VI.2. L'incohérence de la formation sociale
Nous avons posé au début de travail que la
société est composée de trois niveaux d'instance, les
instances idéologiques, les instances politiques juridiques et les
instances économiques. Cette matrice de société nous
permet de reconnaître le dysfonctionnement de la démocratie dans
le contexte malgache.
VI.2.1. Contradiction entre mode de
production
Le projet économique libéral qui repose sur la
liberté d'entreprendre ou l'initiative individuelle est contradictoire
avec le monde économique malgache qui se base sur la production
collective. En effet, la production est distribuée entre les membres des
familles, des proches, et ce à partir d'une base de la parenté.
Au moment de l'introduction de la libéralisation du pays, le pays n'est
pas encore prêt à accepter les initiatives individuelles, et les
investissements nationaux sont laissés de côté en
remplaçant par des investissements étrangers.
Les détenteurs du pouvoir ont utilisé leur
position pour prendre le contrôle de secteurs importants en leur nom
personnel ou par l'intermédiaire de leur famille ou de leurs
réseaux de clientélisme. Le président qui se
succède dans le pays reproduit toujours ce schéma. La
monopolisation de l'économie par le pouvoir en place explique la
décadence économique du pays et l'inégalité de la
redistribution de la richesse dans le pays39.
VI.2.2. Distorsion entre système politique et
idéologie
La contradiction existe aussi au niveau de l'organisation
politique. En effet le pays fonctionne actuellement avec la république
ou le président est élu par l'intermédiaire de
l'élection. Or, une grande majeure partie de la population se comporte
en sujet du roi mais non pas en citoyen. Cette situation se reflète
d'abord par les résultats du referendum organisé dans le pays ou
l'on assiste au culte du oui. Les populations ignorent leurs rôles dans
une vie démocratique d'où les interrogations sur la signification
réelle de ces suffrages universels qui provoquent toujours des crises
importantes.
La contradiction vient également au niveau culturel, en
effet, l'homme malgache se caractérise par son obéissance au
groupe social, l'homme malgache agit en fonction des rapports
hiérarchiques entre les groupes d'âges et le groupe de
parenté. Le respect absolu des détenteurs de l'autorité
morale constitue une norme sévère du comportement des
malgaches.
39 Entretien individuel avec Serge Zafimahova.
Les transgressions des normes sociales provoquent le «
tsiny ». Ce comportement autorégulé enlève de
spontanéité aux débats publics et surtout aborde rarement
le fond du problème. Le comportement est soumis aux règles
hiérarchiques, il n'existe pas vraiment de liberté individuelle
en dehors du groupe social. La société malgache est fondée
sur le principe de soumission, la soumission de l'individu au groupe,
soumission des moins âgés aux plus âgés. Cette
pratique culturelle s'illustre par des proverbes comme « tsy misy
raiamandreny hanolobato mafana ny zanany » et « ny
tenin-draiamandreny toy tsipakom-balahy mahavoa mahafaty, tsy mahavoa
mahafanina ». Qui se traduisent littéralement « aucun parent
ne donnerait une pierre brulante à ses enfants » et « les
conseils d'un parent sont comme une ruade de zébu, s'ils vous
atteignent, ils vous tuent, sinon vous êtes sonné ».
Au niveau politique ce langage se traduit par le rapport entre
les hommes politiques et le peuple. Entre les hommes politiques c'est la
démocratie et avec les peuples c'est l'infantilisation. Les gouvernants
savent ce qui est bon pour le peuple et les parents ont toujours raison. Mais
l'histoire a montré que lorsque l'infantilisation atteint un
degré, le peuple va appeler les dirigeants à descendre avec eux
sur la rue. Nous revenons ici à l'idée selon laquelle la
démocratie ne peut exister que dans une attitude qui est prête
à se remettre en question c'est-à-dire accepté une
démocratie où chacun peut exprimer librement mais surtout
être écouté. Cette instrumentalisation de position
hiérarchique est contradictoire avec la philosophie mettant en valeur la
communication consensuelle « ny marimaritra iraisana »
c'est-à-dire le compromis entre les interlocuteurs. De surcroît,
les politiciens n'arrivent pas à comprendre que les malgaches ont une
culture qui dit « aleo alan'andriana toy izay alambahoaka » qui se
traduit littéralement il vaut mieux être haï par les nobles
que par les peuples.
L'Etat lui-même est conçu comme un régime
monarchique. Chaque président arrivé au pouvoir est
incontesté, sacré, il construit un pouvoir personnel et familial,
et de ses pleins pouvoirs il abuse tout et ne pense jamais quitter le pouvoir
qu'à coup de force.
Le champ politique malgache est confondu entre traditionnelle
et moderne, les classes politiques instrumentalisent la valeur traditionnelle
malgache telle que le « fihavanana » lorsqu'ils veulent arranger le
pouvoir entre eux, on met en avant la vertu du « ady hevitra »,
débat ou discussion. On rappelle que les malgaches sont des grandes
familles, et que les problèmes doivent être résolus en
privilégiant la concertation, la discussion. Cette pratique sert
à évacuer le problème et non pas à les
résoudre à tel point que à chaque moment fort du pays on
assiste à la foire d'empoigne. La stabilité politique du pays
repose sur l'intégration des opposants dans l'appareil étatique
là ou il y a mutisme.
VI.3. La persistance des inégalités
sociales
L'intuition tocquevillienne selon la laquelle la
démocratie consiste en une égalisation de condition est encore
difficile dans le contexte malgache. Dans la constitution les citoyens se
trouvent sur un même pied d'égalité ou tout citoyen peut
jouir de ses droits. Pourtant dans la réalité les
inégalités sociales persistent.
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