avons posé la question suivante : vous sentez
vous représenter par vos élus nationaux/locaux ?
Graphique n° 01 : Représentation des
élus.
Source : Enquête personnelle 2011-2012.
A partir de ce graphe nous constatons 2 % seulement de notre
individu enquêté se déclare représenter par les
élus nationaux et locaux, 86 % ne se sentent pas
représentés par les élus. Ce pourcentage
révèle une attitude négative des hommes politiques qui
sont censés représenter la population dans la sphère
politique.
Cette crise de représentativité reflète la
déception des citoyens en raison de l'inaccomplissement des promesses
tenus au moment de la propagande électorale. La politique malsaine
qui occupe le devant de la scène politique, le développement qui
n'a pas
lieu jusqu'ici, le champ politique qui devient un simple lieu
de reproduction sociale des classes politiques, la tendance à la gestion
familiale du champ politique, le clientélisme politique, la mauvaise
gouvernance et les tripatouillages électoraux sont les facteurs de
compréhension du comportement des citoyens devant le
désintéressement face à ses représentants.
Tableau n° 05 : comportement des citoyens
à l'acte électoral.
Se sentir concerné par L'élection
Raison de
Participer à l'élection
|
Pas du tout concerné
|
Peu concerné
|
Assez concerné
|
Très concerné
|
Parce que c'est un droit
|
1,5 % (1)
|
4,6 % (3)
|
1,5 % (1)
|
49,2 % (32)
|
Prendre part dans la décision du pays
|
1,5 % (1)
|
0,0 %
|
1,5 % (1)
|
7,7 % (5)
|
Parce que je suis citoyen
|
0,0 %
|
0,0 %
|
0,0 %
|
3,1 % (2)
|
Parce que rien ne change
|
16,9 % (11)
|
0,0 %
|
0,0 %
|
0,0 %
|
Ca n'apporte rien si je vote Ou je ne vote pas
|
3,1 % (2)
|
0,0 %
|
0,0 %
|
0,0 %
|
Je n'ai jamais voté
|
6,2 % (4)
|
0,0 %
|
0,0 %
|
0,0 %
|
Pas de réponse
|
1,5 % (1)
|
1,5 % (1)
|
0,0 %
|
0,0 %
|
Total
|
30,8 % (20)
|
6,2 % (4)
|
3,1 % (2)
|
60 % (39)
|
Source : Enquête personnelle 2011-2012.
Devant le dysfonctionnement que traverse le système
politique malgache, les citoyens réduisent l'opération
électorale en un simple acte de vote. Le tableau montre que 49,2 % des
citoyens qui sentent concerner par les élections disent que
l'élection n'est qu'un simple acte de droit. Nous avons demandé
aux citoyens ce qu'est le sens de leur vote, les réponses se tournent
autour de question de droit. 7,7 % seulement de nos enquêtés qui
se sentent concerner par les élections affirment que l'élection
est le moment pour prendre part aux décisions dans le pays. 16,9 % ne
sentent pas concerner par les élections en raison de l'inexistence du
changement. Les citoyens qui se regroupent dans ce pourcentage attestent que
les gens qui arrivent au pouvoir ne font que réécrire l'histoire
à la manière de leurs prédécesseurs. Les
politiciens malgaches parlent tous du bien du peuple. Ils disent qu'une fois
arrivés au pouvoir ils transforment le monde cependant il n'en est rien.
Ils ne font que s'enrichir et maintenir à vie sur le pouvoir.
La crise de représentativité se confirme
lorsqu'il s'agit de demander aux citoyens sur la perception des dirigeants
politiques à Madagascar. Les classes politiques ont perdu leur
crédibilité aux yeux des citoyens. D'aucun ne déclare
favorable à la classe politique. Les citoyens ne font pas confiance
à leur classe politique. Les politiciens arrivent à
dépolitiser une grande majeure partie de la population. En posant la
question aux citoyens « que reprocher vous aux dirigeants politiques
actuels et passés ? ». Égoïste, menteur,
démagogue, corrompu, qui ne connaît pas la réalité
de la population, dictateur, magouille, impunis, pas d'éthique, sont les
mots utilisés par les citoyens pour qualifier leur classe politique. Les
personnes interrogées affirment à 86 % que la classe politique
dans le pays ne change pas. 14 % seulement disent que la classe politique
change. Elles font références le plus souvent au changement de la
tête du chef d'Etat.
Graphique n°02 : la perception sur le changement de
la classe politique.
Source : Enquête personnelle 2011.
Les citoyens ne font plus confiance à leur classe
politique, cette situation ne peut que discréditer et engendre un
scepticisme qui illustre la désaffection progressive des citoyens au
regard de la vie politique et de ses représentants. La population a
élu des hommes et des femmes qui vont les sanctionner et créer sa
propre aliénation. Cette situation s'illustre par le rapport du citoyen
à la loi. Théoriquement, les citoyens élisent les
députés qui sont leurs représentants au sein de
l'assemblée nationale. Ce sont les députés qui votent les
lois au nom de la volonté populaire, cependant dans la
réalité, ces lois ne s'adaptent pas aux réalités
quotidiennes de la population, ni d'application, à cela s'ajoute
l'inégalité dans l'application de la loi. Lors de notre
enquête presque la population a répété le
problème de la justice « rehefa tsy manam-bola eto dia migadra na
tsy meloka aza » (littéralement, « si vous n'avez pas
d'argent, vous êtes en prison même si vous êtes innocent
»).
Les hommes qui sont censés de représenter les
citoyens au sein de l'assemblée ne font que voter des lois à leur
mesure et ne sont pas en contradiction avec leurs intérêts
personnels. Le culte de l'impunité qui est en train de s'opérer
dans le contexte actuel est un exemple convaincant35. C'est pour
cette raison qu'on trouve une certaine tendance de la régression de la
conscience citoyenne élément indispensable à la
démocratie. Les citoyens voient leur avenir sans leurs
représentants.
Toutefois, nous apercevons un paradoxe du comportement de la
citoyenneté, la défiance que l'on peut constater est
contradictoire du comportement des citoyens. Ils reproduisent
systématiquement sa propre condition d'exclusion sociale ou de sa propre
aliénation politique. Ils reconduisent en permanence soit par
l'intermédiaire du mouvement de foule (moyen d'expression populaire) ou
par l'intermédiaire de l'élection (moyen de l'expression de la de
décision) les mêmes hommes politiques au pouvoir en sachant qu'ils
ne font rien d'autre que ce que les autres ont déjà fait. Dans ce
cas, la participation citoyenne apparaît un rituel d'exclusion sociale et
qui par ses choix participe à créer une classe
privilégiée, une oligarchie de pouvoir. L'élection et le
mouvement de foule ne sont que des faire-valoir qui légitiment sa propre
exclusion.
IV.2. Les acteurs de la démocratie
Comme nous l'avons noté la démocratie ne se
pratique pas d'elle-même, elle a besoin des acteurs pour être
réalisable. Actuellement, ce sont les partis politiques qui occupent la
première place dans la réalisation de la démocratie. Sur
le plan formel, les partis politiques constituent les faiseurs d'opinion dans
une société donnée. Ce sont eux qui cherchent les
alternatives face aux difficultés que traverse un pays. Les partis
politiques ont pour vocation première de conquérir et d'exercer
le pouvoir.
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